Promesse



Isham

Il fallait que je parte de l'appart. Il fallait que je me sauve avant de revenir sur ma décision, avant de la choper par les hanches pour la prendre directement sur le sol du salon.

Je voulais faire comme si les mots de Sam ne m'avaient rien fait, comme si je n'avais pas senti mon cœur violemment ralentir avant de tout exploser dans ma cage thoracique. J'aurais adoré me moquer de cette situation, m'en foutre, me torcher le cul de cette info et me fendre la poire en écoutant Malory, parce que, putain, elle n'peut pas m'aimer, pas maintenant, pas ici, pas comme ça. Pas dans cette vie.

Mais Kinsha m'a cramé en moins temps qu'il en faut pour le dire. Hilare, la meuf m'a cogné l'épaule en se fichant de ma gueule et j'ai cherché mes mots, digne d'un bègue. Parce que bordel, je m'attendais tellement pas à ça. Pas à qu'elle s'accroche quand je refuse de m'attacher. Pas à ce qu'elle en ait causé, pas à ce que ce soit Sam qui me le dise.

Pas à avoir envie qu'elle me souffle elle-même ces mots.

Alors quand Malory m'a assuré, fuyant mon regard, que jamais elle ne tomberait sous le charme d'un mec comme moi, j'ai été amusé. Mais un peu vexé aussi. Et pourtant, je voudrais qu'elle me déteste, qu'elle reste loin de moi, qu'elle se casse au plus vite de Dorcoast, qu'elle en oublie la localisation et chaque personne qui s'y trouve, moi y compris. 

Je suis une putain de contrariété.

Les mains crispées sur le volant, je roule à vive allure dans les rues de ma zone, m'arrête sur le parking de la superette. J'ai dû négocier dur avec Bri pour reprendre ce point de vente que j'évitais soigneusement pour ne pas croiser la brune. Il faut que je sache s'ils se repointent ici, ou pas. Il est hors de question qu'elle y retourne si un risque persiste. Sam n'me le pardonnerait jamais.

Alors que je sors de ma caisse, mon pote aux dreads, assis sur le muret me salue d'un poing contre le mien, et j'en fais de même avec Jake, qui a l'air de plus en plus en forme. Je sais que tous les deux, on fait comme si je ne l'avais pas handicapé pour plusieurs semaines, n'empêche que, malgré nos petits rires, et nos discussions légères, je sens qu'un mur s'est hissé entre lui et moi, et je hais ça.

- Bien ? me demande Bri.

- Bien, affirmé-je en m'allumant une clope. 

Je m'installe à leurs côtés, et déjà mes premiers clients débarquent. Je leur refourgue un pocheton de beuh, fourre le fric dans mon autre poche, prends la bouteille que me tend JK quand se casse Bri qui a fait sa journée.

Lui et moi, on s'était déjà mis sur la gueule, mais jamais pour une fille, et jamais aussi fort. Je lui ai cassé le pif quand nous avions quinze piges, il m'avait brisé le majeur que je le levais un peu trop à son goût. Alors cette fois-ci, c'est un peu différent. Parce qu'on n'est plus deux ados, parce que si Malo n'avait pas été là, je l'aurais buté, parce que j'ai eu envie de le blesser si fort qu'après j'ai été forcé de balancer une vacherie le concernant pour la tenir éloignée de lui.

- Ta mère n'est toujours pas rentrée ?

Je grimace.

- Faut croire qu'elle se plait chez le Trouduc.

Je recrache ma fumée. Je n'ai pas envie de parler de ma mère, que je n'ai même pas pris la peine d'appeler alors qu'elle était censé le faire. À la place, j'ai besoin de crever l'abcès, que ce putain de truc ne se reproduise pas entre nous, que le malaise se dissipe même si on a déjà reparlé plusieurs fois, feintant que tout va bien entre nous.

Je connais Jk depuis toujours. Quand mon père s'est barré, le sien venait de clamser. Il me racontait sa peine, je lui dégueulais ma haine. Il me causait de sa mère, et je lui avouais à quel point la mienne comptait. C'est ensemble qu'on a bouffé le sable du terrain de foot synthétique derrière les tours. On a été potes, ennemis de cour de récré, alliés dans la téci. C'est encore ensemble qu'on est entré chez les Wicked, ensemble qu'on a commencé à guetter les rues, hurlant des « Akha » dès que les flics se rappliquaient, ensemble qu'on avait été convoqués chez Sam où Lil nous attendait pour nous proposer de grimper dans la hiérarchie, de passer vendeurs, sous l'œil protecteur de Yoko. J'ai été présent pour lui quand il s'est retrouvé en prison, il a été là pour me calmer quand j'ai tremblé après mon premier homicide. Je sais que c'est un type bien malgré ce qu'il a fait dans le passé, et il sait à quel point je reste cet éternel infréquentable, comme lui hurlait sa daronne.

Yoko venait de se barrer avec sa poupée gonflable, quand Jk a fixé ses pupilles foncées aux miennes pleines de larmes et qu'il m'a dit « écoute Ish, on s'en tape de Yoko. C'est un lâche, un traître. Moi aussi je suis ton frère, mec, et jamais j'te laisserai seul ici, c'est clair ? ».

Une promesse, que je lui ai retournée, que je n'ai jamais dû lui rappeler, qu'il n'a jamais dû me remémorer.

- Je suis désolé, soufflé-je en même temps que je crache ma fumée. Pour mes poings dans ta sale gueule.

Jake s'étrangle avec la bière qu'il était en train d'ingurgiter et je ricane.

- Putain ! Est-ce que c'était un semblant d'excuse ? Merde, Ish, tu me déroutes là !

Je ris cette fois-ci. Ok, ce n'est pas moi de m'excuser, ni même de lui avouer que je suis désolé. Mais c'est Jk, merde !

- Ouais... Mais je le pense sincèrement, reprends-je. Je sais que t'es pas en colère, et j'ne le suis pas non plus. Je sais que toi et moi on a deux caractères tellement forts qu'on préfère faire comme s'il n'y avait rien eu mais... Je n'aurais pas dû te fracasser la tronche pour...

- Je suis certain que tu l'as fait juste pour qu'elle se jette à tes pieds en mode « c'est trop sexy que tu te battes pour m'avoir, Ishammmmmeeee ».

Je me marre, lui fous un coup dans l'épaule, interromps la conversation pour vendre.

- Elle n'est pas vraiment du genre à dire ce genre de trucs.

Je m'allume une nouvelle clope. Je fume trop, je les grille tellement vite que je ne me rends même plus compte quand je les finis, ni lorsque je les balance.

- Je sais, sourit Jk. Mais c'est amusant de voir tes yeux s'illuminer dès qu'elle apparait dans le tableau de nos discussions.

Je grimace, encore, comme à chaque fois qu'un de ma clique me fait remarquer que mon attirance pour la brune se voit comme le nez au milieu d'un visage.

- Sauf que...

- C'est une fille bien ? Trop sage ? Ou alors c'est parce que t'es pas habitué à celles qui te fassent fermer ta gueule...

- Elle va se barrer dans moins de dix mois.

Jk se tait, s'allume un joint alors que je tire comme un acharné sur ma cigarette.

Voilà. C'est dit.

Parce que c'est là où ça coince entre Malo et moi. Je ne veux pas m'attacher à une nana qui n'est que de passage, qui ne vient pas d'ici, qui ne connait rien de ma vie, de mon vécu, qui ne comprendrait pas certaines choses, qui m'empêcherait de me sentir entier, vivant. Qui freinerait mes envies, mes rêves. Je ne peux pas partir de Dorcoast, je ne veux pas laisser ma mère mourir seule ici, je ne veux pas devenir comme cet enculé de Yoko. Je suis un Wicked, et rien ne changera ça.

- Je comprends... Ish... Mais elle mérite de se tirer d'ici.

- Pour ça que je compte la laisser faire...

Je pourrais lui expliquer toute la merde que j'ai dans la tête. Lui dire que je n'arrive plus à réfléchir logiquement quand elle est dans les parages, mais ça ne sert à rien. JK sait, sans que je n'ai besoin de parler. Puis il se met à rire et je l'imite. Putain, je suis aussi pathétique qu'une fillette qui chouine ! Jamais une meuf ne m'avait retourné le cerveau comme elle le fait et ç'a le don de nous faire marrer.

- Tu sais que...

Un crissement de pneu suivi du vrombissement d'un moteur enragé nous fait tourner la tête vers la route, nous coupant le sifflet.

Autour de nous, le temps ralentit pour se figer.

Soudainement, les bruits s'amenuisent.

Nos voix sont mises en sourdine comme si la peur avait ce pouvoir.

Mon cœur fait un bond alors que je hurle en voyant le canon de l'arme automatique dépasser de la vitre, mon cœur s'affole quand je tire Jk par le bras pour qu'ensemble, on se planque.

Puis le bruit d'une rafale.

Puis le sang.

Partout.

Sur son t-shirt blanc.

Sur mes mains.

Sous lui.

Je gueule dans la nuit. Je hurle des ordres décousus au gérant de la superette et à ses quelques clients qui sortent complétement apeurés de la boutique.

- Putain, regarde-moi, mec, regarde-moi !

Jk crache du sang, cligne plusieurs fois des yeux portant ses doigts tremblants sur son abdomen, saisit les miens entre ses mains. Je panique, je regarde autour de moi, perdu quand une femme s'approche, le téléphone vissé à l'oreille.

- Ils disent qu'ils n'ont pas d'ambulance !

Elle pleure, et je me mets à chialer. Putain, pas lui ! Pas lui ! Je lui balance mes clés, lui gueule d'ouvrir la portière arrière, ce qu'elle fait en se grouillant alors que je soulève Jk, que je le traine sur le sol du parking avant de le hisser sur ma banquette arrière.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top