Est-ce-qu'il va jouer au con?
Malo
C’est stressée que je descends de la Jeep de l’oncle Sam. Pourtant, il n’attend pas que je sois dans la superette pour partir. Le gérant a dit que je ferai un essai, déjà pour voir comment j’arrive à gérer l’accueil client, la caisse, et enfin, je suppose, pour voir si je vais savoir réagir si la bande de l’extérieur entre dans le magasin.
Mes mains tremblent et je les serre autour de l’anse de mon sac pour masquer ce stress. Je les entends chuchoter, je les vois m’observer.
Je le vois, lui.
Isham.
Le bonnet de sa veste tiré sur sa tête camoufle une bonne partie de son visage. Tout ce que j’ai pu apercevoir de lui, c’est qu’il est métis, et plus vieux que moi.
Assis sur le capot d’une voiture, les pieds sur la calandre, il ne me quitte pas de ses yeux ténébreux, même quand il recrache la fumée de son joint dans les airs. Il a l’air sévère, pas sympa pour un sou, nerveux, et si je pouvais, je ferai demi-tour juste pour l’éviter.
Mais je suis forte, ou du moins, j’ai envie de croire que je le suis. Je relève la tête et me dirige vers la porte en tentant d’ignorer les sifflets et mots déplacés. Une fois que la porte se referme derrière moi, je suis accueillie par le gérant, Monsieur John, que j’ai rencontré plus tôt dans la journée.
- Malory, ravi que tu sois là. Tu es prête ?
Je lui serre la main qu’il me tend. Cet homme porte la gentillesse sur son visage ridé, même si dans ses yeux bleus, je peux lire l’épuisement.
- Prête, oui.
Il m’entraine derrière la caisse, où il me montre son fonctionnement.
- La vitre entre toi et les clients, c’est pour ta sécurité. Les jeunes que tu vois dehors sont plus ou moins sages mais il arrive qu’il pète un câble et essaie de repartir avec la recette du jour.
Je déglutis, observe le dispositif qui m’entoure. Vitre grillagée comme dans les prisons, alarme sous le comptoir, batte de baseball contre le mur, arme planquée derrière les paquets de cigarettes. Je ne sais plus vraiment si j’ai envie de travailler ici, mais je suis incapable de dire à cet homme que ça me fout la trouille.
- Surtout que comme ils ont vu que tu débarquais, je suis certain qu’ils vont venir te voir. Sois ferme avec ces gars-là, ne leur montre pas qu’ils t’impressionnent et ça ira. Et surtout, ne leur donne pas la marchandises avant qu’ils ne paient.
- Et s’ils partent en courant ?
- Tu les laisses filer, notre assurance ne te couvrira pas si tu passes les portes du magasin.
Je souris malgré moi.
Monsieur John me montre les réserves ainsi que les rolls de marchandises à ranger dans les rayons. Je m’y attèle directement, l’écoute me donner des conseils quant aux dates de péremption quand la porte s’ouvre.
- Bonsoir.
Isham et un de ses amis entrent dans le magasin. Son regard se veut moqueur et je me dirige automatiquement vers la caisse, comme me l’a dit Monsieur John.
Je l’observe par-dessus les rayons. Il est beau garçon, grand, tatoué. Ses cheveux noirs rasés dévoilent les tatouages qu’il porte dans la nuque. Je baisse les yeux quand il remarque que je le regarde, sursaute quand il renverse un rayon du bras.
Des bocaux explosent sur le sol, un vacarme assourdissant retentit dans le magasin, son pote se marre. Je suis ébahie derrière ma vitre alors que le gérant hurle de colère. Qu’est-ce qu’il fout ?!
Je sors de ma cachette, la batte en main et le suis alors qu’il sort sous les cris du gérant.
- T’es malade ou quoi ?
Il se retourne, me fait face, attrape la batte de baseball, la jette par terre. Plus aucun bruit ne résonne dans la nuit, plus personne ne parle, tout le monde nous regarde.
- T’allais faire quoi avec ta batte, poupée?
Il se rapproche de moi, s’arrête à quelques centimètres de mon visage. Mon cœur bat à tout rompre quand ses yeux noirs s’enfoncent dans les miens. Je sais qu’il pourrait me tuer, que d’un geste, un des siens pourraient me viser, tirer, m’abattre. Et pourtant, ce n’est pas de ça que j’ai le plus peur.
- Pourquoi t’as fait ça ?
Je balbutie, il sourit.
- Je viens de te faire signer un contrat de travail. Alors on dit merci et on retourne ramasser mes conneries.
Les gars qui nous entourent rigolent, Isham recule, ramasse la batte et me la tend avant de parader devant ses amis. Je rentre dans la superette, les larmes aux yeux. Je me sens humiliée, et Monsieur John n’arrange rien quand il me crie des « Ne jamais les suivre ! Et s’il t’avait blessée ? Je t’avais dit qu’ils allaient venir te voir !».
- Au moins ils savent que je n’ai pas peur d’eux ! réponds-je en criant à mon tour.
Il se tait, secoue la tête, comme s’il était agacé et finit par soupirer.
Après avoir tout ramassé et nettoyé, j’aide Monsieur John à remettre les marchandises en rayon. Il est tard, je ne sais pas vraiment l’heure qu’il est, mais je fatigue.
- Tu peux revenir demain, Malory, enfin, si ça te dit de travailler ici.
Je le remercie. Évidemment que je veux revenir. J’ai besoin d’argent, de gagner de l’argent pour l’après. Je ne compte pas vivre ici éternellement. Je veux mettre de l’argent de côté, me trouver un coin sympa, et faire quelque chose de ma vie. Je veux que mon père soit fier, qu’il voit de là-haut, que j’ai eu les bonnes bases, qu’il a eu raison de me faire confiance.
En sortant, le parking est presque vide. Du coin de l’œil, je le vois, appuyé sur sa voiture, mais je décide de l’ignorer.
Je sais que l’oncle Sam lui a demandé de me ramener, mais je n’en ai pas envie. Son comportement m’a montré qu’il n’est qu’un gros con. S’il voulait me tester, il y avait des tas d’autres choses à faire, mais pas ça.
J’accélère le pas quand j’entends ses pas derrière moi et bien avant que je sois sortie du parking, ses doigts se resserrent autour de mon bras.
- Viens par ici.
Il me tire dans l’autre sens, me faisant mal. Je lui balance mon sac sur le crâne, il me l’arrache des mains en grognant.
- Si tu veux le récupérer, tu me suis et tu la fermes.
La colère gronde en moi. Je pourrais le suivre, juste pour récupérer mon téléphone, mais qu’il aille se faire foutre. Il sera bien obligé de me le rendre. Je le laisse aller jusqu’à sa voiture, sors du parking et longe les trottoirs d’un pas énervé. Putain, et dire que j’avais décidé de me montrer sympa avec ce gars juste parce que Sam m’a demandé de faire un effort !
- C’est pas la bonne direction, Malo. T’allonge ton trajet de dix minutes si tu prends par là.
Je lui jette un regard noir. Sa voiture roule au pas, le faisant avancer en même temps que moi. Vitres grandes ouvertes, je devine qu’il va me suivre ainsi jusqu’à ce que je sois chez mon oncle.
- T’as signé ton contrat ?
Je ne réponds pas, ce qui le fait soupirer.
- Allez montes, t’habite à vingt minutes d’ici.
Je m’arrête net, il en fait de même. Seul le bruit de son moteur perturbe le silence de la nuit.
-Si je monte tu vas me rendre mon sac ?
-On verra.
Il ne sourit pas, et pourtant, je sens que cette situation l’amuse alors qu’elle m’énerve. J’ouvre la portière de sa voiture et m’y installe quand il se redresse derrière le volant. J’attache ma ceinture quand il démarre, je respire.
Ça sent le shit et ce que je devine être son parfum.
- Alors, t’as signé ?
Il regarde la route droit devant lui tandis qu’encore une fois, je l’observe. Isham a une barbe naissante et malgré la noirceur de la nuit, j’aperçois les tatouages dans son cou. Je lui demanderai bien ce qu’il a de dessiné, mais il serait capable de me faire une proposition indécente.
- Il m’a dit de revenir demain.
Il me jette un regard, refixe la route. Comme il ne dit rien, je suppose que ça lui convient vu « qu’il m’a aidée ».
- Et toi ? demandé je, tu reviens demain ?
Il hausse un sourcil, esquisse un léger sourire en coin.
-On verra. Tu en as envie ?
- Non.
Il se marre, ce qui me fait étrangement frissonner. C’est bizarre parce que quand j’imagine des gangster, je ne vois qu’en eux le côté dangereux, le côté animal et en oublie qu’ils sont humains aussi, qu’ils peuvent rire, pleurer, ressentir autre chose que de la colère.
Honnêtement, je préfèrerai qu’il ne soit pas là, surtout si c'est pour me faire la misère mais j’avoue que même s’il ne m’inspire rien de bon, je suis contente que je n’ai pas dû faire le trajet du retour à pieds, dans ce quartier à la mauvaise réputation.
Le reste du trajet se fait en silence. Je me tais, me contente de laisser parler mes pensées et de réfléchir. Est-ce qu’on va devenir ami, lui et moi ? Peut-être. Je n’en suis pas certaine, mais ce qui est sûr, c’est que je suis toujours en vie quand il coupe le moteur devant la maison de l’oncle Sam.
Je lui tends la main.
-Mon sac.
-Pas ce soir.
Mon regard devient noir, ma bouche s’entrouvre mais avant que je ne puisse lui dire quoique ce soit, il me dit :
-Ça te donnera une raison d’avoir envie que je sois là demain.
Je pourrais le supplier, lui hurler dessus, appeler mon oncle à la rescousse ou lui crever les yeux de mes doigts, mais sa remarque m’arrache un sourire. Je trouve ça mignon. Énervant mais mignon.
Je descends de sa voiture, l’entends marmonner quelque chose que je ne comprends pas et je rentre, fatiguée de cette soirée, mais ravie d’avoir rencontré cet enfoiré d’Isham.
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