Les secrets doivent le rester

Isham

Je n'ai pas cessé de penser à Malo durant la nuit. Pourtant, quand elle est repartie, je ne suis pas rentré chez moi. J'ai été bossé, comme un grand. Je me suis ramené à mon point de vente, j'ai salué Bri et nous avons passé le restant de la nuit à vendre de la came, à parler de la merde qui est en train de se profiler avec les Lycanto. Plusieurs fois, Bri m'a dit que j'avais la tête ailleurs, mais j'ai mis ça sur le compte de la fatigue, refusant de parler de la brune qui prend de plus en plus de place dans mon esprit. Et ce matin encore, alors que je me couche entre les draps propres de mon lit, c'est son audace qui me maintient éveillé. 

Je la revois dans ma bagnole, butée et carrément attirante. Je ressens encore ma surprise quand cette fois-ci, c'est elle qui m'a attrapé dans ses filets pour me voler un baiser que je me refusais pourtant de lui donner. Je l'entends encore gémir dans ma bouche, puis son « tu m'as manqué ».

Jamais on ne m'avait dit une telle connerie, même pas ma mère. 

Alors ces mots dans sa bouche à elle ont été la goutte d'eau en trop, celle qu'il a fallu pour me faire perdre les pédales. Je suis parti. Pas parce que je n'avais pas envie de la plaquer contre la façade du magasin pour la prendre, mais pour respecter ma parole donnée à Samuel. 

Mais sa voix a tourné dans ma tête et je n'ai pas mis longtemps pour faire demi-tour. Fallait que je l'arrête, qu'elle comprenne que mon monde n'est pas comme le sien. Que je ne plaisante pas avec elle. Sauf que Malo reste elle-même : obtuse, insoumise, surprenante. Elle est la première à ne pas craindre ma répartie, à l'absorber sans me montrer que ça la touche, elle est l'unique à oser s'opposer à mes avis, à mes choix, à m'envoyer sur les roses quand ça lui chante. Elle est la seule à me foutre en colère pour ensuite me donner l'envie irrépressible de me faire pardonner. Et je sais que c'est ça qui me plait chez elle. Ce sont tous ces aspects de sa personnalité, c'est son physique de poupée, ses regards dubitatifs, suspicieux, taquins. Elle me cherche constamment et j'adore ça.

Putain... Il faut absolument qu'elle se casse au plus vite.

Je soupire, ferme les yeux, sens mon téléphone vibrer sur le matelas alors qu'il est plus de trois heures du matin.

Malo : et dire que je suis seule dans mon lit alors que tu pourrais y être avec moi...

Elle me chauffe, la garce !

Je pourrais lui dire que moi aussi je suis seul dans mon pieu et que je suis dur comme le bois rien qu'à l'imaginer nue, que j'arrive, qu'elle sorte de chez elle, mais je merderai encore une fois alors j'efface son message, n'y répondant pas.

*

C'est la vibration de mon téléphone qui me réveille. Sur l'écran, la tronche de JK apparait. Je décroche, porte mon téléphone à l'oreille alors que je suis toujours à moitié endormi.

- T'as reçu le message de Lil ?

Je grogne, ce qui fait soupirer Jake à l'autre bout du fil. J'n'en sais rien si j'ai reçu ce message, je n'ai même pas encore ouvert les yeux convenablement.

- Apparemment, ils doivent nous causer. Je dois rester chez moi parce que Lil va rassembler du monde dans l'entrepôt. Tu sais de quoi il s'agit ?

- Je suppose que c'est pour lancer leur guerre de territoire, non ?

- Ouais, Samuel m'en parlait hier soir, quand il est rentré de sa réunion. Mais maintenant, aucune décision n'avait été prise, sauf si Sam ne me l'a pas dit.

Je soupire, raccroche et vais dans ma messagerie. Effectivement, j'ai reçu un message de Lil, un de Sam aussi. Je clique sur le dernier, parce qu'il m'intrigue beaucoup plus. Et si Sam nous avait vus, hier soir ? Et si on m'avait balancé auprès de lui ? Mais son message n'indique rien, si ce n'est une demande pour que je passe chez lui avant quinze heures. 

Je finis par me lever, grogne quand je constate que ma mère n'est pas là. Malory m'avait fait presque oublié l'absence de ma daronne et ça me gonfle. Je ne veux pas qu'elle occupe chacune de mes pensées, c'n'est pas faisable, ce n'est pas viable. J'ouvre le frigo, grimace en voyant le peu de courses qu'il y reste, referme après avoir pris de l'eau.

*

Il est un peu plus de quinze heures quand je me gare devant chez Samuel. Bizarrement, je ne stresse pas de le voir lui, non, c'est de la voir elle que j'appréhende. 

Il ne faut pas que je la mate, il ne faut pas que je la fixe, ni que je me montre intéressé par ce qu'elle raconte alors que son oncle est sous le même toit. Je me rassure en pensant que de toute façon, Sam me voit toujours rapidement, et que je finis toujours par partir en claquant la porte de chez lui. Je traverse l'allée que la pelouse va bientôt recouvrir tellement elle est haute, grimpe les deux marches du porche et frappe à la porte avant d'entrer, comme à mon habitude. Samuel passe la tête par le chambranle de la cuisine.

- Ah, Ish', viens par ici !

Je m'avance, m'appuie contre ledit chambranle alors que le vieux est occupé à couper des légumes.

- Tu deviens une vraie meuf à vivre avec elle.

Il se retourne, me lance un regard noir qui ne dure que trois secondes.

- T'as eu le message de Lil ?

- Ouais.

Je m'avance, m'adosse contre le mur du fond de sa cuisine, l'observe, les bras croisés sur mon torse. Sam a pris vingt ans dans la tronche depuis le départ de sa femme et de ses gosses et de le voir s'activer pour faire le repas me fait bizarre.

- Bah je vais te briefer sur ce qui a été dit puisque toi, tu vas rester à veiller sur la cave.

Je penche la tête sur le côté, fronce les sourcils.

Il est sérieux, lui ?

- C'n'est pas mon job de tenir compagnie à une porte.

Samuel dépose son couteau sur le plan de travail, remonte ses lunettes sur son nez et me pointe du doigt.

- Ton job, c'est de faire ce que je te dis, Isham. C'est pas parce que je connais ta mère que t'as le droit à tous les traitements de faveur.

Je m'approche méchamment du quinqua, me poste droit devant lui.

- Tu ne veux pas que je m'approche d'elle mais tu me menottes ici pour une soirée entière, craché-je. Qu'est-ce que tu cherches, Sam ?

- Cette baraque possède autant de caméras qu'Alcatraz, Ish'. Si tu merdes avec ma nièce, je le saurai.

Ses lèvres s'étirent dans un sourire machiavélique, le mien devient diabolique tant j'ai la haine contre lui.

- C'est non. Je ne reste pas.

C'est à cet instant que Malo décide de faire son apparition. Tous les deux nous nous retournons vers elle et telle une girouette, Samuel change d'attitude alors que je ne peux m'empêcher de reluquer les jambes nues de la brune, sa poitrine cachée sous un t-shirt ample coincé dans son short en jeans.

- Ma belle, viens, je disais justement à Isham que ce soir il allait manger avec nous. Sa mère est partie chez son frère et comme ce pauvre gars croit qu'il faut une chatte pour faire à bouffer, je vais lui prouver le contraire.

Mes muscles se tendent quand elle hausse un sourcil, qu'elle me lance un regard interrogatif. Et je comprends. Samuel ne me fait pas confiance. Il veut tester ma loyauté, voir si je pourrais être cool avec sa nièce, si je me montrerai encore violent avec elle. Mais quand n'a-t-il pas compris que j'ai envie de la baiser, pas de la frapper ?

Je sors de la pièce, bousculant au passage Malo, me tire de cette baraque de merde avant que je ne pète un câble. Je n'ai pas encore traversé l'allée que Sam est sur mes talons.

- Ish' arrête tes conneries deux secondes, tu veux ?!

Je me retourne vers le vieux, m'avance vers lui.

- Tu croyais quoi, Sam ?! Que j'allais rester là, sous le même toit que cette fille et te laisser me mettre plus bas que terre pour que tu prennes ton pied à lui montrer que je ne suis en rien un mec bien ?Je ne suis pas un quelqu'un de bon, je le sais et j'en ai rien à foutre de lui plaire ou non ! Faut que tu me lâches avec ça, mec !

- Je veux qu'elle comprenne à quoi ressemblera sa vie si elle se met avec un mec de ta trempe.

Je ris. Je ris pour de bon cette fois. Je crois que je me fourvoie. Sam sait très bien que sa nièce fait palpiter ma queue. Mais je ris, l'irritant au plus haut point avant que je ne cesse de me marrer.

- L'hôpital qui se fout de la charité, Sam, ça te dit quelque-chose ? Si tu ne veux pas que ta nièce se plante de choix, montre lui réellement ce qu'est ta vie. Traine la avec toi ce soir, fais-lui voir c'est quoi l'ambiance, et tout notre univers. Reçois les livraisons en sa présence, montre lui des exécutions, et fais ta putain de guerre avec elle sur le siège passager de ta caisse. Ce n'est pas en lui faisant vivre une vie de mensonges qu'elle va arrêter de m'allumer.

Le poing de Samuel atterrit avec fracas sur mon arcade. Le sang gicle d'un seul coup. J'attrape mon arme, enlève la sécurité, pointe le canon vers lui.

Le vieux lève les mains devant son torse alors que la voix de Malory retentit dans la rue.

- Ne fais pas ça, Isham !

Je l'aperçois derrière son oncle, dans l'entrebâillement de la porte d'entrée. Ses yeux sont écarquillés, ses mains sur sa bouche. Elle flippe et je m'en tape.

- C'est bon, Ish, range ça !siffle Samuel.

- La prochaine fois que tu me touches, je te bute, Sam, qu'importe ton rang, qu'importe ma place.

*

Je sais que ça n'arrange pas les affaires de Sam en me pointant ici au lieu d'être chez lui, mais je m'en tape. Qu'il aille se faire foutre. Je me parque à côté de la berline allemande de JK et tire une dernière taffe sur mon joint avant de le balancer dans les graviers du parking.

Dans l'entrepôt, une cinquantaine de gars, que je ne connais pas tous, si ce n'est de tête. Le brouhaha ambiant m'écrase dès que je ferme la porte derrière moi, l'odeur de trans' aussi. Lil est au téléphone, au fond de la grande pièce. À chaque fois que je l'aperçois, je m'étonne qu'il sache gérer un tel business tant il n'a pas la gueule de l'emploi. Lil, on l'imaginerait plus vite derrière un bureau à calculer des fiches de paies avec son style bien à lui : cheveux blonds gominés sur le côté, lunettes rondes sur le nez, sourire aux dents refaites, pantalon de costume et polo blanc. Clairement, il fait tache parmi nous, gang fait principalement de noirs, de gars des rues, de meurtriers. Et pourtant, il est le chef des Wicked depuis maintenant cinq ans, depuis que son père est mort d'une balle dans le crâne.

Je balaie la foule pour voir si le vieux a emmené sa nièce mais ce n'est pas le cas. Je ne sais pas si je suis soulagée qu'elle ne soit pas ici, entre cinquante mecs qui adorent goûter à la nouveauté, ou déçu qu'il ne m'écoute définitivement pas.

Je salue JK qui jacte avec Sam, lance un regard de travers à ce dernier avant de croiser les bras quand Lil prend la parole.

- Merci à vous d'être venus ce soir! Je sais que certains n'ont pas pu se libérer donc je compte sur vous pour faire circuler le message. Je ne vais pas vous baratiner, le chiffre de vente est en chute libre depuis un bon mois et demi et les derniers résultats ne font que le confirmer. Les Lycanto prennent de plus en plus de place et faut qu'on se grouille d'inverser la tendance avant qu'on ne se crache. Fin de la semaine prochaine, Samuel et JK commenceront à recevoir des armes, des munitions. Je ne veux rien entendre d'ici là. Rester sages en attendant le feu vert. Il faut qu'on leur montre qui sont les rois de Dorcoast, qu'on éradique ses fils de putes de nos terres !

Tous, nous crions. Tous, nous sommes d'accord de nous battre pour récupérer notre dû. Quitte à en perdre la vie.

Un coup de coude dans les côtes me fait tourner la tête.

- Paraît que t'as voulu flinguer Sam.

JK regarde droit devant lui, comme s'il ne m'avait rien dit.

- Qui t'a dit ça ?

- Ta chérie. Elle m'a dit pour hier soir aussi.

Je grogne. Quand n'a-t-elle pas capter que ce qu'il s'est passé hier doit rester entre nous ?

- Viens dehors, deux secondes.

Je me faufile à l'extérieur, suivi par JK. L'air plus frais de la nuit me fouette le visage dès que je sors et je me poste près de nos caisses, gardant un œil sur l'entrepôt pour être certain qu'aucune oreille indiscrète nous écoute.

- Ne me dis pas qu'elle te téléphone comme si t'étais sa putain de meilleure amie.

JK se marre.

- Je m'entends bien avec elle, Ish, que t'aime ça ou non.

Je m'allume une cigarette, lui tends le paquet qu'il prend pour en tirer une.

- J'en ai rien à battre que tu parles avec elle, je veux seulement que tu la fermes à mon sujet. Tu ne lui balances rien et surtout tu ne poucaves pas à Sam.

Jake se met à rire et je réprime le mien. Il n'y a rien de drôle.

- Cette fille va te faire perdre la tête, Ish, bien avant que tu ne t'en rendes compte.

Je tchipe en secouant la tête par la négative, lui donne une tape sur l'épaule et remonte dans ma caisse. Il faut que j'aie une discussion avec « ma chérie ».


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