Première fois

Malo

Je suis restée dans la chambre toute la soirée. Je n’ai pas osé descendre alors que je venais de bouleverser la vie de l’homme à l’étage inférieur.

Oncle Sam avait déjà l’air d’en baver en ce moment, et moi, je débarquais, une promesse datant d’un siècle dans les mains et lui annonçais que je restais ici, avec lui, durant une année au moins.

J’ai vaqué dans la pièce, soulevant les peluches, les caressant et les remettant à leur place. À en croire le nom sur la porte, j’étais dans la chambre du petit Sisquo. L’univers y était coloré de bleu et de vert d’eau, de voiture, de dinosaures, de camions de pompiers.
Je me suis demandé comment mon oncle et sa femme pouvaient vivre ici, y élever des enfants dignement.

Dorcoast, je m’en étais déjà fait mon idée grâce aux divers reportages que j’avais visionnés en sachant que j’allais devoir y vivre, et entendre Kinsha m’avertir sur l’attitude à adopter ne m’a pas rassurée.

Vais-je réussir à rester, seulement ? Si les femmes sont aussi cinglées que Kinsha, je ne pense pas que je vais avoir beaucoup d’amies. De toute façon, elle m’a dit de ne pas trop sortir en dehors de mon périmètre et c’est ce que je compte faire.

Je m’assieds sur le rebord de la fenêtre. La chambre donne sur la rue et j’observe les lumière des hautes tours au loin, rive mes yeux au ciel. Je suis arrivée papa… Et maintenant ? Je suis censée faire quoi ? Aucune autre instruction de sa part, alors je ne sais pas. Je frémis.
La rue est calme, même trop et pour une fille de la ville, c’est décontenançant. Et c’est là, qu’une voiture s’arrête devant la maison, qu’un type au foulard sombre en sort. J’entends la sonnette vriller à l’étage sous le mien, j’entends chuchoter, j’entends clairement parler quand j’ouvre la porte de la chambre.
- Lil vient demain, t’as qu’à lui demander toi-même.
- Arrête de jouer avec moi Sam. Sers moi un truc et ferme là, j’ai besoin de décompresser ce soir.
- N’oublie pas que c’est moi qui te dirige, merdeux…

J’écoute l’oncle qui fouille ses armoires, qui prend des verres, son fauteuil qui craque quand il y prend place.

- J’ai un contretemps, Ish, faudra que tu m’aides à gérer ce merdier.

Il se tait et le gars grogne un truc inaudible. Je m’avance doucement dans le couloir, et l’entends parler de moi.
- On a un point commun, mec. Nos lâches de frères. Si tu veux que je te débarrasse de la gosse, t’as qu’un mot à dire.

L’oncle ne dit rien.
Mon cœur fait rage dans sa cage quand mon cerveau comprend que ma vie est en pourparlers dans cette maison.

- Sois cool avec elle et dis à tes potes d’en faire de même.
Le fameux « Ish » ricane d’un rire froid et calculateur, qui m’énerve.
- Je n’te promets rien, Samuel. Je ne suis pas responsable des autres, ni de ce qu’ils feront à ta nièce.

Je devrais retourner dans ma chambre provisoire, me terrer à l’intérieur de celle-ci pour l’année mais mes jambes ne sont pas d’accord puisque je suis incapable de bouger. Je me laisse glisser le long du mur, écoute leur conversation en me prenant la tête entre les mains. Ils parlent d’un certain Yoko, d’armes, de drogues, d’argent, puis d’autres types défilent à la porte. Je comprends alors que l’oncle Sam fait partie intégrante d’un gang, qu’il a un rôle bien à lui, celui d’un chef, et tout se mélange dans ma tête. Pourquoi mon père m’a envoyée ici ? Pourquoi m’a-t-il écrit de rejoindre cette ville en sachant ce que j’allais y vivre ?
Ce n’est que lorsque l’homme se lève du fauteuil que je me lève, que je retourne dans la chambre et m’y enferme sans faire de bruit. Je l’observe par la fenêtre. Démarche assurée, casquette à l’envers sur le crâne, foulard remonté sur le visage. Il ouvre la portière de sa voiture, relève sa tête vers moi et me fixe. Je suis dans le noir. Il ne peut pas me voir, et pourtant, je suis certaine qu’il sait que j’observe en douce, planquée derrière cette vitre aux tentures épaisses.
Il mime une arme avec ses doigts, me vise, et tire, me coupant le souffle. Puis il démarre en trombe, dérangeant la rue d’un calme olympien.
Je reste prostrée durant de longues secondes avant de me remettre à respirer. Bordel ! Je suis tombée où ?
Je me laisse tomber sur le lit, attrape mon sac à dos, y prends l’enveloppe que je dois remettre à l’oncle. Je l’ouvre, y attrape la lettre de mon père que je relis, prenant conscience de chacun de ses mots.

Malo,
Je sais qu’un départ est toujours compliqué, surtout quand on en est pas responsable, ou qu’on n’en comprend pas le pourquoi. Je ne peux t’expliquer ces choses qui se passent dans ma tête, c’est trop fouillis, trop dur, trop en bordel pour que mes pensées soient justes. La seule chose dont je suis certain, c’est de ma décision, de ce que je compte faire. Mais tu es forte, Malo, tu es bien plus forte que tu ne le penses.
Je te prie de me pardonner. Je sais que c’est toi la première qui me verra, qui paniquera, et je sais que durant le restant de ta vie, tu garderas cette image dans ta tête, en ne sachant pas quoi en faire. Pardonne moi, ma fille.
Saches que ton amour aura été la seule chose qui aura eu du sens pour moi.
Dans l’enveloppe sur la table, tu trouveras de la liquidité, pas énormément, mais assez pour que tu tiennes plusieurs jours. Tu trouveras aussi une lettre de plusieurs années. Elle a été signée par ta grand-mère et ton oncle Sam. Va là-bas, annonce leur ce qui m’est arrivé, ce que j’ai fait, et donne leur ce morceau de papier. Après, avise. Tu es assez grande et responsable pour savoir ce que tu veux ou ce que tu rejettes. Mais je sais que ton oncle te protégera, qu’il sera là pour toi.
Je t’aime Malo, je t’aimerai toujours même si tu ne comprendras probablement jamais les raisons de mon geste.

Je me souviens d’avoir ouvert l’enveloppe, d’y avoir tiré un tas de feuilles et d’avoir trouvé cette lettre signée des mains de mon père, de mon oncle et de ma grand-mère. Dessus, une promesse : ils s’occuperaient de moi s’il arrivait quelque chose à papa. Pourtant, de son vivant, mon père refusait de parler de Dorcoast. Il disait que c’était une ville de merde, un quartier d’emmerdes et que mon oncle était sur la mauvaise pente.

Aujourd’hui, je comprends ce qu’il voulait dire, mais ne capte toujours pas pourquoi il m’a envoyée ici, même si la peur de me voir en foyer a dû le convaincre de le faire.

Je ne sais pas à quelle heure j’ai fini par m’endormir, mais quand je me réveille, c’est groggy, comme si on m’avait assommée d’un coup de pelle. J’attrape des vêtements dans ma valise, file prudemment vers la salle de bains et verrouille derrière moi avec la peur que l’oncle Sam ou un de ces gars rentrent dans la pièce. Dois-je me méfier ? Dois-je aborder le sujet avec lui en lui disant qu’hier, j’ai tout écouté ? Dois-je lui dire que j’ai la trouille ? Je fais couler l’eau de la douche et me grouille pour me laver avant de me rhabiller. J’ai tant de questions à lui poser, tant de choses à lui demander sur mon père, sur lui, sur ce qu’il attend de moi, mais je ne sais pas par où commencer.
Lorsque je suis prête, je descends les marches silencieusement en espérant que ses amis ne soient pas présents et heureusement pour moi, l’oncle Sam est seul, attablé dans la cuisine. Il me semble mieux qu’hier, plus stable, moins saoul, moins perdu.
- Bien dormi ?
Je hoche la tête, même si c’est un mensonge. Mais comment admettre que mes nuits sont désastreuses, que mon père m’a imposé des cauchemars que je ne souhaiterais à personne ?
Je prends place face à lui, devant cette table vide, et le regarde. C’est dingue comme papa et lui se ressemblent. Ça me donne envie de le prendre dans mes bras, de pleurer, de lui demander de jamais m’abandonner. Mais je sais qu’il n’est pas lui, et que jamais je retrouverai la sécurité qu’est d’avoir un père présent dans sa vie.

- Je peux te poser une question ? commencé-je.
Comme il acquiesce, je continue.

-Tu fais partie d’un gang, n’est-ce pas ? Enfin, pas que ce soit mes affaires ou que je compte te faire la morale, juste que…
- Me faire la morale ? ricane-t-il en posant ses coudes sur la table. Bordel on croirait entendre ton père. Malory, laisse-moi te dire que tu ne connais rien à la vie d’ici. Je vis en plein cœur du Dorcoast et ma paire de couilles ne me permet pas de rester neutre en proclamant que je ne fais partie d’aucun côté. Soit t’es des Wicked, soit t’es dans les Lycanto. J’ai choisi quand j’avais treize piges. Je te demande pas de faire partie du truc, et d’ailleurs ton père me tuerait si je te laissais faire une connerie pareille. Mais ne va pas fricoter avec ces mecs, sinon je serai sans pitié envers eux, même envers toi.

Je déglutis. Ce n’est pas vraiment ce que je demandais, mais au moins je suis avertie.
- Je voulais savoir ce que tu faisais dans ce gang…
- Je suis la nurse, une des têtes les plus importantes des Wicked, t’as rien à savoir d’autres. Je ferai mes affaires quand tu ne seras pas là, ou je te demanderai de filer dans ta chambre quand les mecs viendront.
- Ok.
- Ok ?
Je hausse les épaules. Qu’est-ce qu’il veut que je réponde à ça ? Il est chez lui, je ne suis pas chez moi et en plus, ce genre de gars me fait flipper.

- Et on peut trouver un travail ici ? Autre que dans vos trucs… Enfin, je ne sais pas… Je ne voudrais pas rester ici et ne pas t’aider financièrement.
Il se marre.
- Je n’ai pas besoin de ton fric, Malory.
-Je ne veux pas rester ici à ne rien faire, râlé-je. Faut que je sorte, que je m’aère, que je me change les idées et avoir un emploi serait la solution. Et si tu ne veux pas de mon argent, bah je le garderai pour mon futur. Tu sais où on cherche du personnel ?
- Je n’en sais rien… Je vais voir ce que je peux faire pour toi.

J’inspire, ravale mon « un truc légal », lui demande où je peux sortir sans m’attirer des ennuis.

-Tant que tu restes dans le quartier, il ne t’arrivera rien tracasse.

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