13 | Aleksey

J'avais la moitié de mon corps dans le dressing quand Honor passa sa tête dans la chambre. Je n'étais pas très concentré et j'avais une étrange boule dans la gorge.

J'avais pourtant bien rangé ces maudits chaussons à un endroit, non ? J'étais sûr de les avoir dans ma poche en rentrant du dernier entraînement. Je ne les aurais jamais laissés dans un coin sans protection. N'est-ce pas ?

_ Alek ? Que se passe-t-il ?

Je me laissai tomber sur mes fesses, puis sur le dos, en plein milieu de ma chambre. Honor pencha sa tête et je vis son visage à l'envers. Son visage qui ressemblait étrangement au mien sous bien des aspects. C'était toujours très drôle à voir. J'étais habitué à avoir mon reflet féminin en face de moi depuis quelques jours. D'ailleurs, j'étais rassuré qu'elle m'appelle enfin Alek. Aleksey, c'était bien trop sérieux. Et je voulais qu'Honor fasse partie de ma vie. Complètement et pour le reste de ma longue et misérable vie de poisson rouge.

_ J'ai perdu les chaussons de Kôta, soupirai-je en pressant mes paupières.

Je n'aurais pas pleuré pour des chaussons, mais j'aurais pu m'énerver. J'étais à l'envers de ne pas les trouver. Ces chaussons, même s'ils n'étaient pas vitaux, étaient très importants pour moi et je ne voulais pas qu'ils soient abandonnés je ne sais où. Ils étaient mon talisman du moment.

_ Kôta ? répéta Honor. C'est un joli prénom. C'est japonais ?

J'avais oublié de parler de Kôta à ma mère. Mince. Ce n'était pas une mauvaise volonté de ma part. Seulement, même si Honor et moi essayions de nous raconter plein d'anecdotes, c'était compliqué de ne rien oublier.

Je regardai le ventre rond d'Honor qui dépassait sous son t-shirt qui lui servait de pyjama. Elle s'était réveillée il y avait à peine une heure et adorait se trimballer en pyjama dans ma maison. Ce que Priam trouvait très drôle soit dit en passant.

Cette fois-ci, pour avoir un peu de temps, Honor et Priam étaient venus seuls. Cela me faisait bizarre de ne pas voir les gosses, mais je faisais avec. Ils reviendraient bien assez tôt.

Je me redressai et tendis ma main à ma mère. Elle la prit sans réfléchir et je la guidai à l'étage de ma maison. Le couloir que je n'empruntai que très rarement ne portait plus de cadres de photos ni de décoration particulière. J'avais même retiré les autocollants de la porte que Mitsuha m'avait supplié de mettre à l'époque.

Je poussai la porte lentement et laissai Honor entrer dans l'antre de notre bébé qui n'avait jamais pu voir sa belle chambre. Nous avions passé énormément de temps avec Mitsuha à se mettre d'accord sur la décoration de cet endroit.

Sur le mur gauche, il y avait un gros autocollant qui représentait une immense branche d'un cerisier en fleurs. Les tons étaient rosés, mais rien ne présageait que c'était la chambre d'une fille puisque le reste du mobilier avait plus été dirigé vers du masculin. Sans le savoir, Mitsuha m'avait guidé vers le bon sexe de notre enfant.

Honor se figea un instant en plein milieu de la pièce. Elle frôla le berceau vide du bout des doigts.

_ Mitsuha a fait une grossesse extra-utérine. Elle n'a jamais commencé son cinquième mois.

_ Kôta, souffla Honor.

L'entendre murmurer ce prénom me donna des frissons. Je revoyais encore le médecin m'annoncer que c'était un petit garçon. Mitsuha n'avait pas voulu au début lui donner un prénom. Pour un garçon, Kôta. Pour une fille, Leila. Alors, je lui avais simplement murmuré que notre Kôta était à présent avec Sharan et qu'elle veillerait sur lui à partir de maintenant.

_ J'ai retrouvé Mitsuha en sang dans notre chambre. Un coup de chance puisque je partais de la maison pour aller voir Blake. Elle était là, allongée, immobile dans cette mare de sang qui était le sien. Son pronostic était engagé après sa chirurgie. Elle aurait pu mourir.

_ Qu'est-ce que tu ressens quand tu me racontes ça, Alek ? me demanda Honor.

Je vis qu'elle avait posé sa main sur son petit ventre rond. Comme si elle se rassurait. Ce que je pouvais comprendre. J'aurais sûrement fait la même chose si j'avais eu mon enfant dans mes bras.

Qu'est-ce que je ressentais ? C'était difficile à dire.

_ De la colère, admis-je. De l'injustice.

_ Explique-moi, insista Honor.

Je fronçai les sourcils, mais l'écoutai. En général, le travail sur les émotions était toujours très important. Si Honor me le demandait avec tant de détails, c'est que je devais trouver à quoi cela pouvait me servir. Honor n'était pas une femme compliquée. Elle était honnête, ferme et elle savait me mener sur le chemin qu'elle voulait que j'emprunte.

Je regardai la chambre de Kôta.

_ La colère parce que je voulais cet enfant. Je voulais que Mitsuha soit une mère. Elle aurait été une mère formidable tu sais ?

_ Et toi un père tout aussi parfait, dit-elle en revenant vers moi.

Elle posa doucement sa main sur mon bras et je la poussai à sortir de cette chambre. Malgré qu'elle soit très belle, je n'avais jamais réussi à y retourner plus de trois fois. Quatre avec aujourd'hui.

_ La colère parce que nous n'avions rien fait pour que cette grossesse se passe mal. Ou se termine mal. En colère parce que j'étais pieds et poings liés sachant ma femme au bord de la mort.

_ Et l'injustice ?

Je réfléchis un instant à cette question avant de hocher la tête.

_ Car Mitsuha a tout fait dans les règles. Elle a tout suivi à la lettre. Son corps l'a trahi. Jamais je ne pourrais retirer ce poids de ses épaules. Elle me l'a énormément répété. Me disant que c'était sa faute. Que son corps n'avait pas été...

_ Je penserais exactement la même chose si mon corps me trahissait pour une petite vie comme celle que nous protégeons pendant notre grossesse, admit Honor.

Je ne relevai pas. Évidemment que Mitsuha avait ressenti ça. Comme quand je me blessais et que mon corps ne répondait pas comme je le désirais. Pire encore, en plus de subir l'injustice de sa propre défaillance, il fallait aussi accepter la perte d'un être cher. En cela, je saluais la force brute que Mitsuha avait su tirer de cette affreuse période. J'avais toujours fait en sorte d'être très présent à l'époque. Et de la stimuler autant que possible.

Honor me poussa à prendre la direction du jardin. On y trouva Priam qui tentait de remettre de l'ordre dans ce qu'avait pu commencer Mitsuha à l'époque. En quatre jours, ça donnait quelque chose de sympathique à regarder vraiment.

_ Je t'ai demandé ça, Alek, tout simplement parce que notre pouvoir puise sa force dans nos émotions. Si tu arrives à contrôler et à reconnaître l'émotion qui t'assaille, tu es plus à même de la contrôler. À ce qu'elle ne te submerge pas.

Oui, Honor savait très bien ce qu'elle faisait avec moi. Elle s'était déjà excusée de nombreuses fois pour m'avoir légué ce don.

_ Je veux que tu puisses sentir ta colère grimper en toi et la stopper. Ou, à tout le moins, faire en sorte de t'écarter avant de laisser ton pouvoir prendre le dessus. La colère, la rage, la peur, la tristesse. Toutes ces émotions sont violentes. Elles réveillent notre pouvoir, nous poussant à nous protéger.

Je suivis Honor dans le creux du jardin qui amenait à une grande piscine depuis longtemps abandonnée. Il faudrait que je la remette en état. Honor en suivit le bord et se posta de l'autre côté de la piscine, me regardant de loin.

_ Quand tu fais l'expérience d'une émotion violente, ton loup tente de prendre ta défense. Dans un vieil instinct que tu connais sous le nom d'instinct de survie.

Je hochai la tête, laissant mon loup entendre tous ces conseils. C'était important pour nous.

_ Il est important de le laisser faire, sinon, il pourrait devenir bien plus violent que tu ne le souhaites. Cependant, quand tu éprouves ce genre de sentiment violent, tu dois pouvoir te maîtriser un minimum.

Elle regarda le ciel avant de fermer ses yeux. Elle sourit soudain et son regard se porta dans mon dos. Je pivotai et vis Priam qui nous observa avec un regard si fier que cela me tira un rougissement. Je retournai mon attention sur Honor.

_ Notre pouvoir vient directement de la branche des Eranthe, Aleksey. Peux-tu me dire ce qu'est une Eranthe, un Eros ?

_ Il protège l'équilibre des jeunes, soufflai-je.

_ Certes. C'est son rôle au sein même d'une meute. Mais sur quoi repose son pouvoir ?

_ Apaiser les loups, répondis-je en premier lieu.

Puis, j'y réfléchis un peu plus.

_ Apaiser les émotions des loups, me corrigeai-je.

Honor sourit et hocha la tête. Son regard se mit à briller et je sentis sa puissance courir le long de mes jambes. C'était étrange et un peu déstabilisant. Mais ce n'était pas encore son pouvoir. Simplement sa louve qui tentait de voir si j'étais souffrant ou non.

_ Malheureusement pour nous, nous avons simplement hérité de la partie contrôle de ce dont les Eranthe sont capables de faire. Un Eros, ou une Eranthe, va chercher à apaiser les émotions de la bête. À contrôler les émotions de la bête pour qu'elle soit calme, pour qu'elle soit assez à l'écoute de l'autre. Nous, nous contrôlons la bête. Nous soumettons les émotions de la bête à notre contrôle. Si je veux que tu te soumettes à ma parole, je peux contrôler ta peur. Je peux contrôler ton loup pour qu'il m'obéisse. Pour qu'il fasse exactement ce que je lui dis de faire. Si je veux écraser la moindre étincelle de volonté en toi, je peux le faire.

Je frémis. Mon loup, lui, comprenait un peu mieux ses capacités. Il comprenait en quoi il pouvait être dangereux pour Mitsuha. Pour notre femme.

— Je n'ai pas besoin de retomber amoureuse de toi, Aleksey, parce que je t'aime toujours.

Je pris une longue inspiration en entendant encore ses mots. Ils ne cessaient de tournoyer dans ma tête. Je pouvais faire quelque chose. Je pouvais maîtriser notre pouvoir et retourner vers Mitsuha. Je pouvais lui donner une raison de plus de me faire confiance.

_ Obedienter, souffla Honor. Voilà comment on nous appelait, quand nous étions encore quelques-uns.

Ce mot me fit frémir et appela ce qui se cachait en moi.

_ Nous n'utilisons plus ce terme dans notre jargon, remarqua ma mère. Tout comme nous avons oublié ce qu'était un Soigneur. Ce sont de vieux rangs qui ont disparu au fil des années. Si j'ai cru que tu serais épargné parce que tu étais un garçon, j'ai eu tort. Tu as reçu le don d'obédience.

Soumission en d'autres termes. Je savais ce que voulait dire obédience et cela ne me plaisait pas. Malheureusement, je ne pouvais pas choisir ce que je portais en moi. Cette chose qui me venait de ma mère. Elle était la seule à pouvoir m'aider. J'en étais pleinement conscient.

_ Il y en a d'autres comme moi ? m'enquis-je en m'asseyant sur le bord de la piscine.

Honor m'observa pendant de longues secondes avant d'hausser ses épaules.

_ Je ne saurais le dire. Nous n'avons jamais été bien vus par notre propre race justement à cause de cette capacité. Alors, la plupart se sont cachées. Je ne connaissais que des femmes jusqu'à toi.

Je tapotai mes cuisses pendant un instant avant de relever mon regard sur elle.

_ Apprends-moi, assenai-je. Apprends-moi à le contrôler.

Honor pencha doucement sa tête avant d'acquiescer.

_ Cela demandera beaucoup d'heures de concentration, admit-elle. De méditation. De dévouement à tes propres problèmes, Alek.

Je me levai et hochai la tête.

_ On commence quand ? grognai-je.

_ D'abord, trouvons ces chaussons, remarqua Honor.

Je me frottai le crâne, observant mon portable pendant quelques secondes. Je tentai de me refaire la scène qui avait eu lieu lors de l'entraînement à la patinoire. J'avais tendu les chaussons à Mitsuha, mais les avait-elle pris en main une seule fois ? Je n'en savais rien.

_ C'est bien ce soir que Blake vient manger avec sa compagne ? me cria Priam de la cuisine.

Il goûtait avec Honor. Cette dernière avait ses petites envies et Priam se faisait un honneur d'y répondre à toutes.

_ Ouaip ! lui répondis-je du salon.

Je soupirai et tapai mon message, me faisant l'effet d'un idiot.

* Suha, aurais-tu à tout hasard vu les chaussons de Kôta ?

Je fermai mon portable et le posai sur la table. C'était très étrange de recommencer à s'envoyer des messages. À vrai dire, on le faisait un peu tous les jours depuis qu'on avait recommencé. C'était toujours très étrange, avouons-le. Mais ce qu'elle m'avait dit me trottait dans la tête. Je ne voulais pas changer ça. Pour rien au monde. Alors, il fallait que je continue de discuter comme si tout était relativement normal. Assez pour avoir de petites conversations.

Quelques minutes supplémentaires passèrent avant que mon portable ne vibre.

*Les chaussons sont avec moi. Désolée, je ne pensais pas les avoir pris. Tu veux que je te les amène ?

Je pris une longue inspiration. Peut-être que je pouvais arranger une nouvelle visite ? Qui sait, Mitsuha ne faisait peut-être rien ce soir. Même si Yotsuha était là avec Masao. Je me levai et allai voir Priam et Honor.

Ils étaient penchés l'un sur l'autre, Priam embrassant délicatement Honor. Ils se redressèrent naturellement, pas du tout gênés par ma présence.

_ Est-ce que je peux inviter quelqu'un d'autre ce soir ? m'enquis-je.

Priam jeta un coup d'œil amusé à Honor.

_ Pourquoi nous demandes-tu la permission, bonhomme ? C'est ta maison ici. Et crois-moi, tu mettras autant la main à la pâte que Yana et moi.

Je retins un rire et retournai me cacher dans le salon. J'entendis à peine les chuchotis des deux amoureux dans la cuisine. Huyana, avait été le vrai prénom de ma mère. Depuis longtemps maintenant, elle se faisait appeler Honor. Mais Priam l'avait connu et aimé sous son vrai prénom. Alors, il continuait de l'appeler Yana.

Je m'assis de nouveau sur le canapé, jetant un rapide coup d'œil au match de hockey qui apparaissait à la télévision. Mon équipe fétiche ne gagnait pas et c'était rageant.

J'ouvris de nouveau mon portable.

*Veux-tu venir à un repas ce soir ? Blake et Ria viennent dîner pour rencontrer ma mère. J'aimerais bien que tu la vois toi aussi. C'est important...

Quelques secondes passèrent avant que mon cœur ne fasse un autre bond dans ma poitrine. J'avais vraiment l'impression d'être un collégien lors de sa première relation amoureuse.

*Je devais dîner avec Masao et Yotsuha ce soir...

Oh. Je me tapotai la bouche avant de lever les yeux au ciel. Cela faisait deux ans que je n'avais pas vu Yoyo. Autant qu'elle vienne aussi non ? Si cela ne la dérangeait pas évidemment.

*Qu'ils viennent avec toi. Si cela te convient évidemment. J'ai vraiment envie de te voir.

Ma franchise avait toujours payé avec Suha. Je la voyais d'ici peser le pour et le contre.

*Aller Suha, ça va faire cinq jours. C'est long cinq jours, tu sais ? Assez pour que je me retienne de venir frapper à ta porte pour t'embarquer dans une longue promenade.

Je n'eus pas de réponse pendant quelques minutes, puis je souris en lisant son message.

*Une promenade serait bien. Yotsuha a validé ton invitation. Masao aussi. Que doit-on amener ?

Je me retins de sauter de joie sur le canapé. Je bondis sur mes pieds et tapai un rapide message à Blake pour lui dire de prévoir du vin et du saké. Je revins sur la conversation avec Suha.

*Viens comme tu es. Pour la promenade, je choisis l'endroit.

Je reçus une rapide réponse, mais aussi un petit grognement qui me faisait comprendre qu'elle n'aimait pas arriver les mains vides.

Je dus aller faire quelques courses supplémentaires pour les personnes que j'avais invitées en plus. Honor m'avait rassuré quant au plat qu'elle voulait faire. C'était aisément multipliable par le nombre de personnes que je voulais inviter. De quatre, nous étions passés à sept. Rien de trop déstabilisant dirons-nous. Je me garai devant le supermarché habituel et bondis hors de la voiture. Je pris un caddie pour ne pas terminer surcharger. Je tirai la liste de ma poche arrière et appréciai l'écriture lisible et belle d'Honor. Je trouvai le tout rapidement et en une demi-heure, mon caddie fut rempli. Satisfait, je retrouvai le chemin des caisses. Je tombai nez à nez avec Anibal au détour d'un rayon.

Ses vêtements n'étaient pas aussi propres que d'habitude et son visage portait des traces de... terre ? Je fronçai les sourcils pendant qu'il prenait un air vaguement surpris.

_ Salut Coach !

_ Depuis quand le foyer vous laisse-t-il des heures aussi souples de sortie ? grognai-je en m'approchant de lui.

Mon loup grimaça en sentant l'odeur nauséabonde qui me venait de lui. J'avais eu droit à quelques détails de sa part quant à la vie qu'il avait menée là-bas, au Mexique. Son recrutement chez nous tenait du miracle, merci à Blake qui faisait le tour du pays pour trouver de jeunes talents.

Ani était donc arrivé ici, sans ses parents, puisque ceux-ci visiblement avaient coupé tout contact avec lui. Il avait été placé dans un foyer tenu par l'Etat tout simplement, car nous ne pouvions pas le prendre en charge nous-mêmes. Nous n'avions pas d'internat pour nos joueurs. Tant qu'Ani était mineur, nous ne pouvions pas faire autrement.

_ J'ai eu une permission. Vous en avez des courses dis donc. Je peux venir manger avec vous ?

Même si lui ne le sut pas, j'entendis très bien son ventre grogner. Pour un gosse de son âge, c'était normal. Mais quelque chose me poussa à faire attention à ce détail. Quelque chose n'allait pas. Devais-je appeler le foyer ? Non. J'avais gagné la confiance d'Ani. Je ne pouvais décemment pas changer ça.

_ Tu n'es pas attendu ce soir ? remarquai-je en croisant mes bras sur mon torse.

_ Oh, est-ce que la meuf à la salopette sera là ? Qu'est-ce qu'elle était sexy, Coach ! C'est la sœur de M'dame Yamada en plus ! La beauté c'est de famille.

Je levai les yeux au ciel avant de lui mettre une claque sur la tête.

_ Ferme la, gamin et dis pas trop de connerie sur ta préparatrice.

_ Yotsuha ! se rappela Ani en levant un doigt. Coach, vous devez m'arranger un coup avec elle. Parce que je vous jure qu'elle était...

_ Largement plus vieille que toi. Plus éduquée aussi visiblement, remarquai-je.

Il haussa ses épaules. Soudain, son regard se porta sur l'entrée du supermarché. Deux flics en uniforme entrèrent, leur radio émettant un grésillement avant que l'un n'y réponde.

_ Va pour ce soir alors ? repris-je en tournant de nouveau mon regard là où Ani aurait dû se trouver.

_ À ce soir Coach ! dit-il en sortant du supermarché par l'autre porte.

Je fronçai les sourcils et agitai ma main. Nous passâmes rapidement en caisse, mon loup inquiet de cette situation. Ani ne s'était pas encore mis dans la merde, si ? Parce que sinon, il allait entendre parler de moi. Je terminai mettre les courses dans le coffre avant de claquer celui-ci. Je pivotai et laissai le flair de mon loup faire le reste.

Plus mes pas m'amenèrent vers des rues malfamées de la ville de Toronto, plus mon cœur se serra dans ma poitrine. Je tombai sur deux trois sans abri pas trop méchant, avant d'entrer dans un vieux bâtiment délabré et abandonné.

Je jetai un coup d'œil aux rats qui se baladaient sous mes yeux, ainsi que deux autres sans-abris, cachés derrière leur tente. L'odeur était forte ici, mais la survie des sans-abris tenait à ce qu'ils chient ailleurs qu'à l'endroit où ils vivaient, donc forcément ils ne le faisaient pas ici.

L'odeur ressemblait beaucoup à celle qu'Ani portait quand je l'avais croisé au supermarché.

Je grimpai une volée de marche avant d'entendre un grognement. Je vis la paluche d'Ani s'approcher de mon visage à une sacrée vitesse, mais j'étais un loup. Je l'arrêtai avant qu'il ne me touche.

_ Coach ! s'écria-t-il en reculant brusquement.

_ C'est quoi cette merde Ani ? grognai-je. Qu'est-ce que tu fous là ? Pourquoi n'es-tu pas au foyer ?

_ Je peux tout vous expliquer ! dit-il en levant ses deux mains devant lui.

Et merde.

Ce gosse allait à ma perte.

**

Quelques heures plus tard, nous étions tous les deux douchés et prêts à recevoir nos invités. Honor avait habillé Anibal avec de grands sourires et des rires. Ani m'avait glissé qu'il appréciait beaucoup ma mère. Qu'elle ne l'avait pas jugé, même en sachant qu'il avait été à la rue quelques heures auparavant. Priam et Honor avaient assisté à l'interrogatoire en règle que j'avais eu sur Anibal. Je ne lui avais pas adressé la parole depuis.

Il ne m'avait rien dit de toute sa merde. Qu'il était parti du foyer parce que c'étaient des connards qui tenaient les gosses avec leurs économies. Qu'ils les forçaient à travailler au lieu de bosser leurs devoirs. Bref, les joies du système. Malheureusement pour Ani, personne n'allait le croire. Donc, le foyer avait donné sa fugue aux flics. Si Anibal se faisait arrêter, son recrutement serait mis en péril. Il ne pourrait pas jouer en pro s'il avait un casier judiciaire. De là d'où il venait, il aurait très vite pu en avoir un. Bien rempli si j'avais les tatouages discrets sur son corps quand il était allé se doucher dans ma salle de bain. Des tatouages de gang, à n'en pas douter. Je ne pouvais pas blâmer ce gosse de vouloir s'en sortir. Il essayait et se démerdait comme il pouvait. Mais je ne pouvais pas le laisser dans cette situation non plus. Andouille. Idiot. Idiot. Idiot.

Il remonta ses manches de chemise. Ma chemise. Qui lui allait comme un gant soit dit en passant. Elle était un peu petite pour moi depuis quelques années, mais ça servait de garder des bêtises. Ça servait pour les idiots de son genre.

_ Tu as intérêt de bien te tenir, Anibal, grondai-je.

_ Coach, vous pouvez avoir confi...

Je pivotai vers lui et pressai mon nez contre le sien.

_ Je peux ? Tu es sûr ?

_ Coach, commença Ani.

Je levai une main pour qu'il s'arrête.

_ On gère ça avec Blake, après.

_ Vous avez mis Monsieur Lewis au courant ? gémit Anibal. Je suis mort putain...

_ Langage.

Mon ordre claqua et Anibal ferma sa bouche. On retourna dans la cuisine avec Honor et Priam. Tout était prêt et le repas sentait divinement bon.

_ C'est une recette française, remarqua Honor en voyant le sourire d'Anibal. Bœuf Bourguignon. C'est un délice.

_ Ça sent bon en tout cas, dit-il en reniflant la mixture qu'Honor lui montrait.

Priam s'approcha et enleva une poussière imaginaire de mon épaule. Je les secouai, prêt à recevoir mes invités. Cela faisait quelques années que je n'avais pas fait ça, je ne devais pas rater mon coup.

La sonnerie retentit et Priam tapota mon torse en ricanant. Je lui filai un coup de coude et on se chamailla jusqu'à l'entrée. Blake et Yseria étaient déjà entrés, comme s'ils étaient chez eux et c'était un peu le cas. J'avais rapidement fait état de la situation d'Ani à Blake, mais il n'avait rien relevé et m'avait promis qu'on s'en chargeait d'ici lundi.

Blake avait mis une belle tenue de soirée, tout comme Yseria avait une robe magnifique, mais trop chic non plus. Ce n'était pas un repas formel. Juste un repas de présentation.

Je tendis ma bouche à Yseria qui claqua un baiser dessus avant de me prendre dans ses bras. Je la serrai un instant et elle salua Priam dans une embrassade aussi. Honor et Anibal nous rejoignirent dans l'entrée. Honor se présenta avec joie auprès de ma femelle dominante et les deux femmes se mirent à discuter de tout et de rien. Blake déposa un léger baiser sur la joue d'Honor en la saluant comme si c'était une de ses louves, avec la même nonchalance et la même tendresse. Cela me fit chaud au cœur. Honor ne s'en formalisa pas et je sus, d'après Priam, que son rang de louve « solitaire » lui avait attiré les faveurs de nombres Alphas.

Blake salua Anibal avec une embrassade virile et le prit rapidement à part pour discuter un peu avec lui. Ils revinrent au moment où la sonnette retentissait de nouveau.

Comme mon couple dominant, Mitsuha, Yotsuha et Masao entrèrent en étant comme chez eux. Ce qui était le cas pour Suha. Elle portait un haut que j'affectionnais tout particulièrement, car il lui faisait un très léger décolleté, mais un profond triangle de peau apparaissait dans son dos.

Un grand sourire étira les lèvres de Mitsuha quand elle m'aperçut. Je le lui rendis et lui pris son manteau de ses mains pour le déposer sur le crochet. Délibérément et avec une certaine envie, je posai ma main dans ses reins, frôlant sa peau du bout de mes doigts, j'embrassai rapidement sa joue chastement et reculai en saluant Masao et Yotsuha. J'eus droit à un câlin avec ma jeune belle-sœur.

_ Allez-y, tout le monde se trouve dans le salon, les invitai-je.

Suha resta un instant à mes côtés avant de glisser sa main dans la poche de son jean moulant. Elle en sortit la paire de chaussons et les pressa contre sa poitrine avant de prendre mes mains pour les y déposer. Elle serra mes doigts dessus.

_ Ils m'aident un peu, admis-je.

_ Alors ne les perd pas, souffla-t-elle.

_ Je suis heureux que tu sois là ce soir, confessai-je en rougissant un peu.

Suha frôla ma joue avant de me faire un clin d'œil. Je sentis une légère peur s'échapper de mon corps. Je redressai mes épaules et pris sa main.

_ Il faut que tu rencontres ma mère. Tu vas l'adorer.

_ A propos de ça, Alek, je...

Honor apparut devant nous, juste avant le salon.

_ C'est donc vous, décréta Suha en rougissant à son tour.

Je fronçai les sourcils. Que... qu'est-ce que j'avais manqué ?

_ Je suis contente de te rencontrer, Mitsuha, reprit Honor. De façon plus formelle cette fois je suppose.

Je les regardai l'une après l'autre.

_ On s'est croisée, dit Mitsuha en rougissant de plus belle. À la sortie de la patinoire.

Oh. OH ! Je me frottai le crâne avant de hausser mes épaules. Honor tira Suha derrière elle et la poussa à saluer le reste des convives. J'avais un stress encore bien présent, mais assez contrôlable pour ne paraître fou.

La soirée démarra ainsi, donnant une belle ambiance à cette maison depuis longtemps vide.

Je n'eus un moment avec Mitsuha que lorsque nous fûmes de corvée de dessert. Mitsuha avait quand même fini par amener un énorme gâteau que je découpai moi-même.

J'étais à la recherche des assiettes à dessert quand Mitsuha se racla la gorge. Elle avait ouvert un des placards de la cuisine et le pointa du doigt en grimaçant.

_ Tu es celle qui a rangé cette cuisine de manière très organisée, admis-je. Ne me blâme pas de...

_ Ne pas encore tout trouver Suha, m'imita ma femme.

Nous échangeâmes un long regard avant de rire. J'attrapai les assiettes et ma hanche frôla le flanc de Suha. Elle se figea un instant, sa main non loin de mon corps. Elle s'écarta prestement en reprenant son souffle. Je repris le mien discrètement et plaçai les différentes assiettes sur le plan de travail.

Suha s'approcha pour terminer de découper le gâteau et placer les parts dans les assiettes. Je ne résistais pas à la tentation de me glisser dans son dos. Mon doigt frôla sa colonne sous mes yeux. Elle frémit et posa le couteau sur le plan de travail.

Lentement, elle pivota vers moi. Ses yeux étaient écarquillés et son souffle rauque entre ses lèvres. Je passai ma langue sur ma bouche sèche et je vis Suha suivre ce mouvement.

La douleur de mon plaisir se répandit dans chacun de mes muscles. Je devais me retenir. Je devais faire attention. Je ne pouvais pas brusquer Suha juste parce que j'avais envie de la toucher.

Je me penchai lentement vers elle et déposai un baiser appuyé sur sa joue droite, puis sur sa joue gauche. Elle ferma ses paupières lors du deuxième baiser, sa bouche légèrement ouverte sur son souffle.

_ Tes paroles me rendent fou, avouai-je d'une voix basse. J'ai envie que tu me le dises encore.

Le sourire de Suha fut à la fois intrigué et taquin. Elle posa sa main sur mon torse et la laissa glisser jusqu'à l'emplacement de mon cœur. Il battait si vite et si fort qu'il résonnait dans ma tête. J'avais presque les jambes en coton. J'avais toujours été sûr de moi dans mon jeu de séduction concernant ma femme. Mais à présent, j'étais déstabilisé par toutes ces nouvelles sensations. Les anciennes aussi d'ailleurs.

_ Tu ne vas pas recommencer à me demander de répéter tes cochonneries, souffla-t-elle, son accent présent sur le dernier mot.

Je ris en me souvenant de ça. J'avais été le seul à dévergonder ma femme et je l'avais très bien fait. Il fallait dire que Suha avait très vite suivi mon jeu et que nous nous étions beaucoup amusés tous les deux.

_ Tu sais bien que je suis un poisson rouge, grognai-je. Tu es ma mémoire sur cette planète.

Elle perdit son sourire et je me reculai d'un pas, ne comprenant pas mon erreur. Elle secoua la tête et je ne sus comment faire pour rattraper ma bêtise.

_ Désolé, repris-je. Je ne voulais rien réveiller de particulièrement douloureux.

_ Tu ne l'as pas fait, c'est juste que je viens de me rappeler quel jour on est. Je sais pourquoi tu tenais tant à avoir ces chaussons, Alek.

Je fouillai dans ma mémoire, mais ne trouvai pas. Merde. Qu'est-ce que je détestai quand le poisson rouge en moi prenait le pas sur le loup.

_ Ça fait onze ans pour Kôta, murmura-t-elle.

_ Aujourd'hui ? soufflai-je, inquiet.

Un hochement de tête de Mitsuha me fit abaisser mes épaules dans une position de défaite. Je plongeai ma main dans ma poche et serrai les chaussons.

Un léger silence s'étira entre nous, puis je regardai Suha.

_ Est-ce que je peux te prendre dans mes bras ? murmurai-je.

Suha m'observa pendant quelques secondes avant de venir se presser contre mon torse entre mes deux bras tendus. Elle posa sa joue contre mon cœur et je pressai sa nuque avec fermeté.

Nous restâmes ainsi pendant un petit instant avant de s'écarter lentement l'un de l'autre. Mes mains trouvèrent ses joues et elle se laissa faire, les recouvrant des siennes.

_ La promenade demain tient toujours ? soufflai-je, désireux de passer du temps avec elle.

Elle hocha sa tête.

_ Est-ce que je peux t'embrasser ? me demanda Mitsuha.

Je haussai un sourcil, taquin. Elle rit et secoua sa tête. Je me penchai vers elle et lentement, posai mes lèvres contre les siennes. Ses mains glissèrent dans mon dos et me pressèrent contre elle. Mes doigts frôlèrent sa peau nue, juste là. Notre soupir balaya le visage de l'autre bientôt, ma langue glissa dans sa bouche. Elle me laissa glisser à l'intérieur de ses lèvres et je l'embrassai avec tout l'amour que je pouvais ressentir pour elle en ce moment.

Après quelques secondes d'un baiser profond, nous nous écartâmes lentement l'un de l'autre.

_ Et ce gâteau ? cria Blake.

Nous rîmes avant de nous dépêcher de servir nos invités.

Ani était en train de tenter de chopper le numéro de Yotsuha quand tout le monde s'embrassa pour se dire au revoir. Honor fut passée de bras en bras, ce qui rendit Priam un peu grognon. Mais chacun rit de son côté et laissa en paix le futur papa. Honor et Mitsuha eurent un long câlin avant de se promettre une prochaine visite. Ce que je ne loupais pas.

Je vis la main d'Ani sur la hanche de Yotsuha alors qu'il s'était penché pour lui murmurer quelque chose qui la fit lever les yeux au ciel. Elle lui rétorqua quelque chose qui le fit à la fois rougir et sourire, puis éclater de rire. Yotsuha me fit un câlin avant de me menacer si je faisais de nouveau du mal à sa sœur.

Blake et Yseria furent les premiers à décoller. Puis, je remarquai la voiture devant le portail. Aodh était appuyé contre la carrosserie.

_ Je ne voulais pas conduire en ayant bu, admit Mitsuha. Il s'est proposé.

Je fis la moue, mais la main de Suha sur ma joue me ramena à elle. Nous étions en plein milieu de l'allée qui menait à la rue. Honor venait de refermer la porte de ma maison pour nous laisser un peu d'intimités. Yotsuha et Masao attendaient à l'arrière de la voiture. Aodh, lui ne voulait visiblement pas nous laisser seuls.

_ C'était très bien cette soirée, me remercia Suha. Ça m'a fait du bien. Vraiment.

Je pressai sa hanche du bout de mes doigts avant de soupirer et de secouer la tête.

_ Trop courte ? tentai-je.

_ On se voit demain. C'est mieux que rien, non ? minauda-t-elle.

Je hochai la tête avant de frôler ses lèvres de mes doigts.

_ J'aime t'avoir à la maison avec moi, soufflai-je. Tu reviendras ?

Ce fut à son tour d'acquiescer. Un coup de vent vicieux la fit frissonner. Je la pris dans mes bras et frictionnai son dos.

_ Rentre vite avant d'attraper froid.

Elle s'écarta un instant de moi, mais déjà mon pouce tirait sur son menton. Elle poussa un petit bruit de surprise quand ma bouche claqua la sienne. Les joues rouges, elle me fit signe jusqu'à entrer dans la voiture.

Aodh me fusilla du regard avant de grimper à son tour.

Connard.

Le lendemain, j'étais stressé. Anibal s'était foutu de ma gueule quand j'étais parti. Tout comme Priam à vrai dire. Je ne pouvais pas leur en vouloir. J'étais presque sûr que j'allais faire un arrêt cardiaque d'ici peu.

Nous étions dans une partie de Toronto que seuls les habitués connaissaient. Le quartier était petit et replié sur lui-même. Ils offraient plein de belles boutiques remplies de décorations de Noel. Tout était parfait ici. Un vrai lieu pour un premier rendez-vous. Je soufflai sur mes mains pour les réchauffer un peu et à ce moment, je sentis l'énergie de Suha. Elle tapota mon épaule et je pivotai vers elle. Elle était encore plus belle que la veille. Encore une fois, je la saluai d'un baiser sur la joue. Elle rougit un peu quand mes lèvres s'attardèrent.

_ Tu as bien choisi, admit-elle en faisant un tour sur elle-même.

_ Je sais très bien que tu as toujours adoré ce quartier. Tu préfères boire un café avant ou après la balade ?

_ Après, ça nous réchauffera, dit-elle en me montrant ses gants qu'elle n'avait pas oubliés.

Je hochai la tête. Je me plaçai à ses côtés et nous nous mîmes en route. Je suivis le chemin que Mitsuha emprunta à travers la petite foule qui se pressait contre les vitrines toutes plus belles les unes que les autres.

À un moment, je ne pus me retenir de prendre sa main. Elle les regarda pendant quelques secondes et me laissa la tenir pour le reste de la balade. L'air était froid, mais assez sec pour ne pas être en train de claquer des dents.

Mitsuha était en train de regarder la vitrine d'une libraire qu'elle affectionnait quand quelqu'un me bouscula. Je cognai une dame avant de me presser contre le dos et les fesses de ma femme. Mon bras s'enroula autour de son ventre pour qu'elle ne tombe pas à son tour.

Nos deux corps plaqués l'un contre l'autre me donnèrent le vertige.

Je pressai ma bouche contre son oreille.

_ Redis-le-moi encore, murmurai-je.

_ Vaniteux, marmonna-t-elle.

Je ris et claquai un baiser sur sa joue.

Mon cœur était léger aujourd'hui et je voulais profiter de ces instants avec celle que j'aimais.

Avec ma femme. 

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