10 - Nael
Le point de non-retour.
L'instant T.
Appelez ça comme vous voulez. C'était ce moment où le monde aurait pu cesser de tourner. Où tout aurait pu se figer et donner l'impression que le temps lui-même avait décidé de tout envoyer chier.
C'était cette seconde précise, où votre respiration se coupait, n'étant même plus un simple filet d'air.
Un battement de cœur.
Un bruit sourd dans ma poitrine. Comme le son d'un millier de tambours se répercutant ici et là. Il n'y avait plus que ça dans mes oreilles.
Ça me rappelait des guerres. Des corps partout, des expressions figées. Dans un coin de ma tête. Des images qui revenaient, se heurtant les unes les autres. Se confondant tant est si bien qu'il m'était impossible de toutes les associer, de savoir ce qui était vrai, ce qui ne l'était pas.
Mon poing heurta la gueule du monstre. Ce n'était pas vraiment un loup. Il n'était pas comme nous. Il n'était pas comme Ahmet, Priam, Joaquim, Zoran ou tous les autres.
C'était un animal sauvage et brutal.
Qui était venu réclamer du sang.
Qui était venu réclamer un prix.
Là. Dans ma tête.
Des images. Les mêmes monstres. Joaquim. Son rire. Moi. Blaguant. Quand cela était-il arrivé ?
Un cri.
Un battement de cœur loupé.
Le souffle coupé.
Les hurlements lâchés.
Il y avait du sang.
Il y avait des cris.
La réalité ou ce qu'il y avait dans mon esprit ?
Mes oreilles sifflaient.
— Tu ne devrais pas être aussi content, bougonna Joaquim.
— Pourquoi ? Parce que je suis meilleur que toi ? Que veux-tu, je suis né comme ça. Parfait est mon deuxième prénom.
Nos rires.
— Attention !
Zoran me poussa et je faillis m'étaler la gueule par terre. Putain d'enfoiré ! Il agrippa la gueule du loup et avec un hurlement, l'arracha littéralement. Je me redressai et sentis un souffle dans mon dos.
J'avais vu des choses immondes dans ma vie, mais ça...
La Maison n'était pas loin et des loups l'entouraient. Il y avait du monde à l'intérieur. Les Recrues. Pour autant, les créatures ne semblaient avoir aucune envie d'en approcher. Pourquoi ?
Un hurlement.
Sorti des entrailles même de la terre.
L'instant T.
Souffle bloqué.
Corps figé.
— NAËL !
Ça se répercuta en moi.
Ça résonna et vibra. Prenant de l'ampleur. Ça parcouru mes veines et mes os. Ça fit se dresser les poils de mes bras et ça fit remonter quelque chose.
Un sentiment.
La peur.
L'obscurité. Les ténèbres les plus opaques de toute ma vie.
Elle me caressait. Elle cherchait à me prendre en son sein, mais je ne voulais pas. Mes mains agrippèrent la terre. J'essayai de me hisser le plus haut possible, mais j'étais incapable de sortir seul du Trou.
J'étais trempé.
Je ne voulais pas rester ici.
Je ne...
Ma bouche s'ouvrit. Mes lèvres tremblèrent.
Je hurlai. Je hurlai si fort que cela brûla ma gorge.
Non, non, non, non. Pas ici. Pas tout seul. Pas... tout... seul...
Mon cœur battait sourdement dans ma poitrine, me rappelant qui j'étais. Me rappelant que j'étais en vie.
Mon bras était chaud, recouvert de sang.
Ma poitrine se soulevait au rythme saccadé de ma respiration.
J'étais en transe.
J'étais extatique.
— Ne me refais plus jamais une peur pareille, tu entends ? Lorsque tu prends une décision, Naël Cain, quelle qu'elle soit, tu entraînes toute la meute avec toi.
Il était pâle, presque malade. Il avait eu peur. Bien-sûr qu'il avait eu peur. Pour Dyklan, pour Damian. Pour tous les autres. Pour moi.
— Je ne comptais pas mourir, dis-je.
Il me regarda. Me cloua à ma place.
— Tu comptais faire ce qui devait être fait.
Oui.
Si j'avais eu peur ? L'espace de quelques secondes, j'avais été terrifié. Que Kéan meurt par ma faute. Que moi-même je sombre, emportant une partie du cœur de mon Alpha...
Zoran se tourna vers, les yeux légèrement écarquillés. Il avait du sang sur lui. Beaucoup de sang. Des loups de la Maison étaient au sol. Je ne voyais pas Ahmet, mais il était là.
Les lèvres de Zoran bougèrent et un nom résonna.
Dali.
Pulsation dans ma poitrine.
Pulsation dans ma tête.
Je frappai, cherchant à la voir. Cherchant à la trouver. Elle n'était pas loin. Elle n'était pas...
— NAËL !
Putain, ouais ! J'avais entendu.
Je me frayai un passage, frappant ce qui passait sous mes mains.
Des bruits.
Des halètements.
Une pression douloureuse au niveau de mon cœur. Qu'est-ce que c'était ?
— Ah... ah... ah...
— DÉGAGEZ !
Mon hurlement. Ma colère et ma puissance. C'était étouffant. Ce n'était pas galvaniseur ni même bon.
Le tiraillement. L'impression que quelque chose n'allait pas. Que quelque chose...
Dali était à quatre pattes. Son corps oscillait entre la maîtrise et le Changement. Je fronçai les sourcils.
Enceinte. Elle était enceinte. Elle ne pouvait pas devenir louve. Cela tuerait le bébé.
Cela tuerait mon...
— Qu'est-ce que tu voudrais t'emmerder d'un mioche ? Tu es dans une meute, Main d'un Alpha puissant et je suis Régente. Tu voudrais qu'on en fasse quoi ?
Elle me fusillait littéralement des yeux. Je sautillai d'un pied à l'autre. Comment lui expliquer sans passer pour un débile profond ? Plus que d''ordinaire, s'entends. J'étais pas stupide, non plus.
— C'est débile comme idée. Tu entends ? Hors de question d'avoir un truc dans le bide, surtout si c'est pour qu'il finisse comme nous. Voilà l'héritage de merde ! Un père débile et une mère complètement barrée. Va en enfer !
Elle voulut dégager de là, mais mes doigts s'enroulant autour de son poignet la figèrent. Elle respirait vite et fort.
— Écoute-moi, soufflai-je.
Je me collai à son dos.
Et mes paroles furent murmurées. Pour qu'elle seule les entende. Pour qu'elle seule sache. Et comprenne.
— Il ne faut pas qu'elle change ! Il ne faut pas qu'elle...
Le sang. À elle. Son odeur.
Qui me collait à la peau soudain. Qui s'insinuait sous ma peau.
Puissant. Une douce musique.
Des yeux se levèrent vers moi.
— Naël... il faut... elle va... Naël...
— Tu m'attendras ? demanda-t-elle.
— Oui, alors n'oublie pas, soufflai-je.
— Je n'oublierai pas, acquiesça-t-elle en glissant ses bras dans ma nuque.
N'oublie pas. N'oublie pas. N'oublie pas. N'oublie pas. N'oublie pas. N'oublie pas.
— Dégage, grognai-je.
Je tombai à côté de Dali. Pendant un instant, j'hésitai à la toucher. Et puis mon loup grimpa et pris la décision à ma place.
Sa puissance dégoulina de notre corps et enveloppa celui de Dali. Je ne m'occupai plus de ce qui se passait autour de nous. N'en avais absolument rien à foutre.
N'oublie pas.
Là. Une idée fixe.
Une pensée qui n'était pas la mienne. Ou peut-être que si. À ce stade je ne savais plus. Ma main dans ses cheveux.
Elle saignait beaucoup. Elle était en mauvais état.
— Tu t'es bien battue, femelle, gronda la bête en moi.
Je ne le bridai pas. À quoi bon ? Il semblait savoir pour deux. Il semblait savoir ce qu'il fallait faire.
Elle haletait, une main sur son ventre.
Un écho en moi.
Ma main sur la sienne.
Une présence.
Un être.
Un morceau de...
Mon loup la força à relever le menton et à plonger son regard dans le nôtre.
Un puit sans fond.
Une âme dans le creux de ce regard. Un pan de la... mienne ?
— Contient ta louve.
Elle secoua la tête. Cracha du sang.
— P... pourquoi ? Tu... n'es... plus toi. Alors... je... je n'en veux pas.
Elle n'en voulait pas ? Parlait-elle du fœtus ?
— Tu n'es... plus... toi.
N'oublie pas.
Tout se figea.
Le monde autour de moi changea.
J'étais devant un miroir. Qui me renvoyait mon exact reflet. J'étais lui et il était moi.
Je levai une main. Effleurai la surface du bout des doigts... et tout vola en éclats. Je me senti tomber. Rien à quoi me raccrocher.
Je me laissai aller.
Je me laisser chuter.
Et cela me revint.
La chasse. Joaquim. Le ravin.
Alpha.
Le dernier mot prononcé.
Le dernier sursaut de conscience.
Avant que tout ne sombre dans une obscurité palpable et effrayante.
Mon corps brisé.
L'oubli.
NAËL !
Un trait de lumière.
Des millions de souvenirs.
Une vie entière. Des décennies. Des siècles.
Zoran. Joaquim. Priam.
Ahmet. Isis.
Auxann. Jasper. La meute.
Yahto.
Dali.
Dali.
Un lien.
Là. Vibrant et chaud.
— Tu n'es plus toi. Tu as oublié. Tu m'as... oubliée. Tu m'as laissée.
Sa voix. Son souffle. Sa douleur. Sa présence.
Non.
Je n'avais pas oublié. Tout était là, depuis le début.
Tout, absolument tout. Mis en suspens. Laissé dans un coin.
Non. C'était faux. Tout était là. Tout... absolument tout.
Dali.
— Je suis désolé.
Il n'y avait plus un bruit autour de nous. Je tenais son corps entre mes bras. Je la berçai contre moi. Notre lien soignait ses blessures. Notre lien avait repoussé sa louve et protégé le bébé.
Son corps contre le mien était chaud.
Sa présence, apaisante.
Je me penchai sur son visage marqué.
— Je suis désolé.
Quelque chose d'humide sur ma joue. Glissant sur sa tempe.
Elle ne se réveillerait pas maintenant.
Une main sur mon épaule. Une pression.
Ouais. J'étais là.
De retour.
* * *
La porte claqua doucement derrière-moi. Il y avait une légère odeur de brûlé qui imprégnait l'air tout entier. Ce n'était pas désagréable ni même dérangeant.
Avant que la moustiquaire n'ait eu le temps d'aller claquer contre le battant, des voix résonnèrent et je relevai la tête pour voir Némésis courir vers moi, le visage inondé de larmes. Malik et Zoran étaient là, en retrait. Zoran secoua la tête avec un soupir et je réceptionnai sans mal Isis. Elle crocheta ses bras autour de mon cou et y enfouit son visage. Ses larmes coulèrent sur ma peau et un drôle de sentiment étreignit mon cœur.
— Ne nous refait plus jamais une peur pareille, chuchota-t-elle, me serrant terriblement fort.
Ma main sur ses cheveux.
Isis était beaucoup de choses pour notre peuple. Pour moi. J'avais veillé sur elle avant que Zoran ne le fasse. Elle faisait partie de la famille. Elle était la famille.
Je souri et appuyai mon visage contre le sommet de son crâne. Son odeur me rappelait une chaude journée de printemps. Elle me rappelait ce qu'était la sérénité et la tranquillité. Elle me rappelait la maison, un foyer.
— Si pour que tu te jettes de cette manière dans mes bras il faut que je perde la mémoire, alors crois-moi je vais le faire plus souvent.
Humour de merde. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, j'étais comme ça.
— Idiot.
Un sanglot secoua Isis qui me tenait toujours aussi fort. Je lui laissai le temps qu'il fallait. Même si nous n'avions pas été habitués à autant d'affection, nos meutes, les rencontres que nous avions pu faire avaient changées la donne.
Isis avait été la première personne extérieure à la meute à me donner de la tendresse, même alors que j'étais une Main.
La meute.
Je ne sentais plus rien. C'était étrange. Parce qu'il n'y avait plus rien. Sensation de solitude. D'étouffement.
— Ça va, Isis. D'accord ?
Elle secoua la tête :
— Tu as faillis mourir. Et tu n'étais qu'un idiot.
Ah ça...
— Étais ? Grogna Zoran qui s'était avancé. Il l'est toujours.
Mon regard rencontra le sien. Il y avait beaucoup dedans. Isis renifla et me lâcha. Elle recula. Zoran posa sa main sur mon épaule. Un léger sourire.
— Il était temps que tu reviennes, dit-il. Sinon j'aurais été obligé de te tabasser à mort.
— Connerie, je t'aurais mis la pâtée de ta vie, on le sait tous les deux.
Son sourire. Le mien.
Il n'y avait pas besoin de pardon entre nous.
Il n'y en aurait jamais besoin.
Ma foulée était rapide. Mon cœur était un tambour et mon sang un torrent. La foulée de mon loup était mesurée. Rythmée.
Il savait où aller. Bien-sûr. Toujours.
Je le forçai à s'arrêter avant les frontières. Je me sentais bizarre. Je me sentais comme... un putain de gamin après une connerie.
Comment faire autrement ? J'avais merdé.
J'avais oublié. Est-ce que c'était pardonnable la façon dont j'avais traité mon propre Alpha ? Est-ce que j'avais le droit de me présenter à lui après tout ce que j'avais fait ? Après avoir tué autant de...
La nuit tomba.
Je n'osai bouger de l'endroit où j'étais, fixant au loin la démarcation invisible entre les deux États.
Je n'étais pas un gosse.
J'étais un homme. Alors pourquoi autant d'hésitation ?
Je soupirai. Et ne bougeai pas en sentant une présence derrière-moi.
— Tu as voulu me tuer, grognai-je avec une moue.
Un rire.
— C'était pour te faire réagir.
— Tu étais à deux doigts de toucher Auxann, ajoutai-je.
— Là encore, c'était pour te faire réagir.
— Mouais, marmonnai-je.
Yahto s'avança un peu plus et sa main vint ébouriffer mes cheveux. Il y avait bien des choses à propos de Yahto qu'il valait mieux savoir. Certaines me concernaient.
Si je détestai Yahto ? Bien-sûr. Mais parce que j'étais un psychopathe dans l'âme, je l'aimais aussi. Au-delà d'Ahmet, il était la première figure paternelle que j'avais connue. Vraiment connue.
C'était son prénom que j'avais hurlé la première nuit dans le trou. C'était sa présence que mon loup avait cherché pendant longtemps.
Zoran et les autres le savaient. J'étais celui qui avait passé le plus de temps dans l'Antre. J'étais celui qui était resté avec Yahto. Qui était resté avec Sad...
Je secouai la tête. Pas la peine de déranger les morts cette nuit.
— J'ai tué des gens.
— Et alors ? Tu es une Main.
Je secouai légèrement la tête.
— Tu sais très bien que je suis... plus que ça.
— Oui, souffla Yahto. Tu es la Main d'Auxann Brock. Ce qui te rend différent des autres.
Mon souffle était régulier. Je n'étais pas serein pour autant, loin de là.
Je doutais de moi.
Je doutais de mon allégeance pour Auxann. Je doutais de tout ce qui avait été les piliers de mon existence au sein de la meute.
— Je l'ai déçu. Ce serait son droit que de ne plus vouloir de moi.
Cette pensée me tuait de l'intérieur. Elle annihilait tout. Absolument tout. Je le sentais dans ma chair. C'était comme si ça bouffait ma peau.
De l'acide dévorant mes organes.
— Un Alpha n'a qu'une Main. Tu le sais très bien.
Je me relevai. Rester ici plus longtemps n'avait aucun sens.
— S'il ne veut plus de moi, je n'aurais plus aucun but. Est-ce que tu le feras ?
Je me tournai vers lui. Ses yeux étincelaient doucement dans une obscurité palpable.
— Faire quoi, Naël ?
— Me tuer. Comme vous l'avez fait il y a bien longtemps pour elle.
La crispation de sa mâchoire. Je ne parlais pas de Parvati. Je parlais d'une existence qui remontait à longtemps. Alors que je n'étais qu'un gosse.
— Va retrouver ton Alpha, Main. Et ne dis pas de conneries.
Mon sourire. J'aurais aimé savoir si Yahto était capable de me tuer. Monstres ou pas, nous avions tous une part d'humanité en nous. Il suffisait de nous la remémorer de temps à autre.
Je franchis les frontières sans mal. Je connaissais ce territoire comme ma poche. C'était moi qui l'avais rendu infranchissable. Moi qui en avais fait l'État le plus sûr de tous les États-Unis.
Pour la meute.
Pour Auxann.
Mon loup couru, évitant de croiser des loups de la meute. Évitant de croiser des visages connus. Personne ne nous avait sentis. Nous étions contre le vent.
Nous étions une ombre et un murmure.
Nous étions une Main. La faucheuse.
J'arrivai à la Nouvelle-Orléans un peu après l'aube. Une légère pluie recouvrait la ville.
La villa m'apparut et je déjouai le système de surveillance d'Egon. Un art qui m'avait pris des années. Des décennies. Auxann s'était amusé à faire la même chose, rendant complètement fou Jasper. En même temps, il en fallait peu pour ça, alors...
Je m'accroupi dans l'herbe, observant par la baie vitrée donnant sur la cuisine. Même à cette heure, il y avait de la vie.
Yuni était là. Assise, le visage caché entre ses mains. Tamara se tenait derrière elle. Elles avaient le visage pâle. Comme si elles étaient malades.
Ma faute.
Mon corps se tendit, prêt à rejoindre ma Dominante, mais je savais, je sentais qu'il n'était pas temps. Au moment où je me redressai pour partir, Yuni leva son visage et m'entraperçu, l'espace d'une seconde. Avant que je disparaisse.
Je suivi la trace d'Auxann. Il était du côté du quartier des vampires, après le bar de Lahyani. Plusieurs traces olfactives ici.
Pas les bonnes.
Les vermines étaient sorties de leurs trous. Était-ce par qu'elles avaient eu vent de mon amnésie ? Cela pourrait être intéressant. Non ?
Je me faufilai dans un vieil immeuble laissé à l'abandon et en passe d'être remis à neuf par Jasper.
Je grimpai sur les poutres, me hissant toujours plus haut. Je détestai savoir Auxann ici. Il ne traitait jamais directement avec les vampires. C'était à moi de le faire. Et aux loups mis là pour surveiller que l'accord était respecté.
Des voix.
— Nous sommes chez nous. Nous agissons comme nous l'entendons et n'avons que faire qu'un Alpha vienne mettre le nez dans nos affaires.
Javier. À l'odeur, je pouvais déjà dire qu'il était venu en renfort avec ses cinq bras droits. Oh, oh. Suicidaire ?
En silence, je me retrouvai accroupi sur une poutre.
En contre-bas, les vampires. Auxann leur faisait face, avec Jasper et Emilian.
Je n'aimais pas cette configuration.
— L'Accord a été mis en place bien avant ton arrivée dans ce Nid, Javier. Alors ne fait pas le malin avec nous, grogna Jasper.
La diplomatie, c'était encore moins son truc que moi. Mieux valait foncer dans le tas. Et fracasser des petits minois.
— Sinon quoi ? Il y a des murmures intéressants un peu partout, susurra Javier. Naël aurait perdu la mémoire. Et il ne reconnaitrait même plus son propre Alpha.
Ces vamps, ils savaient tout avant tout le monde. Qu'est-ce que ça pouvait être agaçant !
— Alors dites-nous, loups ? Qui va nous empêcher de faire ce que nous voulons maintenant qu'il n'est plus là ? Qui va défendre l'Alpha ?
Les rires des vampires.
La puissance de Jasper. Sa colère. Palpable.
Javier fit un pas.
Oui. Il était suicidaire. Et complètement maso au passage. Je n'avais pas dû le frapper assez, que ce soit dans sa tendre enfance ou maintenant.
Pauvre, pauvre petite chose.
Mon loup coula doucement dans mes membres et Auxann bougea légèrement la tête.
J'atterris entre les vampires et les loups.
Silence.
— Naël ?
La voix de Jasper.
Le regard écarquillé de Javier. Je me redressai.
— Qu'est-ce que je t'ai dit à propos des rumeurs, Javi ?
Les autres vampires eurent la jugeote de reculer. Eux, ils avaient retenu la leçon.
Je m'avançai vers Javier qui ne bougea pas. Je me penchai au niveau de son oreille.
— Le seul murmure que tu dois écouter, c'est le mien. Et quand je te dis de dégager, qu'est-ce que tu fais ?
Ma voix était froide. Incisive. Mortelle.
Javier déglutit. Il fit un léger signe de tête et il ne resta plus que lui.
— Tu ne seras pas toujours là, loup.
Son léger rire. Et sa présence se dissipa.
— Tant qu'on voudra de moi, je le serais, chuchotai-je.
Le silence.
Opaque et pesant.
L'attention rivée sur moi.
Le Second.
Le deuxième Dominant.
L'Alpha.
Inspirant et prenant mon courage à deux mains, je me retournai. Tout de suite, le regard d'Auxann me happa. Me volant un pan entier de mon âme. Ou de ce qu'il en restait.
Douleur dans la poitrine.
J'avais conscience des erreurs commises.
J'avais conscience des péchés accomplis.
C'était là.
Un rappel à vif.
Je me laissai tomber à genoux. Et rejetant la tête en arrière, j'offris mon cou à l'Alpha devant moi. Signe ultime de soumission.
— J'ai échoué, soufflai-je. Je n'ai pas été une bonne Main.
Le plancher craqua.
Jamais je n'avais été dans une telle position. Pas même lorsque j'avais été aidé Dyklan dans le Delaware.
— Je n'ai pas su... être ta Main, Alpha.
Une déchirure en moi. Violente.
— J'ai échoué.
Ma voix se brisa.
Des doigts dans mes cheveux. Les agrippant. Un corps tombant lourdement à genoux devant moi.
Je déglutis.
Un Alpha ne devait jamais montrer aucun signe de faiblesse. Mais j'avais vécu avec Auxann de nombreux siècles.
Je l'avais vu brisé pour l'absence de son âme sœur. Je l'avais vu reprendre vie au contact de Yuni et rire lorsqu'il avait soulevé chacun de ses enfants pour les faire tournoyer.
Je baissai mon visage vers le sien. Son front contre le mien.
Et notre lien reprenant sa place.
Celle qui m'était dû.
Un lien qui nous unissait.
La souffrance disparut du visage d'Auxann alors qu'il me sentait de nouveau. Complètement. Irrémédiablement.
— Ne refais plus jamais ça, Naël Cain. Tu entends ? Ne me refais plus jamais ça.
La main de Jasper sur mon épaule. Celle d'Emilian.
Les consciences des loups se pressant contre la mienne.
Mon foyer.
— J'en fais le serment, Alpha.
Et je le tiendrais jusqu'à mon tout dernier souffle.
* * *
Ma main tenait celle de Dali. L'énergie dans son ventre était chaude et bien là. Vivante.
Je n'arrêtai pas d'y coller mon oreille, essayant de voir si je pouvais déjà entendre quelque chose. Cela faisait deux jours que Dali dormait, son corps se reposant après la bataille. Son souffle régulier me rassurait.
Et me rappelait qui j'étais un peu plus à chaque fois.
La Maison était plongée dans le silence, ce qui n'était pas désagréable. Ma main glissa sur la joue de Dali et je me penchai sur son visage.
— Ça ne te vas pas de faire la belle au bois dormant, tu sais ?
Un battement de cœur. Mon sourire.
— Va te faire foutre, grogna-t-elle.
Le soulagement. Son regard plongeant dans le mien. Sa colère. Mais autre chose aussi.
Je pris son visage en coupe.
— Je t'ai oublié. Pendant un long moment, je t'ai oublié, dis-je. Mais je me suis rappelé. Parce que tu étais là.
Je tapotai ma tempe.
— Et là.
Je tapotai ma poitrine.
— Et là aussi, mais...
J'allais pointer mon sexe, mais elle tapa dans ma main. Sa louve était là, à la surface.
— La prochaine fois que tu décides de jouer au con, je ne serais pas aussi patiente. Ni aussi gentille.
Mon sourire.
— C'est parce qu'il n'y avait pas que nous dans l'équation, dis-je.
Sa main se posa sur son ventre. La mienne sur la sienne.
— Je l'aurais tué. Si tu n'étais pas redevenu toi-même, je te jure que je...
Je la coupai d'un baiser.
Langoureux et possessif.
Animal et jouissif.
Elle ne l'avait pas fait.
Et dans son ventre grandissait une partie de nous.
Quelques mois plus tard.
— Tu vas le rendre complètement gaga avant même qu'il n'ait atteint sa première année, tu le sais ça ? Grommela Kéan, tendant une main vers moi.
Ou plutôt vers ce que je tenais dans mes bras.
Je le fusillai du regard et fit un pas en arrière.
— Et alors ? Regarde-le, il est parfait. P-A-R-F-A-I-T.
Mon nez contre la joue de mon fils. Est-ce que j'avais complètement perdu les pédales ? Yep. Est-ce que j'étais un putain de papa poule ? Re yep !
— Comme son papa.
Je reçus une claque à l'arrière du crâne.
— Et comme sa mère, bien-sûr, ajoutai-je, hilare.
Dali leva les yeux au ciel.
Kéan ricana :
— Est-ce que je peux espérer tenir mon neveu dans mes bras ?
— Non.
La voix de Dali se mêla à la mienne. Qui aurait cru qu'elle serait une maman poule ? Pas moi. Mais j'adorais ça. Ce côté protecteur et mauvais.
Ça me faisait bander continuellement. Une vraie torture physique et psychologique.
— C'est n'importe quoi, grommela Kéan, jetant un regard envieux à son neveu.
— Arrête de te plaindre. Le voir devrait te suffire. Regarde-moi sa bouille trop choupinette.
Pouah. N'importe qui m'aurait vu en cet instant aurait douté que j'étais une Main sanguinaire et meurtrière.
— Mon petit Nino. Gouzi, gouzi.
Je le soulevai pour frotter mon nez contre son ventre et Dali grogna :
— Pas un jouet. Donne.
Je fis la moue et lui cédai notre fils. Elle disparut dans la cuisine. Kéan regarda son poignet et éclata de rire lorsque je m'éloignai pour aller rejoindre Dali.
— Tu finiras peut-être par tenir plus de dix secondes la prochaine fois, lâcha-t-il, complètement hilare.
— Petit con, marmonnai-je.
Je rejoignis ma femelle dans la cuisine et passai mes bras autour de son ventre.
La grossesse n'avait pas été facile et Dali avait détesté craquer aussi souvent à cause des hormones. Elle l'avait quasiment toujours fait en ma seule présence ; elle se serait trop haïe de le faire devant les autres.
Je frottai ma joue contre la sienne et senti la présence de Yahto dehors.
— Il ne s'approche pas de Nino.
Je levai les yeux au ciel.
— C'est son grand-père, qu'est-ce tu voudrais qu'il lui fasse ?
Le regard blasé que Dali me lança en disait long.
Elle n'était pas prête de laisser notre fils à n'importe qui.
Parce qu'il n'était pas n'importe qui.
Après tout, il était fils d'une Régente, descendante de la première lignée de loups, et d'une des premières Mains des États-Unis.
Qu'est-ce que j'avais dit ? Ce petit était parfait. Forcément.
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