Lettre 7
Cher Aleksander,
Avant de vous raconter les derniers évènements qui se sont produits il y a peu, je vais commencer par répondre à votre lettre.
Tout d'abord, je veux vous dire que je comprends parfaitement ce que vous ressentez sur l'injustice sociale de notre pays. Je sais que cela va paraitre insolite provenant de ma part. Il est vrai que j'ai toujours été une personne hautaine, consciente de ma beauté et de mon intelligence. Les gens de mon entourage n'osent me tenir tête, je les en dissuade d'un simple regard, et j'ai toujours eu une réputation d'une personne froide, gâtée et dépourvue d'empathie. Cela fait peu de temps que je me suis rendu compte de mon caractère fort peu exemplaire, cela grâce à vous. Grace à vos propos sur les injustices et le mépris qu'on accorde aux gens comme vous, j'ai finalement fini par prendre conscience et à réfléchir sérieusement sur les points que vous avez cités, principalement sur le fait que l'égalité était loin d'être présente.
Ma beauté froide me rendant inaccessible n'est pas rare, dans mon entourage. Je suis loin d'être la seule à me montrer méprisante vis-à-vis des pauvres et je regrette à présent. Sincèrement. Et je suis prête à vous considérer, à vous parler comme un égal, désormais. Et puis après tout, je vous dois bien cela, car vous êtes à ce jour la seule personne avec qui je me sens réellement bien et où je peux finalement être vraiment moi-même. Et pour cela, je vous en remercie. Vos lettres ont le don d'égayer mes journées qui ne sont pas très agréables ces temps-ci.
Peut-être est-il temps que je vous raconte ce « dramatique » évènement qu'il s'est donc passé...
Loin que l'idée de parler de mariage me déplait, mais j'aurai davantage aimé vous parler d'un sujet plus plaisant pour moi. Seulement, je vais quand même vous écrire quelques phrases sur ce qu'il s'est passé.
Ceci aurait pu être tiré à mon avantage, mais Père est furieux. Plus, même. Il est furibond quand il a appris, et cela fait plus de deux semaines qu'il est en profondément irrité. Il se trouve que les Montauban, en allant aux funérailles en Russie, ont fait la connaissance d'une famille. Une famille renommée et extrêmement riche, dont leur fille est dite « d'une grâce exceptionnelle, d'une beauté ravissante et d'une famille incroyable », propres mots que nous a adressés André de Montauban dans une lettre... Et bien oui, Aleksander. Les Montauban nous ont jetés complètement pour cette famille des Abramovitch, leur fille, Dominika, étant apparemment « la fille parfaite pour notre très cher fils ».
Si vous aviez imaginé l'état dans lequel était Père quand il a reçu la lettre... Il avait tellement de mal à contrôler ses émotions que j'en ai eu presque peur. Il a traité les Montauban de tous les noms, mais a fini par leur répondre poliment, bien qu'il en soit encore terriblement contrarié. Qui aurait cru que leur famille, si bien élevée, aurait été capable d'une telle chose ? J'ai moi-même était abasourdie d'apprendre la nouvelle, mais n'ai pas été attristée pour autant. Après tout, je n'ai jamais été prise d'affection pour Ovide, et je me suis même surprise à espérer qu'il tombe réellement amoureux de cette Dominika, et qu'ils aient belle relation aimante... Alors que cela est malheureusement bien rare ! J'admirais beaucoup mes parents pour leur amour, bien que leur liaison n'ait pas été voulue au départ. Je voulais, moi aussi, rencontrer quelqu'un de bien que j'apprendrais à aimer ; souhait qui s'est évaporé au décès de Mère : quand je vis mon père perdre légèrement gout à la vie, j'ai compris que l'amour ne pouvait faire que du mal (bien qu'ils aient eu une période de leur vie belle et épanouie), et l'idée de m'attacher à quelqu'un - pour être sûr de le perdre ensuite - ne m'est plus resté en tête. Pourtant...je crois qu'au fond de moi se cache une partie toujours attiré par les belles histoires d'amour et malgré le fait que dépendre d'un homme ne m'attire absolument pas, je vous envie. J'envie votre liberté concernant les mariages. Vous avez une bien belle chance, mais je pense que vous en êtes conscient après vous avoir raconté mes histoires personnelles sur le mariage arrangé...
D'ailleurs, en parlant de cela, Père passe beaucoup de temps à essayer de faire des rencontres pour chercher une famille aisée avec un fils à marier. Il en fait trop, je pense : à croire que ceci est d'une urgence extrême. J'aimerai lui dire qu'on pourrait reporter dans deux ans, que ça n'a aucune importance, mais à croire que pour lui, ça l'est, et j'ai encore du mal à me dresser contre lui. J'aimerai défendre mes envies, surtout sur ma vie qui devrait je pense m'appartenir complètement. Hélas, quand j'atteindrai la majorité, je serai sans aucun doute mariée à un homme qui ne me considérera probablement pas comme son égal. J'espère tant que Père trouvera quelqu'un de bien, qui me laissera au moins avoir des libertés...
D'ailleurs, j'y pense mais hier-soir, Père a failli découvrir ma correspondance avec vous ! J'ai eu une telle peur quand il a fait irruption dans ma chambre alors que je sortais du papier pour vous écrire... J'ai caché à la va-vite tout cela sous un livre. J'ai pris le visage le plus innocent possible, mais de toute façon il ne me regardait même pas d'un air soupçonneux. Il était bien trop distrait à observer un tas de feuilles dans ses mains. Je l'ai interrogé sur sa venue, méfiante, sachant pertinemment qu'il venait très rarement ici. Il a alors levé la tête de ses affaires, a écarquillé des yeux, puis son visage a rougi subitement. Il a ensuite balbutié qu'il s'était trompé de pièce, puis est sorti à reculons. Peut-être riez-vous en imaginant la scène, mais j'étais bien trop à me demander la raison de son comportement. Il est toujours très carré, très sérieux. Je ne l'avais jamais vu aussi mal à l'aise et distrait !
Heureusement aujourd'hui, Père s'est absenté. J'ai sorti cette feuille de papier, que vous tenez actuellement dans vos mains, et ai pu écrire sans interruption. D'ailleurs, je vais devoir m'arrêter là. J'entends Alfred dans le couloir. Il ne faudrait pas qu'il me surprenne, il rapporterait à Père sans aucune pitié !
N'hésitez pas à me raconter des épisodes de votre vie, qu'ils soient actuels ou pas. Il n'y a pas de raisons pour qu'il y ait seulement moi qui en révèle sur la mienne !
J'attends votre lettre avec impatience,
Eléonore
-27 mai 1873-
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