Isham le bandit

Isham

Il est vingt-trois heures quand Kinsha débarque comme une malade sur le parking de la superette. Musique à fond qui s'échappe de son vieux tacot de taxi, elle dérape dans les graviers, le sourire collée à la gueule. 

J'aspire une grosse tafe sur ma clope, recrache la fumée dans les airs tandis que JK nous rappe un morceau avec les gars de la bande. Ils sont bons, je suis certain que s'ils cherchaient un label, ils se feraient signer et qu'ils écraseraient tout sur leur passage ; mais bon, ils ne sont pas chauds pour le moment, ils disent que c'est pas le bon timing, qu'ils doivent bosser des textes sérieux. 

Bri, assis sur le capot de sa caisse compte le cash des ventes de la journée. À l'écouter étaler les biftons, je confirme qu'elle a été bonne, comme tant d'autres pour le moment. On a rameuté du monde, fidéliser certains clients en leur offrant une barrette ou un pochton, et ça marche. C'était du un plus un gratis directement consommable, comme on fait de temps à autre, c'est bon pour les affaires. Kinsha me check, s'assied à côté de moi.

- Devine qui j'ai vu avant de débarquer ici ?

Son regard pétille et je grimace. Je sais que si elle joue au jeu du devine, c'est que forcément il s'agit d'un nom que je n'ai pas envie d'entendre.

- Vas-y, balance.

- Yoko, il entrait dans l'immeuble. Je parie qu'il en a encore pour quelques heures, ses visites deviennent rares, nan ?

Je tchipe, dégoûté. Mon frère ne vient quasiment plus ici. Il est un des rares à avoir filé du Dor et quand il y revient, c'est pour casser les burnes à ceux qui y vivent et bossent.

Il y a dix ans, il a décrété que cette vie, ce n'était pas fait pour lui. Que sa Margarèthe valait mieux que sa famille.
Je l'ai supplié de rester. Je lui ai dit que j'n'y arriverai pas sans son aide. Je venais d'entrer dans le gang des Wicked, je gagnais seulement deux cent dollars la semaine et j'avais la trouille de devoir faire sans sa tête dure.

Mais je me trompais. Il n'est rien de tout ça.

C'est un lâche.

Il joue au mec bien mais je sais que ce n'est qu'apparence, que du bluff pour sa pouf.

Peau blanchie à coup de crème qui lui brûle l'épiderme, costar le jour, polo de bourge et jeans qui lui moule le cul le soir, c'est clair qu'on est complétement opposé physiquement.

Il fait la grande gueule, il fait le mec sûr de lui en se cachant derrière ses menaces de flics alors qu'il suffit que je lui foute mon poing dans la tronche pour qu'il déserte durant des mois entiers.

Entre lui et moi, plus rien ne se passe si ce n'est la haine qu'on ressent l'un pour l'autre.

Il déteste ce que je suis, et moi, je hais ce qu'il est devenu. Putain de bobo qui gagne sa vie enfermé dans un bureau de finances et qui ne file pas un dollar à sa daronne.

- Je vais y aller alors. Il n'a rien à foutre là. Merci de l'info, meuf.

Kinsha me salue et Bri me refourgue le fric que je déposerai à la planque dès cette nuit. Je salue les gars avant de grimper dans ma caisse. Je démarre, ris avec eux encore une fois et pars vers les tours où habite ma mère.

Arrêté sur le parking de l'immeuble, je ne ris plus malgré le bédot que je viens de tirer. J'observe sa Merco de merde. Elle est bleu foncé, blinquante et je me vois déjà lui crever ses pneus pour le coincer dans le bled durant la nuit. Il n'y survivrait pas. Je sors de ma caisse, prends mes clés, et raye sa carrosserie patiemment, sifflotant de satisfaction. Le capot, les portières, son toit. Tout y passe avant que je ne grimpe les nombreuses marches des étages.

Je ne frappe pas à la porte. Pas comme lui. Je claque la porte derrière moi ce qui fait apparaitre ma mère à l'autre bout de l'étroit couloir de son appart'. Vêtue de son boubou vert aux bananes et de son foulard violet, son regard dur me prie de rester cool. Je sais qu'elle hait ces tensions, qu'elle les regrette aussi, alors je l'embrasse.

- Ça va, maman ?

Elle me rend mon étreinte, s'écarte rapidement en pointant son index sur mon torse.

- Tu restes sage, Isham, je suis fatiguée de vos disputes, moi !

Je lève les mains, lui esquisse mon sourire d'ange alors qu'elle se retourne vers l'enfoiré assis sur le canapé d'angle.

- Toi aussi, Yoko ! Je ne veux pas de piques entre vous aujourd'hui sinon vous prenez tous les deux la porte !

Je ricane tandis que l'autre con fayote des « bien sûr maman, bien sûr ». Pauvre con.

- Ton frère est venu m'annoncer une bonne nouvelle, sourit-elle en prenant place sur une chaise, il va se marier ! Et du coup il m'invite à Paris cet été, parce qu'ils organisent le mariage là-bas....

Blablabla. Je n'écoute plus ce qu'elle radote. Il compte sérieusement amené ma mère en Europe ? Il n'est pas foutu de l'aider dans son quotidien mais monsieur joue à l'agence de voyage ?

Je hausse un sourcil vers lui.

- Elle est pas venue se présenter, ta courageuse fiancée ? T'as la trouille de lui montrer d'où tu viens ?

Yoko serre les dents, ses épaules se tendent sous son polo moulant. Parce que je sais que c'est ça qui l'a fait fuir. La honte d'être du Dorcoast, la honte d'être un des nôtres, d'avoir commencé à dealer de la came quand il n'était qu'un ado.

- C'est surtout que je ne veux pas qu'elle voie à quel point mon petit frère est un raté, ricane-t-il.

- Yoko ! gronde ma mère juste quand je dégaine mon flingue et le pointe sur son front.

La daronne hurle des mots dans sa langue natale, le frangin ne sourcille pas quand il se lève pour me faire face, mon gun toujours pointé sur sa cervelle.

Ses yeux noirs sont fixés aux miens. Je pourrais le buter, je n'ai qu'une pression à faire pour que la balle parte, pour qu'il crève, pour qu'il sorte de nos vies aussi rapidement qu'il a filé d'ici. Ça me soulagerait de ne plus voir sa sale gueule, ça me griserait de ne plus avoir à le supporter une seule seconde de plus.

Mais ça tuerait ma mère.

- Qu'est-ce que t'attends, Ish ? Hein ?! Je sais que tu rêves de le faire, alors vas-y, merdeux !

Le sang boue dans mes veines tellement fort que les veines dans mes tempes vont exploser sous la pression. Mon palpitant tambourine violement, mon poing se resserre autour de son col.

- Je suis l'enfoiré ? Je suis le raté ? sifflé-je. Dis-moi qui nourrit ta mère ? Dis-moi qui paye ses factures ? Qui l'épaule ? Qui la rassure quand toi t'es en train de t'étouffer dans la chatte de ta bourge ?

- Je t'en supplie, Isham, pleure ma mère, sors d'ici, je t'en supplie...

Je crache à la tronche de Yoko, lui fous un coup de crosse dans la tempe qui le fait crier telle une gonzesse, présente des excuses à ma mère en larmes et je sors de l'appartement.

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