1 - La chute


Meute de la Nouvelle-Orléans, Louisiane.

Maison d'Auxann Brock, Alpha d'État.


Les doigts de Jasper, Second de la meute, tapotait en rythme la table devant laquelle il était assis.

Sur son visage se peignait une expression quelque peu dubitative, mais aussi inquiète. La maison était silencieuse, même si on pouvait percevoir la présence de plusieurs personnes. Il y avait toujours du monde.

Alors, quand l'Alpha rit devant la mine de son Second, le son résonna dans la pièce. Jasper releva la tête et fusilla Auxann du regard. On ne pouvait pas dire qu'il était le seul à faire ça ; les femmes de la meute aimaient se liguer contre leur Alpha quand elles jugeaient cela nécessaire et alors, Auxann était forcé de marcher au pas. Et la pire demeurait Yuni, bien entendu.

— Tu vas finir par attraper des cheveux blancs, rit l'Alpha.

— Comme si ce n'était pas le cas depuis ces dernières années, grommela Jasper.

Là-dessus, il n'avait pas tort, pensa Auxann.

Le fils de Jasper et l'héritier de la meute était depuis quelques années maintenant en charge d'un État éloigné où il ne faisait pas forcément bon vivre. Mais Dyklan était un loup avec un potentiel énorme et Auxann ne l'avait pas hissé au rang d'héritier pour rien. Que Jasper s'inquiète était une chose ; il restait père et cela ne changerait jamais.

Et puis il y avait toutes ces attaques, tous ces Alphas qui voyaient en Auxann et en son autorité une intrusion dans leur manière même de fonctionner. Après tant de siècles demeuraient une impression de cheveux tombés dans la soupe, mais ça...

Auxann pouvait comprendre dans une certaine mesure, mais là n'était pas le problème aujourd'hui.

— Tu n'aurais pas dû l'envoyer. Je... je ne suis pas à l'aise avec ça.

L'Alpha grimpa légèrement à la surface. Le loup de son Second était inquiet. Mais ce n'était pas si étonnant lorsqu'on savait vers qui était tourné cette inquiétude. Enfin, la personne concernée aurait ris. Et frappé Jasper pour seulement avoir douté de lui.

— On a déjà eu cette conversation des centaines de fois, Jas, grogna Auxann. Ce n'est pas la première que j'envoie Naël Chasser.

Auxann avait enchaîné sa Main à lui pendant des siècles, ayant un besoin vital de sa présence à ses côtés.

Jusqu'à ce que le morceau de son âme manquant ne revienne. Pour autant il n'avait pas été capable de redonner toute la liberté qu'était dû à sa Main. Quand on vivait des siècles d'une certaine façon, il était dur d'effacer les habitudes.

Et Auxann, Jasper et Naël avaient été si souvent tous les trois ensembles que l'Alpha ne pouvait nier que, même après quelques décennies à avoir permis à Naël de redevenir la Main qu'il était, ne pas avoir sa Main stupide sous les yeux le dérangeait.

Naël n'avait jamais demandé une quelconque liberté à Auxann. Il avait agi comme son Alpha l'avait attendu de lui et aujourd'hui, il agissait toujours comme tel.

— Et il est avec Joaquim.

Au fil des années, bien-sûr que Naël avait quitté le territoire. Pour aller aider des Mains. Mais c'était toujours sur une très courte période.

Cette fois, il était parti depuis plus d'une semaine et demi et même Yuni commençait à s'en plaindre.

Auxann et Jasper n'étaient pas les seuls centres névralgiques de la meute. Loin de là. Naël avait toujours apporté quelque chose.

Une stabilité.

Une joie qui demeurait même lorsqu'il n'était pas là.

C'était une Main aussi particulière que dangereuse. Après tout, c'était le tout premier Régent qui l'avait façonnée. Pour Auxann. Pour son Alpha.

— Si tu continues à te plaindre de son absence, je vais l'appeler pour lui dire que tu es incapable de te passer de lui et qu'il devrait commencer à craindre que tu n'en aies après ses fesses.

Jasper secoua la tête et les deux hommes autour de la table éclatèrent de rire.

— C'est lui qui va finir par appeler en pleurant parce que sa Nini lui manque et qu'il doute de ton amour, rétorqua Jasper.

Du très grand Naël Cain. C'était une machine à tuer avec l'âme d'un enfant qui n'avait pas vraiment réussi à grandir et qui avait besoin de sentir que son Alpha était là et qu'il ne le lâcherait pas. Ce n'était pas la même peur viscérale qu'avait Unai, la main de Jude Pearson, de l'abandon. C'était différent.

Naël se comportait bien souvent comme un enfant, mais Auxann, Jasper et la meute tout entière étaient les mieux placés pour savoir qui il était réellement.

— Dali doit nous détester, souffla Auxann en secouant légèrement la tête.

— Ça ne fait même aucun doute !

Dali Harendra était la compagne de Naël. Auxann pouvait dire sans trop se tromper qu'ils étaient faits du même bois et de la même noirceur que rien ne pourrait effacer de l'âme de celui qui était son bras armé.

Auxann senti la présence de sa compagne avant de la voir entrer dans la cuisine.

— On dirait deux papas poules se lamentant de ne pas voir assez leur fils. C'est très bizarre, vous savez ?

Elle déposa un baiser bruyant sur la joue du Second ingrat d'Auxann avant de venir frôler son compagnon qui réussit à attraper sa main pour y frotter son nez.

— Tu crois peut-être que je ne t'ai pas entendu au téléphone avec Naël hier peut-être ? Lâcha Jasper.

— Et alors ? Bouda Yuni. J'ai le droit de réclamer le deuxième homme de ma vie, non ?

Auxann éclata de rire alors que Jasper secouait la tête.

— Je croyais que c'était Jules. Ou moi. C'est forcément moi, puisque je suis le Second d'Auxann.

Auxann attrapa un sucre et le jeta au visage de son Second.

Yuni se pencha sur l'épaule de Jasper :

— Naël est plus mignon que veux-tu. Tellement plus joli et poli, aussi.

Quand le rire de sa compagne résonna, Auxann ferma les yeux, comme s'il voulait en savourer la tonalité même.

Le plat de sa paume rencontra alors la table et il se leva :

— Assez tiré au flanc ! Il faudrait voir à...

Une très légère secousse arrêta Auxann. Jasper aussi semblait l'avoir senti. La toile vibra légèrement.

Ça venait de Naël et vu la distance où il devait être, pour que cela atteigne la meute n'était pas très bon signe.

Jasper gonfla ses joues :

— Je t'ai dit que je détestai ça ?

— Au moins cinquante fois, rétorqua Auxann.

Si lui-même montrait le moindre signe d'inquiétude, ce serait la porte ouverte à la panique de son Second.

Avant d'avoir atteint le couloir, Auxann fut arrêté par Yuni qui lui attrapa le bras. Il se tourna à demi vers sa compagne, baissant légèrement la tête pour pouvoir la regarder dans les yeux.

Cette maudite Main avait réussi à chiper le cœur de son âme-sœur. Ça amusait beaucoup Auxann.

Il avait fallu du temps à Naël pour qu'il accepte de devoir se placer entre Yuni et le danger et non pas entre Auxann et le danger.

Car sa Dominante était le cœur de l'Alpha. N'était-ce pas ce qu'il avait dit ?

Auxann glissa sa main sur la nuque de sa compagne :

— Laissons Naël agir comme une Main de temps en temps. Je l'ai privé de ce droit pendant des siècles.

Auxann pensait chacun de ses mots. Chaque Main qui finissait dans une meute avait un mode de fonctionnement différent. Zoran, Joaquim, Naël, Neal et même Priam n'avaient jamais eu la même façon d'être. Mieux valait ne pas parler de Bjorn.

Yuni fit la moue, parce qu'elle savait que son compagnon avait raison. Mais elle savait aussi que Naël se contentait de ce qu'il avait depuis le premier jour.

Une Main était prête à bien des choses pour son Alpha.

— Est-ce que c'est une façon de me demander de ne pas l'embêter ?

Auxann souri à sa compagne :

— Exactement. Si tu lui demandes de revenir, il le fera, quitte à laisser sa proie s'enfuir. Il en est capable tu sais ?

Yuni éclata de rire. Oh oui, elle le savait. Se mettant sur la pointe des pieds, elle embrassa les lèvres de son compagnon avec tendresse avant de le laisser se diriger vers son bureau.

— Hé, Ann, commença Jasper depuis le salon, tu ne vas p...

La douleur explosa dans le corps d'Auxann, se répercutant sur la toile toute entière, heurtant la conscience de chaque Haut-gradé, de chaque Veilleur, Patrouilleur et Surveillant.

Les jambes de l'Alpha menacèrent de céder alors que déjà, l'Eros de la meute enveloppait les plus jeunes et les plus fragiles de sa puissance pour les préserver.

Dans la cuisine, un bruit de verre brisé.

Auxann se retint au mur, l'esprit en ébullition. Il laissa son Alpha grimper et alors, il écarta la douleur, la contenant au centre de la toile.

Son lien unique avec Naël pulsa de plus en plus fort. Une goutte de sueur coula le long de sa nuque.

Yeux fermés, il y avait des flashs.

Qui se succédaient. Qui n'étaient pas vraiment des images d'un rêve. Ni même des souvenirs.

Il y avait une gorge profonde. Pas moyen de voir ce qui se trouvait au fond.

Une main qui essayait de s'agripper à quelque chose alors que le corps commençait à glisser.

Auxann étouffa un cri et cette fois, tomba au sol.

La douleur était intolérable.

C'était comme si on écartelait à la fois son corps et son esprit.

Il chercha son air alors que son Alpha s'accrochait au lien qu'il avait avec sa Main.

Un visage.

Celui de Joaquim.

Le poids d'Auxann s'écrasa contre le mur et plusieurs choses tombèrent, se fracassant au sol.

Le cri des loups de la meute dans son esprit.

La main de Joaquim agrippant celle de Naël. Son expression.

Auxann ne voyait que son expression.

Il avait vu des Mains entrer en frénésie.

Il avait vu des Mains arborer des expressions barbares et effrayantes.

Il avait vu des Mains avoir peur, douter, pleurer.

Mais ça...

Les yeux de Joaquim étaient écarquillés. Sa bouche tremblait. Ses doigts se refermèrent dans le vide et Auxann jura entendre sa voix qui hurlait.

« NAËL ! »

Et un corps qui chutait.

Soudain, tout se figea.

Il n'y avait plus l'Alpha et la meute. Il n'y avait plus de toile.

Juste un lien. Un unique lien.

« Sais-tu qui je suis ? »

Auxann regarda le loup devant lui. Ce n'était pas la première fois qu'il apparaissait ainsi. Qu'il venait à lui. Mais n'était-ce pas à lui de dire cela ? Parce qu'il l'avait senti. Il l'avait su. Peut-être pas depuis la première minute, mais...

— C'est à moi de dire ça, loup, grommela Auxann.

L'homme éclata de rire.

— Je l'ai dit en premier. Donc tu pourrais au moins répondre à ma question, non ?

Il ressemblait à un enfant. Dans un corps qui rappelait une machine à tuer.

— Qui es-tu ? Souffla Auxann.

L'homme pencha légèrement la tête.

— On m'appelle Naël. Même si je ne suis pas né ainsi.

Oui, Auxann comprenait.

L'Alpha plongea son regard dans celui de Naël. Il se perdit dans ses yeux, plongea jusque son âme pour tisser un lien inébranlable et intemporel.

— Et tu es ma Main. Mon ombre et mon bras.

Le loup de Naël grimpa dans ses yeux. Et il offrit sa nuque à Auxann.

— Je suis ta Main et je suis la noirceur de ton âme. Laisse-moi tuer pour toi. Laisse-moi punir pour toi.

Auxann s'avança et ses doigts s'enfoncèrent légèrement dans la peau de Naël alors que sa paume recouvrait sa nuque.

— Non. Tu n'es pas ma noirceur, Naël. Tu es mon second souffle. Tu es, et tu seras une partie de moi. Pour les temps à venir. Pour l'éternité qui vient.

Tout était suspendu.

Le silence.

Quoi qu'il se trouve on fond de cette gorge, le corps de Naël se retrouverait brisé en mille morceaux. Et la douleur que cela provoquerait rendrait la meute dans un état proche de la frénésie.

L'Alpha su ce qu'allait faire Naël avant de sentir le lien voler en éclat.

Il explosa et ce fut comme une déflagration.

La douleur inonda tout et dans la cuisine, Yuni cria.

Auxann fut plié en deux.

Aucun Alpha n'oubliait que la Main pouvait briser son lien. Mais cela, dans toute l'histoire des loups n'était arrivé que trois fois.

Personne n'avait été capable de raconter ce qui s'était alors produit après.

Quand l'un des trois piliers d'une meute s'envolait, que se passait-il ?

« Alpha ».

Un mot.

Un respect sans faille. Un attachement qui avait survécu pendant des siècles. Et qui avait enflé un peu plus à chaque fois.

Et le silence dans l'esprit d'Auxann.

« Naël ? »

Il l'appela. L'Alpha en lui appela son loup. Encore et encore.

Mais il ne restait qu'une seule chose.

Un lien brisé.

La présence de Naël s'était envolée.

Et lorsqu'Auxann hurla, la meute entière tomba à genoux.


Quelques heures plus tard.

Le Gardien.

Tout avait dû se faire rapidement. Pour contenir les tensions. Pour contenir l'information qui pour l'instant, n'était connu de presque personne.

Le Gardien avait demandé à Shay de se rendre chez Auxann, même si l'Alpha n'était pas près d'entendre raison. D'entendre quoi que ce soit. Mais il le fallait. Si un Alpha tel qu'Auxann Brock lâchait prise, alors que serait la suite ?

Depuis l'extérieur de la maison où il se tenait, il entendait les hurlements de rage de Joaquim que son Alpha essayait de maitriser. Pietro ne voulait pas soumettre son loup. Pas pour l'instant, mais garder Joaquim dans cet état allait finir par être dangereux et une Main en frénésie n'était pas souhaitée.

Le Gardien avait dû mal à réaliser. Il était figé là et il savait qu'il aurait dû bouger. Son père aurait réagi dans la seconde, mais lui...

Pourquoi est-ce que tout s'enchainait de cette façon ? Tout, absolument tout partait en vrille.

Il aurait dû être vers Auxann.

Il avait envoyé les Mains sous son commandement là où Naël Cain était...

La porte claqua derrière lui et il se tourna pour voir Némésis s'avancer vers lui, pâle, tremblante.

— Laisse-moi aller prévenir Zoran et les autres. On ne peut pas... leur cacher ça. Pas à eux. Pas à...

Elle était dévastée. Et le loup en Timothy aurait dû la tempérer. Mais elle avait raison. Pietro ne voulait pas soumettre sa Main, alors peut-être que Zoran, Neal et Priam sauraient quoi faire. Les Alphas de ces Mains étaient des loups de confiance. Et avec ce qui risquait d'arriver en Louisiane... mieux valait pouvoir compter sur eux.

Némésis était persuadée qu'il demeurait un espoir. Si mince soit-il. Que la rivière au fond de la gorge où était tombé Naël avait emporté son corps. Peut-être était-ce une possibilité. Peut-être que Naël était quelque part, mais...

— Va chercher ton compagnon, souffla le Gardien. Une fois que Jamie t'auras déposé, il ira chercher Neal et Elena. Je vais m'occuper d'Ahmet et Priam.

Némésis hocha lentement la tête alors que Jamie apparaissait. Il attrapa la main de Némésis alors que Malik arrivait derrière elle. Ils disparurent et le Gardien appela Ruka à travers le vent. Cette dernière apparu à son tour et emporta Timothy dans l'Arkansas, là où Noha Brock avait basé sa meute.

Il se retrouva dans la cours et sans attendre, s'avancer vers la maison. Un des loups de Noha était là, assis sur les marches. Un de l'Antre.

— Je suis venu voir Ahmet Chahid et le Régent de cette Maison.

Le loup se leva et le fis signe d'entrer. Le Gardien frappa tout de même avant de se diriger vers la cuisine. Il était déjà venu quelques fois ici, connaissait les lieux.

Dans la cuisine, Ahmet, premier Régent des toutes premières Mains, était assis, buvant son café, le regard perdu à des années lumières de là où se trouvait son corps en ce moment-même.

Avait-il senti quelque chose ? Parfois, cela arrivait.

Ahmet appelait ses Mains ses fils. Et quelque part, c'est ce qu'ils étaient, n'est-ce pas ?

Il redressa la tête et ses yeux étincelèrent doucement :

— Gardien. J'ai senti quelque chose d'étrange toute à l'heure, gronda la bête plus que l'homme. Serait-ce là la raison de ta visite ?

La présence de Noha, Protégée et compagne d'Ahmet. Elle offrit sa nuque au Gardien alors que la porte donnant dehors s'ouvrait sur Priam.

Bien des fois le Gardien avait été porteur de nouvelles. Pas toujours bonnes, certes, mais cette dernière...

Némésis aurait su trouver la façon de le dire. Mais elle avait le cœur trop tendre. Surtout en ce qui concernait Naël Cain et les autres Mains qu'elle côtoyait depuis si longtemps maintenant.

Le Gardien hésita. Et puis :

— Naël Cain est tombé.


Némésis Swanson.

Isis ne trouva pas son compagnon chez eux.

Elle le senti à l'instant même où Jamie les amena là-bas. Elle le regarda et il comprit sans mal. La magie l'enveloppa une nouvelle fois alors qu'elle avait rarement connu pareille tristesse dans sa vie. Ils se retrouvèrent dans le jardin de Jahyan Pearson, Alpha de Boise et surtout, l'Alpha de Zoran.

Le temps était magnifique ici et il y avait quelques personnes dans la piscine, dont Shana qui avisa le groupe avec un sourire :

— Isis ! Tu...

Quelque chose dans l'expression même d'Isis la coupa et elle se hissa en dehors de l'eau pour s'avancer :

— Qu'est-ce qui se passe ? Isis ?

Craquer maintenant ne servirait à rien. Isis le savait. Elle voulait juste voir Zoran. Elle avait besoin de voir son compagnon.

Shana dû le comprendre :

— Laisse-moi m'habiller, je vais venir avec vous. Yan et Zozo sont au niveau des frontières.

Isis attendit Shana qui revint, vêtue d'une robe. Elle glissa sa main dans celle d'Isis et encore une fois, Jamie les amena là où Shana le lui indiqua.

Ils se retrouvèrent à l'extérieur de la ville de Boise. Entourés de bois, tout semblait relativement calme. Loin de la frénésie de la ville. Et de la presque frénésie de Joaquim. Loin de ce territoire.

Isis senti la présence de plusieurs loups et son regard se focalisa sur Zoran, qui était en train de parler avec Jahyan.

Le loup senti sa compagne et tourna son visage vers elle. Dès qu'elle le vit, elle comprit qu'il avait été vain de croire qu'elle pourrait se contenir.

Les larmes débordèrent de ses yeux et un sanglot se coinça dans sa gorge.

Zoran se retrouva devant elle, l'attirant dans ses bras et la serrant fort contre lui et sa chaleur. Elle enroula ses bras autour de son compagnon.

Son corps tremblait et elle ignorait si elle arriverait à parler. Mais elle le devait, n'est-ce pas ? Elle devait parler.

Zoran ne dit rien, sentant plus que quiconque le gouffre de tristesse qui s'était emparé de sa compagne et qui lui crevait le cœur de la pire des façons.

Il tourna son visage vers Malik qui était trop pâle. Trop étrange.

— Qu'est-ce qui se passe ? Souffla-t-il, tendu.

Malik regarda Isis, puis remonta sur le visage de Zoran.

— C'est...

Mais Isis bougea lentement, s'écartant quelque peu du torse de Zoran. Tout de suite, il posa une main sur sa joue avec une tendresse qui ne connaissait et qui ne connaitrait aucune limite.

— Le... Le Gardien demande à quelques Alphas de venir.

— Un appel ? gronda Jahyan. Pourquoi ?

Isis leva les yeux, plongeant toute entière en Zoran.

Il fallait qu'elle lui dise. À lui plus que quiconque. Ses doigts agrippèrent son t-shirt et lorsqu'elle parla, sa voix n'était que trémolos.

— C'est Naël. Il... il est...

Elle inspira. Elle n'y arriverait pas. Parce qu'à chaque fois qu'elle prononçait le prénom de Naël, ça faisait mal. Terriblement mal.

Alors ce fut Malik qui parla :

— Il a glissé d'une falaise et a été précipité dans une gorge. Il a brisé son lien avec Auxann à l'instant où il a dû comprendre qu'il...

Qu'il ne s'en sortirait pas ?

Non. Isis secoua la tête, ramenant l'attention de Zoran qui était comme figé, comme statufié sur place.

— Joaquim... Joaquim a voulu descendre parce qu'il est persuadé que Naël... qu'il a survécu et que la rivière en contre-bas à juste... emporté son corps plus loin. Mais il est comme fou alors Pietro l'a enfermé chez lui et maintenant... maintenant il ne va pas bien. Timothy est allé chercher Priam et Ahmet. Neal et Elena doivent venir. Et Dali... Dali a senti quelque chose et est en chemin.

Cela ne sonnait-il pas aux oreilles de Zoran comme lorsqu'il avait senti que sa compagne avait été prise et que toutes les meilleures Mains avaient été réunies pour retrouver le Gardien et Isis ?

Sauf que là, le Gardien ne croyait pas en la survie de Naël. S'il avait brisé son lien avant l'impact, c'était pour préserver autant que possible la meute. Son Alpha.

— Les autres sont là-bas, mais aucun n'est parvenu à descendre sans risquer de se rompre le cou, continua Malik.

La main de Zoran dans la nuque de Némésis se crispa. Il regarda Jamie :

— Amène-moi à Joaquim.

Même Jahyan ne dit rien. Il souffla quelque chose à Shana qui se retrouva alors entourée de deux loups de la meute et Jamie emporta avec lui l'Alpha et la Main de Boise avec les autres.

De retour sur le territoire de Pietro Sanders, Zoran regarda Isis qui hocha simplement la tête, lui faisant comprendre qu'il pouvait y aller.

Il entra dans la maison, se dirigeant là où il sentait l'énergie de son frère.

Le Second de la meute le laissa entrer dans la pièce où se trouvait Pietro, debout face à Joaquim sous sa forme de loup, qui avait été enchainé. Il tournait, grondant, fou. Les autres n'étaient pas encore arrivés.

— Tu ne l'as pas soumis, souffla Zoran.

L'Alpha secoua la tête :

— C'est une extrémité à laquelle je ne veux pas recourir pour l'instant. Ramène-le, qu'il soit en état de penser. J'ai besoin de ma Main, pas d'un loup en frénésie.

Des paroles dures, mais vraies.

Sans aucune peur, Zoran s'avança et sa main s'abattit sur l'encolure du loup. Il essaya de mordre avant que Zoran n'agrippe son museau et le force à le regarder.

— Si Ahmet vient et te vois comme ça, tu préféreras que ton Alpha te soumette. Aller vieux frère, reviens. Naël nous attend.

Prononcé cette simple phrase craquela quelque chose en Zoran. Une fissure se forma.

Il n'avait pas oublié ce sale gamin qui l'avait exaspéré dès qu'il l'avait vu, là-bas, dans l'Antre. Ce gamin qui ne savait pas ce que c'était que d'éprouver.

Le loup de Joaquim couina avant de se défaire de la prise de Zoran et de se rouler en boule. Le changement opéra et Joaquim regarda son vieux frère. Son regard était voilé. Joaquim paniquait souvent. Tout comme Naël. Ils agissaient comme deux idiots et après ils se regardaient, comme les deux abrutis finis qu'ils étaient.

— Il a fait l'idiot. Il riait comme un âne quand j'ai senti l'autre arriver contre le vent. Quelques secondes de moins et...

La voix de Joaquim était entrecoupée. Trois nouvelles présences dans la pièce. Zoran ne regarda pas Neal, Priam et Ahmet. Il fixait Joaquim.

— Pour un enfoiré qui n'avait pas vraiment Chassé depuis un bail, il était bon le salaud.

Joaquim réussi à rire légèrement. On ne pouvait que rire de Naël, même quand il essayait d'être sérieux.

— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé... je n'ai pas... je ne sais pas, Zoran. Il était là. Et la seconde suivante...

La peur dans sa voix.

— Depuis le temps, je m'étais mis dans la tête que quoi qu'ils nous arrivent, à toi, Naël, Priam ou moi-même, on s'en sortirait toujours. Qu'on serait toujours là. Toujours.

Les premières Mains. Les plus vieilles.

— Son corps a heurté une paroi. Je te jure devant Sharan que j'ai senti jusque dans mes os le craquement des siens. Et il a été englouti.

Joaquim agrippa sa tête entre ses mains. Il tira sur ses cheveux.

Joaquim bougea si vite que Zoran n'eut pas le temps de comprendre. Son frère agrippa durement son bras. Presque douloureusement.

— Il a brisé son lien, Zoran. Je les vu dans ses yeux... il l'a brisé. On... on ne brise pas nos liens, Zoran. Tu le sais... On ne...

Zoran se rappela qu'il fallait qu'il respire. Priam s'était avancé pour poser une main sur l'épaule de Joaquim.

— Naël est incapable de mourir, même si on le lui demandait. Il est trop idiot pour ça. Si son corps a été brisé par la paroi, alors il ne pourra pas venir fanfaronner devant nous. C'est à nous d'y aller. On n'abandonne pas.

— On n'abandonne jamais, grogna Zoran.

Alors même s'il ne retrouvait qu'un corps brisé, il ramènerait Naël. Même si cette option n'était pas envisageable.

Bien-sûr qu'elle ne l'était pas.

À cet instant, les trois Mains tournèrent leurs visages vers leur Régent. Ahmet avait la mine sombre. Il regarda Neal. Puis les trois autres.

— Ramenez votre frère. Que je le colle moi-même au trou une fois qu'il sera en état d'y être balancé.

La bête en Zoran mis tout de côté. Pour se concentrer sur sa Chasse.

Retrouver Naël.

Le loup de Priam brilla dans son regard. Tous les deux brisèrent la chaine de Joaquim. Neal s'avança, faisant craquer ses articulations.

— Ramenons notre idiot.

Ils avaient toujours été une famille.

Naël, à sa façon, avait toujours été celui les reliant. Avec sa bêtise et sa grande gueule. Avec sa stupidité et son idiotie finie.

Il était celui qui éclatait de rire face à la mort.

Il la dispensait.

Et ses frères la ramèneraient à son Alpha.

Ils étaient une famille. Et Zoran avait appris au fil des décennies, tout comme Priam, Joaquim et Neal, qu'on n'abandonnait pas la famille.

Jamais.

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