Lettre 9

Cher vous,

Ou plutôt devrais-je dire, « Cher toi » ? Peut-être cela va te paraître un peu saugrenu, comme terme pour commencer cette lettre, mais j'aime bien ce côté décalé. Cela va sans doute te sembler étonnant venant de ma part, mais il est vrai qu'il m'arrive de ne pas être toujours sérieuse et dans les règles. De temps à autre, j'aime bien avoir un côté décalé qui puisse sortir de l'accoutumé. J'ai nombre de personnalités, vous savez -enfin, « tu sais », devrais-je dire ; je m'excuse d'ailleurs si je mets un peu de temps à prendre cette habitude qui ne m'est guère familière -. Tantôt j'aime être tout comme Père aime, c'est-à-dire irréprochable, exemplaire, élégante et sûre de moi. Tantôt je préfère sortir du lot, me sentir unique, différente, avec des côtés me caractérisant. Mon « côté de Noble » a dû davantage ressortir dans mes premières lettres... : une fille d'aristocrate riche, hautaine et qui ne se laisse pas rabaisser. « Une fille forte », disait Père. Avant, cela gonflait mon cœur de joie de le savoir fier de moi, mais à présent, cela ne me semble plus aussi primordial. Avec toi, je préfère être réellement moi-même : une fille à l'apparence imparfaite, en essayant de ne pas se soucier de chacun de mes gestes en me demandant à chaque fois si c'est satisfaisant ou pas. En arrêtant de me soucier de tout ça, tout cela qui chaque fois risquait de lui déplaire, et pouvoir me lâcher davantage. La liberté... elle est convoitée par tant de monde ! Je n'aurai jamais pensée que je la convoiterai moi aussi un jour... J'étais avant tellement ma fille parfaite avec Père, désireuse de le rendre fier, qu'importe les moyens que j'utilisais pour y arriver... Aujourd'hui, tout mes souhaits ont bien changé je dois dire.

Enfin bon, comme tu l'auras bien compris, j'accepte que l'on se tutoie à partir de maintenant. J'avoue que sur le moment, cette idée ne m'a pas vraiment semblé appropriée. Pas en raison de nos statuts sociaux, mais surtout venant du fait que je n'ai jamais tutoyé personne, et que cela va m'être quelque peu déconcertant pendant un certain temps. J'ai toujours vouvoyé mon entourage. Il est vrai qu'il s'agit d'une forme de respect pour appeler les personnes au-dessus de nous. Moi, j'ai toujours également vouvoyé les domestiques. Père m'a toujours regardé d'un drôle d'air chaque fois que j'appelais Alfred en le vouvoyant. Nombre de fois il m'a dit que je devais le tutoyer, que le « vous » n'avait pas l'honneur de leur être accordé. Mais je l'ai toujours ignoré. Enfin...ce n'était pas parce que j'étais pour l'égalité du vouvoiement - je m'en fichais, à l'époque-, mais parce que cela m'a toujours semblé naturel. De plus, j'ai toujours estimé que le tutoiement devait être accordé aux personnes qui m'étaient proches et à celles que j'estimais m'être égales. Une personne comme toi, Aleksander. Je suis consciente du fait que je te considère comme « proche » alors que nous nous sommes jamais rencontrés dans la vraie vie, mais j'ai parfois l'impression de te connaitre depuis longtemps, bien plus longtemps que ces quatre mois qui sont passés depuis que ma première lettre est arrivée par erreur chez toi.

Enfin je m'excuse pour tout cela : tout ce temps que j'écris sans même prendre la peine de demander de tes nouvelles... ! J'espère que tu es à présent pleinement rétabli, et ne ne t'inquiètes surtout pas à propos de ton absence que tu n'as pu justifier. Bon, il est vrai qu'après un bon mois sans tes nouvelles qui m'étaient devenues mensuelles, j'ai commencé à angoisser. Je ne me suis point inquiété pour toi, mais plutôt parce que tes lettres me donnaient un réconfort sans nom, et que leur absence m'en a bien affligée. Je sais, j'ai été purement égoïste, à ne penser que de ce qu'il adviendra de moi si tu ne m'écrivais plus jamais... Me soucier de ton état de santé ne m'a guère effleuré l'esprit, j'ai seulement songé à moi et au réconfort que tes lettres m'apportaient... L'égoïsme m'a submergé, une fois de plus, et je m'en excuse sincèrement. Je m'en suis tant voulu après coup, quand j'ai finalement fini par recevoir ta lettre et ai lu tes phrases... C'est comme si tu m'avais enfoncé un poignard dans la poitrine : mon égocentrisme en avait pris un bon coup, il venait de s'apercevoir que je n'avais pas une seconde pensé à toi, si tu allais bien ou pas, si cette absence de lettre était désirée ou non...

Avoir la grippe... Cela a dû être terrible ! j'en frissonne rien qu'en y songeant. Chaque fois qu'on l'évoque, je repense à Mère, son corps sans vie découvert ce tragique matin de février, et les larmes me montent aux yeux, moi qui pourtant déteste pleurer. Père disait toujours des pleurs qu'il s'agissait d'une forme de faiblesse et qu'il fallait savoir relever la tête, qu'importe la situation. J'ai bien vite compris qu'il avait tord, bien que je ne lui en ai jamais parlé. Pleurer n'est pas un acte de faiblesse, c'est seulement une preuve qu'on éprouve des sentiments. Il y avait un auteur inconnu qui disait : « Une personne forte n'est pas celle qui ne pleure jamais. Une personne forte est celle qui peut fondre en larmes par moments pour ensuite reprendre les armes et continuer de se battre. » J'avoue qu'elle m'a bien inspiré... Dans tous les cas, je suis heureuse de savoir que tu t'es accroché à la vie, que tu aies réussi à tenir bon et à surmonter cette effroyable maladie. Je donnerai tout pour que Mère y soit arrivée elle-aussi...

Enfin bon, savoir que notre correspondance ait donné un peu de gaieté à ta vie m'a fait bien plaisir, et je t'avoue que je suis bien soulagée de savoir que la grippe ne t'ait pas enlevé cette dernière. Elle m'a déjà arraché Mère, je ne lui aurais pas pardonné si elle t'avait emporté à toi-aussi...

Quand tu as évoqué ma beauté, la curiosité s'est emparée de moi. Nous nous sommes jamais vus, et pourtant je ne me suis jamais senti aussi proche de quelqu'un... Si seulement nous pouvions nous rencontrer. Cette idée m'enchante, mais cacher ces lettres à Père n'est déjà pas aisée, et j'ai peur qu'une rencontre soit bien trop délicat à organiser.

Aussi, je peux toujours tenter de me décrire pour que tu essayes de m'imaginer plus facilement. Si j'avais pu je t'aurais envoyé un tableau de moi, ou encore un dessin, mais par courrier, cela se révèle être impossible. Je vais donc tenter de me décrire avec des mots, bien que cela ne soit pas si simple... : je ne suis pas spécialement grande, plutôt vers la moyenne. J'ai une taille plutôt svelte et je suis rousse, une couleur qui sort de l'ordinaire dont je suis assez fière et dont j'ai la chance d'hériter de Mère, une femme que j'ai toujours trouvé magnifique. Mes cheveux sont assez épais, bouclés et tombent presque jusqu'à ma taille. La plupart du temps, j'aime les sentir détachés autour de mon visage, bien que Père préfère quand je les ai rassemblés dans un chignon sophistiqué. Moi, je préfère les mettre en valeur autour de moi. Du côté des yeux, je les ai de ma Grand-Mère : un bleu qui se mélange à un vert canard puis qui se dégrade vers du plus clair en bas de l'iris ; ils sont pers, pour faire plus simple. Beaucoup de gens les envie, et j'avoue que j'en suis également très fière. Ils sont bordés de longs cils noirs qui leur donne un regard profond. Je sais que je donne l'impression de me vanter, mais c'est seulement ce que je pense de moi, et il est vrai que j'ai une assez bonne estime de moi-même sur le côté physique, je le reconnais.

J'ai le teint très pâle, trop pâle si tu veux mon avis. J'essaie de compenser en pinçant mes joues pour qu'elles rosissent ; ça en est presque devenu un geste familier que je réalise sans cesse. Quant à mon nez, il est légèrement aquilin, et mes lèvres sont pulpeuses et tirent sur le corail naturellement.

J'ai à peu près fais le tour, que dire de plus ? Côté vestimentaire, tu as dû déjà voir comment sont vêtus les Nobles : je m'habille exclusivement de robes longues qui cachent mes pieds dans un tissu la plupart du temps coûteux. J'aime beaucoup me sentir élégante, et les vêtements sont un très bon moyen de montrer sa richesse ; mais de temps en temps, une partie de moi aimerait bien essayer un pantalon d'homme, juste pour en ressentir la sensation. Comique comme souhait, me dirais-tu. Mais c'est que ce que j'aimerai, pourtant. Pour monter à cheval comme les hommes, principalement.

Je n'ai dû jamais t'en faire part, mais l'équitation est un passe-temps que j'affectionne tout particulièrement, bien que j'en fasse très rarement. Père trouve que c'est une perte de temps à l'état pur, et il n'apprécie pas les animaux. Moi, j'en suis très attachée, leur compagnie m'ait parfois favorable à celle des humains. Je peux être très froide, d'ailleurs je l'étais sans relâche avant que l'on commence à s'envoyer des lettres, mais les chevaux étaient les seuls êtres qui ne m'inspiraient aucun mépris. Il se dégageait d'eux un sentiment d'apaisement qui me détendait tout en ayant un air sauvage et libre que j'admirais. Un jour, alors que j'étais plus jeune, Père s'était rendu en campagne pour une raison qui ne me revient plus, et je l'avais accompagné. L'homme avec qui il s'était entretenu m'avait proposé une promenade à cheval. Cette idée ne m'avait guère enchanté ; entre l'herbe et la terre qui salissaient déjà mes chaussures, l'idée de monter sur le dos d'un animal ne m'attirait pas du tout. Mais cela arrangeait Père qui devait régler une autre affaire, alors il m'avait laissé avec cet homme. Personne ne laisse sa fille avec un quasi-inconnu, j'en suis bien consciente, mais apparemment Père, lui, n'était pas très lucide à ce sujet. C'est comme ça que je me suis retrouvée sur le dos d'une jument, très attentionnée je me souviens, à la robe gris souris et aux yeux intelligents. Je pensais détester cette promenade, pourtant je me souviens avoir adoré cette sensation de liberté. Ce fut un après-midi magique. En fin de journée, quand Père revint me chercher, il s'excusa de m'avoir laissé dans un tel endroit en me promettant de ne plus jamais me laisser toucher « pareille bestiole », je cite ses propres paroles qui me sont restées en mémoire. Sur le moment, j'avais ri et l'avais regardé d'un air très sérieux ; puis je lui avais confié que j'avais énormément apprécié cette balade à cheval, affirmation qu'il n'a jamais réellement prise au sérieux.

Pour en revenir à nos moutons, j'ai remonté à cheval par la suite. Rarement, certes, mais je ne loupais jamais une occasion de sentir à nouveau cet élan de liberté à dos de ces beaux équidés. Sauf que comme tu t'en doutes, j'ai toujours monté en amazone, et cette position ne m'est pas des plus agréables. Ainsi, j'aimerai beaucoup enfiler un pantalon pour sentir la sensation de monter à cheval à califourchon, comme les hommes. Cela doit être fabuleux !

Je te remercie pour tes phrases de réconfort et tes conseils, qui me sont précieux bien que je ne sois pas sûre d'en faire part à Père à propos de ce fameux mariage. Ces temps-ci ne sont pas des plus aptes pour lui parler de cela : il est tombé dans une maladie inconnue le mois dernier, et depuis j'ignore de ce qu'il va advenir de lui... J'appréhende, Aleksander. Bien que ce ne soit pas la grippe, ce n'est pas une maladie que le médecin a réussi à identifier, et il ne sait quoi faire pour le guérir. J'ai si peur, Aleksander. Si peur qu'il succombe à cette maladie inconnue... Cela va faire un mois que son état se dégrade un peu plus chaque jour. D'abord, il devint fiévreux, et malgré les soins que lui apporta notre médecin pour la faire baisser, elle reste presque tout le temps constante, insensible aux remèdes. Puis il commença à avoir du mal à parler, à rester éveillé. Il est presque tout le temps dans un sommeil profond, et le médecin dit qu'il faut le ménager le plus possible, de sorte que je ne lui parle quasiment plus. En plus, récemment, le Dr Dresnay nous a affirmé qu'il pouvait s'agir d'un virus, et il ne veut presque plus qu'on entre dans la chambre, de peur qu'il nous contamine ou qu'on lui apporte des microbes.

Je pris Dieu chaque jour pour que son état s'améliore, que je puisse le revoir un jour en parfaite santé. Il ne mérite pas de mourir, et je ne veux pas devenir orpheline. Ces derniers jours sont particulièrement durs, l'ambiance est pesante et l'angoisse me noue l'estomac chaque fois que le Dr Dresnay vient pour l'examiner, où je ne peux y assister et reste à l'extérieur de la chambre en appréhendant le bilan qu'il me fasse ensuite.

Rien que d'écrire ces mots me font monter les larmes aux yeux. Je m'excuse si tu trouves des tâches sur cette feuille, ce n'est pas volontaire.

Changeons de sujet.

J'ai eu tant de peine quand j'ai su la perte de ce petit Léopold. J'en suis tristement navrée, bien que cela n'en est aucunement ma faute, mais je compatis sincèrement à propos de son décès arrivé bien trop prématurément. J'espère de tout cœur que tu y parleras avec ta mère ; je ne la connais pas, mais je suis presque certaine qu'elle en sera très émue si tu te confies à elle à ce propos, ça ne pourra lui apporter que soulagement et soutien, bien que ce triste évènement date de deux ans à présent.

N'empêche que je te remercie de m'avoir livré une partie de ta vie en détails, je suis réjouie d'en avoir su davantage sur toi.

Je te souhaite tout le meilleur soutien du monde pour la suite, je sais que parler avec ses proches est loin d'être facile, j'en témoigne très facilement... Et puis surtout n'oublie pas de te décrire également, j'aimerai beaucoup me faire une image de toi.

Bien à toi,

Éléonore

-27 juillet 1973-

***

Hey tout le monde!

J'espère que vous allez bien ^^ De mon côté, ça va, je voulais juste vous parler de deux points :

--- J'ignore si vous avez vu mon annonce sur mon profil mais j'ai changé de pseudo, je ne m'appelle plus Read_Ludi mais Lesperanzaaa. J'espère que ça vous a pas trop perturbé ^^' Pour plus de précisions, le message est toujours sur mon profil ^^

--- Deuxièmement, je voulais m'excuser pour le temps qu'a pris ce chapitre 9 pour être enfin publié... J'ai d'abord été en vacances deux semaines, dont une où j'étais au ski et donc pas du tout dispo. La deuxième, j'ai commencé un Brouillon de cette lettre 9, puis à la reprise des cours, je suis partie cinq jours en Classe de Neige avec une partie de ma classe et d'autres 4ème, ce qui ne m'a donc pas permis de me centrer sur l'écriture de ce fameux chapitre... J'en suis navrée si l'attente s'est faite un peu longue.

    Voilà ! J'espère que ce chapitre vous aura plu, malgré le fait que j'avais des doutes et des appréhensions -que j'ai toujours- sur la longueur du chapitre ainsi que des sujets abordés (pas assez d'action ?). N'hésitez pas à dire en commentaires votre avis, des conseils, ou même des critiques -tant qu'elles sont constructives y a pas de soucis :) - ... En attendant le chapitre 10 qui sera présent sur le profil d'Elfie, je vous souhaite une très bonne fin de week-end ^^,

   A bientôt,

Ludivine :)


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