Chapitre 2

J'eus besoin de cinq minutes pour arriver au centre. Cinq minutes durant lesquelles je cogitais, me demandant sans arrêt pourquoi j'avais été convoquée par mon référent aujourd'hui. Je n'étais pas censée le revoir avant le mois prochain.

La dernière fois qu'un Privilégié enfant de délinquant avait été mandé de cette façon, il avait été envoyé dans l'océan une dizaine de minutes seulement après être entré dans le centre de réinsertion des enfants de condamnés. Personne ne savait ce qu'il avait fait pour mériter ce sort, mais j'espérais bien ne pas subir le même que lui. Je n'avais rien fait qui puisse mériter ça, mais il était impossible de savoir ce que le gouvernement avait prévu pour moi. Mon avenir était sûrement discuté en interne depuis plusieurs semaines, à l'approche de la dixième année du crime de mes parents.

Pour le moment, je ne risquais rien. C'était en tout cas ce que je me disais à l'approche du bâtiment où j'étais attendue. Je donnai une poussée sur le sol pour faire avancer mon skate-board plus vite et ainsi ne pas perdre trop de temps. Un vieillard leva le bras dans ma direction dans un geste colérique quand j'évitai de peu de lui foncer dedans.

— Pardon ! ricanai-je.

— Saleté de jeunes ! gronda-t-il alors que je disparaissais au coin de la rue.

Je ricanai. Il pouvait bien cracher sur les adolescents, mais c'était grâce à nous qu'il était encore en vie. Alors que je n'étais pas encore née, le gouvernement avait tenté de mettre en place une nouvelle loi obligeant la mise à mort des personnes âgées de plus de soixante ans. Pour faire de la place dans la Cité et éviter le gaspillage de ressources concernant des citoyens qui mourraient dans les années suivantes. Les jeunes de l'époque avaient refusé cette législation contre-nature. Ils avaient tous été tués pour insubordination et rébellion. L'armée avait causé un véritable massacre. C'était la dernière fois que les citoyens s'étaient élevés contre notre président. Pourtant, il avait tout de même décidé de ne pas mettre en place cette loi. Pour le moment.

Je poussai une dernière fois sur le sol du trottoir et arrivai devant le centre de réinsertion. Je portai tout mon poids sur l'arrière de mon skate pour freiner et attrapai l'avant dans ma main pour stopper ma course.

La rue était vide, ce qui n'était pas étonnant. Les habitants détestaient passer par ici. Seuls les employés et les personnes convoquées au centre prenaient le risque de marcher dans cette ruelle. Elle était considérée comme la plus dangereuse de la Cité, uniquement parce que des enfants de criminels s'y trouvaient toute la journée. C'était stupide. Si nous étions si dangereux que cela pour la société, nous serions déjà morts. Mais les adultes pensaient d'une façon étrange que j'aimerais ne jamais découvrir.

Mon objectif était de survivre jusqu'à ma majorité sans m'attirer d'ennuis. J'aviserai ensuite.

Je rangeai mon skate dans le porte-vélo et m'approchai de la porte d'entrée, qui ne s'ouvrit pas à mon arrivée. Pour cela, il fallait que je prouve mon identité. Que j'étais bien une enfant de traître. Je m'arrêtai devant le scanner qui se tenait à ma droite et jetai un coup d'œil à mon poignet, où se trouvait le seul moyen que j'avais de prouver mon identité.

Mon DSI. Dispositif de Surveillance Intégré. Le bracelet qui était accroché à mon poignet depuis l'arrestation de mes parents et qui était impossible à enlever. Il servait à s'assurer que je ne prenais pas le même chemin que mes géniteurs et que je ne faisais rien d'illégal. Un GPS était intégré à ce petit bijou, qui pouvait presque passer pour un bracelet quelconque de par sa finesse et sa beauté. Mais cela ne trompait personne. Tout le monde, à la Cité, savait que ce n'était pas une simple babiole. Affublée de ce truc, je n'avais pas le droit d'entrer dans certains bâtiments.

J'étais libre. J'avais échappé à la noyade, mais j'étais surveillée en permanence, comme si je préparais le même crime que mes géniteurs. Je n'étais pas la seule dans ce cas-là. Tous les enfants de personnes condamnées subissaient le même espionnage que moi. Nous n'étions débarrassés des DSI qu'à notre majorité.

La mienne arrivait dans deux mois.

Dans soixante jours, je serai enfin considérée comme une citoyenne normale. J'allais pouvoir dire adieu à cette babiole inutile qui me caractérisait de suite comme une pestiférée. Bien que l'avis général de la population ne changerait pas à mon sujet. J'étais la fille des traîtres. M'enlever mon DSI n'y changerait rien.

Avec un soupir, je présentai mon DSI au scanner à l'entrée du bâtiment. Un filet de lumière rouge s'en extirpa, examina mon bijou électronique durant une seconde avant de s'éclairer d'une lueur verte. La porte principale s'ouvrit et je m'engouffrai dans le bâtiment sans attendre.

Je n'y avais pas mis les pieds depuis trois mois, lors de mon dernier rendez-vous avec mon référent. Rien n'y avait changé. L'intégralité du bâtiment était gris. Du sol au plafond, en passant par les meubles. Les seules touches de couleurs venaient de quelques plantes en plastique d'une femme vêtue d'une robe rose bonbon. Elle faisait tache dans ce décor terne et les regards posés sur elle le lui montraient très bien.

Je ne m'attardai pas sur ce détail coloré. Si cette citoyenne désirait passer par un clown dans ce lieu blafard, ce n'était point mon problème. J'avais des soucis plus urgents à régler, comme ma convocation de dernière minute.

La première chose que je remarquai en m'avançant vers le hall fut la multiplication du nombre d'agents de sécurité présents. En temps normal, ils n'étaient qu'une dizaine au rez-de-chaussée. Après un rapide examen oculaire de la pièce, j'en comptai une quarantaine. Ils ne pouvaient pas être là que pour moi, c'était certain. Je n'étais pas considérée comme assez dangereuse pour valoir autant de sécurité. Cela n'arrangea pas mon appréhension quant à ce rendez-vous. Je n'aimais pas cela.

Une petite vibration de mon DSI me sortit de mes pensées. Je devais me hâter. Si je traînais davantage, mon dispositif allait se mettre à sonner. J'avais deux minutes pour me rendre à l'accueil et annoncer ma présence avant que ce bracelet ne décèle une anomalie et ne donne l'alerte. Comme si je n'avais que ça à faire de me promener dans ce bâtiment que je détestais au plus haut point.

L'écran tactile de mon DSI m'indiqua qu'il restait vingt secondes avant que je ne déclenche l'alarme. Avec un soupir, j'accélérai le pas vers l'espace réservé à l'attente des visiteurs sans plus faire attention à ce qui se trouvait autour de moi. Je passai mon DSI dans le valideur disposé à cet effet et le compte à rebours s'arrêta. Je me tournai alors vers le reste de la salle d'attente. Je n'étais pas la seule enfant de condamnée présente à l'heure actuelle, ce qui accentua ma curiosité. En temps normal, nous étions au plus trois dans cette pièce. C'était le nombre maximal autorisé par le règlement. Au-delà, le système de sécurité considérait la menace trop grande et nous interdisait donc d'être réunis à plus de trois dans la même pièce. Aujourd'hui, nous étions sept. Ce n'était peut-être pas grand-chose, mais cela expliquait pourquoi il y avait tant d'agents de sécurité. Mais toujours pas ce que je faisais ici.

J'allai m'asseoir à ma place habituelle, la plus éloignée des autres, et examinai les porteurs de DSI qui étaient présents avec moi. Je n'en connaissais qu'un. Zayan Ulner. Un blond insupportable qui avait été dans ma classe pendant quelques mois avant qu'il ne soit envoyé dans un autre établissement car le directeur ne voulait plus que nous soyons au même endroit. Nonchalamment, j'étendis mes jambes devant moi en observant les cinq autres adolescents présents. À vue d'œil, nous étions tous à l'aube de notre majorité. Seuls Zayan et moi n'avions pas l'air terrorisés d'être ici, ce qui m'apprit une information de taille. Personne, dans cette salle d'attente, ne devrait se trouver ici. Nous avions tous été convoqués à la dernière minute. Une moue suspicieuse peignit les traits de mon visage. Sept convocations imprévues ? Ça ne sentait vraiment pas bon pour nous.

— Zenji Ashes !

Je posai mes pupilles sur la femme qui venait de m'interpeller. Il s'agissait de l'assistance de mon référent. Je me redressai sans même qu'elle n'ait besoin de me demander de la suivre, connaissant la marche à suivre. Je passai devant les six adolescents sans leur jeter un regard, bien que je sente le poids de deux pupilles dans ma nuque. Je m'arrêtai une seconde avant de dévisager Zayan.

— Un problème, Ulner ?

Un sourire narquois transforma les traits impassibles de son visage. Il me désigna, d'un geste de la tête, la femme qui m'attendait et les escaliers que je devais prendre afin de me rendre dans le bureau dans lequel j'étais convoquée.

— J'espère qu'ils t'enverront par-dessus bord, Ashes.

— Ne t'en fais pas. Si t'es toujours là, je ne risque absolument rien.

Je balançai mes longues mèches noires de l'autre côté de mon épaule avant de rejoindre la femme qui s'impatientait. Je ne m'excusai pas d'avoir pris mon temps et la dépassai sans même s'assurer qu'elle m'emboitait le pas. Arrivée en bas des marches, je me tournai vers l'agent de sécurité qui s'y trouvait et lui tendis mes deux poignets. Il y attacha des menottes, sans lesquelles je n'avais pas le droit de gravir les escaliers.

Une mesure de sécurité préventive.

Comme si qui que ce soit était capable d'agresser son référent dans un endroit aussi protégé.

En général, le garde en fonction m'annonçait que je n'avais pas besoin des menottes et me laissais monter les poignets libres. Ce n'était pas le cas aujourd'hui.

Les mains solidement liées, l'assistante me fit signe que je pouvais y aller. Je marchai derrière elle dans les différents corridors jusqu'à parvenir devant la bonne porte. Je pénétrai dans la pièce sans même prendre la peine de frapper. Mon référent leva la tête vers moi et une expression ennuyée peignit les traits de son visage.

— Pourrais-tu, un jour, daigner t'annoncer avant de faire irruption dans mon bureau comme si tu étais chez toi ?

Je levai mes bras à hauteur de mon visage pour lui montrer les menottes, comme si cela expliquait mon comportement, et pas uniquement mes mauvaises manières.

— Je n'en ai pas la capacité.

— Cette excuse ne fonctionne pas, étant donné que tu ne t'annonces jamais. Même lorsque tu as les mains libres, tu ne le fais pas.

Je haussai les épaules en m'asseyant sur la chaise qui me faisait face. Sans même demander la moindre autorisation, je me servis un verre d'eau à l'aide de la carafe qui était toujours disposée à ma droite et terminai mon verre d'une traite. Mon référent m'observa faire, las de mon comportement.

Les paumes posées sur mes genoux, je penchai la tête sur le côté comme le ferait un animal trop curieux.

— Alors, pourquoi tu m'as convoquée ? On ne devait pas se voir avant ma majorité, pour décider si je suis libre ou si je vais devoir réparer la trahison de mes parents.

Compte tenu de ce qu'ils avaient fait, j'étais persuadée de devoir trimer pour que leurs conneries me soient pardonnées.

— C'est exactement pour cette raison que je t'ai fait venir ici. Ton sort a été décidé en commission la semaine dernière.

J'écarquillai les yeux et me redressai sur mon siège. Je me penchai en avant, les lèvres pincées. Je n'aimais pas la façon dont mon référent me regardait. Son sourire en coin. Il ne souriait pas, normalement. Jamais.

— Comment ça ?

Il claqua des doigts et la porte de son bureau s'ouvrit derrière moi. Les coudes posés sur le dossier de ma chaise, je regardai ce qu'il se passait, les sens en alerte. Deux hommes armés d'un pistolet entrèrent dans la pièce. Je me relevai brusquement en reconnaissant deux des gardes qui se trouvaient au rez-de-chaussée avant que je ne monte. Les battements de mon cœur s'accélèrent et je reculai d'un pas, butant contre le bureau.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Je me tournai vers mon référent d'un mouvement brusque, le regard oscillant entre colère et incompréhension. Sans que je comprenne ce qui était en train de m'arriver, l'image de l'homme en face de moi se dédoubla. Je plissai les sourcils, sentant mes jambes se dérober. Des vertiges troublèrent mon sens de l'équilibre et je m'agrippai au bord du bureau pour ne pas tomber.

— Ta chance de réparer l'honneur de ta famille et de gagner ta place dans la société, Zenji. Tu m'excuseras, mais j'ai drogué la carafe pour être certain que tu ne te rebelles pas. Bienvenue parmi les participants du Test.

Le Test ?

Je sombrai dans l'inconscience dans la seconde qui suivit, incapable de résister à l'effet de la drogue sur mon organisme.

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