Shopping

Il m’a fallu plusieurs heures pour que la pression redescende. Je suis resté dans ma bagnole, dans laquelle son parfum flottait encore et j’ai fumé pétard sur pétard pour tenter d’oublier son arrogance, son sourire insolent, sa peur.

Sa peur, ouais.
Pour la première fois, j’ai ressenti que je lui filais la frousse et je m’en veux. Je ne veux pas que Malo me craigne, et pourtant, je fais tout pour. Je voulais baiser cette fille sous ses yeux, pour qu’elle sache qu’elle ne me fait aucun effet et qu’elle peut bien s’envoyer en l’air avec Jk si ça lui chante.
Je voulais voir ses joues rosir, son regard s’échapper du mien, qu’elle soit intimidée, qu’elle se trémousse discrètement pour tenter de libérer la tension sexuelle qu’elle aurait ressentie en s’imaginant à la place de la pute qui me suçait la bite.
Mais ça ne s’est pas passé comme ça.

Malory a filé, tête baissée, et je m’en serais presque voulu si je ne l’avais pas vue se réfugier dans les bras d’un de mes meilleurs potes. J’ai vu rouge. J’ai eu envie de les foutre en l’air, mais je me suis contenu. JK n’a rien à voir, c’est elle qui fout le bordel dans ma tête depuis qu’elle est arrivée !

Enfermé dans ma chambre, j’écoute un bon vieux Tupac pour tenter de comprendre ce qu’il m’arrive. Est-ce qu’on a le droit d’être envieux d’une complicité alors qu’on n’en veut même pas ? Je la déteste. Tout ce qu’elle est me rebute et je n’ai qu’une envie, qu’elle se casse d’ici, qu’elle retourne dans sa maudite ville de bourges. Son père était de la trempe de Yoko, un lâche, alors forcément que sa rejetonne doit être pareille. Une nulle.

Je ferme les yeux, essaie de trouver le sommeil mais je suis trop nerveux. Je peux revoir ses yeux apeurés, sentir son pouls s’accélérer sous mes doigts, sentir les mouvements de sa gorge alors qu’elle recherchait l’air dont je la privais.

Je finis par abandonner mon lit, par me laisser tomber sur le canapé, devant la télé mise en sourdine pour ne pas réveiller ma mère qui dort encore. Je zappe, finis par l’éteindre et prends mon portable. Je scrute encore une fois sa photo, que je me suis envoyée. Ses yeux rieurs, son sourire. Je ne connais pas cette Malory, d’ailleurs je ne la connais pas puisqu’à chaque fois, je fais tout foirer.

C’est mon portable qui annonce l’arrivée d’un message qui me réveille. Je grimace en faisant craquer ma nuque tordue à cause de l’accoudoir trop haut.

SAM : sois là à 15h.

Je lis plusieurs fois son sms. Elle a parlé, la salope ! Je ne vois pas pourquoi Samuel me demanderait de venir, sinon.

- Enfin tu es levé !
Ma mère apparait dans l’embrassure de la porte de la cuisine. Un balai à la main, son boubou sur le crâne, elle me gratifie d’un sourire bienveillant.

- Je n’arrivais pas à dormir, désolé.
Je me redresse quand elle repart dans la cuisine, que je l’entends me servir.
C’est quand elle me ramène le café, qu’elle le pose sur la table basse du salon, que je l’embrasse. Elle s’installe à côté de moi, me jauge des pieds à la tête en secouant la sienne.

- Tu as trop bu, tu empestes l’alcool.
J’émets un long soupir, bois une gorgée de breuvage caféiné. Samuel va me buter, c’est clair. Si sa pute de nièce lui a raconté comment je l’ai saisie par la gorge, je peux dire adieu à ma vie.

- J’ai fait une connerie, man, soufflé-je, honteux.
Elle ne dit rien, elle se contente de me regarder, d’attendre que je développe, que je lui déballe tout, mais je ne sais pas par où commencer. Jamais je ne m’étais confessé à ma daronne, d’où son silence, mais je sais que cette nuit, j’ai dépassé une limite qui risque de me couter la vie.

- Il y a cette fille, commencé-je…
- Ne me dis pas que tu l’as violée…
- Non ! Bordel, non !

Elle souffle, visiblement soulagée, posant la main sur son cœur, comme si elle s’apprêtait à faire une crise cardiaque.

- Je me suis seulement comporté comme un con avec elle, continué-je. Je l’ai…Insultée, je l’ai un peu… Brutalisée…

Ma mère me file une torgniole que je n’ai pas le temps de contrer. Elle se lève, me domine de sa hauteur alors que je suis assis.

- Mes fils ne frappent pas les femmes ! Je t’interdis de faire ça, Isham ! Mon dieu, tu vas aller en enfer si tu continues ! Qu’ai-je raté avec toi ? Qu’ai-je raté ; bordel ?!

Ma mère hurle et je fais profil bas.
- Je veux que tu ailles chez cette fille et que tu lui présentes tes excuses ! Tu m’entends ?!
Je me lève et elle recule pour me laisser passer.
- Tu n’as pas le droit d’user de ta force contre une femme ! Mon dieu ! Qu’est-ce que j’ai raté avec toi ?!

Je ne moufte pas quand elle me suit dans ma chambre, qu’elle continue de me hurler dessus alors que je fouille mon armoire en quête de vêtements propres. Et quand je ressors de la salle de bains après une longue douche, elle est toujours occupée à rouspéter sur mon dos, alors je prends mes clés, me casse sans rien ajouter.
Faut que j’aille voir Samuel. Qu’importe ce qui m’arrivera.
*

Je n’ai jamais eu peur de personne dans ma vie. Les autorités, les lois, les ennemis ne m’ont jamais impressionné. Je fais ce que je veux, je dis ce que je veux et la prison ou la mort ne m’a jamais effrayé.
S’il faut que je crève, ce sera ainsi.
Par contre, me rendre chez un chef pour rendre des comptes sur mon comportement me malmène un peu plus.

Samuel ne me tuera pas, non. Après réflexion, s’il veut que les choses ne se reproduisent pas avec sa nièce, il doit faire de moi un exemple, une leçon à tirer. Suis-je prêt à perdre mes jambes ? Non. Je ne pense pas que je sois capable d’endurer sans répliquer.

Je m’allume une cigarette en entrant dans sa rue, m’arrête devant chez lui, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Va-t-il me demander de m’agenouiller devant la garce brune pour m’obliger à lui demander pardon ?

Je descends de ma caisse, remonte l’allée de sa baraque, jette ma clope dans la pelouse devant chez lui avant de frapper à la porte.

- Ah Ish, entre !
Je suis surpris quant à la bonne humeur évidente du vieux. Il est en train de ranger son foutoir dans la pièce de vie, me dit « prends un truc à boire, j’ai un service à te demander ».

Je suis sur le cul. Malo n’a rien dit.
Si je me mentais à moi-même en refusant d’admettre que la peur me minait, le stress qui quitte mon corps ne peut pas être dissimulé. J’ouvre son frigo, attrape une bière dedans et m’appuie contre le chambranle de la porte, le regardant s’activer.

- Depuis quand tu te mets à jouer à la féé du logis, Sam ? me dis pas que tu m’as fait venir en espérant que j’allais passer la serpillière à ta place ?

J’avale une gorgée, ricanant quand il tire le canapé pour en dévoiler le merdier qui s’y cachait derrière. Il relève la tête.
- J’y réfléchirai pour la prochaine fois.
Il rit aussi, se laisse tomber dans le canapé, dépité.

Samuel a toujours été un gars fort, un homme avec lequel on pouvait rire, parler de tout, tant qu’on ne lui manquait pas de respect. Selon les rumeurs, il en a bavé quand son frère s’est volatilisé, le fric du gang dans les poches. Il a ramassé des coups, a été torturé, a dû rembourser une partie de la dette. Il s’est ramassé deux balles dans le torse, mais a su regagner sa place parmi les Wicked.
Puis, il a grimpé les échelons, j’ne sais pas trop comment. Devenu la nourrice du gang, sa cave possède une très grosse partie de nos stocks. Si je l’ai déjà vu au plus bas quand sa femme est partie, je ne l’avais pas encore vu aussi anxieux.

Ses doigts entortillent les poils de sa longue barbe, comme s’il réfléchissait à un truc hyper important.

- Est-ce qu’il s’est passé un truc avec Malo, hier ?
Son regard se pose sur moi. Il attend une réponse, une vérité que je suis incapable de lui donner. Lui avouer causerait ma perte.

- Qu’est-ce que j’en sais ?
J’ai aboyé, comme à mon habitude et il secoue la tête, d’incompréhension.
Elle lui a dit ou pas ? Je suis censé faire quoi ? Sait-il ce qu’il y a eu et essaie-t-il de me piéger ou se pose-t-il réellement la question ? Je bois le reste de la bière, d’une traite, essayant de garder l’air détaché.

- Ce matin, reprend-il, elle m’a dit vouloir rentrer chez elle. Mais… Putain, la pute s’est cassé avec mes gosses alors si elle aussi se barre, me reste qui, hein ?

Je ravale ma salive. Ok. Il me joue à quoi celui-là ? Je hausse les épaules.
- Cette meuf n’est pas d’ici, Sam. Elle ne peut pas comprendre notre mode de vie, encore moins s’y faire. Laisse-la retourner dans sa banlieue de merde, ce sera mieux pour tout le monde.

Il soupire longuement et je prends place dans le fauteuil, dans le coin de la pièce. Je pense sincèrement ce que je dis, mais Sam continue de geindre comme une femme le ferait à sa copine.

- Mon frère m’a apporté pas mal d’ennui, Ish, mais je sais qu’il était un très bon père, qu’il n’aurait jamais accepté le fait que je laisse sa gosse repartir, encore moins pour la foutre dans un foyer. Elle est gentille, bien élevée et bosseuse. Ça fait une semaine seulement qu’elle est là, et je me sens plus vivant que ces derniers mois. Si elle repart, je ne pense pas que je vais avoir la force de continuer à me battre. Mais je dois être son modèle, pas son bourreau. J’avais l’impression qu’elle me cachait un truc ce matin, un truc qui l’aurait fait changer d’avis sur sa présence ici, mais si tu me dis que t’en sais rien, je veux bien te croire.

Je respire.
Gardant le silence, j’observe Sam un court instant, ne sachant pas quoi ajouter.

- Du coup, reprend-il en se levant, je vais nettoyer cette baraque, la rendre un peu plus agréable pour qu’elle ait envie de rester un minimum ici. Et c’est là, que tu interviens.

Je fronce les sourcils. Il croit sérieusement que je vais ramasser sa merde ? Ses yeux s’illuminent quand il s’appuie sur son balais.

- Je veux que tu l’emmènes faire du shopping.
-Tu blagues ? m’insurgé-je.
- La priorité c’est la déco, mais si elle voit des fringues sympa, laisse-la faire.

Je me lève, excédé, m’approche dangereusement de lui.
- Je ne vais pas faire du shopping avec elle ! Ça ne va pas dans ta tête ! J’ai la tronche de quelqu’un qui fait ce genre de truc ?!
Samuel, peu impressionné, ricane.
- Elle te voit comme un méchant, Ish, mais je t’ai vu grandir. Je sais qui tu es. Mec, je te paie mille dollars si tu fais ça.

Il me dépasse, prend son rouleau de sacs poubelle dans la cuisine, revient alors que je le toise d’un air mauvais.
-Tu ne peux pas tout acheter, Sam. Il en est hors de question.
- Très bien, je vais demander à JK de s’en charger alors. S’il te faut de la matière, descends, sinon dégage.

Je grogne, fais demi-tour et sors de sa baraque en claquant la porte. Putain ! Il fait chier ! Je shoote dans la barrière de son porche. Je la revois hier, blottie dans les bras de JK. Elle le serrait tellement fort contre elle que j’en avais la gorge nouée de mépris. Je les revois se marrer ensemble, le regard complice d’une relation que je ne veux pas voir naitre. Pris d’une rage, je rentre chez Sam, faisant claquer la porte contre le mur. Je le pointe du doigt, l’air furieux tandis qu’un sourire taquin se dessine sur sa bouche.
- C’est bon, je l’attends dans ma bagnole, putain !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top