5. Raison ou sentiments
Je trempe mes lèvres dans la bière que contient ma chope mais grimace. En face de moi, Loën m'observe d'un air amusé. Je n'y peux rien, c'est dégoûtant. J'observe du coin de l'œil Ethan qui boit la sienne comme si de rien n'était. Comment fait-il?
En face de lui, Asher fait semblant de l'écouter. Mais même si Ethan ne semble pas se rendre compte qu'il parle dans le vide, j'ai compris son manège depuis le début. Depuis que nous sommes arrivés, Asher observe Rhésa du coin de l'œil. Il suit chacun de ses mouvements, observe chacune des personnes à qui elle parle. Et je pourrais mettre ma main à couper que ce n'est pas simplement pour la protéger.
En effet, ce soir, Rhésa sert les clients de la taverne où nous sommes. Habillée d'une robe qui dégage ses épaules et son cou, elle a lâché ses cheveux et ne m'a jamais paru aussi belle. Et bien-sûr, dans l'optique de rafler le maximum de pourboires, elle lance des sourires à tout le monde, éclate de rire à la moindre blague et joue avec ses cheveux. Pour quelqu'un qui a un sale caractère et qui est capable de ne pas m'adresser la parole pendant 2 jours, je suis impressionnée par sa comédie.
Je l'observe distribuer les chopes en remuant un peu trop les hanches. Quand elle se penche devant un client et lui offre un décolleté vertigineux, je vois Asher blêmir et serrer les poings.
-Mais qu'est-ce qu'elle fout? Marmonne-t-il.
-Ohé. Tu m'écoutes? Lui demande Ethan.
Le regard d'Asher revient sur Ethan d'un air absent.
-Ouais, ouais je t'écoute, désolé.
Je cache un sourire derrière ma main. S'est-il passé quelque chose entre ces deux-là, durant mon absence?
Enfin, à la fin de son service, Rhésa vient s'asseoir avec nous. Elle a l'air épuisé et reprends aussitôt son air taciturne.
-Bon sang, enfin fini. J'ai mal aux joues à force de sourire comme une débile.
-Ton talent est dingue, dis-je en repoussant ma bière vers elle qu'elle boit d'une traite.
-Qu'est-ce-que tu fais ici, Rhé? Demande Ash. Tu ne devrais pas être chez un de ces mecs que tu as servis?
Elle écarquille les yeux d'un air stupéfait.
-Quoi?
-J'ai pas compris ton attitude ce soir. C'était qui cette fille? Tu comptais choper un mec en particulier ou toute la salle?
Nous sommes tous estomaqués par la colère qui vibre dans la voix d'Asher. Rhésa met un temps avant de se reprendre et tape du poing sur la table. Ses yeux fulmine et je la sens prête à casser une chaise sur la tête d'Asher. Je me prépare à intervenir.
-C'est quoi ton problème? S'exclame-t-elle.
-C'est toi, rétorque-t-il. D'ailleurs, je m'en vais.
Il se lève brusquement, faisant trembler la table et quitte la taverne d'un pas furieux. Rhésa se tourne vers nous:
-Qu'est-ce-qui lui prend?
Nous haussons les épaules.
-Ce type est cinglé, lâche-t-elle froidement. Je me tire aussi.
Deux jours plus tard, c'est mon tour. Etant donné que nous allons rester quelques semaines ici, le temps de se faire oublier, j'ai demandé à travailler avec Rhésa. Celle-ci m'a forcée à détacher me maquiller et à découvrir mes épaules. J'ai laissé mes cheveux tomber dans mon dos et à présent, j'écoute les directives du tavernier.
-Ne te mêle pas des discussions des clients. Contente toi de les servir. N'acceptes aucun verre d'eux. Ne ramènes personne dans ta chambre, ma taverne n'est pas un bordel. (Il pose sur moi un long regard, comme pour s'assurer que je ne suis pas ce genre de fille puis ajoute), si jamais un client t'embête, viens immédiatement m'en parler. Je me chargerais de lui.
Aidée de Rhésa, je me met au travail et les heures défilent. Je sers les chopes et les assiettes sans même en faire tomber une seule et j'avoue être plutôt fière de mon travail. Quelques clients tentent un clin d'œil ou un compliment mais avec un sourire poli mais distant, je les remet gentiment à leur place. Ce n'est que quand l'un pose sa grosse main poilu sur mon avant-bras nu que je sursaute et manque lâcher mon plateau. Je n'avais pas anticipé cela. Ma magie se met à courir dans mon sang et je plante mes ongles dans les paumes de mes mains pour m'empêcher de faire une bêtise. Je la repousse de toutes mes forces.
La frayeur passée, je me rends compte que cela faisait des jours que ça ne m'était pas arrivé. J'avais presque oublié cette sensation. J'évite toujours les contacts et porte mes gants quand je sors mais cela faisait longtemps que je n'avais pas ressentie ce sentiment de perte de contrôle. Le sentiment d'être à deux doigts de tout détruire. Cela ne doit pas se reproduite. Je ne dois plus jamais oublier. Je dois toujours être sur le qui-vive, prête.
-Tout va bien? Me demande Rhé, son plateau tenu contre sa hanche.
Je prends conscience que je suis plantée au milieu de la salle et que plusieurs clients me dévisagent.
-Oui. Désolée, j'ai eu un petit vertige.
-Arrête toi un petit peu, si tu veux. Et va manger quelque chose.
Je suis son conseil puis reprends mon service. Et même si à la fin de notre service, les sourires enjôleurs de Rhésa l'ont fait gagner bien plus de pourboires que moi, je suis fière de ma soirée.
Les soirées s'enchaînent et je ne vois plus les journées passer. Je ne vois presque plus Ethan non plus. À la menuiserie, il finit plus tôt que moi et épuisé de ses journées, quand je rentre au petit matin, il dors déjà depuis longtemps. Je le croise de temps en temps mais c'est souvent avant que je prenne mon service. C'est la même chose avec Asher et Loën. Désormais, je vis plutôt avec Rhésa. Nous avons les mêmes horaires, et c'est ensemble que nous allons nous coucher à une heure du matin et ensemble que nous retournons travailler. Mes économies gonflent petit à petit et je me sens désormais bien plus utile et active qu'auparavant.
-Enfin terminé, soupire Rhésa, un soir en s'étirant. Je suis épuisée.
Il est minuit et demi et les derniers client viennent de partir.
-Vous avez très bien gérés les filles, dit le tavernier en sortant de derrière son comptoir. À demain soir et bonne nuit.
Rhé nettoie les dernières tables puis se dirige vers les escaliers menant aux chambres de l'auberge. En voyant que je ne la suis pas, elle m'interroge:
-Tu ne viens pas?
-J'arrive dans 5 minutes. Je vais prendre l'air.
Je sors par la porte des cuisines et respire un grand bol d'air frais. Le printemps est là depuis déjà plusieurs semaines et il fait bon. Ce soir, j'ai droit à un grand ciel étoilé. Les nuits en forêt à la belle étoile me manquent. L'odeur de la terre humide et de la rosée le matin, aussi. Et par dessus-tout, les bras d'Ethan me manquent. J'ai du mal à réaliser à quel point il est devenu indispensable à ma vie. Je le vois peu, mais les quelque fois où nous nous croisons, son sourire fait bondir mon cœur dans ma poitrine. Je ferme les yeux pour tenter de ne plus penser à lui. Je sais que je suis constamment en train de penser à lui. Quand je travaille. Quand je me réveille le matin. Quand je m'endors. Le pire c'est quand je vais au marché l'après-midi avec Rhésa. dans la foule, j'ai l'impression que chaque homme de dos est lui. Chaque paire d'yeux me font penser aux siens. C'est terrifiant. Je n'ai jamais ressentie cela. Et je ne comprends toujours pas comment quelqu'un que j'ai rencontré il y a quelques mois peut provoquer autant d'émotions en moi. Parfois la nuit, je pense à aller le rejoindre dans sa chambre. Mais je sais bien que ce ne serait pas correct.
-Coucou.
Je sursaute. Et quand j'aperçois l'auteur de ma frayeur dans la pénombre, je n'en crois pas mes yeux.
-Qu'est-ce-que tu fais là? Tu ne dors pas?
Ethan se rapproche de moi, les mains dans les poches.
-On ne se voit jamais. J'ai décidé de t'attendre ce soir. J'avais besoin de te voir.
Je lui souris. La lune et les dernières lumières allumés de la taverne font étinceler ses yeux gris.
Je prends sa main, la retourne. Elle est griffée et abîmée par le dur travail qu'il effectue tous les jours.
-Tu va être épuisé, demain matin.
Il ne me réponds pas tout de suite. Puis:
-Tu me manque.
Je lui adresse un petit sourire triste.
-Et moi donc.
Ses doigts remettent une mèche de cheveux derrière mon oreille puis caressent ma joue, mes lèvres. J'en ai la chair de poule.
-A quoi tu pensais? Tu avais l'air si concentrée, murmure-t-il.
Je rougis malgré moi.
-A toi, avoué-je.
Il hausse les sourcils.
-Vraiment? Je pense tout le temps à toi, moi aussi. Tu me manque. La sensation de ta peau me manque. Et ça...
Il prends mon visage entre ses mains, m'embrasse avec tendresse et je fonds. Il s'écarte de moi de quelques centimètres et m'observe à nouveau.
-Tout s'est bien passé ce soir? Me demande-t-il.
-Très bien.
Mais je n'ai pas envie de parler de banalités. J'ai envie de le toucher. Ces longues journées loin de lui m'ont donné l'impression de devoir rattraper des tonnes de contacts manqués.
Sur la pointe des pieds, je l'embrasse à mon tour. Il y répond doucement puis, comme si ce baiser n'avait fait qu'aiguiser son désir, en une seconde je me retrouve plaquée le dos contre le mur et il se fait plus insistant. Je perds la tête. Je m'accroche à ses épaules et laisse échapper un gémissement qui me fait rougir jusqu'à la racine des cheveux. Mais sois Ethan ne l'a pas entendu, soit il s'en fiche éperdument car ses doigts se perdent dans mes cheveux tandis qu'il me presse contre lui. Il m'embrasse comme s'il ne pouvait pas faire autrement. Comme si ça lui était indispensable. Peut-être que c'est le cas. J'aimerai qu'Ethan ait autant besoin de moi que moi de lui. Je ne suis plus que feu et chaleur.
Mais bientôt, les baisers ne devinrent plus suffisants. Je glisse les mains dans son dos, sous sa chemise et fait glisser mes doigts sur sa peau.
-Az, grogne-t-il.
Je viens de déclencher un incendie que je n'ai aucune envie d'éteindre. Il appuie son front contre le mien, sa respiration aussi saccadée que la mienne tandis que ses doigts tracent la ligne de mon cou, de mon épaule et viennent descendre un peu plus ma chemise sur celle-ci. Ses lèvres suivent le dessin de ses doigts et y déposent une pluie de baiser tandis que mon coeur frappe dans ma poitrine à m'en couper le souffle. Une de ses mains dénoue le devant de mon corsage et ma chemise glisse un petit plus sur mes épaules, dévoilant la naissance de ma poitrine.
-Dis-moi d'arrêter et je le ferais.
Sa voix est rauque, brute. Mais je ne lui dis rien. Je sais que je devrais dire stop, que rien de tout cela n'est correct. Mais je m'en fiche. Je n'ai pas envie qu'il s'écarte de moi. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Aussi aimée. Aussi désirée.
Un raclement de gorge nous fait sursauter. Ethan s'éloigne vivement de moi et je rattrape les pans tombant de ma chemise pour me donner un minimum de contenance.
Dans l'embrasure de la porte se tient Rhésa, bouche-bée.
-Je... suis désolée, bredouille-t-elle. (Elle se tourne vers moi), tu ne revenais pas et je me suis inquiétée.
Je ferme une seconde les yeux, tentant d'oublier la honte cuisante qui m'envahit. Le malaise est si important que je souhaiterai disparaître en claquant des doigts.
Ethan se racle la gorge. Dans la nuit, je ne vois pas s'il est aussi rouge que moi.
-C'est moi qui suis désolé. On se voit demain, bonne nuit.
Il nous dépasse pour rejoindre sa chambre et nous laisse toutes les deux. Je suis Rhésa dans la nôtre, sans que nous ne prononçons un mot. Je ressens sa déception. Je ne sais envers qui elle s'adresse: moi? Ethan? Ou envers nous deux?
J'ai conscience que nous avons été trop loin selon les règles de la société. J'ai été élevée selon les principes de la religion catholique et même si mes parents ne m'ont jamais jugée assez importante pour m'amener à l'église, j'ai dû suivre quelques cours de catéchisme. J'ai été fiancée puis mariée dans les bonne règles.
Mais depuis; j'ai tué, j'ai volé et ce soir, j'étais à deux doigts de pécher une fois de plus. Seulement, je n'ai pas l'impression d'avoir fait quelque chose de si mal. À côté d'un meurtre, ce péché me semble bien fade. Et je ne sais pas si Rhésa, une voleuse à qui il arrive parfois de se travestir en homme pour certains vols est à même de me juger sur cela.
-Je te ne juges pas, me dit-elle une fois en chemise de nuit.
Je me tourne vers elle, surprise de l'entendre parler.
-Ce n'est pas l'impression que j'ai, avoué-je.
Elle soupire.
-Ce n'est pas ça. C'est juste que... je t'apprécies Az. Mais tu me sembles tellement fragile. Tu nous suis depuis plusieurs mois et tu as mis toutes tes valeurs de côtés très rapidement. Tu t'es mise à voler et à apprendre à te battre. Tu ferais n'importe quoi pour Ethan. Parfois, j'ai l'impression que tu es prête à tout.
J'ai du mal à déglutir. Elle a raison. Mais je pense pas être non plus une fille aussi influençable qu'elle le dit.
-Je n'ai plus rien, Rhé. Je suis à la rue, déshonorée et rejetée. Mais j'ai trouvé une nouvelle vie. Elle me plaît. Alors, oui. Je vous suis.
-Mais tu suis peut-être un peu trop Ethan. S'il te disais de te jeter d'un pont, tu le ferais. Mais tu le connais depuis quoi, 4 ou 5 mois? Moi je le connais depuis que j'ai six ans. Il est génial et je l'adore. Mais ce n'est sûrement pas l'homme que tu imagines. C'est un bandit. Et il ne se mariera probablement jamais avec toi.
C'est comme si elle m'assenait un grand coup d'épée en plein ventre. Évidement que je désire qu'Ethan demande ma main. Évidement que je me suis déjà posé la question s'il y pensait aussi. Et j'ai décidé de patienter tranquillement, et d'attendre, même si cela devrait prendre du temps.
-Qui te dis que j'ai envie de me marier? Retorqué-je.
Elle lève les yeux au ciel.
-Arrêtes tes bêtises. Tu est marquise! Les nobles n'ont pas de multiples aventures sans lendemain. Ils se marient. Ont des enfants. Tout cela dans les bonnes règles. Et si jamais ils ont des amants, c'est quand même lorsqu'ils sont mariés à quelqu'un d'autre. On n'est pas du même monde, Az. Et tu as tendance à l'oublier.
Ces mots bien trop vrais me font grincer des dents. Je déteste qu'elle me balance mes quatre vérités ainsi.
-Tu met toute ta vie en péril soi-disant pour Gaïa, une fille que tu n'as jamais rencontrée de ta vie. Sais-tu seulement qui elle est? Quelle genre de personne c'est?
Je ne réponds pas et me couche. Le problème, ce que je ne suis pas sûre de vouloir savoir qui est Gaïa. Depuis le début, j'ai un mauvais pressentiment concernant la sœur d'Asher. Et comme une lâche, je préfère l'ignorer.
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