Attirance

Malo

Je m'arrête net en le voyant sur le parking, assis sur le muret en briques, à côté de Kinsha. Il détache la bouteille d'alcool de sa bouche, me fixe de ses grands yeux sombres alors que la fille lui file un coup de coude.

Le voir me surprend.

Le voir fait ralentir méchamment mon cœur avant qu'il n'implose dans ma poitrine et se mette à tambouriner comme un malade.

Le voir me rappelle ses mots, son baiser, sa violence, la douceur de sa bouche.

Le voir me remémore la colère qu'il m'insuffle, la rage qu'il me donne, l'exaspération qu'est sa présence.

Le voir me ressasse le pourquoi je craque autant pour lui : sa façon de se tenir, sa façon de s'habiller, de tirer la capuche de ses pulls sur sa tête, comme si elle le coupait du reste du monde. Son physique, ses épaules larges, ses bras fermes, son regard plus parlant que sa bouche bien dessinée.

Je ravale ma salive et le nœud qui se loge dans ma gorge, trace jusqu'à la Jeep avant de faire une connerie. Faut pas que je lui parle, faut pas qu'il sache que je me demandais où est-ce qu'il était, faut pas que je m'accroche alors qu'il n'en vaut même pas la peine. J'ouvre la portière, balance mon sac sur mon siège, l'aperçois à travers le parebrise en train de rire avec son amie. Est-ce qu'il rit de moi, encore une fois ? Et merde ! Je claque la portière, me dirige d'un pas décidé vers le duo que la fille abandonne rapidement en trainant la jambe exagérément pour se donner une démarche qui n'a rien de cool. Isham ne me quitte pas des yeux, ne bouge pas alors que j'avance, se contente de boire encore et encore.

- T'étais passé où ?

Il hausse un sourcil, tourne la tête vers la route sur laquelle sa pote s'engage, refixe ses yeux aux miens. Ses iris sont le reflet de la tempête qui se joue en lui. Un mélange d'impétuosité, d'irascibilité, de dédain, mais aussi de curiosité.

- Qu'est-ce que ça peut te faire ?

Je laisse échapper un soupire, m'approche encore un peu de lui pour lui prendre la bouteille des mains. J'en avale une gorgée, grimace quand l'alcool me brûle la bouche et la gorge, ce qui lui arrache un sourire très discret, lui rends. Je voudrais lui dire que je me faisais du souci, mais je me retiens. Qu'est-ce que ça peut lui faire à lui aussi ?

- J'étais en taule, finit-il par dire.

J'ouvre la bouche, la referme. Ok. Je ne m'attendais pas à ça. Mais au fond, ça ne devrait même pas m'étonner.

- Et pourquoi ?

Il se lève, se rapproche encore de moi et je retiens à nouveau mon souffle quand il se penche vers mon visage. Il va m'embrasser ? Comme j'espère !

- Ça ne te regarde pas. Rentre chez toi, Malo.

Il me dépasse, se dirige vers sa voiture et je le suis du regard avant de l'appeler.

Il se retourne quand je prononce son nom, et tout mon corps se met à trembler quand les seuls mots qui sortent de ma bouche le font rire.

- Tu m'as manqué, voilà ce que ça me fout.

Isham grimpe dans sa voiture, démarre le moteur et se casse du parking, me laissant seule, comme une conne.

Directement, je ferme les yeux, me détestant. Mais pourquoi je lui ai dit ce truc stupide ?! Je fonce vers ma voiture, m'installe derrière le volant, essaie de calmer mes mains qui tremblent. Il va se foutre de ma gueule, le dire à tout le monde et je serai encore plus leur risée. Que je suis conne ! C'est pas croyable ! Faut que j'arrête d'agir avec eux comme on le ferait avec des êtres humains dans une autre ville. Ces mecs ne sont pas comme les gens normaux. Ils n'attendent pas de mots gentils, ils n'en donnent pas non plus, et surtout, ils sont mauvais. 

Je tourne la tête quand j'aperçois la voiture d'Isham revenir sur le parking. Mon cœur se met à battre fort, tellement que ma tête tangue, que je ne sais même plus comment on fait pour ouvrir ma vitre quand il ouvre la sienne.

- Monte, faut qu'on parle toi et moi.

Je remonte la vitre de la Jeep, fais tomber mes clés tellement je suis nerveuse, les ramasse, prends mon sac et vais le rejoindre dans sa voiture.

*

J'ai la gorge nouée quand il s'arrête sur le parking d'un entrepôt, dans un zoning industriel qui semble désert. Il pleut fort dehors, il fait nuit noire, rendant l'atmosphère plus pesante encore. Isham n'a rien dit durant le trajet, et moi non plus. J'ai le cœur qui menace de s'arrêter quand il coupe le moteur, qu'il entrouvre la vitre de son côté, qu'il met la musique en sourdine.

Nous sommes au beau milieu de nulle part et je ne suis pas certaine quant à ma normalité de suivre ce mec ici, sans m'être méfié. Je l'observe à la dérobée tandis qu'il s'allume une cigarette, qu'il aspire dessus plusieurs fois avant de recracher la fumée dehors. La capuche de son pull noir est tirée sur son crâne, faisant seulement dépassé la visière de sa casquette, ce qui cache un peu plus son visage. Et pourtant, Isham est le plus bel homme que j'ai vu de toute ma vie, il ne devrait pas se cacher.

- Tu ne peux pas me dire des choses comme ça, Malo. Je veux juste que ça soit clair entre nous. Tu ne me connais pas.

- Ok, je suis désolée.

Il ricane, repousse sa capuche et retourne sa casquette sur son crâne avant de me lancer un bref regard.

- Ce qui s'est produit l'autre fois ne se réalisera plus. J'oublie que t'es encore jeune, et que t'es la nièce de Sam.

- Et tu m'as fait venir ici pour me dire ça ?

Je force un rire qui sonne tellement faux qu'il doit me griller directement.

Le métis tire une longue taffe sur sa clope.

- Ton oncle ne veut plus que je t'approche, je ne veux pas que tu me compliques la tâche, que tu me colles, que tu traines dans ma zone. Je ne veux pas avoir d'emmerdes avec Samuel, et encore moins avec les Wicked.

C'est donc ça. L'oncle Sam a vu les vidéos surveillance et s'est permis de jouer au gros dur avec Isham. À cet instant, l'envie de rentrer chez lui pour lui hurler qu'il n'est pas mon père coule dans mes veines, l'envie de lui gueuler qu'il n'a pas le droit de prendre des décisions à ma place galope en moi!

- Et qu'est-ce-que Sam a dit ?

- Ce que je viens de te dire : que je ne dois pas t'approcher.

Je me force à me taire, à ne pas bouger du siège, à ne pas descendre de la voiture, à ne pas les envoyer tous chier parce qu'ils commencent sérieusement à me souler tous autant qu'ils sont.

- Et si moi je m'en fiche de ce que Samuel veut ?

Il soupire, balance d'une chiquenaude le mégot par la fente laissée par la fenêtre, se retourne vers moi.

- Tu n'es encore qu'une gamine, Malory, tu comprendras plus tard et...

J'attrape son visage entre mes mains et presse ma bouche sur la sienne. Je veux qu'il la ferme. Qu'il se taise, qu'il arrête de me dire que je suis jeune, que je ne comprends rien. Je suis jeune, oui, mais je sais que ce que je veux, et lui, ne sort pas une seule seconde de ma tête alors que tout mon être voudrait qu'il disparaisse de mes pensées. Isham attrape mes mains dans les siennes, et je respire enfin quand il me rend mon baiser. Ses lèvres embrassent les miennes, et je goûte à sa bouche. Sa langue a la saveur de l'alcool, de la cigarette qu'il vient de fumer, puis d'un coup, il me repousse, sort de sa bagnole en jurant des « putain ! ». 

Je n'aurais peut-être pas dû l'embrasser, mais j'ai aimé le faire. J'en avais envie, et même s'il me déteste d'avoir fait ça, je m'en fiche. Je sors de la voiture pour le rejoindre, suis plaquée contre la carrosserie mouillée de sa voiture quand son corps percute le mien. Ses mains glissent dans mes cheveux quand sa bouche reprend possession de la mienne. Son baiser n'est pas doux, d'ailleurs ils ne l'ont jamais été avec lui. Ses dents mordent mes lèvres, sa langue vient taquiner la mienne, ses mains descendent jusqu'à mes fesses alors que mes doigts s'accrochent à sa nuque. Je geins entre ses lèvres quand je sens son érection se presser contre mon corps, je gémis quand il m'attrape par la nuque pour m'embrasser la gorge avant de reprendre possession de ma bouche. J'ai chaud mais je ne veux pas qu'il s'arrête, ce qu'il fait pourtant en s'éloignant. Et bah ! Jamais on ne m'a embrassée comme ça, jamais on ne m'a excitée ainsi en un seul baiser !

Je l'aperçois s'accroupir, se prendre la tête entre les mains. Je me doute que ça doit être le bordel dans son esprit comme ça l'est dans ma tête. Je m'approche, me mets à sa hauteur.

- Faut juste que je fasse redescendre la pression sinon je vais te baiser ici, sur ce parking.

Il me jette un regard du coin de l'œil et le sourire que je perçois au coin de ses lèvres me fait doucement rire. Ok. J'étais prête à lui demander si ça allait, mais j'ai compris.

Je me redresse, le rouge aux joues, suivie par le métis qui m'attrape par le bras.

- T'es consciente que c'n'est qu'une attirance ?

Je lui souris, hoche la tête. Evidement que je le sais. Dès qu'on ouvre la bouche, on se crêpe le chignon, mais je sais que je ressens autre chose aussi, mais je préfère me taire.

*

La voiture d'Isham reprend sa place à côté de la mienne, sur le parking de la superette. J'ai plus de trois quart d'heure de retard, mais ça en valait la peine, largement.

- Je ne dirai rien à Sam, lui dis-je.

- T'as intérêt de toute façon.

Sans rien ajouter, je descends de la voiture, la contourne, monte dans la Jeep. Ce n'est que lorsque je m'engage sur le chemin pour rentrer qu'Isham démarre.


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