6. Jalousie

Le lendemain soir, en fin de soirée, je suis surprise de voir Ethan s'asseoir à une table et commander une bière. La taverne ne va pas tarder à fermer pourtant, Rhésa prends sa commande. En la lui apportant, je l'interroge:

-Est-ce-que tout va bien?

Il m'offre un sourire se voulant rassurant.

-Oui, oui. Je voudrais juste te parler après.

N'arrivant pas à chasser mon inquiétude, je repars tout de même finir la soirée. J'ai conscience de son regard sur moi tout le long, ce qui me déconcentre énormément. Je n'ai jamais fait autant d'erreurs et de maladresses que ce soir. Une fois le service enfin fini et la taverne complètement vide, je m'assieds en face de lui.

-J'ai fait n'importe quoi ce soir, marmonné-je.

-Tu es ravissante, murmure-t-il.

-Quoi?

-Rien. (Il se redresse sur le banc), je voulais déjà m'excuser. Pour hier.

-T'excuser?

-Ouais. Je... (il paraît mal à l'aise), j'ai été trop loin. Je ne réfléchissais plus. Alors, excuse moi vraiment. J'ai sûrement été un peu trop intense. Je ne veux pas te faire peur.

Je rougis si fort que je sens mes joues me brûler. En baissant la voix, je réponds:

-Tu ne m'as pas fait peur Ethan. Tout va bien. J'étais... (c'est à mon tour d'être mal à l'aise), j'étais ok. Je ne t'ai pas dit d'arrêter.

Ses yeux s'embrasent pendant une fraction de seconde, mais il se reprend vite et détourne le regard de mon visage.

-Ok. Super. (Il se racle la gorge). J'ai autre chose à te dire.

Je l'encourage d'un signe de tête. J'ai toutefois l'impression que cela ne va pas me plaire.

-Quand tu m'as demandé pourquoi nous avions arrêtés les vols, je t'ai dit que c'est parce que nous étions de plus en plus recherchés. Que nous nous cachions et que nous nous faisions un peu oublier. Mais ce n'est pas la seule raison. J'ai omis la plus importante.

-Laquelle? Demandé-je.

-On est poursuivis.

Un silence accueille sa déclaration. Puis:

-Quoi?

-On est poursuivis, répète-t-il.

-Par qui?

Il se gratte l'arrière de la tête en soupirant.

-Tu te souviens sûrement de Jared. Le borgne. Il nous a attaqué à Vyga et je l'ai tué. Ce jour-là, tu m'as sauvé la vie en tuant trois de ses compagnons.

J'acquiesce.

-Je m'en souviens parfaitement.

Je n'ajoute pas que depuis ce jour, mes cauchemars remplis de sang, de morts et de destruction ont redoublés.

-Jared n'est que le pantin d'un autre homme, bien plus dangereux. Il s'appelle Silas. Et il est bien décidé à me tuer coûte que coûte. Avec Jared, ce n'était pas la première fois qu'il m'envoyait ses sbires. Mais là, on a reçu une lettre. Disant qu'il savait où on était et tout un tas d'autres choses comme la façon dont il comptait nous tuer, Asher et moi. C'est pour ça qu'on est partis.

Je ferme les yeux. Génial. Donc on a des bandits sanguinaires à nos trousses. Et moi qui me sentait protégée.

-Pourquoi est-ce qu'il t'en veut autant?

Il grimace.

-Disons que... Asher, lui et moi, on se connait depuis un bon bout de temps. Il vole lui aussi. Mais on a contrecarré ses plans plusieurs fois. Au début, nous étions les bandes rivales. On se faisait des mauvais coups dans le dos. Puis...

-Puis quoi?

Ethan détourne le regard mais j'ai le temps d'apercevoir la flamme de la vengeance dans ses yeux. C'était une lueur que je n'avais jamais vue. Elle m'effraie malgré moi.

-Puis il a joué un rôle dans l'arrestation de Gaïa. Alors on a tué son frère.

Il n'y a aucune trace de regret dans sa voix.

Je secoue la tête. Je ne sais même pas quoi lui dire. Un silence s'étend entre nous puis je lâche:

-Pourquoi tu ne m'as rien dit?

Il garde la regard baissé sur ses mains.

-Je ne sais pas, avoue-t-il.

-Tu ne me pensais pas assez forte pour ça, n'est-ce-pas? Pas assez courageuse?

-Bien-sûr que non! S'exclame-t-il. J'ai remarqué ta force dès le premier instant où je t'ai vu.

-Alors, pourquoi?

Il soupire.

-Je ne voulais pas te faire peur.

Je hausse les sourcils.

-Donc c'est bien ça. Je suis peut-être assez forte pour me battre à l'épée mais pas assez pour supporter la peur.

-Az...

-Ethan, le coupé-je d'un ton ferme devant lequel, surpris, il redresse la tête. Qu'est-ce-que je suis pour toi? L'autre jour, tu m'as fait comprendre qu'on était un couple non?

-Bien-sûr, assure-t-il.

-Sauf que si tu ne me considères pas comme ton égal et que si tu ne me fais pas confiance, on ne l'est pas. Je suis assez forte pour entendre tes problèmes, Ethan.

Il ne réponds rien. Il se contente de plisser les lèvres et ça me suffit. Parce que je comprends qu'il ne me dit pas tout. Il cache des choses et n'est pas prêt à me les avouer.

Je me lève, tremblante mais aussi en colère.

Ethan me retient par le poignet.

-Arrête ça. Toi aussi, tu me caches des choses. Je ne sais rien de ton passé, Azilis. Je ne te connais pas vraiment parce que tu ne me dis rien. Tu n'a pas le droit de me reprocher de ne pas t'avoir dit ça.

Je secoue la tête.

-Mes secrets ne te mettent pas en danger, contrairement aux tiens, réponds-je sèchement.

C'est un mensonge mais je suis trop énervée pour m'en soucier.

-Je suis désolé. J'aurais dû t'en parler. Mais ne me reproches pas un manque de confiance envers toi. Parce que toi non plus, tu ne me fais pas confiance. Parce que sinon, bon sang, tu m'aurais déjà parlé de ce maudit Tarek! Et de cette alliance que tu continue à porter alors que tu es veuve! Et de pourquoi tu t'es retrouvé du jour au lendemain de marquise dans un château à perdue et affamée dans la forêt!

Il est en colère, vexée et blessé. Si je n'étais pas également en colère contre lui, je m'excuserais. Mais je ne digère pas encore le fait que malgré tout ce qui s'est passé, malgré tout ce que j'ai fait, je suis encore vue comme de la porcelaine fragile à ses yeux.

Les larmes aux yeux, je rétorque, furieuse:

-Et tu ne t'es jamais dit que c'était parce que je n'arrive pas en parler? Parce que ça me fait mal de poser des mots sur ce qui s'est passé? Je n'ai pas envie d'en parler! Ni avec toi, ni avec personne! Ce n'est pas un manque de confiance, c'est parce que j'ai peur!

-Azilis... murmure-t-il, tout colère évanouie de sa voix. De quoi as-tu peur?

-De moi. De ce que j'ai fait. Tu n'arrive pas à comprendre. Tu n'arrives pas à voir que je suis un monstre. Avec toi, je me sens différente. Je me sens bien. Ne me forces pas à déballer tout le mauvais. Je ne veux pas en parler.

Je contourne le banc et quitte la salle, le laissant seul à sa table.

C'est notre première véritable dispute.

******

Je ne croise pas Ethan pendant deux jours. Nous n'avons donc pas l'occasion de nous adresser la parole. Et de toutes façons, je pense que même si l'on se croisait, on ne se parlerait pas.

Il y a tout un tas de non-dits entre nous. Et aucun de nous deux n'est prêt à se dévoiler. Tant que nous ne nous parlerons pas franchement, nous ne pourrons pas aller de l'avant.

Pourtant un soir pendant mon service, je suis surprise de voir Asher, Loën et Ethan s'installer à une table. Rhésa leur apporte leur commande et traîne un peu à leur table mais je n'ai pas le cœur de les rejoindre. Je n'y arrive pas.

Ce soir, la taverne est pleine. Je prépare deux chopes de bières en tentant d'ignorer mon mal de tête dû aux rires et au brouhaha que j'entends depuis trois heures. Mais quand je relève la tête pour regarder la table de mes amis, je suis surprise d'y voir deux jeunes femmes que je ne connais pas. D'où sortent-elles? Elles ont sûrement dûes sympathiser avec eux et s'incruster.

Je tente d'ignorer la table en continuant mon service. Mais mon regard est sans cesse attiré par la table. Je jette un regard mauvais à une des deux filles qui s'est rapprochée d'Ethan. Elle porte un large décolleté et rit à ses côtés, lui mettant ses seins juste sous son nez. Intérieurement, je fulmine.

-C'est qui ces filles? Demandé-je à Rhésa alors qu'elle prépare ses commandes.

-Apparemment elles sont en voyages. Elles ont demandés des renseignements aux garçons et sont restés à leur table.

Je les regarde à nouveau. La fille s'est encore rapprochée d'Ethan mais quand elle pose sa main sur son bras, celui-ci la repousse gentiment et s'éloigne. Je jubile. Et toc. Ça lui apprendra.

Je suis surprise par le sentiment de jalousie qui m'habite. Je n'arrive pas à le chasser. Je remplit les chopes brusquement, avec énervement. Je n'arrive pas à me raisonner. J'ai conscience que je suis ridicule. Ce n'est pas parce que je me suis disputée avec Ethan qu'il va sauter sur la première venue. Et puis, je sais très bien qu'il n'est pas comme ça. Mais le fait que cette fille se permette de l'approcher ainsi me fait bouillir. Pour qui se prends-t-elle?

Je la vois repousser ses longs cheveux noirs derrière son épaule découverte. Mais tout à coup, elle fait le geste de trop. En éclatant de rire, elle pose sa tête sur son épaule. Dans un état second de fureur, je traverse la salle pour les rejoindre. Je jette presque les chopes sur la tables qui se renversent à moitié. En me voyant arriver vers elle comme une furie, la brune se redresse vivement. Posant les poings sur mes hanches, je lui crache:

-T'es qui au juste?

Elle me fixe, abasourdie.

-Quoi?

-Ecarte-toi immédiatement d'Ethan avant que je ne te noie dans une cuve de vin à l'arrière de la taverne.

Bouche-bée, elle se lève et quitte la table sans demander son reste.

-Az...

Ethan tente de me prendre la main mais je m'écarte vivement.

-Lâches-moi. Tu me prends pour qui? Je suis censé vous regarder sans rien dire? Tu n'es qu'un abruti!

Une lueur amusé passe dans son regard, ce qui a le don de me mettre encore plus hors-de-moi.

-Arrêtes de rire! Cela n'a rien de drôle!

-Az... répète-t-il mais je lui coupe la parole.

-Tu sais quoi? Fiche-moi la paix. Retourne avec elle. 

Je tourne les talons et sors de la taverne pour prendre l'air sans même essayer de l'écouter. Je viens de me donner en spectacle et je m'en fiche complètement. 

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