1 | Aleksey


Toronto, CN.

L'air frais mordit ma peau. Je regardai le sol sous mes pieds. J'aimais me cacher ici. Personne, hormis Blake, ne connaissait cet endroit. Blake et une autre. Cependant, je savais que j'avais assez blessé cette personne pour qu'elle ne revienne jamais vers moi. C'était, après tout, ce que je faisais de mieux dans ma vie. Blesser les personnes qui m'aimaient.

L'immeuble était assez haut pour que j'aie une vue plongeante sur la ville de Toronto. Nous étions au début du printemps, mais la douceur n'était pas encore présente. Le vent était encore froid, la brise légèrement mordante. Je fermai les yeux quand un nouveau courant d'air me cingla la joue. Je détournai doucement mon visage pour présenter mon crâne au froid. Ma condition faisait que je n'étais pas forcément sensible aux températures extrêmes de notre ville. Je ne le serais jamais vraiment. Étant un loup, nous avions une chaleur corporelle bien supérieure à la moyenne. Je respirai une grosse goulée d'air avant de la relâcher, tentant de rester relaxé.

Je pris le temps de me mettre sur mes pieds et d'ouvrir les bras. La légère veste que je portais se fit prendre dans les fouets du vent et je sentis presque l'adrénaline qui devait précéder l'envol d'un oiseau. Je souris et finis par grogner en entendant mon portable vibrer. Je le tirai de la poche arrière de mon jean et jetai un coup d'œil à celui qui m'appelait. Le prénom me fit soupirer et je ne décrochai pas. Cette personne-là ne faisait pas partie de notre meute, donc elle ne pourrait pas me contacter autrement.

Je sautai sur le toit et secouai mes épaules. Je ramassai mon écharpe qui était tombée là et l'observai un instant. Je déglutis, le souvenir de cet objet qu'elle m'avait offert. Je ne savais pas pourquoi je ne l'avais pas jeté... comme les autres cadeaux qu'elle m'avait faits. Elle était partie, n'était pas revenue. Ce qui finalement était l'histoire de ma vie.

Ma mère n'était jamais revenue me chercher.

Ma vraie mère...

Je secouai la tête, sentant mon loup rouler à l'intérieur de mon ventre. Cela faisait quelques jours que je n'avais pas pris de médicaments pour l'endormir, donc il allait bientôt se réveiller. Et si je ne voulais pas qu'il fasse du mal à quelqu'un, je devais faire en sorte qu'il reste léthargique. Malgré ce que ça me faisait à moi, je devais faire en sorte de garder la tête ordonnée... Depuis toutes ces années, j'avais réussi à cacher certaines de mes addictions. Blake n'était pas dupe, mais qu'est-ce qu'il y pouvait ? Il avait abandonné à la minute où j'avais renvoyé la seule personne importante pour moi...

Décevoir les gens, en raison de ma personnalité, ma vie et mon poste au sein de la meute, était très facile. Croyez-le ou non.

Je me dirigeai vers les escaliers de secours et sautai dessus. Il glissa pour se dérouler et je descendis les marches lentement pour ne pas me rompre le cou. Je m'arrêtai en plein milieu et tirai sur l'écharpe. Je l'accrochai à un barreau et la laissai là.

Comme tous les souvenirs que je laissai derrière moi.

Comme toutes les personnes... que je laissais derrière moi.

Toutes les fenêtres de la maison étaient ouvertes. Le vent était froid, glacial. Il soufflait parmi les ouvertures, comme s'il voulait s'insinuer dans toutes les parties de la maison. Comme s'il voulait prendre possession de toute la chaleur qu'on avait pu accumuler ici.

_ Alek ?

Je fermai les yeux, regardant le feu dévorer les livres que je faisais brûler. Je ne savais pas pourquoi je faisais ça. Je voulais juste la blesser... Je voulais juste qu'elle me déteste. Qu'elle voit la vraie personne en moi ! Celle qui lui avait fait du mal. Celle qui pourrait lui en faire encore.

Pourquoi ? Pourquoi restait-elle ? Pourquoi s'acharnait-elle ? Sur un bout de viande comme moi ? À quoi cela servait-il ? Y voyait-elle une quelconque gloire ? Ressentait-elle une certaine satisfaction ?

_ ALEK ?

Sa voix résonnait dans mon crâne. Elle avait peur. Elle avait peur, car la dernière fois, j'avais presque fait une overdose. Et c'était elle qui m'avait retrouvé, là, sur le plancher de notre maison.

_ Alek où es-tu ? hurla-t-elle.

Soudain, la porte du salon claqua et elle poussa un cri de peur. Puis, un léger silence avant qu'elle ne comprenne.

Le combustible qui alimentait ce feu.

C'était tout ce qu'elle aimait.

Tout ce que j'avais pu lui offrir, ou qu'elle avait pu acheter avec notre argent. Mon argent. Quelle importance ? J'avais toujours gagné ma vie correctement, surtout depuis que j'étais le Second de Blake.

La femme qui était là était ma compagne. Elle était liée à moi, à ce que je portais. Elle était même mariée à moi. C'était ma femme sur plusieurs plans. Elle m'aimait sincèrement. Je pouvais parfois le lire dans ses yeux, dans tous les efforts qu'elle mettait pour me faire plaisir. Pour que je l'aime.

Parfois, quand les drogues n'étaient pas aussi nombreuses dans mon système, je pouvais le comprendre.

Mais parfois, mon esprit était trop sombre et je ne voyais plus rien. Pas même sa beauté. Pas même son amour.

Pas même sa détresse.

Elle se pencha lentement sur un de ses livres qui traînaient à côté de moi. Les autres étaient dans le feu. Sa main tremblait doucement.

Je croisai son regard.

Son regard brillant.

Elle secoua sa tête, des larmes coulant sur ses joues. Elle attrapa une couverture et se mit en tête d'éteindre le feu.

Je me levai lentement et sortis de la pièce alors que ces pleurs résonnaient.

Un feu de rage me dévorait.

Mais ça, elle ne le comprenait pas. Ne le comprendrait jamais.

Je posai mon regard sur l'une des plus grosses patinoires de Toronto. Nous étions au pays de la glace. Le Hockey était l'un des sports qui fonctionnaient le mieux ici. Je possédais, à mon nom, la plupart des complexes sportifs de la ville, si ce n'est d'une bonne partie de l'état. Blake était aussi un actionnaire de beaucoup de clubs de sports qui se trouvaient dans cette ville. Il avait toujours adoré ça. Depuis que je le connaissais, c'était comme ça. Nous nous étions rencontrés sur la glace après tout. Ce sport combinait assez d'aspects pour me plaire à moi aussi. Seulement, il était devenu compliqué de jouer dans une équipe de haut niveau quand les loups étaient passés au premier plan des médias. Les analyses de sang avaient redoublé. Le club de Toronto, les MaplesLeafs, connaissait un grand succès dans la ligne nationale de Hockey. J'en avais fait partie à une époque, maintenant j'entraînais surtout les têtes de nœuds qui s'y trouvaient. Quand j'étais dans mes bons jours. Seulement, en ce moment, je n'y étais pas du tout.

J'aperçus au loin Blake et les autres entrer dans la patinoire. Blake était assez vieux, mais j'étais de loin son aîné de plusieurs décennies. J'étais assez vieux pour avoir connu les débuts de la ville de Toronto. J'étais assez vieux pour avoir vu cette patinoire se construire, Blake grandir dedans et devenir l'un des meilleurs joueurs de hockey du Canada. Cependant, tout comme j'avais eu un problème d'image à un moment, lui aussi avait dû se retirer de cette équipe qu'il affectionnait pourtant énormément. Il était devenu un grand coach, mais avant tout un homme d'affaires. Il possédait l'équipe de hockey de notre ville, tout comme il en possédait cinq autres. En tant qu'investisseur principal, il se devait d'aller y faire un tour. Et même parfois, de participer à certains des entraînements.

Blake Lewis, Alpha de Toronto depuis quelques siècles maintenant, était l'un des hommes que j'avais appris à respecter le plus. Et à haïr le plus quand je n'étais pas totalement moi-même. Je baissai les yeux sur mes rangers quand il sentit ma présence. Nous étions liés depuis bien plus longtemps que les autres loups de la meute qui se trouvaient en ce moment avec lui et qui pour certains, étaient de jeunes joueurs au sein du club. Comme nous possédions le club, nous faisions en sorte de garder autant d'humains que de loups dans les rangs. Pour qu'il n'y ait pas de triches, ou de scandales à proprement parler. L'entraide dans l'équipe était au maximum, car les qualifications approchaient. Blake ne voulait pas changer ça.

Blake envoya les autres à l'intérieur et fit demi-tour pour me rejoindre. J'étais dans le parking, caché par l'ombre que projetait la lumière des lampadaires. Il devait être un peu plus de sept heures du soir, mais tout semblait relativement calme. Si l'on ne faisait pas cas des rires des joueurs.

Mon Alpha s'arrêta devant moi, son regard acerbe se posant sur mes joues creusées. Je n'avais jamais une belle tronche quand je replongeais. Cependant, Blake savait l'incident qui m'avait renvoyé au fond du trou. L'incident que j'avais moi-même causé. La torture que j'avais moi-même imposée. Et cela faisait plus de deux ans maintenant.

_ Qu'est-ce que tu fais ici ? souffla Blake, mauvais.

Blake avait beau être mon Alpha, mon confident et mon meilleur ami, il avait aussi son caractère. Quand j'étais dans une merde aussi noire, j'avais tendance à malmener le reste de la meute. À le pousser à faire deux fois plus d'effort pour compenser mon manque de puissance. Car je l'étais, puissant.

_ J'ai besoin de rentrer, grognai-je.

Blake ricana et secoua la tête.

_ Tant que tu es dans cet état, tu ne t'approches même pas de la maison, tu entends ? Si je te vois près de la meute, je te jure que je te ferais mal.

Je déglutis et me frottai le visage. Je fis un pas vers lui et plongeai mon regard dans le sien. Il m'observa pendant quelques secondes et déglutit à son tour. Son bras s'enroula autour de ma nuque, sa main contre l'arrière de mon crâne. Sa bouche se posa contre mon oreille.

_ Reprends pied, mon frère et sois sûr que je t'attendrais. Mais je ne supporterais pas de te voir retomber encore une fois, alors soit tu m'obéis, soit tu combats tes démons, seul.

Je voulus lui répondre, mais il se recula et s'en alla. Il secoua ses épaules, sa démarche tendue. Il entra dans la patinoire sans un mot de plus. Sa puissance et sa chaleur s'accrochèrent à moi alors que je restai là, seul sur ce putain de parking.

Je secouai mes cheveux, rageant contre moi-même. J'avais encore de la drogue dans le sang, mais si jamais je prenais des calmants, je pourrais peut-être convaincre Blake que j'allais bien. Au pire, je pouvais toujours retourner chez mes parents. Ma mère ne me repousserait pas... mais je savais ce que ça lui faisait quand elle me voyait dans cet état.

Je pivotai vers la voiture de Blake. C'était un vieux pick-up qu'il avait hérité de son grand-père adoptif. Il était comme moi. Un gosse abandonné, avec assez de patrimoines génétiques pour devenir quelqu'un de bien. Moi, j'avais hérité d'une malédiction qui me poursuivrait toute ma vie.

Qui blesserait tous les gens que j'aimais.

Et qui me laisserait seul, aux proies avec mon propre loup.

Je frottai mes mains l'une contre l'autre et en plongeai une dans mes poches. Je sortis le petit flacon de calmant. C'était toujours mieux que la cocaïne. Je fermai un instant les yeux, pressai le flacon contre mon front.

Je savais pourquoi Blake me repoussait ce soir.

Je savais que j'étais déjà revenu vers lui en lui promettant de ne jamais recommencer.

Je savais que je devais me battre pour tout récupérer.

Seulement, il me manquait quelque chose. Il me manquait quelque chose et j'étais incapable de savoir ce que c'était.

* * *

Je roulai dans mon lit. L'odeur des draps n'était pas la bonne. Elle ne sentait pas aussi bon qu'avant... C'était une odeur rance, qui n'avait rien à voir avec l'odeur parfumée de son gel douche. Les draps étaient propres, bien tendus sur le lit. En ce moment, ils étaient chiffonnés là. Abandonnés... tout comme je l'étais. Quand elle était là, ça sentait toujours bon. Que ce soit une odeur de shampoing, de sexe, ou même de sueur. C'était une odeur qui nous correspondait... Quand ce n'était pas l'odeur de l'alcool que j'avais bu, ou celle de la drogue. Je déglutis et secouai la tête. Je me redressai sur mes coudes, observant le flacon de calmant vide sur le côté.

_ Salut, fit une voix que je ne connaissais absolument pas.

Je me redressai sur un bras et observai le garçon au bout de mon lit. Je haussai un sourcil, presque sûr d'avoir une putain d'hallucination. Je mettais enfiler toute la bouteille et peut être que ce n'était pas une bonne idée. Je clignai des yeux. Il mangeait une pomme, je crois. Il n'y avait aucune nourriture solide dans cet appartement. Il était immense et vide. Atrocement vide. J'y revenais très rarement. En général, je finissais par payer une chambre d'hôtel. Je ne dormais pas sans les calmants. Je ne dormais pas énormément de base...

_ Tu lui ressembles, admit le garçon.

_ Qu'est-ce que tu fous ici toi ? grognai-je la bouche pâteuse.

_ Je m'appelle Unai, dit-il, fier.

_ Il est vivant ? fit la voix d'une fille.

Je m'assis dans mon lit, complètement perturbé. Comment ces gosses étaient-ils rentrés ? Que faisaient-ils dans mon appartement ? Putain de merde... Mais qu'est-ce que j'avais encore fait ? Après avoir vu Blake, je pensais simplement être rentré et avoir pris ces putains de comprimés. Et merde. Merde.

Je repoussai le drap sale et le garçon se leva lentement. Je pouvais sentir l'énergie de son loup danser autour de lui, lourde et pesante. Surtout pour un gosse de son âge.

La jeune fille devait avoir quinze ans. Elle avait des cheveux très courts, un jogging noir qui moulait un corps musclé et fin. Son visage était en amande, mais quelque chose de dur se dégageait d'elle. Était-ce une volonté ? Une ancienne peur ? Ou simplement une férocité non cachée ?

Je me frottai mes yeux un instant.

_ Mais bordel, qu'est-ce qui m'arrive ?

Je reçus un autre flacon vide de calmant sur le coin de crâne et couinai de douleur. Je frottai le point sensible alors qu'un homme se tenait dans l'embrasure de ma chambre.

_ Tu es dans un putain d'état, Aleksey, cracha l'homme.

Un souvenir me prit à la gorge alors que mon esprit reconnaissait cet homme. Le loup en moi reconnaissait cet homme. Il était venu... Il était venu quand j'avais six ans. Il avait été là quand mon loup s'était manifesté pour la première fois....

Il était assis devant moi. Il paraissait calme. Plus calme que Papa. Moins calme que Maman, mais c'était dur de l'être plus qu'elle. Elle était très forte pour être calme, douce et sensible. J'avais appris tous ces mots avec eux. Je savais que je ne venais pas vraiment d'ici, mais je savais que c'était ma famille à présent.

Priam me l'avait dit.

C'était Priam devant moi.

Il m'avait raconté qu'il m'avait trouvé dans la forêt et qu'il avait décidé de me trouver une famille de loup.

Maman et Papa m'avaient expliqué avec leurs mots. Je n'avais pas grandi dans le ventre de Maman, comme les autres enfants le faisaient. J'avais grandi dans le ventre d'une autre femme, qui n'avait pas pu s'occuper de moi. Alors, Priam m'avait ramené ici.

_ Tu ne vas pas revenir ? souffla ma voix.

Je ne voulais pas paraître faible face à lui. Je ne voulais pas qu'il pense que je n'étais pas fort. Je ne le voulais pas. Il était revenu tous les ans. Il était revenu pour voir si je grandissais, si je devenais un garçon fort. Un garçon qui pourrait un jour devenir celui qu'il désirait être.

Je voulais être un grand loup. Un loup fort et capable de faire plein de choses. Un loup capable de...

Un loup capable de retrouver la louve qui était ma mère.

_ Tu sais gamin, souffla Priam. Dans la vie, on ne choisit pas toujours ceux qu'on croise. Mais souviens-toi de ça : Sharan a toujours un plan pour nous. Jamais elle ne te laissera sans savoir. D'accord ?

Je hochai la tête. Maman m'avait parlé de Sharan, mais je ne comprenais pas bien comment elle pouvait être dans nos cœurs, sans être dans nos vies. Ce n'était pas quelque chose que j'avais envie de comprendre.

Pourquoi Priam partait-il ?

Pourquoi n'allait-il pas me rapporter une nouvelle figurine ? Comme il le faisait si souvent ?

_ Promets-moi de toujours te battre.

_ Tu ne reviendras pas ? insistai-je.

Je ne savais pas ce que mon corps me disait. Mais j'avais mal. Là, au centre de ma poitrine, j'avais mal.

Une main sur ma nuque.

Un front contre le mien.

_ Tu le promets, bonhomme ?

Je ne savais pas quoi dire. Je ne savais pas quoi faire. C'était un souvenir de gamin. Je n'avais jamais retrouvé Priam une fois que j'avais été plus grand, une fois que je l'avais réclamé. Aislig, la femme qui m'avait élevé, m'avait un jour dit qu'il était mort. Et je l'avais cru.

_ Eziah, trouve-lui des fringues.

Elle alla devant l'armoire et l'ouvrit en grand. Il y avait des tas de cartons avec des fringues d'elle... J'en avais brûlé certaines, mais pas d'autres. Je détournai le regard alors qu'Eziah refermait les portes et trouvait son bonheur dans ma commode.

_ Que des fringues sales, marmonna-t-elle, déçue.

_ Mais... Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? grognai-je. Qu'est-ce que tu fous là toi ? Tu... Tu es mort !

Je repoussai ma couette et voulus me lever. Mon corps était engourdi par les calmants et les draps s'enroulèrent autour de mes chevilles. J'atterris la tête la première par terre. Un rire filtra du jeune garçon. Je fronçai les sourcils.

_ Debout ! cracha Priam.

_ Putain de merde, grondai-je.

Des mains me choppèrent sous les aisselles et on me plaqua contre un mur.

Le visage de Priam était inscrit sur la rétine de mes yeux. Il était ce que j'avais de plus proche de... de quoi ? Il m'avait trouvé dans la forêt. Il m'avait déposé dans cette famille qu'il avait choisie pour moi. Et il avait disparu putain... Comme tous ceux qui entraient un jour dans ma vie.

_ Tu es mort ! hurlai-je à son visage.

_ Tu crois ? gronda-t-il. Tu m'as fait une putain de promesse, bonhomme. Depuis quand ne les tiens-tu plus ?

Mon visage se ferma et je sentis la colère montée, en même temps que mon loup qui reprenait vie en voyant cet homme de mon passé. Ce n'était pas possible.

Ce n'était tout simplement pas possible.

Je devais être fou.

Je devais faire un putain de rêve.

Ce n'était pas drôle et ça aurait presque pu me faire arrêter de prendre des calmants. Mais non, il était là, devant moi.

Vestige d'une vie que je reconnaissais à peine comme la mienne.

Vestige d'un souvenir du gamin paumé, qui avait une fois cru que personne d'autre ne l'abandonnerait.

_ Qu'est-ce que tu fous ici ? crachai-je. Tu ne crois pas être un peu en retard pour avoir ne serait-ce que posé un pied dans cet appartement ? Un pied dans MA vie ?

Mon cri fit sursauter le gamin. Il se rapprocha d'Eziah qui se posta à moitié devant lui. Je secouai la tête, mais Priam me plaquait une nouvelle fois contre le mur, son nez juste à côté du mien. La chose la plus étrange c'était qu'il n'avait pas changé. Mon souvenir de lui était l'exact reflet de celui qui se trouvait devant moi. Devais-je trouver ça étrange ? Devais-je m'en inquiéter ?

_ Qu'est-ce que tu as oublié ? gronda Priam. Qu'est-ce que tu as mis de côté pour te retrouver dans cet état ?

_ Casse-toi de cet appartement avant que je ne me fâche, crachai-je. Je ne suis plus ce gamin que tu as laissé derrière toi. Je ne suis plus ce gamin qui comptait sur toi pour me dire qui elle était !

Le visage de Priam se fissura légèrement et il recula, comme si je l'avais frappé. Je déglutis et repoussai lentement mon loup au creux de mon corps, comme j'avais appris.

_ Tu ne veux plus savoir ? murmura Priam. Tu ne veux plus savoir qui est ta mère ?

Soudain, nos positions s'inversèrent. Je le plaquai au mur, mes deux mains agrippant son t-shirt. Sa tête tapa contre le plâtre, formant presque un trou. Mon cri recouvrit son visage.

Soudain, je sentis une lame sur ma nuque.

_ Relâche-le avant que je ne trouve une utilité à cette lame, souffla la voix de la jeune femme.

_ Elle est douée à l'arme blanche, remarqua Priam, le souffle court. Je ne ferais pas le malin.

_ Je ne fais pas le...

Un pied tapa à l'arrière de mon genou et je glissai au sol. Un coup se porta sur ma tempe et les calmants eurent raison de mes dernières forces.

Elle portait ce magnifique kimono que sa grand-mère lui avait envoyé. Elle se tenait là, ses cheveux bruns et fins dans le vent. Dans ses mains, il y avait cette petite statuette que je lui avais offerte il y a quelques mois déjà. Lors de notre mariage. Elle portait aussi la bague que je lui avais passée au doigt.

Le kimono était d'une couleur claire, beige. Des feuilles de cerisiers tombaient jusqu'à ses pieds. Elle ne portait aucune chaussure, juste ses petits chaussons tressés de ses mains. Elle avait toujours eu ce charme que j'avais aimé dès le début. Elle avait toujours eu cette beauté intemporelle au creux d'elle. Elle était magnifique. Elle était ma femme.

La cérémonie qu'elle honorait, je ne la connaissais pas. Seulement, je savais que c'était important. Assez pour qu'elle réussisse à me faire porter moi aussi, un kimono. Bon, c'était très étrange de se sentir ceinturé dans tout ce tissu, mais la couleur était belle et cela ressemblait plus à ce que les hommes portaient chez elle.

_ Alek, murmura-t-elle.

Je souris et m'approchai lentement d'elle.

Son visage était en amande, recouvert en ce moment de cette poudre blanche caractéristique des maquillages qu'elle portait pendant une cérémonie. Ses cheveux étaient attachés de façon très sophistiquée pour la plupart, mais des mèches s'échappaient de son beau chignon. Ses yeux, d'un bleu pâle, se posèrent sur moi. Elle sourit. Elle avait un trait noir au-dessus de ses paupières et une couleur plus pâle au-dessus. Ses lèvres, elles étaient recouvertes d'un rouge éclatant.

Ce sourire renfermait bien trop de choses pour moi.

Il n'aurait jamais dû m'appartenir.

Il n'aurait jamais dû être à moi.

Elle n'aurait jamais dû être à moi.

Je grognai de douleur, roulant sur le côté. Sous ma joue, il y avait un sol froid et rêche. Rien de très accueillant. Je repoussai le souvenir, bien trop réel à mon goût. J'avais encore la bouche pâteuse, mais pire, maintenant j'avais faim. Je n'avais pas dû bouffer quelque chose de solide depuis quelques jours déjà.

Je voulus m'appuyer sur mes mains, mais la douleur dans un de mes bras me ramena au sol. Je grognai et tentai de me redresser une nouvelle fois. Cette tentative-là, je la fis sur le bras que je sentais valide. Je clignai des yeux.

Il faisait sombre, mais un trait de lumière me montra la pièce que j'avais sous les yeux. Ce n'était pas une de ses chambres quand Blake m'envoyait en désintoxication. Oh non. Ça aurait été trop beau pour être vrai. Peut-être qu'au fond, j'aurais préféré une nouvelle désintox. Seulement, j'étais un peu près sûr de recommencer mes conneries d'ici quelques semaines... Avant, avec elle, je tenais quelques mois. Maintenant, c'était différent.

Je me redressai sur mon cul et observai la pièce. C'était la cave aux idiots, comme j'adorais l'appeler. La putain de cave aux idiots.

_ BLAKE ! criai-je.

Un claquement de langue sur ma gauche. Je sentis mon Alpha, assis là, dans l'ombre de la pièce. Je regardai mon poignet douloureux et découvris que j'étais attaché au mur. Comme un vulgaire loup incapable de se contrôler.

Ce que j'étais.

_ Parfois, j'aimerais te frapper moi-même, remarqua Blake en agitant ses pieds.

Il était posé contre le mur, ses épaules tendues.

_ Parfois, j'aimerais faire en sorte que tes problèmes disparaissent. Qu'ils n'aient jamais vraiment existé. Ça aurait été mon boulot, en tant qu'Alpha après tout.

Je tendis l'oreille, entendant une mélodie au loin. Mon souffle s'accéléra. Je ne voulais pas entendre cette chanson.

Je ne voulais plus l'entendre.

C'était trop. Trop de souvenirs.

Trop de pression.

_ S'il te plaît, soufflai-je. Donne-moi quelque chose...

Un rire jaune s'échappa de sa bouche.

Il se pencha lentement. Son visage fut éclairé par le rayon de lumière qui se posait sur le sol, un peu sur les murs en béton. Nu de toutes formes de décorations. Ici, il n'y en avait pas besoin.

_ Tu crois vraiment que j'en suis encore là, Alek ? Vraiment ? C'est que tu es vraiment con putain...

Il se rapprocha de moi de façon peu gracieuse, preuve que son loup était aussi énervé que lui. Je n'aimais pas trop ça. Blake m'avait déjà mis des putains de bonnes raclées et j'en étais difficilement ressorti indemne. On parlait de Blake. Il avait fait autant de hockey que moi, voire plus à présent. Deux ans que j'avais abandonnés toutes formes de musculations, lui il n'avait rien lâché. J'étais un pauvre gringalet à côté de lui.

_ Tu te souviens de la dernière fois que tu me l'as demandé ? reprit-il.

Mon Alpha était un bel homme. Il était dans une continuité de pouvoir qui le rendait attractif, charismatique. Son énergie était chaude, voluptueuse, puissance et vorace. Blake avait toujours été fait pour être un putain d'Alpha. Moi en revanche, je n'étais pas sûr de comprendre pourquoi un jour il m'avait choisi en tant que Second. Surtout pas maintenant, alors que j'étais là, devant lui, attaché à un mur, bourré de calmants et de souvenirs qui me bouffaient.

_ C'était il y a trois semaines. Trois putains de semaine. Et tu sais ce que je t'ai répondu ?

_ D'aller me faire foutre, soufflai-je, le cœur dans la gorge.

J'avais la tête qui pulsait.

Toujours cette même mélodie dans le creux du crâne.

Je tentai de faire abstraction du son, mais si je faisais ça, je n'entendrais pas les paroles de Blake. Et putain, j'avais intérêt de m'en souvenir.

_ D'aller te faire foutre, acquiesça Blake. Est-ce que... tu as obéi, Alek ? Je ne crois pas. Au lieu de ça, tu es allé te droguer jusqu'à la moelle osseuse. Et ensuite, tu as tenté de revenir vers moi avec tes petits yeux de chaton. Tout ça pour te retrouver quelques heures plus tard bourré de ces putains de calmants.

Je clignai des yeux, me rappelant qui j'avais vu dans cette chambre. Était-ce vraiment arrivé ? Priam était-il vraiment venu ? M'avait-il vu dans cet état ?

Je secouai la tête.

Non, c'était forcément un rêve.

La mélodie s'accentua, devenant un son bien présent dans mon crâne et pas juste un bruit de fond.

Je pressai mon front contre le mur, tentant d'écarter tant bien que mal ce son qui me paralysait en ce moment.

_ Il a sûrement raison. Je devrais le laisser faire. Le laisser te rafraîchir la mémoire.

Je frottai mes tempes et posai mon regard sur mon Alpha.

_ Qui ça ? soufflai-je.

_ Le Régent qui s'est pointé chez moi pour te trouver, Aleksey. Le Régent qui prétend te connaître. Est-ce lui qui t'a donné à Sebastian et Aislig ?

Des pas dans les escaliers me firent redresser immédiatement la tête.

Ce n'était pas un putain de rêve.

Seulement, mon cerveau avait dû mal à accepter la réalité que Blake venait de m'imposer.

Priam... Priam était un Régent ?

La stature de l'homme se découpa dans la lumière. Priam s'agenouilla lentement pour m'observer. Il semblait énervé, agité et profondément blessé par mon comportement.

Je détournai le regard.

_ Promets-moi de toujours te battre.

Il ne serait pas le seul à être bientôt déçu par non-capacité à tenir mes promesses.

Je n'avais jamais réussi... Ne réussirai jamais.

Je n'avais pas su rendre ma femme heureuse.

Ni ma meute.

Ni mon Alpha.

Alors pourquoi était-il là ?

_ Tu viens là pour terminer le boulot ? grondai-je d'une voix déformée.

Priam pencha doucement la tête sur le côté et je vis le prédateur en lui.

_ Je viens pour le commencer, bonhomme, souffla-t-il. 


⛸️ 🥅 ⛸️

Et c'est parti pour l'histoire d'Aleksey et Mitsuha ! 🤩 Et avouons-le, ce début ne promet rien de bon, n'est-ce pas ? Cette histoire a de nombreuses années au compteur et ça va sûrement se faire ressentir durant votre lecture... On attaque au moment où Priam retrouve Aleksey et du coup la scène croise  celle de HOAM 😎

On trouve un Aleksey dévoré par ses démons et qui se perd dans la drogue, y cherchant un réconfort impossible et on comprend surtout qu'il fait beaucoup de ravages autour de lui et qu'il a fait du mal à sa compagne qui a été sa femme aussi... bref, que du noir pour commencer, mais vous nous connaissez et ce tome sera peut-être noir et dur, mais il y aura de l'amour, de la douceur et beaucoup de pardon. C'est au moins ce qu'il faut ! 😳

Je posterais une fois par semaine et ce sera un tome relativement court, donc on ne grogne pas une fois arrivée à la fin, d'accord ? 🙊😇

Des bisous 🌺🎐⛸️🥅

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