Lettre 10 :

          My dear Eléonore,

Je suis très heureux de te retrouver pour une nouvelle lettre, notre dixième, me semble-t-il... C'est une étape que nous venons de passer ! Alors, comme tout cap qui se franchit, nous nous devons de le célébrer : je regarderais la lune en pensant à toi ce soir, car c'est la seule chose que nous pouvons voir simultanément. Mais, disons que le seul changement de ce soir par rapport aux autres jours est que j'observerais la lune. Pour ce qui est du reste, je pense déjà à toi à longueur de journée...

C'est vrai que de passer au tutoiement n'est pas chose aisée... Mais je suis enchanté que tu aies accepté de sauter le pas dans nos correspondances ! Il faut dire qu'avec le vouvoiement, nous mettions une certaine distance entre nous, et il était plus facile de se parler ainsi car nous sommes habitués à vouvoyer nos supérieurs depuis l'enfance. Le fait d'éliminer ce vouvoiement nous rapproche beaucoup en peu de temps. Il nous fait passer de l'état de correspondants à celui d'amis intimes. Sache que j'ai également du mal avec ce tutoiement qui ne m'est guère familier, mais il m'est tellement agréable de te savoir plus proche de moi par une simple formule, que je pourrais faire tout l'effort du monde afin d'y parvenir...

Tu m'envoies ravi de t'offrir l'opportunité, à travers nos lettres, de pouvoir enfin être toi-même. Je suis très fier de celle que tu es devenue et sûr qu'il te reste encore plein de belles choses à apprendre sur ta personnalité. J'espère tant que ce sera à mes côtés que tu les découvriras...

Tu fais passer Alfred après moi alors qu'il te connait depuis la naissance... Je suis très honoré de ce privilège que tu m'offres, mais également désolé que tu n'aies jamais pu être aussi proche de lui que ta mère avec sa bonne. Peut-être attend-t-il seulement que tu lui fasses un signe pour se rapprocher de toi et devenir ton confident ? Enfin, je ne vais pas me plaindre, je ne céderais cette place dans ton cœur pour rien au monde !

C'est vrai que nous ne nous sommes jamais vus... Pourtant, je suis si proche de toi que j'ai parfois l'impression de t'avoir toujours connue. J'espère sincèrement que notre rencontre aura lieu un jour, et que celle-ci sera magique... A ce propos, merci de t'être décrite. Tu as l'air absolument magnifique et, comme tu le dis si bien toi-même, inaccessible. Je me rends compte la chance que j'aie de te connaitre. Sûrement que si l'on s'était croisés au hasard d'une rue, aucun de nous n'aurait daigné poser le regard sur l'autre...

La description que tu as faite de toi est très belle, aussi, j'ai peur de ne pas arriver à l'égaler. Je te promets de faire au mieux. Je suis plutôt grand, mais je ne dépasse pas les six pieds. Je possède un visage en tout point ordinaire : yeux noisette, nez aquilin, bouche charnue et rougeâtre, mâchoire carrée recouverte d'une barbe de quelques semaines de couleur marron. Mes cheveux sont mi-long, bouclés, épais et châtain foncé. Je ne suis pas laid, mais je ne possède pas d'atouts me démarquant du reste des hommes... Mon teint est foncé car je travaille au soleil à longueur de journée. Je suis plutôt musclé et c'est une chose qui fait ma fierté. Si seulement mes habits n'étaient pas sales, troués et rafistolés, j'aurais plus l'avantage de mettre en valeur ce corps musclé que je possède. Mes deux sœurs me ressemblent beaucoup, à cette particularité prêt qu'elles sont des filles. A nous trois, nous constituons des triplés de tailles différentes !

J'espère que ma description t'aura permis de me cerner plus facilement. Concernant tes envies de porter un pantalon, de monter à cheval et qui plus est à califourchon, je ne trouve cela en aucun point ridicule. Tu as parfaitement le droit d'avoir des envies, même si tu trouves celles-ci loufoques. Personnellement, je ne suis tout simplement jamais monté à dos d'animal de quelque race que ce soit, alors j'avoue ne pas bien comprendre cette sensation de liberté que tu décris. Mais en l'imaginant, c'est évident que ce doit être magique. Tu m'as maintenant donné l'envie de monter à cheval mais, je n'en ai pas les moyens malheureusement... Eléonore, quel effet néfaste as-tu sur moi ?! (C'est une blague, évidemment)

Ne t'inquiète point, ma grippe est définitivement passée, et je ne veux plus entendre parler d'elle. Je suis en revanche désolé que ma maladie ait évoqué en toi des souvenirs que tu préfèrerais certainement oublier... Quant à la mystérieuse maladie de ton père, je suis vraiment désolé de l'apprendre. Il est vrai que maintenant, lui parler de ta réticence face au mariage est plus qu'inapproprié... J'espère que le miracle frappera à votre porte, ou bien que les médecins trouveront le traitement afin de le soigner. Je l'espère sincèrement. La peur de perdre ton père alors que ta mère n'est déjà plus de ce monde doit être horrible. Je compatis et suis de tout cœur avec toi, vraiment. Je ne sais pas quoi ajouter d'autre à ce sujet, mais sache je prierais pour toi matin et soir afin que son état s'améliore. Tout espoir n'est pas perdu, convainc-le de se battre comme je l'ai fait, si tu parviens à lui parler quelque temps.

Je n'ai toujours pas évoqué le sujet de Léopold avec ma mère, j'en ai très peur. J'appréhende le fait de la faire se sentir plus mal encore, une fois que je lui aurais rappelé son souvenir alors qu'elle était parvenue à l'oublier à ce moment précis où je lui parlerais... Je ne sais pas si j'ai été très clair, mais ça ne fait rien. Chaque jour j'essaie d'aborder le sujet avec elle, mais je redoute toujours une nouvelle chose : et si elle ne pleurait pas pour ça ? Et si elle avait vraiment oublié Léopold ? Et si, et si, et si... C'est une suite de question sans réponse qui me font toujours repousser au lendemain la mémoire de mon petit frère. Mais je te promets de faire un effort dès que je me retrouverais seul avec ma mère. Je suis tellement persuadé que parler de lui nous fera du bien...

Il est temps pour moi de clore cette lettre, le jour se couche et je ne voudrais louper ce rendez-vous avec toi et la lune pour rien au monde... Je te souhaite beaucoup de courage car tu en auras besoin, et attends de tes nouvelles ainsi que celles de ton père (qui, je l'espère, seront bonnes) dans ton prochain courrier.

A très bientôt ma chère,                                                                                

Aleksander                                                                                                                                                   -11 août 1873-

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top