Vérités


Malo

Lorsque je me suis réveillée ce matin, ça m'a fait bizarre d'être allongée dans le lit d'Isham. Je me suis retournée, j'ai plongé mon nez dans l'oreiller, ai souri comme une débile quand j'ai su y trouver son parfum et j'y ai redéposé la tête longuement, observant d'abord le plafond, puis sa chambre. Les murs sont tapissés de beige, le mobilier est en bois moderne. Sur la commode, deux casquettes sont posées, poussées par mes vêtements de la veille. Tout est parfaitement rangé, et hier j'ai pu voir que même ses vêtements sont bien empilés. Mais est-ce sa mère, ou lui qui range aussi bien ? 

J'ai finis par me lever, profitant de son absence pour aller aux toilettes, pour faire la mienne sans avoir la trouille d'être surprise. Et depuis, j'arpente l'appartement en attendant qu'il rentre, qu'il m'amène mes affaires. Je me permets d'observer les photos sur les étagères, sur l'énorme bibliothèque du salon. Il n'y en a aucune de récentes, juste des photos d'Isham et de son frère quand ils étaient enfants. J'en déduis que leur père est blanc comme ils sont tous les deux métis. Je souris en les voyant si proches sur certaines photos, redépose les cadres, regarde les titres des livres que lit Talai, puis me laisse tomber sur le canapé. Il faut que je bouge, que je m'occupe. Le temps est long quand on est coincée dans un appartement qui ne nous appartient même pas. J'envoie un message à Isham et comme il ne répond pas, je me relève, vais dans la salle de bains, ramasse ce qui traine, vide sur le sol le panier de linge sale, trie, enfonce le plus gros tas dans la machine.

- Et bah en voilà un qui va être heureux de savoir que ses calebars seront bien propres.

Je sursaute, me retourne vers Kinsha, appuyée contre le chambranle de la salle de bains.

- Je ne t'avais pas entendue entrer.

Elle lève les yeux au ciel, me fixe de ses billes claires sans aucune émotion. Elle flotte autant dans son survet' large que moi dans le t-shirt de son ami.

Elle recule quand j'avance, me libérant le passage.

- Tes fringues sont là.

Elle désigne du menton ma valise déposée dans le corridor, et je la remercie alors qu'elle entre dans le salon. Kinsha se jette sur le canapé, pose ses pieds sur la table basse en verre, me pointe encore une fois du menton la télé éteinte.

- T'allume pas ?

Je cligne plusieurs fois des yeux.

- Je ne suis pas chez moi.

- Ouais, se marre-t-elle, mais tu l'es assez pour fourrer ton pif dans les slips de mon pote.

Elle m'horripile, elle me fout mal à l'aise. Et ce, depuis mon premier jour ici.

- Il va bientôt rentrer ?

Elle se marre, je me tais, me dirige dans la cuisine, prends un verre, me sers de l'eau avant d'en boire une gorgée. JK est un gangster et il cool. L'oncle Sam est un gangster et c'est un vrai ourson mais elle, bordel, elle fout les jetons ! La fille me rejoint dans la cuisine, me regarde des pieds à la tête et je me sens de plus en plus en trop dans cet appartement.

- Tu l'aimes ?

Sa question me fait froncer les sourcils. Si elle ne m'impressionnait pas tant, je lui dirais d'aller se faire foutre, que je ne lui dois aucune réponse, ni rien du tout.

- C'est Sam qui vient de lui balancer ça.

Mon cœur s'affole méchamment dans ma poitrine.

- Quoi ?

Je grimace. Il n'a pas fait ça ? Mon Dieu, il ne peut pas avoir dit ça ?!

La fille sourit, et, pour une fois, elle me parait sincère quand elle le fait.

- Je crois que t'as su voir là où les autres sont aveugles... C'est pour ça que tu l'aimes bien. Si tu le veux, accroche-toi parce qu'il n'est pas facile à saisir. Mais surtout, ne joue pas avec ses couilles. Parce que je te jure que je viendrais personnellement te buter.

Je déglutis, mais ne baisse pas les yeux. Je ne veux pas qu'elle sache que je la prends au sérieux, je ne veux pas qu'elle se dise que ses menaces me font flipper parce que je me doute qu'elle est capable de me descendre si je venais à lui répondre quelque chose qui ne lui plait pas.

*

- Pourquoi tu lui as dit ça ?

Ma voix s'est faite aigüe au téléphone. L'oncle Sam ricane, comme à son habitude alors que je trépigne, affligée par ce qu'il vient de faire.

- Parce que c'est la vérité, Malo. Je vois bien que tes yeux brillent dès qu'il s'agit de lui. Je te l'ai dit, je suis vieux, mais pas con.

Je me triture les doigts, calant mon portable entre ma joue et mon épaule, soupire longuement en écoutant même plus la morale habituelle qu'il me fait. Je pourrais hurler à mon oncle que c'est faux, que c'est n'importe quoi et encore plus de le balancer au métis, mais ça ne servirait à rien puisque c'est trop tard, le mal est fait. 

Isham va me détester. C'est clair qu'il va le prendre mal, me gueuler dessus, me remettre à ma place, me faire promettre que ce ne sont que des conneries. Mais la vérité est que je flippe qu'il rentre, même si je m'ennuie. Je ne sais pas comment réagir, ni même ce que je dois dire pour ne pas qu'il se mette en colère, qu'il ne m'attrape par le bras pour me rebalancer chez l'oncle Sam.

- Sinon ça va, toi ?

- La routine, répond-il. Rien d'inhabituel. Je passerai le week-end pour te voir, ça ira tu verras.

- Ok. Bisous.

- Bisous, Malo. Tu sais que je t'aime, moi.

Je ris doucement.

- Ouais, je le sais...

J'inspire longuement, raccroche quand les yeux sévères d'Isham croisent les miens. Casquette en arrière sur la tête, t-shirt noir similaire à celui que je porte, il dépose un sac sur la table, sans dire un seul mot. Il est carrément trop beau pour être réel, et pourtant, je sais qu'il l'est. Je voudrais lui dire que je suis désolée. Que je ne savais pas que Sam allait lui dire une telle chose alors que dans le fond, il n'en sait rien. Je voudrais lui dire d'être indulgent, de ne pas se fâcher, mais il ne m'en laisse pas le temps.

- Je dois repartir, je t'ai amené de quoi manger. M'attends pas.

J'ouvre la bouche quand il sort déjà de la pièce, la referme, sursaute quand la porte de l'appartement claque. Je me lève, cours dans le corridor, l'appelle tandis qu'il se trouve déjà sur la dernière marche du pallier.

- Isham, attends !

Le gangster lève la tête pour me regarder.

- Quoi ?

Sa voix stricte ne m'arrête pas, pour une fois, ni même son air de rottweiler enragé. Je m'en tape qu'il se vexe pour une connerie lâchée par l'oncle Sam. S'il veut des réponses, il n'a qu'à me poser ses questions lui-même, comme un adulte au lieu d'agir comme un gosse. Je vais lui dire, moi à quel point je ne saurais pas aimer un mec comme lui tellement il me gonfle ! Je vais lui dire que j'ai déjà été amoureuse, et que franchement, ça n'a rien avoir avec ce que je ressens pour lui !

- Je te jure qui si tu barres, je ne serai plus là quand tu reviendras. Je veux qu'on parle, et maintenant !

Il grogne quelque chose d'incompréhensible, se fait craquer la nuque, ferme les yeux et ce n'est que lorsqu'il remonte les marches en soupirant que je rentre dans l'appartement, dans le salon, en tournant en rond comme une furie.

Isham a l'air déjà saoulé par la conversation qui n'a pas encore eu lieu, et moi, je le dévisage comme si mes mots s'étaient enfuit à l'autre bout du monde. Jamais je n'ai pu parler avec lui. Jamais nous avons pu avoir une discussion comme deux adultes parce que ça finit toujours en dispute, en cris, ou par moi qui chiale, ou par lui qui m'empoigne pour m'embrasser. On n'est pas du même monde, comme il aime me le hurler à chaque fois. On n'a rien en commun non plus, mais je veux essayer de l'apprivoiser parce que je l'apprécie, parce qu'il rend mon univers un peu plus vivant, parce que depuis qu'il est entré dans ma vie je ne m'apitoie plus sur mon sort et me contente de vivre au jour le jour.

- L'oncle Sam se trompe. Je ne sais pas pourquoi il t'a dit ça et ça n'a aucune importance dans le fond.

Ses yeux se voilent légèrement. Pas de tristesse non, mais de moquerie puisque ses lèvres se retroussent dans un sourire tout aussi discret que diabolique.

- J'ai déjà été amoureuse, Ish, et ça n'a rien à voir avec...

Je le regarde, le montre du doigt en grimaçant exagérément pour donner du poids à mes mots.

- Avec toi. Parce que toi tu me fais penser à un bipolaire. Ou un sociopathe, je n'en sais trop rien. Mais tu t'en fiches de me blesser les trois quarts du temps, et je n'aime pas ta façon de me parler comme si j'étais stupide et que je ne comprenais rien à la vie pour qu'ensuite, tu agisses comme un gentleman pour me faire craquer. Soit t'es un connard, soit t'en es pas un. Mais l'homme dont je serai amoureuse ne sera pas les deux. Pas comme toi.

Il sourit de plus belle et je me tais quand il s'avance dans ma direction. Je regarde droit devant moi, mes yeux fixant les dessins noirs sur sa gorge. Je ne bouge pas quand il penche la tête, effleure mon oreille de sa bouche, quand son souffle me fait frissonner lorsqu'il me susurre :

- Je suis certain que le mec dont tu étais amoureuse ne te faisait pas autant d'effet que moi, Malo. Sinon, tu ne serai plus vierge depuis un bail...Je suis certain que...

Sa main glisse sous mon t-shirt, sur la peau nue de mon dos et je retiens ma respiration quand mon cœur s'emballe encore plus pour lui.

- T'aime la complexité de notre relation. Parce que tu me veux, et je te désire. Je te fais perdre la tête, et tu me fais complétement dérailler.

Je gémis quand ses lèvres aspirent la peau de mon cou, pose mes paumes sur son torse.

- Alors Malo... Dis-moi, ce que moi, je te fais ressentir.

Son autre main se pose sur mes fesses quand il me vole un baiser que je lui aurai volontiers offert. Je suis incapable de lui répondre par des mots, inapte de lui dire que merde, c'est clair qu'il me rend dingue en deux secondes. Je les regarde, lui et ses yeux si ténébreux, lui et sa bouche gourmande, lui et les tatouages qui dépassent du col de son t-shirt. Je suis raide de cet homme, aussi mauvais pour moi soit-il. Et je ne sais même pas pourquoi. Parce que je ne devrais pas espérer plus de lui, que je ne devrais pas vouloir tout foutre en l'air pour rester ici, rien qu'avec lui, et pourtant, c'est le cas. Mais comment lui expliquer ça alors que moi-même je ne le comprends pas ?

- T'as dit que tu ne voulais pas être mon premier, soufflé-je.

Isham détache ses yeux de ma bouche, les remonte vers les miens. Ce que j'y vois me trouble, me fait frémir, défaillir.

Etincelle de facétie.

Etincelle d'assurance, de persévérance.

Etincelle de vérité.

- Non, parce que moi je serai ton dernier, Malo. Je dois aller bosser. Ne m'attends pas.

Il m'envoie un clin d'œil qui me fait rougir, et s'en va, me plantant au beau milieu de son salon.

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