Chapitre 3

La bouche pâteuse, je repris difficilement conscience. La tête dans un étau, je glissai sur le dos pour soulager mes muscles endoloris par mon immobilité. Un gémissement franchit la barrière de mes lèvres alors que j'ouvrais les yeux en papillonnant des paupières. Ce simple geste me parut être une épreuve insurmontable.

Je regardai rapidement ce qui me faisait face, remarquant des barreaux tout autour de moi. Une cage. Ses enfoirés m'avaient enfermée dans une cage comme si je n'étais qu'un vulgaire chien. J'allais les tuer. Je serrai les poings, énervée. Si je revoyais mon référent un jour...

Une nouvelle plainte m'échappa lorsque je tentai de me redresser. Je plantai mes coudes sur la surface dure où j'étais allongée, me donnant du mal pour me rappeler ce que je faisais ici.

— Souffre en silence, Ashes. Tu me donnes mal au crâne.

La vision floue et l'esprit embrumé, j'étais cependant certaine de reconnaître ce timbre agacé pour avoir été la source de cette irritation un bon nombre de fois. Réprimant la grimace de douleur qui ne demandait qu'à déformer mes traits, je me dévissai la nuque pour regarder sur ma gauche, découvrant Zayan, installé en tailleur dans ce qui semblait être une cage identique à la mienne. Son tee-shirt blanc était imbibé de sang à plusieurs endroits et une croûte d'hémoglobine ainsi que des traînées rouges recouvraient sa tempe et le côté droit de son visage.

— T'as une sale gueule, Ulner.

Je ne savais pas ce qui lui était arrivé, mais il avait pris cher. J'aurais payé une fortune pour voir ça. S'il avait perdu, bien sûr.

— Je me suis battu avec deux gardes armés pour éviter de finir ici, alors oui, j'ai pris cher.

Malgré la pénombre ambiante, je le dévisageai à la recherche d'autres blessures que celles que j'avais sous les yeux. Je n'en voyais aucune. Il avait suffi d'un coup sur la tête pour le mettre à terre.

— Je te pensais plus solide que ça.

— Dixit celle qui s'est fait avoir comme une débutante avec de la drogue dans un verre.

Je lui adressai mon majeur, sans même chercher à comprendre comment il était au courant de ça. J'étais si prévisible que mon référent n'avait eu qu'à verser un peu de médicament dans sa carafe d'eau pour que je me drogue toute seule. J'étais vraiment idiote. Comment est-ce que j'avais pu ne rien voir venir ? Je savais pourtant que cette convocation allait m'attirer des ennuis. J'aurais dû être beaucoup plus prudente.

Ignorant mes nombreux vertiges et mon champ de vision toujours flous, je me redressai. Les jambes toujours tremblantes, je m'approchai des barreaux pour essayer d'ouvrir la porte de la cage. Elle ne bougea pas d'un millimètre.

— Laisse tomber, gronda Zayan. T'es pas la première à tenter.

Je pivotai vers lui si rapidement que je fus obligée de me tenir à la cage pour ne pas tomber. Je ne savais pas ce que mon référent m'avait donné pour me mettre dans un état pareil, mais cette drogue était beaucoup plus forte que celle que les jeunes prenaient en soirée pour s'amuser. Je posai ma paume fraîche sur mon front en soupirant.

— Ce n'est pas parce que tu n'as pas réussi que je ne vais pas y arriver non plus.

— Tu tiens à peine debout. Garde tes forces pour le Test.

— Occupe-toi de tes affaires, Ulner. Je n'ai pas besoin de tes conseils avisés.

Une secousse ébranla la structure sur laquelle nous nous trouvions. Déséquilibrée, mes genoux se dérobèrent sous mon corps et je tombai sur le sol sans parvenir à me retenir. Prise d'un haut le cœur, je le réprimai de mon mieux pour ne pas verser le contenu de mon estomac sur le sol. Déjà parce que je ne voulais pas salir le peu d'espace dont je disposais. Ensuite, parce que je ne savais pas quand j'aurais droit à un nouveau repas. Le dos de la main posé contre ma bouche, je déglutis en jurant.

Le Test.

Le gouvernement avait décidé de me faire participer à ce foutu Test comme une vulgaire Vagabonde insignifiante ! J'étais une Privilégiée ! Je n'avais rien à faire ici, dans une cage ! Il y avait tant de façons pour moi de récupérer l'honneur de ma famille ! Pourquoi est-ce que je devais réussir ce foutu Test ? Il n'était même pas conçu pour les Privilégiés !

Je donnai un coup de poing rageur dans les barreaux. Le son métallique résonna dans toute la pièce et m'arracha un semblant de réconfort.

J'étais vivante. C'était toujours ça de gagné. Même si j'étais enfermée dans une cage, dans un lieu que je ne connaissais pas et avec Zayan pour seule compagnie.

La respiration saccadée, j'évitai de penser au fait que j'étais enfermée dans une pièce sombre et sans fenêtres. Cette situation me stressait. Je ne supportais pas les pièces fermées mais il était hors de question que Zayan s'en rende compte. Il utiliserait cette faiblesse contre moi sans hésiter une seule seconde. La tête entre les mains, j'inspirai avant d'observer le Privilégié qui me fixait toujours.

— On est combien ?

Les chances qu'il sache quelque chose étaient minces, mais c'était toujours mieux que de rester assise à ruminer mes pensées. Nous étions en route vers le lieu de déroulement du Test. Autant en apprendre le plus possible avant d'arriver sur place.

— Privilégiés ? Sept, je pense. Nous deux et les cinq autres qui étaient dans la salle d'attente avec nous. J'ai été le dernier appelé au centre et comme personne n'est descendu avant que je ne monte, je suppose qu'on est tous dans la même galère.

— C'est la merde, jurai-je pour moi-même.

Sept Privilégiés, cela voulait dire trente-trois Vagabonds, s'il avait toujours quarante participants par session. Ce n'était pas assez.

Je me relevai sans faire attention à ma faible force physique et commençai à faire les cent pas, l'esprit en ébullition.

Le Test. Cette épreuve débile était réservée aux Vagabonds, d'ordinaire. Elle permettait à quarante d'entre eux de s'inscrire et de tenter leur chance pour gagner notre Cité et devenir des Privilégiés à part entière. Bien sûr, ils héritaient des jobs les plus pourris, des maisons insalubres et avaient à peine assez d'argent pour survivre, mais ils n'avaient plus à se battre contre la montée des eaux. Ils étaient sauvés.

Le Test avait lieu tous les deux ans. En général, il n'y avait aucun survivant. Le dernier reconverti était arrivé chez nous dix ans auparavant.

De temps en temps, des membres de la Cité étaient envoyés avec les Vagabonds pour expier leurs crimes.

Parfois, le Test était filmé pour divertir les Privilégiés.

Avec sept porteurs de DSI dans la course, il ne faisait aucun doute que des drones nous suivraient nuits et jours, cette année.

— Ils n'ont pas encore annoncé l'épreuve de cette année, m'apprit Zayan. Peut-être que ce serait plus facile qu'il y a deux ans.

Je voyais bien qu'il essayait de se convaincre lui-même de ce qu'il était en train de dire. Il ne le montrait peut-être pas, mais il était forcément aussi anxieux que moi. Tout le monde savait que le Test avait un taux de mortalité encore plus élevé que la peste. Depuis sa création, une vingtaine de personnes seulement y ont survécu. Pas toutes en un seul morceau.

— Tu rêves, grondai-je. Avec les crimes que nos parents ont commis ? On va se taper la pire épreuve du siècle.

La trahison des parents de Zayan était peut-être moins importante que celle de mes géniteurs, il n'en restait pas moins qu'ils étaient considérés comme des traîtres au même titre que les miens. Ils allaient se servir de nous comme exemple pour les Privilégiés, c'était sûr.

J'avais peut-être le cerveau dans le brouillard, mais je n'en étais pas plus stupide.

Je portai mon regard sur mon poignet. Plus de DSI. Ils me l'avaient enlevé. Dans un geste habituel, je refermai ma paume à l'endroit où se trouvait d'ordinaire le bijou. Ne plus le sentir me procurait une drôle de sensation.

À moins qu'elle ne me vienne des restes de drogue dans mon organisme.

— Ils ne peuvent pas tuer sept Privilégiés.

Je ris jaune.

— T'as quel âge, Ulner ? Trois ans ? Ils n'en ont rien à foutre et tu le sais très bien, alors ferme-la. Tu amplifies mon mal de crâne.

Énergiquement, je me relevai et commençai à frapper les barreaux, faisant un boucan pas possible pour attirer l'attention des personnes chargées de nous surveiller. Il était hors de question que je reste dans le flou plus longtemps.

— Ouvrez cette putain de porte, bande d'enfoirés !

— Qui accentue le mal de crâne de qui, maintenant ?

Je ne donnai pas à Zayan la satisfaction de le fusiller du regard.

Une porte s'ouvrit à l'autre bout de la pièce et deux personnes pointèrent le bout de leur nez. Sourcils froncés, je les regardai s'avancer vers nous, sans armes aucune et sans protection. Ce que je devinai vite être les clés de nos cages pendaient à la ceinture de l'un d'entre eux. Ils me dévisagèrent sans porter la moindre attention à Zayan, qui s'était avancé pour voir ce qu'il se passait.

— Je vois que tu es réveillée.

Incapable de mettre un nom sur cet homme tant les ombres de la pièce m'empêchaient de voir son visage, il ne me fallut qu'une microseconde pour que sa voix réveille en moi les souvenirs d'une sombre trahison.

— Kaito, gondai-je.

Je serrai les poings si fort contre les barreaux que mes jointures en blanchirent.

Devant moi se tenait l'homme qui avait balancé mes parents au gouvernement. Celui qui avait précipité ma famille dans l'océan.

— Quel plaisir de te revoir, Zenji. Cela fait longtemps, n'est-ce pas ?

— Dix ans.

— Que le temps passe vite... susurra-t-il. Dommage. Pour toi, il s'arrêtera bien assez vite. Le Test de cette année promet d'être riche en morts violentes et douloureuses.

L'homme qui se trouvait aux côtés de Kaito se racla la gorge afin d'interrompre cette conversation.

— Les modalités de l'épreuve vous seront données sur place. Ou non. Nous sommes simplement ici pour vous dire qu'à la fin du Test, les dettes de vos parents seront effacées et vous serez considérés comme des Privilégiés ordinaires. Enfin, si vous survivez.

Un gaz soporifique souffla dans la pièce pour nous faire une nouvelle fois sombrer dans l'inconscience.

Kaito plongea ses pupilles vertes animées par la méchanceté dans les miennes.

— Prête à mourir, Zenji ?

Au maximum, j'approchai mon visage du sien pour pouvoir lui parler sans que personne ne puisse entendre ce que j'avais à lui dire.

— Je ne m'en réjouirais pas trop, à ta place. Je connais tous tes secrets. Si je saute, tu sautes aussi. Et je me ferai un plaisir d'être à l'origine de ta chute. Les cendres se posent toujours au sommet, Kaito. Ne l'oublie pas.

Mes paupières se fermèrent et je ne résistai pas au sommeil plus longtemps. Mes dernières pensées étaient tournées vers Kaito.

Je savais qu'il avait aidé mes parents dans leurs desseins.

Et je n'emporterai pas ce secret dans ma tombe.

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