8 - Nael

Je grognai alors que l'eau coulait dans la salle de bain. J'avais si mal à la queue que me l'arracher maintenant me semblait être la meilleure idée du siècle.

Je me rembrunis, ramenant une jambe contre moi et appuyant ma nuque contre le matelas. On parlait de quel siècle au juste, hein ?

Ahmet m'avait beaucoup parlé, voyant sûrement qu'il y avait des points à éclaircir avant que je pète un plomb pour de bon. Mais avec le goût de cette louve dans la bouche, j'étais tout bonnement incapable de penser à quoi que ce soit.

Elle m'avait laissée la lécher et ça... putain ça avait été bon. Trop bon peut-être même. Son orgasme avait coulé dans ma bouche, me donnant furieusement envie de la posséder avec ma queue.

J'en avais envie.

J'en avais... besoin ?

Et merde.

Je n'allais pas tenir comme ça longtemps, même si je me sentais déjà mieux.

Parce qu'Ahmet m'avait mis une petite raclée ? Ou parce que j'avais failli tuer ce loup qui regardait trop ma louve ?

Peut-être un tout. Mais je pariais plus sur cette petite séance de caresses de petite chatte avide.

Mon sourire.

Son goût sur ma langue ; je voulais le garder. Elle m'avait fait bander quand cette autre idiote ne m'avait même pas semblée intéressante.

Ouais, une bite était dotée d'un cerveau propre. Ça ne faisait aucun doute même. Et ma queue était très, très dévouée à cette louve.

Dali.

Elle s'appelait Dali.

Je me léchai les lèvres.

« Tes couilles attendront ma main », ça voulait dire quoi ça ? J'allais devoir attendre combien de temps avec qu'elles n'explosent et que Dali veuille bien s'en occuper ?

Des heures ? Des jours ? Non ! Je ne tiendrais jamais des putains de jours avec les burnes remplies. Et pis quoi encore ?

Merde. Qu'est-ce qui m'empêchait d'aller voir ailleurs ? De trouver une louve ici ou ailleurs pour devenir mon vide couilles ? Absolument rien.

Son regard.

Ouais, bon.

Je tournai la tête au moment où elle revenait dans la pièce, une simple serviette sur elle.

— Tu comptes activer ta main sur mon manche quant au juste ? Grognai-je, bougon.

— Quand tu arrêteras d'être un connard qui se croie tout permis.

Hum.

Je me relevai alors qu'elle attrapait des fringues. Je clignai des yeux une fois. Puis deux.

— C'est... joli, dis-je en me redressant à l'aide de mes coudes.

Je n'arrivai pas à détourner le regard. Elle mettait rarement des vêtements aussi... féminin n'était pas le mot. Affriolant ? Ouais. Putain, c'était affriolant. Et sacrément bandant.

— Attends. Viens vers moi. Viens.

Je lui fis signe d'avancer et après m'avoir gratifié de son fameux regard de la mort qui tue, elle marcha jusqu'à moi.

Ma main glissa le long d'une de ses jambes. J'y frottai mon nez et sa main se retrouva dans mes cheveux.

— J'ai très, très envie de te baiser, Dali.

Son rire.

— Que de romantisme dans tes paroles, Main.

Je levai les yeux. J'avais une vue incroyable sur ses fesses. Qui étaient les miennes.

— Tournoies pour moi, mi dulce locura...

Elle secoua la tête, amusée. Et tournoya pour donner un mouvement à son vêtement. Je me laissai retomber sur le dos, observant le spectacle.

Délicieux...

— Naël ?

Je clignai des yeux, reprenant pieds dans la réalité après m'être perdu en chemin. Où ça ? Je l'ignorai totalement. Mais il y avait des images qui éclataient parfois dans ma tête.

Comme des... souvenirs épars. Est-ce que c'était possible ?

Est-ce que c'était seulement possible ?

Je levai les yeux vers Dali qui s'était avancée. Son bleu sur son arcade n'était pas beau.

Je l'avais frappée.

Et quand j'avais compris ce que j'avais fait... putain, quand j'avais compris... je m'étais senti l'espace d'un moment comme une grosse merde. Et j'avais cessé de lutter contre la prise d'Ahmet.

Un froid glacial s'était emparé de moi. Et la conscience aigüe que jamais, jamais je n'aurais dû faire ça. Et j'avais beau eu y réfléchir, j'avais eu besoin de la voir.

Et de la toucher. Si ça avait du sens ? Peut-être pour un fou. Et encore, je l'étais, mais je ne comprenais pas.

Mi dulce locura, murmurai-je, l'esprit bourdonnant.

La bouche de Dali s'ouvrit et ses lèvres tremblèrent.

— Que... qu'est-ce que tu as dit ?

Je me redressai, sautant sur mes pieds. Je n'en savais rien. Je m'en foutais, putain ! M'avançant vers la fenêtre alors que Dali m'appelait, je sautais pour retourner dehors. Passant une main dans mes cheveux, je tirai dessus.

Après ce qu'Ahmet m'avait dit, certaines choses auraient dû avoir du sens, non ? Même un tout petit peu. Mais il n'y avait rien. Absolument rien. Et c'était à n'y rien comprendre. J'avais beau retourner tout ça dans tous les sens, c'était impossible d'y mettre ne serait-ce qu'un semblant d'ordre.

Je m'éloignai de la Maison en petites foulées, m'enfonçant dans les bois environnants et suivant le même sentier que Dali quand elle était allée courir plus tôt.

Il faisait nuit noire, mais j'étais un loup, alors voir dans l'obscurité n'était pas un problème. Au contraire. C'était un jeu très facile pour nous.

Bientôt, je pris un rythme particulier. Un rythme qui me permettait de tenir des jours sans avoir besoin de m'arrêter.

Je ne faisais pas attention au décor autour de moi. Je fixai un point invisible, loin devant moi. Si loin que je n'étais pas sûr de l'atteindre. Je n'allais pas m'arrêter pour autant.

Joaquim était lié à une humaine du nom d'Ali. Elle faisait partie d'une brigade particulière qui s'occupait des affaires de surnaturels et plus particulièrement des lupins. Il était dans une meute loin d'ici et son Alpha était bien plus jeune que nous. Pietro Sanders. Ce dernier devait d'ailleurs venir dans les jours à venir. Joaquim avait eu bien des Alphas au cours des siècles.

Quatre pour être exact. Yago Ortega, suivie de sa sœur, Shana Ortega, Shay Collins et le dernier en date donc, Pietro. Ce dernier semblait être le bon. D'après Ahmet, Yahto lui-même était allé voir l'Alpha pour lui dire que Joaquim était bel et bien sa Main. Quelle merde. Se taper un louveteau, sérieusement ?

Zoran était lié à cette louve qui m'avait giflée et dont j'avais voulu lui rendre la monnaie de sa pièce. Némésis. Elle était la seconde du Gardien et elle avait donnée trois enfants à Zoran. Des enfants. Rien que ça.

Il était la Main de Jahyan Pearson. Ça c'était un prénom qui ne m'était pas étranger. Quelque chose dont je me souvenais. Némésis connaissait tous les Alphas des États-Unis, sans exception. Sacrée bout de louve pour une femme si petite et chétive.

Priam... Priam avait été mort aux yeux de ses frères pendant quelques siècles. Il était le fils d'Ahmet, - rien que ça, putain de merde ! - il était devenu Régent de la Maison où j'avais fracassé la Main de Noha Brock. Priam, Régent. Je savais pas s'il fallait que je rigole ou que je mette des mandales pour sortir de ce cauchemar bien trop réel.

Il était lié, bien-sûr. Sa compagne, Honor, était de notre génération et elle lui avait donnée deux filles. Ahmet grand-père, la blague, non ? Et lui, il était lié à Noha Brock, aînée d'Auxann qui était l'Alpha de Louisiane et... mon Alpha.

J'avais tout oublié. Absolument tout. Il ne subsistait rien de toutes les années passées dans ma meute. Pas même des fragments.

J'étais tombé, mon corps s'était brisé et lorsque je m'étais réveillé, j'avais tout oublié.

Des centaines et des centaines d'années parties en fumée. Génial, hein ?

Ce loup, mon Alpha ? J'avais regardé Ahmet, attendant la retombée de la blague. Mais elle n'était pas venue.

Auxann Brock était un des premiers Alphas, à l'image de nous, les Premières Mains. Un loup très puissant et depuis de nombreux siècles ; respecté. Son territoire était infranchissable d'après les dires d'Ahmet.

Pourquoi ? Parce que le système mis en place était infaillible. Et parce que j'avais toujours veillé au grain semblait-il. Moi ? Vraiment ?

J'avais écouté, mais comme si on me racontait l'histoire d'une autre personne. Pas la mienne. Comment aurait-elle pu être la mienne alors que je n'en avais aucun putain de souvenir ?

C'était bien beau de me dire tout ça, mais ça m'avançait à quoi de savoir des trucs pareils ? Pour moi, ça ne faisait qu'une centaine d'années que nous étions avec Ahmet. Plus de cent ans à me farcir Zoran et sa gueule. Bien suffisant.

Des Mains.

Des pères.

Des compagnons.

Des frères.

Ils n'étaient plus des Recrues. Nous n'en étions plus. Voilà pourquoi leur comportement avec Ahmet n'était plus le même, bien que dès qu'il l'ouvrit, ils se tendaient. Comme quoi, tout ne changeait pas vraiment.

Je finis par m'enfoncer dans les bois, quittant le sentier, préférant avoir un chemin naturel et chaotique. Mes pieds buttèrent de nombreuses fois dans des obstacles, mais à aucun moment je ne faiblis l'allure.

J'avais besoin de ça.

Besoin de bouger avant de tourner en rond. Même si ce n'était qu'en courant. J'irais baiser bien assez tôt.

Comment est-ce que j'avais trouvé mon Alpha ? Était-il venu à la Maison ?

« Sais-tu qui je suis ? »

Ça me poursuivait. De toute ma vie, je n'avais jamais rien éprouvé de semblable.

J'étais vide à l'intérieur. Ou peut-être pas autant que je voulais bien le penser. Je n'en savais plus rien.

À l'aube, mes muscles étaient chauds et prêts pour beaucoup plus.

Je me retrouvai aux abords d'une ville.

Il y avait une meute ici.

Des odeurs que je reconnaissais.

Yahto.

Bajram, son bâtard de fils.

Mayanka.

Satyaki ? Yiska ? Les créatures de Yahtoland en dehors de Yahtoland ? C'était plus grave qu'il n'y paraissait.

N'ayant aucune envie de me frotter au maitre des lieux, je rebroussai chemin, mais me rendis compte au bout de quelques secondes que je n'étais plus tout seul.

Vraiment ?

Trois hommes surgirent avant que j'ai eu le temps de quitter la ville. Des loups. De la meute du coin ? Non. Ahmet avait parlé de Shay Collins officiant dans cette ville. Ces loups avec lui ? Non.

— Un problème, messieurs ?

Ils avaient des flingues. J'en avais vu des semblables chez Dali.

Gros calibres. Gros dégâts.

Pour moi ? Oh, comme c'était gentil, ça !

— Tu fanfaronnes toujours autant, hein Cain.

Ils me connaissaient donc. Pas moi, mais vu la tronche des derniers jours, ça semblait aller de soi.

— Faut croire, dis-je, faisant rouler mes épaules.

L'environnement n'était pas le plus approprié pour dégager d'ici sans encombre. Ou sans laisser de traces. Ahmet n'allait pas être content, mais qu'importe. Je n'étais pas d'humeur à me faire casser les couilles par des puceaux.

— Écoutez les gars, soupirai-je. Je suis sûr que vous avez pas envie de crever aujourd'hui et j'ai pas envie de me tâcher. Alors soyez sympas et dégagez de là.

Ils ricanèrent. Les connards étaient des idiots dans ce siècle-ci ? Okay, ça ne changeait pas beaucoup de ce dont je me rappelais après tout.

Une petite remise à niveau pour moi. Enfin une parmi toutes les autres que j'avais eu depuis mon réveil.

— Comme si on avait peur de toi, Cain. La Main d'Auxann Brock ne tue personne.

— Vraiment ?

C'était à la fois une question pour eux et pour moi.

Je ne tuais personne ? Pourquoi ? Parce qu'Auxann, mon prétendu Alpha me l'avait interdit ? Mais comment est-ce que je Chassais dans des conditions pareilles ?

Voilà, j'étais de mauvaise humeur.

Bordel. Tant pis pour les bonnes résolutions.

— Faut croire que ça a changé.

Mon corps bougea et les coups de feu retentirent.

Un peu d'adrénaline dans le sang. Presque aussi bon qu'une putain de partie de jambes en l'air.

* * *

J'arrivai à la Maison dans la matinée. Je semblais connaître le chemin par cœur sans même avoir besoin d'y réfléchir ou de suivre la trace olfactive d'Ahmet. Quand j'arrivais, les Recrues étaient occupées à finir de monter la grange, mais ça ne semblait pas gagner. Les quelques Surveillants étaient certes là, mais les jeunes semblaient se démerder. Je repris forme humaine et grognai alors qu'une balle s'était logée dans mon épaule. J'enfonçai mes doigts dans la plaie et retirai la blague que je balançai par terre avant de marcher vers la grange. Les jeunes me regardèrent, certains s'arrêtant dans ce qu'ils faisaient.

Il y avait de la curiosité dans leurs yeux. Un peu de peur aussi.

Et autre chose sur lequel j'aurais eu du mal à mettre un mot.

— Vous comptez vous la prendre sur un coin de la gueule à la première tempête ? Grommelai-je.

La seule fille du groupe jeta un coup d'œil à un de ses frères.

Freya et Regan, c'était ça, non ? Je n'étais plus sûr. Je crois que j'avais entendu ça.

Ils ne voyaient pas à quel point leur truc ne tiendrait jamais ? Ils étaient aveugles, ou bien ?

— Toi, va me chercher un short, dis-je à Regan. Toi, donne-moi ça.

J'attrapai le marteau dans la main de Freya et envoyai voir ailleurs une des Recrues sur l'échelle. Je grimpai et me retrouvai sur une des poutres. Elle bougeait. Putain, mais ces gosses savaient rien faire de leurs deux mains ? Sérieusement.

Regan revint avec un short qu'il me balança alors que j'avisai Dali, Ahmet et les deux débiles un peu plus loin. Zoran n'avait pas décoléré depuis que j'avais sûrement faillis arracher la tête de sa compagne. Ma foi, ça lui ferait un peu les pieds. Et au moins, il n'était pas sur mon dos. Par contre je n'avais pas revu ladite demoiselle depuis. Elle n'avait sûrement aucune envie de m'approcher de nouveau. Tant mieux.

J'enfilai le vêtement.

— Ton nom ? Demandai-je à un des gosses.

— Alexei, répondit-il, bombant légèrement le torse.

Mon sourire.

— Grimpe-là avec moi.

Il le fit et se retrouva sur la poutre en face de moi.

Nous avions battis notre propre Maison plus jeune avec Priam, Joa, Zozo, Neal et Bjorn. Oh les trois premières fois rien n'avait tenu et on en avait passé des hivers le cul complètement congelé. Alors on était devenu bon après. Ahmet ne nous avait jamais appris ça. On l'avait maîtrisé à la sueur de notre front. Et c'était le genre de truc gratifiant, y avait pas à dire.

Les heures qui suivirent, je les passai à donner des ordres et à consolider ce qu'ils avaient fait.

Alors qu'une bonne odeur de bouffe me parvenait, le moteur d'une voiture aussi. Une ou plusieurs, en fait.

Je sautai à bas de notre œuvre et lorsque Haydar et Alexei se laissèrent tomber à leur tour, je passai un bras autour de leurs épaules avant de frotter énergiquement mes poings sur le sommet de leurs crânes.

— Allez dégagez de là, les mioches.

Je ne m'arrêtai pas sur le fait qu'ils m'écoutèrent sans rien demander.

Un homme, Jasper qu'il s'appelait, s'avança et me tendit une bouteille d'eau. Ahmet avait dit qu'il était le Second d'Auxann. Donc techniquement, il avait été le mien aussi, c'est ça ?

— Tu n'as pas perdu la main, dit-il, un peu tendu.

Je lui jetai un coup d'œil. C'était moi qui lui faisais cet effet ? L'Alpha n'était pas loin, nous observant. Il semblait épuiser. Mal en point presque.

Pendant plusieurs secondes, j'eu du mal à détourner le regard.

— Tu saignes, dit Jasper.

— Une broutille, répliquai-je.

Et pour cause, j'avais déjà cicatrisé. Ce n'était que du sang séché.

— Naël, tu...

Mais trois voitures débarquèrent.

Yahto était dans l'une d'elle. Et merde. Ahmet débarqua avec Dali alors que plusieurs loups sortaient des voitures.

Yahto était là, sans son fidèle Ekaraj. Ho ho, il y avait du gaz dans l'air ?

— Lui, c'est le Gardien, dit Jasper à côté de moi en me désignant un petit jeunot. Je fronçai du nez.

— Là, c'est Shay Collins et son Lieutenant, Locklann Campbell. Et à côté, Pietro Sanders et Nilo, le petit dernier d'Auxann.

Je fronçai les sourcils en regardant le jeune loup.

— J'en ai marre des filles, Naël. Il n'y a que ça a la maison, dit l'enfant avec une moue boudeuse.

J'éclatai de rire et me tapotai le menton, comme en pleine réflexion.

— On pourrait rendre tout ça un peu plus intéressant si tu veux, dis-je avec un haussement d'épaules.

Tout de suite, toute son attention. Il redressa le haut de son corps et me regarda avec de grands yeux :

— Comment ?

Avant d'avoir pu ouvrir la bouche, je reçu une tape sur le sommet du crâne.

— Ne corromps pas mon fils avec tes bêtises, Main.

Mon immense sourire :

— Comme tu voudras, nini.

— Et Jahyan Pearson et son Lieutenant.

Je déglutis, sachant les images. Et cette jolie femme que j'avais vue. Nini ? Comme dans... bon sang, c'était là. Dans un coin de ma tête. Ouais.

Yuni. Yuni Brock.

Le petit Nilo me fit un signe de la main avant un grand sourire. Auquel je ne répondis absolument pas. La plupart des regards convergèrent vers moi.

— Patron.

Zoran salua son Alpha qui lui marmonna quelque chose.

Némésis fit son apparition et je la suivi des yeux un instant. Avant de croiser le regard de Zoran. Joaquim salut son Alpha aussi et Ahmet claqua des doigts, me faisant signe d'avancer. Je m'arrêtai non loin d'Auxann, plus ou moins dans mon champ périphérique.

J'étais tendu. Pas très à l'aise.

Sûrement trop de monde.

Il y eut les salutations de base et Yahto s'approcha.

— Naël, petit Naël. Alors comme ça tu as perdu la mémoire ?

Son sourire. Il m'avait toujours énervé avec ses airs. Je jetai un coup d'œil à Ahmet. Moi, s'il me donnait l'ordre de mordre, je n'y verrais aucun inconvénient.

Je ne répondis pas. Il n'était pas mon Régent. Alors il pouvait toujours aller se faire foutre.

Le Gardien soupira et regarda Ahmet, Dali et Auxann :

— On a un problème, dit-il sans préambules.

J'étais sûr que ça avait un rapport avec les trois types de ce matin, mais après tout, j'avais pas la science infuse, hein...

Il y avait trop de mouvements. Ledit Shay s'avança pour poser sa main sur l'épaule d'Auxann en un geste qui se voulait réconfortant.

L'animal en moi se dressa et l'espace d'une seconde, je perdis ma position. Je crispai la mâchoire.

— Trois corps ont été trouvés plus tôt sur le territoire de Shay.

Oups. Ahmet me fusilla des yeux. Et les ondes qui se dégageaient de Dali étaient similaires à celles de mon Régent.

Et re oups.

Auxann soupira et ses épaules s'affaissèrent d'un coup d'un seul.

Je serrai les poings.

— Naël ? Demanda Ahmet.

— Mes loups l'ont senti entré sur le territoire et comme ils le connaissent tous, ils n'ont rien fait, répondit Shay à ma place. Quand il est reparti, il y avait trois cadavres.

Je répondais à la provocation. C'était plus fort que moi.

— C'est la septième victime, souffla le Gardien. La septième depuis qu'il a quitté la Louisiane après son réveil.

J'avais déjà tué autant de personnes ? Pas mal. Mais pour autant, je n'en éprouvai aucune satisfaction.

Et ça, c'était craignos. Merde.

— On puni les Mains qui tuent en dehors de leur Chasse, Ahmet, dit Yahto. Tu es le Premier Régent, tu le sais mieux que quiconque.

— Personne ne touchera ma Main, grogna Auxann, d'une voix où perçait la bête en lui.

— L'est-il vraiment encore ?

L'attention de Yahto sur Auxann.

La pulsation sourde et violente de mon cœur.

Danger.

Mes os me faisaient mal.

Si Yahto faisait un pas de plus... quoi ? Qu'est-ce que je ferais ?

— Attention à toi, Yahto. L'instinct d'une Main ne meurt jamais, souffla Ahmet qui n'avait cessé de me regarder.

— Il a tué sans aucun ordre. Que dis-tu de cela, Alpha ?

— Je ne suis pas d'humeur, Yahto. Je suis l'Alpha, il est mon loup. Et je refuse qu'il soit puni.

— Tu es ma Main. Tu es mon frère, mon fils, mon camarade, mon ami. Une moitié de mon âme. Et rien, pas même ce que tu es profondément, ne me fera jamais changer d'avis.

— Même si je tue des gens ? Même si j'éventre des enfants et que je mange leurs cadavres ? Répliquai-je.

Auxann secoua la tête.

— Tu ne feras rien de tout ça, Naël, dit-il, trop sûr de lui, trop... calme.

— Ah non ? Et pourquoi ça ?

Cette confiance était idiote. Ne le voyait-il pas ?

Auxann me regarda et son sourire se fit tendre.

— Parce que tu veux que je sois fier de toi. Tu veux me prouver que je peux compter sur toi. Je me trompe ?

Foutu Alpha.

— J'ai tué des gens, dis-je.

Auxann tourna son visage vers moi. Avait-il mal quelque part ?

L'instinct d'une Main ne meurt jamais ? Que voulait dire Ahmet par là ?

Ma tête bourdonnait. Est-ce que je vibrais là, au juste ?

Je penchai légèrement la tête :

— Et je n'aurais aucun mal à recommencer.

J'avais reçu un mauvais coup ? Je senti quelque chose couler et essuyai mon nez ; je saignai. Auxann se tourna entièrement vers moi.

— Quand tu reprendras tes esprits, tu paniqueras pour tout ça, Naël. Tu n'es pas parfait, mais tu n'as jamais tué sans raison. Bien avant que tu me trouves, c'était la même chose. Je sais qui tu es et ça me suffit pour te pardonner.

Avant que... je ne le trouve ? Comment ça ?

Me pardonner ?

— Quel genre d'Alpha es-tu ? Grognai-je.

— Le tiens.

— On a tous besoin de quelque chose. Un Alpha a besoin de loups, il a besoin de loyauté. Une Main a besoin de contrôle, de tuer. Alors dis-moi, Auxann Brock, de quoi as-tu besoin ?

Il m'observait avec beaucoup d'intérêt alors qu'à côté de lui, Jasper ne cachait pas son amusement.

Il était en train de se demander si une Main pouvait choisir son Alpha, si ce n'était pas censé être l'inverse.

Il semblait perdu, perplexe. Il comprenait que je savais. Que je savais qu'il avait besoin de moi.

Tout comme j'avais besoin de lui.

Un mouvement. Yahto.

Putain d'enfoiré.

Mon corps bougea de lui-même. Je laissai mon loup prendre la suite. Il se positionna devant Auxann et agrippa le tournevis qu'il avait récupéré au sol dans son mouvement.

— Je vais te punir moi-même, Main, dit Yahto. Que tu te souviennes au moins de la puissance de mes coups.

Comme si j'avais oublié. Lorsque deux ombres se placèrent à mes côtés, ma main se mit à trembler.

— Il protège son Alpha, Yahto, lâcha Zoran. Depuis quand est-ce condamnable ?

— S'il est puni pour ça, nous le seront avec lui, ajouta Joaquim.

« Ils sont mes frères. Ils ont chacun un pan de mon âme. Ils sont ce que je suis ».

Mon crâne vibrait, vibrait, vibrait ! Et mes oreilles...

Je lâchai le tournevis et agrippai mes cheveux, à bout de souffle soudain.

— Naël ?

— Cul poilu ?

— Naël ?

Des voix.

Trop de voix. Putain, j'étais en train de perdre pieds là. Je le sentais jusque dans mes os.

— Il a besoin de contrôle, cracha Yahto.

— Il n'a pas besoin de toi, rétorqua Auxann, mauvais.

— Il a besoin de son Alpha. De ses souvenirs.

Je relevai la tête au moment où Dali s'arrêtait juste devant moi, tournant ostensiblement le dos à Yahto. Comme si elle n'en avait rien à foutre.

J'aurais eu son cran dans d'autres circonstances, mais là, c'était trop me demander. Je me demandais même comment j'arrivais à tenir sur mes jambes.

Sa main chassa la mienne et elle agrippa une touffe, rapprochant son visage du mien :

— Respire, Cain, cracha-t-elle. Et reprends-toi avant que je te botte le cul moi-même !

Je la regardai dans les yeux. En même temps, je ne voyais que ça. Comment faire autrement ?

— Et si j'ai envie que tu me fasses mordre la poussière ? Grognai-je au bout d'un moment.

— Tu n'en as aucune envie, crois-moi, mon mignon.

Mon sourire pervers et mauvais. Je lui donnai un coup de langue sur les lèvres et elle me fusilla du regard :

— J'ai très envie de me rouler au sol avec toi, Dalili.

Sa surprise. Légère. Fugace. Qui disparue très vite.

Putain, qu'est-ce que j'avais envie de sentir son sexe se contracter autour du mien. Une idée fixe.

— C'est toi qui auras mal, pas moi, dit-il en se reculant, mais mes mains sur ses hanches la retinrent au plus près.

— Oups, dis-je. Toucher sans permission.

Je sentais sa chaleur et ça me faisait du bien.

Trop de bien.

Je percevais le rythme saccadé de son cœur. Un boom-boom qu'il me semblait alors connaître par cœur.

Était-ce le cas ?

Mon souffle était bloqué dans ma gorge. Mon cœur avait même cessé de battre, j'en étais sûr. Si je restais ici, j'allais faire mal.

À elle, à n'importe qui. Il fallait que je bouge. Que je...

Je la relâchai et me dirigeai vers la maison sans même écouter les appels ou le reste. Quelque chose en moi me poussai à partir de là avant de... avant de faire quelque chose que je ne... voulais pas ?

Je ne savais pas. Est-ce que c'était le cas ?

La compagne de Zoran. Qui me fixait, sans peur. Sans rien. Je m'arrêtai en face d'elle. Mon torse se soulevait vite. Trop vite.

Son regard dans le mien.

Le mien dans le sien.

« Tu es une Main bien étrange, Naël Cain, rit-elle en me rendant mon étreinte.

— Et tu es une louve de mon cœur, Némésis Swanson ».

Elle sourit, simplement. Avec une douceur et une tendresse que je n'étais pas sûr d'avoir déjà vu. Comme si elle acceptait des excuses que je n'avais même pas prononcées. Le cas ?

Je grimpai les marches et me retrouvai à l'intérieur. Les Recrues étaient là, avec Aymar. Je grimpai les marches et me retrouvai dans la chambre.

J'étais comme un animal en cage. Je ne savais pas quoi faire. J'étais paumé. Putain, tué ou lécher une chatte ne me rendait pas mon esprit, alors j'étais censé faire quoi ?!

La porte derrière moi.

Dali.

Je me tournai vers elle.

Et parce que je pétais un câble, je parlais sans même y réfléchir.

— J'ai voulu baiser avec une femme ; j'en avais besoin. C'était ça ou tuer encore. Mais... je n'ai rien éprouvé alors qu'elle se frottait à moi. Tu veux que je te dise ? J'ai été incapable de bander. Mais toi... putain toi, quand tu me touches ou quand je suis dans la même pièce que toi, c'est limite si je pourrais pas éjaculer comme ça, sans rien. J'ai vu cette image en bas. Je... nous ai vus. T'es qui ?

Elle me fixait.

Je voyais son corps. Ce corps que j'avais envie de recouvrir du mien. De posséder.

Est-ce que la question était importante ? Est-ce que ça m'importait de le savoir ?

— Je pourrais te baiser jusqu'à en crever, soufflai-je.

C'était la seule certitude que j'avais en cet instant. La seule chose dont j'étais vraiment sûr.

La seule chose qui me semblait m'appartenir. Ce n'était pas des choses qu'Ahmet m'avait dit. Ce n'était pas des souvenirs dont je n'avais aucune trace. C'était là.

La réalité.

— Si tu ne me laisses pas te toucher, louve, je vais en crever.

Parce que c'était en train de me rendre complètement fou.

Elle était quelqu'un pour moi.

Qui ou quoi, je m'en foutais.

Je ne mentais pas.

C'était une idée fixe.

Dont je n'arrivais pas à me détacher.

Qui était là, dans un coin de ma tête et qui ressemblait au tic-tac d'une quelconque bombe sur le point d'exploser. Qu'est-ce que j'étais censé faire ?

Qu'est-ce que j'étais censé faire, bon sang ?

— Laisse-moi te toucher, Dali, soufflai-je, me sentant faible, à nu.

Je crois que de toute ma misérable vie, jamais je n'avais ressenti ça.

Mes paroles résonnèrent.

Et elle lâcha sa bombe.

— Je suis enceinte.

Je la regardai.

— Et tu es le père de cette vie qui grandit dans mon ventre, espèce de connard. Quelle idée de perdre la mémoire maintenant. À quoi est-ce que tu pensais en faisant le con au bord de cette falaise ?!

Elle hurla sur la fin.

Enceinte.

Elle était... enceinte. De... moi ? Moi ?

« Je veux un bébé, Dali ! Potelé, mignon, un bébé ! Un mini toi et moi. Aller quoi ! Zoran en a eu lui et Priam aussi. Je veux un bébé ! »

Un bébé.

J'éclatai de rire, m'en faisant mal aux côtes. Je ne pouvais plus m'arrêter. Les larmes coulèrent. Oh, putain.

Là, j'avais merdé.

— Tu as oublié, souffla Dali. Tu as oublié.

Vraiment ?

Je reculai et me heurtai au lit. Voilà où j'en étais.

— Tu vas paniquer, là, lâcha-t-elle.

Bordel de merde, bien-sûr que j'allais paniquer ! Mais qu'est-ce que je pouvais bien faire contre ça ? Je me dirigeai vers la fenêtre.

— Naël ! Arrête de te barrer ! Arrête de tuer des gens ! Ce n'est pas toi, ça !

Je la regardai. Vide.

Elle inspira.

— Dyklan Saddler, Nana Deakin, Mackenzie Malone, Kamran Kumar, Kéan Cain, les enfants Brock, les enfants de la meute d'Auxann, les enfants de cette Maison, Kahyna, Aiken et Younes Swanson. Assia et Romy Chahid. Souviens-toi, putain ! Tu as élevés et sauvés des enfants. Tu as aimés et tu es allés jusqu'à te mettre en danger pour certains d'entre eux ! C'est ce que tu es ! Tu m'entends ? Tu es un petit merdeux avec un humour de merde, un putain de gamin en manque d'amour ; ça c'est toi.

Elle respirait à peine. Hurlant.

— Tu es la Main d'un des plus grands Alphas de ce pays. Tu es une Main qui est crainte et respectée. Tu as été l'élève du Premier Régent et tu ne jures que par tes frères. Tu t'es jeté corps et âme lorsque Némésis s'est fait enlever, tout ça pour Zoran, pour lui ramener sa compagne. Quand Dyklan est parti sur le territoire de Darell, tu t'es battu presque à mort avec Bjorn, tout ça pour l'offrir sur un plateau à une louve qui avait besoin de vengeance. Tu n'as pas Chassé pendant des siècles parce que ton Alpha avait besoin de toi à ses côtés. Tu as été là lorsque Joaquim faisait de la merde ; à chaque fois. Tu n'as pas failli une seule fois.

Je ne respirai plus.

J'écoutai. C'était violent et brutal. C'était qui j'étais, n'est-ce pas ?

— Tu es une figure paternelle pour toutes les Recrues de cette foutue Maison. Tu es un model et la pire connerie qui pouvait leur arriver. Et je sais que si un seul d'entre eux avait besoin de toi, tu n'y réfléchirais même pas.

— Tu as élevé et éduqué les loups de demain. Tu es une blague sur pattes doublé d'un fieffé casse couilles, mais tout le monde sait qui tu es. Et si je suis ici aujourd'hui, c'est grâce à toi.

Ses yeux brillaient.

De sa louve, de ses émotions.

— Cet endroit, ce que je suis aujourd'hui, tout ça, c'est toi qui me l'a offert. Alors tu n'as pas le droit de juste tout oublier. Tu entends ?

Je me détournai d'elle. Enjambai la fenêtre et sautai en bas. Zoran et Joaquim étaient là, comme s'ils m'attendaient.

Je les regardai. Où j'irais, ils iraient.

— Viens avec nous, Naël, dit Joaquim.

Nous quittâmes le territoire du Texas le jour même pour nous enfoncer profondément dans l'Utah. Là où ils m'amenèrent tous les deux, il n'y avait aucune ville, aucun village.

Il n'y avait qu'une végétation dense et variée. De celle que j'avais toujours connue. J'avais l'impression de rentrer à la Maison. D'en prendre le chemin en tout cas.

Priam nous rejoignit sur la route. Ombre parmi les arbres. Je courrai sans réfléchir, mon loup ayant pris le dessus. Pendant des jours, nous fonçâmes droit devant, nous arrêtant à la faveur de la nuit.

Je savais où nous allions.

Au fond de moi, je le savais. Tout m'était familier, sans l'être vraiment. Mais je savais.

Cleya était morte là-bas. Premier Changement, brutal et violent. Je l'avais déchiqueté. Nos crocs ne faisant aucune différence entre elle ou n'importe quoi d'autre.

Nous finîmes par nous arrêter et j'eu conscience que plus rien n'était comme il aurait dû être, preuve que bien des siècles étaient passés, n'attendant pas mes souvenirs. Me laissant à l'amende.

C'était un champ et je pouvais distinguer de grandes pierres. Presque des stèles, dressées là. Il y avait des hurlements dans ma tête.

Des cris d'horreur et de douleur. J'avançai de quelques pas, me souvenant très bien de ce lieu où j'avais grandi.

Et où il ne restait plus rien.

Des vestiges.

Et une colère brute en moi.

De la haine.

Les souvenirs se mêlant à la réalité.

Des gens qui couraient. Qui hurlaient. Et des loups qui déchiquetaient.

La bête de Zoran. La bête de Joaquim.

Et moi. Qui m'avançait vers un homme près à tuer un enfant. Qui me rappelait moi.

Kéan. Kéan Cain. Mon dernier petit-frère.

— Il ne deviendra pas le même monstre que toi, fils. Je le tuerai avant. Jamais, jamais il ne sera comme toi.

Je le regardai. L'enfant ne pleurait pas. Il me regardait, surpris, choqué. Attentif.

— J'ai juré à mon Alpha d'être une bonne Main. J'ai toujours Protégé, Enduré et Tué. J'ai promis de ne pas tuer. Un serment. Une promesse.

À Auxann. Mais il comprendrait. Comme il l'avait toujours fait lorsqu'il le fallait.

— Mais ce qui se passera ici ne sera jamais connu. De personne. Cette terre t'as vu naître, père. Et elle te verra mourir.

Du mouvement de l'autre-côté d'où nous nous tenions. Un loup. Puis un homme. Qui n'était pas vraiment mon portrait craché, mais qui me ressemblait.

Kéan.

Et je compris. Qui j'étais maintenant, ce n'était pas moi. Voilà ce qui clochait depuis le début, n'est-ce pas ?

C'était moi. Qui j'étais.

J'étais le Naël d'avant.

J'avais oublié.

Ce qui importait. Ce qui comptait. Qui j'étais.

— Il faut que je me souvienne, chuchotai-je. 

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