9 | Aleksey

Je n'avais pas laissé Mitsuha sans protection. Jamais de toute ma vie elle ne s'était faite frappée sous mes yeux. Pourtant, je savais que l'image allait rester inscrite sur ma rétine. Pour le reste de mes jours.

Je sentis mon corps s'élancer au moment où Adonis levait une seconde fois sa main pour frapper ma femme. Mon poing percuta sa mâchoire et il vacilla à peine. Mitsuha était à genoux, presque sonnée par la claque qu'il lui avait mise.

La rage qui me consumait était vivifiante et sans limite en ce moment même.

Personne.

Personne ne touchait ma femme.

Personne ne touchait à une de mes louves.

Surtout pas un mec comme lui.

_ C'était la dernière fois que tu la touchais.

Mon loup était sur le point d'exploser. Adonis avait beau être un boxer, il restait humain. Si je voulais lui foutre sa raclée, je pouvais le faire.

Adonis éclata de rire en entendant ma phrase. Ce type était un malade.

_ Tu tapes comme une fillette, cracha-t-il.

Je me jetai sur lui, ne me retenant plus. Mon corps percuta le sien. Le cri de Mitsuha résonna entre nous, mais je m'acharnai déjà sur Adonis.

C'était son mec... Enfin, du peu qu'Aodh m'avait dit. Je n'étais pas censé être au courant, mais je n'étais pas idiot. Le peu de fois où j'avais assouvi mes tendances possessives envers Mitsuha, je l'avais suivie de loin et j'avais découvert cette relation qu'elle avait avec ce boxeur.

Mon poing percuta de nouveau sa mâchoire et un craquement retentit, mais Adonis était habitué et cela ne lui faisait plus rien. Le coup le plus dur qu'il me porta fut l'arcade. Je sentis mon sang couler sur mon visage. Je l'essuyai avant de me jeter de nouveau sur l'homme qui avait frappé ma femme.

Je pris un coup de pied dans les côtés qui m'envoya à terre. Je soufflai brusquement, perdant mon air. Je roulai sur le côté alors que le pied d'Adonis frôlait mon crâne. Il cracha un juron et s'approcha de nouveau, prêt à me défoncer la gueule. Littéralement. Soudain, une ombre bougea.

Je vis les yeux brillants de la louve de Mitsuha. Elle sauta sur le dos d'Adonis, le frappant de toutes ses forces. La poigne de Mitsuha pouvait être forte, mais elle était une femme et c'était un homme doublé d'un putain de boxer. Il l'agrippa par les épaules et la fit voler contre une voiture.

Mon cœur cessa de battre pendant un instant.

Un cri échappa à Mitsuha, faisant péter un plomb à mon loup.

Il coula dans mes membres et se jeta sur Adonis.

Le visage. Les bras. Les côtes. Tout.

Mon loup visait tout. Il frappait, encore et encore.

Jusqu'à ce que nos phalanges soient douloureuses et en sang.

Je voulais qu'il souffre.

Jamais. Jamais quelqu'un ne toucherait Mitsuha comme ça.

Jamais. Moi vivant, jamais.

Soudain, Adonis tenta de me faire tomber et je pivotai sur le côté pour éviter la chute.

Un autre poing prit le relais du mien.

Aodh percuta la face d'Adonis qui retourna par terre.

Blake se joignit à lui.

Je regardai la scène avec une envie perverse. Adonis ne tint pas longtemps et tomba à terre.

Je pris une inspiration, mais une douleur me transperça de part en part. Putain, il m'avait dégommé les côtes.

Personne ne touchait à nos louves.

Personne.

Soudain, un cri résonna.

_ VOUS ALLEZ LE TUER ! ARRÊTER ! hurla Mitsuha.

La terreur dans sa voix nous figea tous les trois.

Je clignai des yeux et la vis appuyée là, contre le capot dont la vitre n'avait pas survécu à son impact avec elle. Elle avait une marque atroce sur sa joue et elle devait sûrement avoir mal aux dos, aux côtes et aux bras. Son regard était écarquillé.

Je voulus m'approcher d'elle, mais Aodh me devança.

Je déglutis lentement. La main de Blake sur mon bras me fit sursauter.

_ Il faut appeler une ambulance, souffla la voix de Mitsuha.

_ Il faut surtout faire passer ça pour autre chose, murmura Blake. Sinon...

_ Il a frappé Suha ! m'écriai-je. Il faut aller à la police et porter plainte contre ce connard.

_ Non ! hurla Mitsuha.

Elle repoussa Aodh et s'approcha de nous, son regard allant de temps à autres sur le corps tremblant d'Adonis.

_ Pas de police. Pas de plainte. Déposez-le aux urgences et barrez-vous.

Je repoussai la main de Blake qui me retenait et m'approchai de Mitsuha. Je frôlai sa joue abîmée. Elle frémit, mais ne s'écarta pas.

_ Il t'avait déjà frappé ? murmurai-je. Dis-le-moi.

Elle secoua la tête, son corps frémissant. J'enroulai mes bras autour de ses épaules et elle me laissa faire à ma grande surprise. Son corps tremblait légèrement. Je laissai ma chaleur se communiquer à la sienne, même si mon corps me faisait souffrir le martyre.

Soudain, un léger cri retentit. Ylesia était là, observant le massacre.

_ Bordel, c'est quoi ça ? grogna-t-elle.

_ Adonis a frappé Mitsuha, murmura Blake. On lui a réglé son compte.

C'est à ce moment-là qu'Ylesia prit les choses en main.

Je me retrouvai au foyer de la meute, Mitsuha avec moi. Ylesia avait été incapable de la renvoyer chez elle. Blake, comme si de rien était, avait pris le relais sur le match des jeunes. J'étais un piètre coach en plus d'être un piètre mari.

Ma Dominante avait fait appel à notre infirmier de secours pour me recoudre et faire un rapide diagnostic. Je me sentais atrocement mal, mais il me suffisait de regarder la joue de Mitsuha pour savoir que j'avais fait le bon choix.

En la suivant dehors, en désobéissant à Aodh, j'avais fait le bon choix.

Je pris une longue inspiration, qui me plus souffrir qu'elle ne me détendit. Et merde...

Mitsuha était en train de prendre sa douche, sous les commandes d'Ylesia. Celle-ci était furieuse, mais aussi inquiète. Mitsuha refusait de parler de ce qu'avait fait Adonis, ce que je pouvais comprendre. Néanmoins, ce n'était pas resté impuni, donc en ce qui me concernait, l'affaire était réglée. Jusqu'à ce que je croise cet enfoiré. Je le buterais de mes mains pour avoir blessé ma femme.

Ex-femme me grogna la voix de Connord.

Je détestai l'idée que Mitsuha se soit faite frappée par un homme qui était censé être... son petit ami. Je digérai très mal cette nouvelle, mais elle n'avait pas besoin de le savoir. Le mieux était de laisser faire les autres pour la rassurer et d'observer de loin si elle avait encore besoin de moi.

Je tentai de trouver une position plus confortable sur le canapé, mais grimaçai la seconde suivante. Mon arcade me tiraillait le visage, sinon rien de bien grave. Je crois bien qu'il m'avait cassé une côte, mais je survivrais. J'avais déjà connu bien pire. Mon loup aurait vite fait de soigner tout ça. C'était évident.

J'allais de nouveau tenter de trouver une meilleure position quand Ylesia apparut devant moi. Elle s'était changée et ne portait qu'un micro short pour dormir et un petit débardeur.

_ Mitsuha va rester dormir ici cette nuit.

_ Avec toi ? remarquai-je. Ça ne va pas plaire à Blake.

_ Ce ne sera pas la première fois, rétorqua Ylesia, mauvaise.

Je baissai les yeux. Elle n'était pas contente que j'aie fracassé la gueule d'Adonis. Et elle n'était pas satisfaite du comportement de son compagnon, ni de sa Main. Je pouvais comprendre, ce n'était pas quelque chose que j'approuvais certes, mais j'étais très fier d'avoir fracassé la gueule de ce connard. J'avais rapidement fait des recherches sur lui et avais découvert pas mal de casseroles. Que Mitsuha ne s'en soit pas rendu compte m'étonnait.

_ Est-ce que je peux lui parler ? soufflai-je.

Ylesia pinça ses lèvres, mais une voix prit le relais.

_ Ça ira, Sia, murmura Mitsuha. Je te rejoins.

Ylesia se pencha sur moi et j'eus une vue plongeante sur les seins de ma Dominante. Rien de bien nouveau. Ylesia avait des seins fantastiques, mais je préférais ceux de Mitsuha.

Les lèvres de ma Dominante se posèrent sur mon front, l'énergie de sa louve m'entourant légèrement.

_ Repose-toi, chuchota-t-elle simplement.

Mais son regard en disant bien plus. Je hochai la tête, un sourire grimaçant pour toute réponse.

Ylesia frôla Mitsuha au passage avant de se diriger vers l'aile de la maison qui leur était attitrée à Blake et elle.

Je regardai Mitsuha faire le tour du canapé pour venir s'installer en face de moi, sur la table basse du salon. Je déglutis en observant cette marque sur sa joue.

Cette simple marque qui me mettait dans tous mes états. Qui réveillait cette colère intense qui sommeillait en moi. En plus d'être une louve de ma meute, elle était ma compagne, ma femme. Voir ces blessures sur elle creusait un trou béant dans mon cœur. Je me rappelai cet instant volé à la patinoire. Avait-elle compris ce que je lui avais dit ? Et elle, avait-elle tenté de me passer un message ?

Elle avait eu quelqu'un. Adonis avait été quelqu'un qui aurait pu à terme rester dans sa vie, s'il n'avait pas été un narcissique machiste violent. Jusqu'où avait-elle été avec lui ? Avaient-ils baisé ensemble ?

Mon loup se recroquevilla face à cette pensée. Je fermai les yeux un instant, tentant de repousser la douleur qui me flinguait le crâne.

_ As-tu pris des médicaments ? souffla Mitsuha.

_ T'en fais pas, grognai-je. Et toi, comment tu te sens ?

Elle détourna son regard à son tour. Sa main frotta son bras, l'endroit où j'avais vu la première marque. La première marque qui avait semé le doute en moi. Un doute fondé visiblement.

_ C'était sérieux entre vous ?

Ma diarrhée verbale allait recommencer à cette allure. Et Ylesia n'était pas là pour m'arrêter.

Mitsuha cligna des yeux avant de rougir. Comment pouvait-elle rougir à ce moment-là ? Maudite bonne femme. Quand elle rougissait comme ça, je me rappelais nos débuts. La réserve dont elle avait fait preuve, avant que je ne la fasse jouir pour la première fois. Je me frottai la nuque, gêné de ma question à présent.

_ Non, admit-elle en se raclant la gorge.

Il ne fallait surtout pas que je lui pose l'autre question. La question qui me brûlait les lèvres. Enfin, à vrai dire, il y en avait deux à ce stade. Avait-elle couché avec lui ? Et la seconde, était-elle vraiment passée à autre chose ?

M'avait-elle oublié ? Elle aurait bien fait, mais cette partie de moi qui ne la laisserais jamais partir n'en avait rien à foutre.

_ Pas vraiment, soupira-t-elle. Mais ça n'a plus d'importance.

_ Tu lui as quand même sauvé la vie ce soir, malgré ce qu'il t'a fait...

Mon loup glissa dans mes membres et Mitsuha dut le sentir, car elle se figea. L'animal en moi voulait simplement la toucher pour voir si elle allait bien. Je n'étais pas sûr que ce soit une bonne idée en soit, mais je n'avais plus vraiment le choix à présent. Mon loup frôla sa lèvre inférieure de notre pouce. Je sentis son souffle se figer en elle.

_ J'aurais dû le tuer, murmura mon loup. Pour ce qu'il t'a fait. Deux fois. Sous mes yeux.

Mitsuha ferma les yeux quand mes doigts glissèrent sur sa pommette abîmée. Elle ne frémit pas, mais je pouvais percevoir son corps tendu au-delà de ce que mon loup voulait voir, sentir, ou même flairer. Il était à ce stade de pensée. Ce qui pouvait être dangereux.

Un bref flashback me fit reculer brusquement.

_ Je suis désolé, soufflai-je en posant mes mains sur mes genoux. Je ne voulais pas te faire peur.

Le regard de Mitsuha fouilla mon visage à la recherche de ce qui avait pu me faire reculer. Elle se mordit la lèvre et je détournai le regard, me sentant idiot de la pousser si loin dans ses retranchements.

Je voulais tellement la reprendre dans mes bras.

Je voulais la sentir contre moi, reprendre des forces auprès d'elle. Je voulais qu'elle sache que j'étais présent pour elle, même si c'était compliqué. Je poussai un long soupir.

_ C'est difficile hein ? souffla-t-elle.

Je serrai les poings. La main de Mitsuha se posa sur l'un d'eux. La fraîcheur de ses doigts me calma instantanément et désamorça la colère que je pouvais éprouver contre ma personne.

_ Merci... de m'avoir protégé ce soir, murmura-t-elle.

Je relevai mon regard sur son visage, confus.

_ Tu n'as pas à me remercier, Suha, répondis-je en secouant la tête. Jamais.

Elle sourit, mais son sourire était mélancolique. Assez pour que je le comprenne et qu'il résonne chez moi. Je pris sa main et embrassai doucement ses jointures.

_ J'aimerais...

Ma phrase fut interrompue par la porte d'entrée. Mitsuha et moi, on se redressa en même temps, comme si on avait été pris sur le fait.

Blake apparut dans le salon la seconde suivante, le regard plissé. Il fit la moue avant de pointer un doigt sur Suha. Elle se crispa et je vis son visage prendre une teinte légèrement blanchâtre. Comme si elle ne se sentait pas bien.

_ Toi, au lit, grommela-t-il. Tu restes ici jusqu'à nouvel ordre.

_ Quoi ? s'écria-t-elle. Non, je veux rentrer demain !

Je regardai tour à tour ma femme et mon Alpha. J'avais toujours adoré les écouter s'engueuler. Enfin, batailler verbalement. C'était toujours plus joli. Suha cherchait souvent mon soutien, je le lui donnais toujours en général. Cette fois-ci, il était hors de question qu'elle rentre chez elle. Hormis si je l'accompagnais. Seulement, vu mon état, je ne serais pas bon à grand-chose.

_ Tu n'as pas le choix, gronda Blake. Je suis ton Alpha, je donne les ordres. Va dormir.

_ Dans TON lit ! s'écria Mitsuha.

Blake ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Mitsuha bondit sur ses pieds pour se diriger vers l'endroit indiqué. Je haussai un sourcil en observant l'expression ahurie de mon Alpha.

_ C'est parfois tellement drôle de vous voir faire ça, admis-je du bout des lèvres.

_ Toi, tu dors ici aussi. Hors de question que je te laisse bouger dans cet état.

_ Je vais très bien, grommelai-je. Et puis, je dois rentrer. Priam arrive demain avec les mioches.

Blake fit la moue et pointa le canapé.

_ Tu restes ici, cette nuit. Le temps que les flics interrogent l'autre naze, il ne faudrait pas qu'ils puissent remonter jusqu'à nous. Aodh s'occupe des détails.

Je regardai un instant mes poings abîmés. Je soupirai alors que Blake prenait la place de Mitsuha sur la table basse. Je frottai mes cheveux avant de grimacer à cause de la douleur de mes côtes. Même pour un humain, il frappait bien.

_ S'il ne l'avait pas frappée, j'aurais pu croire que tu lui avais fracassé la gueule par simple envie, admit Blake en me regardant au fond des yeux.

Un rire mauvais m'échappa.

_ Je ne suis pas idiot, si je veux revenir dans sa vie, je sais ce que je dois faire et ne pas faire.

Je me figeai en même temps que Blake. Son regard s'écarquilla légèrement et je sus que j'avais employé les mauvais mots. Blake ne me laisserait pas revenir vers Mitsuha de son plein gré, pas tout de suite en tout cas. Il savait que j'étais sur la bonne pente mais, et si je rechutais ? Et si je blessais bien plus encore la femme que j'aimais ?

_ Alek, commença-t-il.

Je grimaçai et me levai.

_ J'ai compris, soupirai-je. J'ai mérité que personne ne me fasse confiance, surtout en ce qui concerne Mitsuha. Et je sais que j'ai grillé toutes mes possibles chances, mais croire en moi m'aiderait, tu sais ?

_ Alek, ne le prends pas comme ça, grogna Blake.

Je haussai mes épaules et grimaçai, marchant vers la sortie.

_ Je ne veux pas m'imposer, soufflai-je. Je vais rentrer. Si cela ne te dérange pas, j'aimerais quand même avoir des nouvelles de Mitsuha. Elle ne montre rien comme ça, parce qu'on lui a appris à garder la face, mais ça va lui revenir en pleine tronche.

Blake ne dit rien, mais je lus sur son visage ce qu'il retenait de dire. Il avait déjà géré Mitsuha après notre divorce, il savait comment elle était. Je déglutis encore une fois et sortis de la maison. J'avais encore mes preuves à faire visiblement et pas qu'aux yeux de Mitsuha, la principale intéressée.

Blake ne me retint pas et je rentrai à pied à la maison. Elle était plutôt loin et vu mon état, ce n'était pas terrible, mais je réussis après une heure de marche à rejoindre ma baraque. Je poussai le portail et entrai. Je pris soin de refermer correctement la grille et grimpai vers la maison.

J'arrivai en sueur à l'intérieur. Je retirai mes vêtements lentement et dus me contorsionner pour retirer mon t-shirt. La douche ne réussit pas à détendre mes muscles. Je tombai raide sur le lit et le souvenir m'engloutit.


Il n'y avait aucun bruit dans la maison. Je n'osais pas plus bouger. J'avais mis Mitsuha au lit en rentrant. L'intervention qu'elle avait subie l'avait vidée de toute énergie. À vrai dire, il n'y avait pas que ça qui l'avait vidée de toute énergie.

J'étais assis dans un coin de la chambre, observant sa poitrine se soulever doucement au rythme de sa respiration.

J'avais renvoyé tout le monde, y compris Blake. Je savais qu'il aurait aimé rester. Qu'il aurait aimé prendre soin de Suha. Seulement, je voulais qu'elle se repose. Qu'elle reste au calme. Je ne voulais pas qu'elle réfléchisse trop et en même temps, je ne pourrais pas l'en empêcher. Je n'avais plus les cartes en main depuis qu'elle était tombée enceinte, il y a de ça trois mois et demi.

Malheureusement, comme beaucoup de choses dans ma vie, tout ne s'était pas passé comme prévu.

Je fermai les yeux, appuyant ma tête contre le mur. Je pris une inspiration tremblante, avant de sentir mes yeux se mouiller. Quelques secondes plus tard, des larmes silencieuses coulaient sur mes joues.

Je serrai dans ma main, le petit chausson que Mitsuha n'avait pas voulu garder avec elle. Pourtant, je savais que c'était mieux qu'elle le garde. Un souvenir. Une mémoire. Une trace de ce qu'avait été notre fils dans nos vies...

Mitsuha avait fait une grossesse extra-utérine. Voilà ce qu'il s'était passé.

Elle n'était pas passée loin de la mort, j'en avais une conscience aigüe. Si je n'étais pas revenu sur mes pas en ayant oublié le sac qu'elle m'avait demandé d'amener chez Blake... Elle se serait vidée de son sang, seule. Ici, dans cette grande maison qui abritait certains de nos souvenirs que nous avions déjà réussis à nous créer ensemble.

Je déglutis, cette image d'elle inscrite sur ma rétine. Son corps dans cette marre de sang. Aodh avait tout nettoyé avant que nous ne rentrions, mais je savais que la lingerie serait à modifier. Elle avait perdu beaucoup de sang au moment où j'étais revenu. Même mon loup n'avait pas senti qu'elle s'était évanouie... Ce simple fait me faisait atrocement peur. Il me faisait presque mal en fait. À vrai dire, mon loup était dans un état de peur constante depuis que nous avions découvert le corps de notre femme sur le sol de notre maison.

L'intervention de Mitsuha s'était bien passée et elle n'aurait que peu de séquelles apparemment. D'après le médecin, il fallait attendre.

Il y avait quelques semaines, nous nous mariions. Il y avait quelques jours, j'étais prêt à devenir père. À présent, je ne savais même pas comment consoler celle que j'aimais. Celle que j'avais failli perdre.

Je tirai un instant mes cheveux, retenant mes sanglots.

Devenir le père de ce petit garçon aurait été pour moi une épreuve. Suha en était consciente. Seulement, j'avais accepté. Enfin, j'avais accepté l'idée de devenir père. C'était un léger accident de base. Mais malgré tout, je m'étais fait à l'idée. J'avais espéré être bon dans mon rôle... Peut-être qu'au final, il y avait une bonne raison pour laquelle cet enfant n'était pas venu au monde.

Un souffle moins régulier me fit redresser la tête. Mitsuha était assise au bout du lit, son regard posé sur moi. Elle aussi avec les yeux rouges et gonflés. Elle aussi avait des larmes sur ses joues humides. Je déglutis et me levai pour aller vers elle.

_ Je... c'est ma faute, bredouilla Suha. Je n'ai pas assez...

Je posai un doigt sur sa bouche, mes mains glissant sur joues, tentant d'effacer les larmes qui noyaient ses beaux yeux.

_ Rien n'est ta faute.

Son regard se posa sur ce que je tenais du bout des doigts. Elle tira sur les petites chaussures de garçon que je lui avais offertes. Elle les reprit et éclata en sanglots douloureux dans mes bras.

Je réussis à la coucher de nouveau et la gardai contre moi jusqu'à ce qu'elle s'endorme. La douleur était si forte, là, au creux de mon corps. Je ne pouvais imaginer la souffrance qui grignotait le cœur de Suha. Elle aurait fait une mère parfaite. Elle aurait aimé notre petit garçon tout autant qu'elle m'aimait moi, malgré mes défauts et les emmerdes que je lui apportais.

Être père avait été un rêve pour moi. Rien de concret n'avait été sous mes yeux, hormis la douce énergie de ma femme qui s'était modifiée au fil des mois.

À présent, le rêve était brisé.

Pour Suha, c'était bien pire. Elle avait senti son corps changer pour accueillir notre fils. Elle avait senti l'énergie si fine et pourtant si pure de l'enfant qu'elle avait porté.

Ce n'était pas sa faute. D'après le médecin, les grossesses extra-utérines étaient surtout dangereuses pour la mère. Les hémorragies liées à ce genre de grossesses pouvaient être fatales, l'étaient d'ailleurs dans la plupart des cas. J'étais revenu à temps... c'était tout ce qu'il comptait à partir de maintenant. Tout ce qui importait c'était de prendre soin de Mitsuha.

Car elle était irremplaçable à mes yeux.

Jamais, pour rien au monde, une autre femme ne pourrait la remplacer.

Jamais.


Je grognai en entendant la porte de la maison s'ouvrir. Les cris des gosses résonnèrent. J'entendis Priam m'appeler, mais avant de le voir j'aperçus Riham et Unai devant ma porte de chambre.

_ Priam ! cria Unai. Alek s'est battu !

Riham s'approcha de moi pour venir s'asseoir sur le lit. Il toucha ma pommette et je grimaçai, soufflant de douleur.

_ Aieuh, grondai-je.

_ Tu vas tellement te faire engueuler, souffla Riham, réconfortant.

Je fis la moue au moment où Priam passait la porte de ma chambre, suivi de près par Eziah. Elle aussi ouvrit grand la bouche en voyant ma tronche.

_ J'espère que l'autre est dans un état bien pire, sinon tu baisserais dans mon estime, grogna Priam.

Je fis la moue avant de détourner le regard.

Quelques minutes plus tard, j'étais lavé et j'avais un simple jogging sur les hanches. Je me frottai encore les cheveux pour éliminer les dernières gouttes d'eau. Riham vint me chercher pour manger le petit déjeuner.

Je le suivis en maugréant. J'avais de belles marques sur le torse. Toutes me faisaient atrocement mal, mais je ne dis rien. J'avais récolté ces blessures de guerre en protégeant Mitsuha, rien de plus revigorant que cette idée.

Eziah me tendit un verre de jus d'orange. Je remarquai la marque qu'elle avait sous l'œil. Résidu d'un bleu qui n'était pas encore parti. Priam portait aussi une étrange marque de coups et je sus immédiatement qu'ils s'étaient battus tous les deux. Pour une bonne ou une mauvaise raison, là était toute la question. Je n'étais pas sûr de vouloir savoir.

_ Vous avez fait bonne route ?

Priam haussa un sourcil et je me souvins qu'ils ne faisaient pas la route jusqu'ici de manière ordinaire. Un petit coup de main magique était à leur disposition.

_ Puis-je savoir pourquoi tu portes ces marques toutes aussi horribles les unes que les autres, fils ?

Je rougis, ne pouvant m'en empêcher. Quand Priam m'appelait comme ça, je perdais au moins vingt ans d'âge mental. Ça lui avait déjà échappé quelques fois. Le plus souvent, il continuait à m'appeler comme il le faisait d'habitude « bonhomme ». À bien des égards, je voyais Priam comme mon père. Même si je savais qu'au fond de moi, ce n'était pas mon géniteur. Honor ne m'en avait pas encore parlé et avec tout ce dont j'avais été témoin ces derniers mois concernant sa vie, ce n'était peut-être pas plus mal que je ne sache pas.

_ C'est compliqué, soupirai-je.

_ Une bataille est toujours compliquée, bonhomme. À toi de savoir si tu es prêt à prendre des coups... comme ça, ou être intelligent, assez pour te protéger. N'as-tu donc aucune défense ?

Ouais. Priam était énervé. Quand il bougonnait comme ça, c'était évident.

Je sursautai quand Riham toucha un de mes bleus. Je repoussai le mioche du bout du doigt en lui grognant dessus. Je me laissai tomber sur ma chaise en grimaçant. La table était recouverte de plats appétissants.

_ C'est Mitsuha. Ce qui lui servait de copain l'a frappé, marmonnai-je sur un ton sombre. Sauf qu'il ne m'a pas vu arrivé.

Priam s'assombrit à son tour et pinça ses lèvres. Honor avait eu droit à un des mauvais traitements de la part de son ancienne meute, Priam faisait donc doublement attention à elle. Encore plus avec ce qu'il s'était passé dernièrement à l'orphelinat.

_ Tu lui as fait mal ? gronda Priam.

Je hochai la tête alors qu'Eziah, Unai et Riham grondaient leur avis. Positif apparemment. Je ne relevai pas. Bon sang, c'était encore des gamins pour Riham et Unai. Je ne pouvais pas les pousser à frapper des gens, non ? Bon, hormis pour défendre ses proches ma foi. Ça rentrait dans les clous.

_ Comment va-t-elle ? s'enquit Priam en me tendant un pancake.

Je le pris et le recouvris de sirop d'érable. Je le roulai et le mangeai avant de répondre.

_ C'est une femme forte, murmurai-je. Elle s'en sortirait sans trop de traumas. Après tout, elle m'a eu en mari. Rien ne pourrait être pire...

Je couinai quand la claque de Priam fit résonner mon crâne. Je me frottai la tête, une moue sur le visage. Priam haussa un sourcil et me fit un signe de tête qui signifiait « mange et tais-toi ». J'allais m'y atteler quand Riham tenta de me piquer mon second pancake. Je l'attrapai la main dans le sac et ouvris la bouche pour l'engueuler, mais ma sonnerie résonna dans la maison.

Je fronçai les sourcils. Qui ça pouvait bien être à cette heure-ci ? Blake ne s'embarrassait jamais de la sonnette et accessoirement, peu de gens de la meute venaient ici. Je n'étais pas encore rentré dans les bonnes grâces de tout le monde. Je basculai Riham sur mon épaule sa tête en bas alors que son rire éclatait dans la maison.

J'allais ouvrir la porte avec mon sac à patates.

Je me figeai sur le seuil, conscient que la personne qui se trouvait venait de sonner alors qu'elle se trouvait chez elle. Mitsuha se tenait là, devant moi, un vieux jogging de Blake sur le dos. Son regard brillait de sa louve.

Merde... ce n'était pas Suha, mais bien l'animal en elle qui avait les commandes.

Son regard se posa sur le cul de Riham avant que celui-ci ne se redresse en me tirant les cheveux.

_ Je... pardon... je n'aurais pas dû venir sans prévenir, murmura la voix tendue de la louve.

Je n'en revenais tellement pas qu'elle soit là que mon cerveau eut du mal à redémarrer. Elle m'avait fait planter. Oh bon sang... Mitsuha... Mitsuha était devant ma porte.

_ Tu es Mitsuha ? fit Riham.

Je lâchai le gamin qui sauta souplement sur ses pieds.

_ Va m'attendre dans la cuisine, gamin, maugréai-je.

Il fit coucou de la main à Mitsuha, mais celle-ci semblait bien trop surprise de sa présence. Elle lui rendit machinalement son geste, mais quand son regard se posa sur moi, je sus qu'elle n'avait pas prémédité son geste de venir ici.

Je sortis et la fraîcheur s'accrocha à mon torse nu. Merde, j'avais oublié que je me donnais en spectacle. Le regard de ma louve glissa rapidement sur moi, avant qu'elle ne réussisse à se concentrer sur mon visage. Mon sourire devait parler pour moi. J'aimais savoir que mon corps attirait toujours ma femme, c'était un bon point. Dans le genre : je peux utiliser mon corps pour te faire craquer. J'avais toujours été déloyal sur ce plan avec Mitsuha. Elle craquait souvent...

Je regardai sa joue et découvris un bleu encore plus moche que la veille. Je fis la moue et elle recula d'un pas, regardant autour d'elle, mais pas moi.

_ Je... je n'ai pas le droit d'être là, murmura-t-elle.

_ Arrête, Suha, soufflai-je. Tu es chez toi ici. Tu le sais bien.

Je voyais bien que la louve luttait contre quelque chose. Elle n'avait pas aimé se faire battre hier par un inconnu. Mitsuha était très bonne en art martial, sa louve utilisait plus souvent une force brute pour se défendre. Malgré toute son agilité, Adonis avait pris le dessus par la force et ça, sa louve n'avait pas dû bien le prendre. Pas du tout même...

Que venait-elle chercher ici au final ?

Que venait-elle chercher avec moi ?

Je ne réfléchis pas trop à mes gestes suivants. Je m'approchai de la louve. Quand je tendis mes bras pour les enrouler autour d'elle, elle ne bougea pas. Elle resta tendue pendant les premières secondes.

_ Tu seras toujours chez toi ici, louve, murmurai-je.

Des mains douces se glissèrent sur mes côtes et se retrouvèrent dans mon dos. Je réussis à ne pas frémir de douleur quand le corps de Mitsuha se pressa contre le mien. Un petit nez se faufila dans mon cou et la louve resta là, nichée au creux de ma chaleur.

_ Tout ira bien, soufflai-je. Tu es en sécurité ici.

Je la serrai doucement avant de me rendre compte que Priam était dans la maison. Mitsuha ne l'avait pas encore rencontré. Tout comme ma mère, je voulais que Mitsuha rencontre ma nouvelle famille. Celle qui me faisait du bien. Qui me permettait de me retrouver et de vivre sainement. Qui m'offrait la possibilité de revenir vers elle.

Grâce à Priam, à Honor et aux autres, j'avais l'espoir fou de pouvoir revenir vers Mitsuha. Était-ce idiot ? Je n'en savais rien, mais je voulais tout faire pour que ça fonctionne.

_ Tu veux bien rentrer ? dis-je d'une voix douce. Il y a quelqu'un que j'aimerais que tu rencontres. Il est... un peu comme un deuxième père pour moi.

Je me reculai lentement pour observer le doux visage de ma femme. Elle avait des yeux brillants. Je ne voulais pas qu'elle soit triste. Je ne le voulais plus... Tout ça était dans notre passé et il fallait que nous avancions. C'était le moment.

Mais cela ne voulait pas dire d'avancer séparément.

Bien au contraire...

_ Je... je ne veux pas m'imposer, murmura la louve.

Les mains de Mitsuha se crispèrent sur mes bras et soudain, l'éclat dans les yeux de ma femme diminua. Assez pour qu'elle secoue la tête et reprenne doucement le dessus, avec sa propre personnalité.

_ Oh bon sang, murmura-t-elle. Je... Alek... Je suis désolée. Je ne pensais pas qu'elle... Je...

Je posai une main sur sa joue valide et elle se figea un instant, son regard brillant plonger dans le mien.

_ Respire, Suha, l'interrompis-je tendrement. Est-ce que tu as mangé ? Veux-tu partager un petit déjeuner avec nous ?

Elle rougissait encore quand je pris sa main dans la mienne.

_ En fait, tu n'as pas le choix, décidai-je. Tu viens manger, j'entends ton ventre d'ici.

_ C'est faux ! maugréa-t-elle. Mon ventre ne gargouille pas !

Je ris avant de fermer la porte du bout du pied. Mitsuha s'arrêta dans notre vestibule et remarqua les cadres à leur place, les manteaux bien rangés. Comme elle aimait. Il y avait seulement les chaussures des gosses qui trainaient là, en tas bien alignés.

_ Aodh ne va pas être content, murmura Suha alors que je haussai mes épaules.

_ Au moins, tu es en sécurité ici. Alors, peu importe. Viens, je veux que tu rencontres Priam.

_ Priam ? souffla Suha.

Je passai dans la cuisine et tombai sur la plus étrange et belle des scènes qui avait habité cette maison. Priam versait du jus d'orange dans un verre, à côté d'un thé et de quelques pancakes recouverts d'un délicieux sirop d'érable de la région. Unai s'approcha de Mitsuha et son sourire fut immense.

_ Tu es l'amoureuse d'Alek, dit-il. Je te reconnais. C'est toi qui portes de belles robes sur les photos.

Mitsuha rougit instantanément pendant que je fusillai Unai du regard. Il allait me griller cet idiot. Eziah apparut derrière lui et posa une main sur sa bouche.

_ Pardonne lui, il a un problème de facultés cognitives. Il a pris des coups sur la tête. Je m'appelle Eziah et lui c'est Unai. On est les frères et sœurs par extension d'Aleksey. Ravie de te rencontrer enfin.

Ouah ! C'était beaucoup mieux comme introduction. Mitsuha serra la main d'Eziah avec un léger sourire et une pointe de respect dans son regard.

_ Enchantée Eziah. Moi c'est Mitsuha. Ravie d'apprendre qu'Aleksey a des frères et sœurs aussi intelligents.

Priam s'avança à son tour avec ce sourire qui lui était caractéristique. Qui respirait l'honnêteté, la gentillesse et une touche de sincérité qui me faisait comprendre pourquoi Honor était tombée amoureuse de lui.

_ Ça ne vaut que pour moi, remarqua Eziah.

Riham fit la moue, mais il avait la bouche pleine alors il ne pouvait rien dire. Priam secoua les cheveux d'Eziah avant de tendre sa main à Mitsuha.

_ Moi c'est Priam. Je suis le Régent de ces trois-là, voire ces quatre-là dirais-je. Je suis heureux que tu sois là aujourd'hui, Mitsuha. Déjeune avec nous.

Évidemment, Suha ne put refuser. Priam la poussa à s'asseoir et se mit à lui poser des questions tout à fait innocentes sur son travail, sur ses passions, sur ses origines.

Je m'assis sur la chaise juste à ses côtés, observant son visage comme si je le redécouvrais après toutes ces années.

Mitsuha souriait doucement, à peine timide. Elle rit même à un moment et ce son me transporta loin.

Quand est-ce que je l'avais entendu rire pour la dernière fois ?

Mince, Unai avait raison.

J'étais vraiment et irrémédiablement amoureux de la femme à côté de moi.

Mafemme. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top