Chapitre 1
Dix ans plus tard
Dans l'ancien monde, avant que le réchauffement climatique ne fasse monter le niveau des océans, il était de coutume de fêter chaque anniversaire. Les hommes célébraient leur naissance comme s'il s'agissait d'un évènement exceptionnel.
Encore aujourd'hui, certaines familles haut placées continuaient cette tradition tombée dans les oubliettes par la plupart des personnes vivant dans les Cités Flottantes. C'était également le cas de la mienne, avant. Avant que mes parents ne fassent une connerie si immense qu'ils se firent arrêter pour trahison et mis à mort.
Je n'avais plus fêté mon anniversaire depuis ce jour. Je n'en voyais même plus l'intérêt. Je trouvais cela de plus en plus stupide. À quoi bon commémorer nos naissances ? Chaque anniversaire nous rapprochait un peu plus de la fin. Et puis, je n'avais plus personne avec qui passer ce jour.
Il y avait bien longtemps que j'avais arrêté de célébrer ma venue au monde.
Le regard tourné vers la professeure qui nous dictait son cours d'une voix monotone, je regardai la dictée automatique de mon ordinateur portable prendre les notes que je n'écrivais pas. Les cours sur l'ancienne civilisation étaient d'un ennui mortel. À quoi cela nous servait de savoir comment vivait l'humanité plus de cent ans auparavant ? Ce n'était pas comme si le niveau des océans allait soudainement baisser et nous permettre de vivre de nouveau sur la terre ferme. Les fêtes d'anniversaires, Noël, la Saint-Valentin, les matchs de football ou je ne savais pas quoi encore, c'était du passé. Toutes ces informations n'allaient rien apporter à ma vie. Connaître le déroulement des guerres anciennes non plus. Ses pays n'existaient même plus pour la plupart et pour les autres, les trois quarts de leurs terres se trouvaient sous l'eau !
Il n'y avait plus eu un seul conflit armé depuis la création des Cités Flottantes. Il n'y en avait que dix à travers tout le globe. La dernière rencontre entre deux villes remontait à bien avant ma naissance.
Seuls les Vagabonds pouvaient poser des problèmes, mais ils n'étaient même pas en capacité de s'approcher d'une Cité. Il était rare que les pilotes prennent le risque de nous faire voyager sur les continents. Les Cités n'étaient pas prévues pour ça. Nous ne croisions cette classe sociale qu'à une seule occasion, tous les deux ans. Lors de la...
— Peut-être que Zenji pourra apporter la réponse à ma question ?
Les pensées perturbées par l'entente de mon prénom, je dévisageai la professeure. L'air ennuyé, je mâchai un chewing-gum imaginaire en penchant légèrement la tête sur le côté. Une question ? Je ne savais absolument pas de quoi elle me parlait. Je fixais rapidement le diaporama qu'elle nous présentait au tableau pour avoir une idée du sujet de cette leçon. Tout ce que je voyais, c'était un arbre vert en forme de cône, orné de bandes colorées et de boules. Je n'avais aucune idée de ce que cela voulait dire ou de ce que cela pouvait être.
— Je crains ne pas avoir entendu la question dont il est question, madame.
— Bien entendu, puisque tu n'as rien écouté de ce cours. Peut-être devrait-on t'obliger à prendre des notes manuscrites afin de raviver ta concentration ?
Lasse, je dévisageai l'enseignante. Ce n'était pas de cette manière que j'allais commencer à suivre ses leçons. Sa matière était mortellement ennuyeuse. Toutes les personnes qui avaient vécu cette époque étaient mortes. Perpétuer leur tradition ne servait à rien.
— Non merci. Mon ordinateur le fait bien mieux que moi.
J'aurais juste besoin d'effacer cette conversation de mon cours en rentrant chez moi à la fin de la journée.
— Vous ne voudriez quand même pas que j'ai de mauvaises notes ?
Si mon bulletin était mauvais, l'enseignante serait considérée comme tout aussi fautive que moi. C'était elle qui donnait les cours et donc de ce que nous apprenions. Je savais parfaitement que ce simple fait la dissuaderait de me rabaisser à l'écriture à la main. Elle n'en avait pourtant pas fini avec moi.
— Rappelle-moi pourquoi tu as la chance d'être une Privilégiée et non une Vagabonde.
Encore cette question. Je connaissais la chanson et je savais aussi pertinemment la réponse qu'attendait la professeure. Elle voulait que je parle de la condamnation de mes parents et de l'opportunité qui m'avait été faite lorsque l'on m'avait laissé vivre à la Cité. Néanmoins, comme à chaque fois que l'on me posait cette interrogation, je répondis à côté.
— Parce que lors de la montée des eaux, mes ancêtres ont payé une somme monstrueuse pour avoir le droit de vivre dans la Cité. Comme tout le monde ici.
Car les places dans la Cité étaient payantes lors de leur construction. Seuls les plus riches résidents de la terre avaient obtenu une place ici. Les milliardaires et les millionnaires étaient devenus des Privilégiés. Les plus aisés financièrement étaient devenus les riches de chez nous. Les autres vivaient au bord du mur d'enceinte et, malgré leur fortune, étaient considérés comme pauvres.
Les familles royales, les présidents et tout ce petit peuple hiérarchique étaient ceux qui avaient le plus mal subi le changement de monde. Pour la plupart, ils étaient maintenant des citoyens ordinaires, et non plus les dirigeants d'un pays.
Toutes les autres classes sociales vagabondaient sur le peu de continents qu'il restait partout à travers le monde.
L'argent était la seule denrée utile dans ce monde. Le reste, l'amour, l'amitié, le bonheur, n'était que secondaire. Et je ne m'encombrais pas de ce genre de conneries futiles. J'étais seule depuis dix ans désormais. Il n'y avait plus que mon compte en banque qui m'importait sur cette planète.
— Je suis presque certaine que la façon dont mes arrières-arrières-grands-parents ont acheté leurs places dans cette ville n'a rien à voir avec ce cours. Surtout que ma fortune est trois fois supérieure à la vôtre.
Un élan de gêne emplit la salle. Ma fortune. Pas celle de mes parents. La mienne. Financièrement parlant, je dominais tout le monde dans cette pièce. Les pupilles de la femme se posèrent une seconde sur le sol avant qu'elle ne reprenne son cours sans même me demander la réponse à sa première question.
— Bien. Je parlais donc de la fête de Noël, qui était célébrée auparavant et qui a aujourd'hui disparu. Quelqu'un sait-il pourquoi ?
Personne ne jugea nécessaire de prendre la parole.
— Car les sapins font partie des choses qui n'ont pas pu être plantées dans la Cité à cause de leur taille imposante.
Bien entendu. Un sapin de deux mètres était bien trop imposant sur la Cité, mais construire des bâtiments de cent mètres de haut, ce n'était pas dérangeant. Il y avait vraiment des jours où je me demandais comment fonctionnait le cerveau des constructeurs des Cités.
— Zenji Ashes est demandée au centre de réinsertion des enfants de condamnés. Immédiatement.
Le regard de l'intégralité de mes camarades se tourna vers moi et les murmures montèrent dans la salle de classe, bien que l'enseignante demandait le silence. Je ne portais aucune attention à toutes ses rumeurs qui naissaient autour de moi. Avec une lenteur calculée, je plaçai mes cahiers et ma trousse dans mon sac à dos, juste à côté de mon pistolet et d'une boîte de gomme à mâcher.
— Elle va avoir des problèmes, chuchotait l'une des filles. Ça va bientôt faire dix ans que ses parents ont été condamnés à mort. Il est temps pour elle de racheter l'honneur de sa famille.
— Tu parles, ricana une autre. Elle ne pourra jamais compenser leur erreur. Elle est finie. Ils vont la jeter par-dessus bord.
Je souris, ce qui n'était jamais bon signe. Les mains sur les anses de mon sac à dos, je me penchai vers la deuxième étudiante qui venait de parler. Son père travaillait au centre où je devais me rendre et était mon référent. C'était lui qui venait de me convoquer. Et elle faisait un peu trop la maligne à mon goût.
— Moi, au moins, je vois ton père une fois par semaine, comparé à toi. Qu'est-ce que ça fait de savoir que ton propre géniteur préfère passer son temps avec ses patients plutôt qu'avec toi ?
Elle me toisa si sévèrement que j'en ricanai.
— Zenji Ashes est demandée au centre de réinsertion des enfants de condamnés ! répéta la voix automatisée. Veuillez vous dépêcher.
Je sortis de la salle de classe sans ressentir la moindre angoisse à l'idée de ce rendez-vous de dernière minute qui n'annonçait sûrement rien de bon.
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