L'après-midi passa plutôt vite. Les rires d'Oren et d'Arthur résonnaient souvent. Ils avaient pris en grippe Némésis qui ne savait plus où donner de la tête aux deux frères. Il était intriguant de voir à quel point les trois se ressemblaient physiquement. On retrouvait Eneko facilement dans ses enfants. Ce dernier observait Némésis avec un respect et surtout un léger regret. Je sentais que la culpabilité le rongeait. Je sentais qu'il en voulait à Jahyan de lui avoir enlevé Némésis qui ne semblait pas aussi faible que Jahyan l'avait sous-entendu à l'époque. Elle avait hérité de toute la puissance de son père. Et je compris surtout que son loup la veillait. C'était comme retrouver une personne disparue. C'était comme retrouver quelqu'un qu'on avait perdu il y a très longtemps. On observait, on regardait. On voulait que tout aille bien, mais même si Némésis racontait des souvenirs joyeux, je pouvais sentir les failles qui couvraient la jeune femme. Alors Eneko devait lui aussi les voir. Et cela devait le rendre fou. Il aurait pu élever sa fille, sans sa mère. Je le savais. Mais Jahyan n'aurait jamais accepté qu'une trace de cette erreur reste ici. Et lui rappelle que son Second n'avait pas suivi la bonne route. La route qu'il avait choisie.

Le soir vint et Némésis s'éclipsa un instant pour me rejoindre dans le jardin, là où je bricolai sur la tondeuse. J'avais voulu leur laisser un peu d'intimité, et Shana s'était exercée à côté de moi, observant d'un œil d'aigle ce qui se passait sur la terrasse. Oren et Arthur devaient grandement aider Némésis à se sentir à l'aise. Ils voulaient tout savoir d'elle.

Elle s'assit en face de moi et pencha la tête sur le côté. Quand elle avait demandé mon soutien plus tôt, j'avais éprouvé une certaine fierté. Et mon loup... une certaine affection pour la louve en face de nous. Ce qui était inédit. Il considérait les femmes comme une distraction plus que comme une affaire importante. Pas qu'il dénigrait les femmes, mais Jahyan avait été clair sur plusieurs choses et ... parfois les louves étaient tellement naturelles qu'elle voyait en nous un compagnon plutôt affectueux. Ce que j'étais au fond. C'était mon caractère. Mais mon loup était loin de l'être. Et on ne pouvait offrir plus que de l'affection à quelqu'un. C'était le problème.

_ Tout va bien ? Soufflai-je en tirant sur un écrou qui me donnait du fil à retordre.

Elle ramena ses genoux contre elle et perdit quelques années avec ce geste. Mon loup observait attentivement, pas si loin que ça de la surface. Il voulait savoir si sa louve allait bien, si Némésis s'en sortait même si elle montrait bonne figure. Ce qui était en soit une première. Hormis Shana, aucune femme ne l'intéressait vraiment. Neyssa... c'était moi qui la ménageais. Je l'appréciai énormément. Mais encore une fois, ce n'était qu'une sorte d'affection et de respect. Rien de plus.

_ C'est... étrange, murmura-t-elle enfin.

Shana s'était éclipsée sur la terrasse, entrant dans la maison avec Eneko pour discuter un peu. J'observai Némésis qui était particulièrement pensive à mes côtés.

_ Ils sont tous très gentils, ajouta-t-elle.

Je hochai la tête, réussissant enfin à tirer l'écrou. Je grognai de victoire et Némésis sourit doucement.

_ Ils le sont oui, dis-je en souriant à mon tour. Tu es un peu l'enfant prodige qui revient à la maison.

_ Mais je ne les connais pas, souffla-t-elle.

_ Tu apprendras à les connaître... (Léger silence) si tu en as envie.

_ Jahyan ne me laissera pas faire, rétorqua-t-elle en relâchant ses genoux.

La fatalité résonnait dans ses paroles.

_ Eneko ne te laissera pas repartir aussi facilement, soufflai-je. Tu dois le comprendre, Némésis.

_ Isis s'il te plaît, grogna-t-elle.

Je bidouillai quelque chose sur la tondeuse et réussis enfin à la faire redémarrer.

_ Tu auras tout le temps de réfléchir à tout ça quand on retournera à Emmett, remarquai-je. Alors pour l'instant, profite.

_ Comment ça retourner à Emmett ? Dit-elle en se levant.

Je haussai mes épaules.

_ Shana sait que Jahyan va revenir à la pleine lune qui se trouve être... ce week-end ! Donc. Vendredi, on redécolle. Or, Eneko n'est pas d'accord pour que tu disparaisses de nouveau. Donc je suis de garde.

Elle me fila un coup dans le bras et je grimaçai, la douleur se répercutant dans mon épaule. Elle fit la moue et je ne pus m'empêcher de sourire.

_ Je ne suis pas un bébé, aux dernières nouvelles, remarqua-t-elle en montrant les dents.

_ Tu es d'ailleurs un peu plus vieille que Timothy si je ne m'abuse, répliquai-je en souriant bêtement.

Elle leva les yeux au ciel.

_ Ne lui répète pas ça, sinon il t'aura dans le collimateur, rétorqua-t-elle en me pointant du doigt.

_ Profite d'eux, Isis, soufflai-je. Tu auras le temps de réfléchir plus tard. Je te l'assure.

Elle me regarda pendant quelques secondes et je la laissais se rassurer en voyant ma confiance dans mes yeux. Elle finit par hocher la tête et sourit. Je rangeai la tondeuse et nous allâmes manger. Peu de monde passa à la maison et ce fut mieux ainsi. Au moins, Eneko pu profiter de sa fille, comme les jeunes purent profiter de leur grande sœur. Isis parut un plus sure d'elle pendant le repas et posa à son tour des questions, voulant connaître l'histoire de ses frères. Shana me rappela que j'avais sûrement une ou deux chasses à aller faire bientôt et que laisser seule Némésis à Emmett était hors de question. Je la rassurais quant au fait que j'irais plus tard m'occuper des idiots qui passaient sur notre territoire pour y faire des conneries. Némésis était... plus importante pour l'instant. Shana alla se coucher tôt. Elle était crevée et s'occupait de beaucoup de choses tant que Jahyan faisait la gueule je ne sais où. Il était d'ailleurs bien chiant à faire son malin de cette façon. Il allait lui-même mettre la meute en danger et cela m'énervait prodigieusement. Eneko proposa un film pour terminer cette soirée et Némésis ne put s'empêcher de me jeter un coup d'œil en souriant. Je la poussai vers le salon et nous nous installâmes tous sur les canapés. Le film commença.

Oren craqua le premier et s'excusa pour aller se coucher. Arthur le suivit, puis Eneko qui échangea quelques mots à voix basse avec Némésis avant de monter. Nous restâmes tous les deux jusqu'à la fin, finissant le pop-corn. Isis s'endormit non loin de mon visage, ses jambes ramenées contre elle. Je la pris dans mes bras et la montai à l'étage où elle dormait.

J'allais dans ma propre chambre et au lieu de dormir, fis des exercices avec mon épaule endolorie. Je douillai pendant les premières minutes, mais je réussis à en faire d'autres. Je me couchai vers cinq heures du matin. Eneko avait déjà prévu un petit programme pour le mercredi. Nous allâmes faire un tour en ville tous ensemble. Même Shana se joignit à nous. On passa la journée dans les magasins où dans les coins à visiter de Boise. Némésis suivit les garçons avec attention, les surveillants presque parfois alors qu'ils faisaient les malins.

Mon loup resta au près d'elle autant qu'il put sans se faire remarquer. Il la surveillait simplement. Elle était encore un peu notre mission et l'attaque avec les chasseurs l'avait rendu nerveux.

Encore une journée qui fila sous nos yeux. Le soir arriva et la douleur avec. Je m'éclipsai dans la salle de bain pour me doucher, et en bonne Soigneuse, Némésis me suivit comme si de rien n'était. Elle nous enferma dans la salle de bain et se lava les mains. Je m'assis sur le bord de la baignoire et grimaçai pour retirer mon t-shirt.

_ Tu as trop forcé, souffla-t-elle.

Je secouai la tête et fis bouger mon bras, elle m'arrêta dans mon geste, ses mains chaudes sur ma peau. Elle me fit baisser le bras et chercha des pansements et de l'alcool pour nettoyer un peu tout ça. Je la regardai s'occuper de ma blessure avec concentration. Elle refit la moue plusieurs fois. Celle que j'aimais bien. Ça lui allait tellement bien...

Lorsqu'elle se redressa, elle croisa mon regard rieur.

_ Quoi ? Grogna-t-elle.

Elle jeta les pansements sales.

_ Oh rien, dis-je en me levant.

Elle vérifia son pansement, ses doigts frôlant ma peau à plusieurs reprises. Mon loup garda la sensation en tête pour l'analyser un peu mieux sans qu'elle soit dans les parages. Son énergie chaude et puissante roulait autour d'elle. C'était enivrant. Le sentait-elle ? Sa louve devait sûrement être assez présente, observant son père et ses frères. Elle ne devait même pas s'en rendre compte... Si la dernière fois que je l'avais vu, je l'avais vu comme une gamine, à présent je visualisai très bien la femme qu'elle était. Pas si différente que Timothy au final. Discrète et secrète, mais aussi fière et forte.

_ Merci, soufflai-je alors qu'elle se reculait doucement.

J'enfilai mon t-shirt en grognant et nos regards se croisèrent. Nous n'avions pas eu le temps de parler de la journée, mais cela s'était bien passé donc c'est que Némésis avait réussi à en profiter. Pourtant, quelque chose dans son regard me poussa à frôler sa joue du bout de mes doigts pour la rassurer, elle et sa louve.

_ Isis ? L'appelai-je doucement.

Elle se pressa contre moi, ses mains agrippant mon t-shirt. Je refermai mes bras sur ses épaules et la serrai un instant contre moi. Le stress retombait et nous étions des loups. Nous avions besoin d'être rassurés par le toucher, surtout les louves. Et Némésis ne semblait pas avoir de meute, ou en tout cas, je ne sentais aucune énergie particulière autour d'elle. Elle pressa sa joue contre mon torse, retenant sûrement des pleurs qu'elle voulait laisser échapper. Je ne savais pas ce qu'on pouvait penser quand on trouvait enfin sa famille après une si longue existence. Elle avait vécu pendant tellement d'années sans savoir et là elle savait et ... elle voyait qu'Eneko l'acceptait, qu'Oren et Arthur l'acceptait. Avait-elle des regrets ? Sûrement. De ne pas être venue plus tôt. De ne pas avoir trouvé plus tôt.

Jahyan avait tout fait pour la garder éloignée. Il avait tout fait pour qu'elle ne remonte pas jusqu'à Eneko. En pensant que c'était le mieux pour la meute. Pour le second. Il avait pensé que c'était le mieux et on ne pouvait pas le blâmer. Mais il avait aussi été trop expéditif en renvoyant Milie aussi. En la séparant de sa fille.

_ Ça va aller, soufflai-je contre ses cheveux.

Sa prise se resserra sur mon t-shirt. Je ne pouvais imaginer la pression qui devait s'enlever des épaules de Némésis. Ou de se rajouter. Alors je pouvais simplement lui offrir un peu de réconfort. Autant que je pouvais. Et j'espérais que ça l'aiderait. C'était une bonne louve qui méritait de vivre sa vie. Comme elle le voulait, et non pas comme Jahyan lui avait imposé à sa naissance. Elle n'avait rien demandé. Elle n'avait rien souhaité. Elle était jeune, elle pouvait encore découvrir tout de sa vie. Elle pouvait rencontrer un loup et former une famille. Mais mon loup me soufflait qu'elle n'était pas comme ça. Elle avait un lien particulier avec Timothy et je me doutais qu'elle s'en contentait. Ou en tout cas, que ça lui suffisait. Sinon, elle n'aurait pas attendu plus de trois cents ans avant de vraiment trouver qui était sa famille.

_ Il faut aller manger, murmurai-je en la berçant doucement.

Elle soupira et se redressa. Elle repoussa ses cheveux en grognant et sortit de la salle de bain, me laissant en plan en plein milieu. Je me raclai la gorge et repris le dessus, perturbé par cette fuite. Je me grattai la nuque un instant et sortis à mon tour, descendant les escaliers en réfléchissant à sa réaction.

Mon loup l'observa le reste de la soirée, étrangement perturbé par ce comportement. L'avait-elle repoussé ? Ou s'était-elle simplement reprit ? Elle ne regarda pas de film ce soir-là et cela me fit légèrement grogner. Elle s'excusa et alla se coucher. Bon. C'est qu'elle était fatiguée.

Tiffene et Neyssa passèrent vers 22h. Je reçus Neyssa sur les genoux alors qu'elle soupirait et grognait contre Kerann qui leur faisait la misère au taf. Enfin, c'est ce qu'elle disait. Après, il y avait une marge. Shana discuta un peu avec elles et alla se coucher. Tiffene alla piquer un lit dans la maison et Neyssa et moi on regarda un autre film. Elle réussit à me couper les cheveux même dans la semi-nuit de la maison. On rigola tellement fort que Shana vint nous dire de baisser d'un ton alors qu'on ramassait mes cheveux par terre. On finit par monter se coucher. Neyssa me suivit dans ma chambre et je la laissais faire. Cela faisait longtemps qu'on ne s'était retrouvé tous les deux. Et je devais lui dire que je ne serais pas là ce weekend... ça s'était une autre paire de manche.

Je virai mes fringues et nu, glissai sous la couverture. Elle me rejoint à son tour, enlevant ses fringues. Elle posa sa tête sur mon torse.

_ Shana m'a dit que tu repartais avec la fille d'Eneko ce week-end, souffla-t-elle.

Je caressai son bras et lui jetai un coup d'œil ; elle semblait bien calme alors que je sentais déjà l'appel de sa louve à trois jours de la pleine lune. Mon loup se mit à l'écart, ne portant aucune attention à Neyssa, hormis quand elle le réclamait.

_ Eneko ne peut pas bouger maintenant alors que Jahyan fait la gueule, murmurai-je. J'aide un peu.

_ Et tu comptais me prévenir ?

_ Évidemment, dis-je continuant de caresser ses bras.

Elle s'assit dans le lit, me regardant avec de grands yeux en pressant son drap contre elle.

_ Tu m'en veux toujours ? Souffla-t-elle.

Elle baissa les yeux sur ses mains, ne voulant pas me défier pour autant.

_ Neyss', soupirai-je en me redressant à mon tour.

Elle n'avait pas relevé mon bandage. En même temps, tout le monde savait que je m'étais fait blesser, mais personne ne savait que j'avais été empoisonné. Je pouvais donc faire le malin.

_ Dis-moi juste, souffla-t-elle. Je partirais... tu... tu as été clair.

_ C'est pour toi, Neyss', murmurai-je. Je ne veux pas que tu penses qu'un jour il y aura une quelconque possibilité... Je veux que tu sois heureuse.

_ J'ai envie de l'être avec toi, dit-elle en frôlant mon bras.

Je relevai doucement son menton.

_ Il faut que tu saches, que même si Jahyan acceptait une union pour moi, il n'accepterait jamais d'enfant. Et tu sais comme je suis, je ne veux pas me lier.

Elle serra les dents, mais hocha doucement la tête.

_ Je ne suis simplement pas fait pour ça, Neyss'. Et je veux que tu sois heureux et que tu ais des enfants. Je veux que tu voies d'autres loups. Et si pour ça tu dois arrêter de me voir, j'accepterais. Tu n'as pas à sacrifier ta vie pour moi.

_ Je... tu m'énerves quand tu dis ça, Zoran, soupira-t-elle.

Mais elle garda les yeux baissés. C'était une soumise. Elle ne pouvait pas simplement s'élever dans la hiérarchie comme ça. Pas dans cette meute. Pas avec Jahyan. Et même si elle avait cru pouvoir le faire, c'était de mon devoir de lui rappeler qu'elle n'était pas toute puissante ici. Et surtout pas avec moi.

_ Je peux t'offrir pas mal de choses, Neyssa, rétorquai-je un peu plus sec, mais ne t'attends pas à ce que je t'offre tout. Je ne peux pas.

_ Je sais, admit-elle ; Je le sais depuis le début... mais...

_ Mais Jahyan a rencontré Shana et tu crois que cela l'a adouci. Et tu crois que je me suis adouci et que je veux me lier... mais c'est faux. Jahyan a rencontré Shana et leur puissance se sont complétés.

_ Mais je ne te complète pas, souffla-t-elle, légèrement tendue.

Je la regardai un instant et finis par me frotter les cheveux.

_ Je n'ai pas besoin qu'on me complète, murmurai-je. Toi ou une autre. Personne ne me complétera. Jahyan est Alpha, il avait besoin de Shana. Je n'ai...

_ Pas besoin de moi ? Finit-elle.

Je soupirai. Elle était blessée. Génial.

_ Je n'ai besoin de personne, Neyssa, admis-je enfin. Je n'ai jamais eu besoin de quelqu'un. Ce n'est pas maintenant que ça commencera.

Elle pinça ses lèvres et glissa hors du lit. Je voulus la retenir, mais su que ce n'était pas la bonne chose à faire. Je voulais qu'elle comprenne. On pouvait être ami, ami amélioré, mais rien de plus. Pas compagne ou de petite amie. Rien de tout ça.

Elle enfila ses vêtements et sortit sans un mot. Quelques secondes plus tard, la porte claquait en bas. Je grognai et me secouai les cheveux. Je grimaçai en sentant mon épaule me lancée. Ce n'était pas encore cette nuit que j'allais bien dormir.

Merde alors.

J'allais regarder un film en bas. La nuit passa lentement, bien trop lentement. Je finis par somnoler sur le canapé. J'allais faire un jogging avant que tout le monde ne se lève. En revenant, je les rejoins sur la terrasse. Il faisait beau et chaud. Shana me salua et se rassit auprès des autres. Je jetai un coup d'œil à Isis. Elle discutait avec Eneko. Elle releva son regard sur moi et fronça les sourcils. J'avais retiré mon bandage pour aller courir et on voyait à peine la marque. Elle n'aimait pas que je fasse le malin. Comme 90% des personnes qui me rencontraient et connaissaient mon côté dangereux. Alors que mon loup voulu la saluer, elle détourna le regard. Il se renfrogna et voulut gronder mais je le retins et retirai mon t-shirt trempé. J'essuyai mon visage et me laissai tomber sur une chaise.

_ Tu as faim ? S'enquit Shana.

_ Autant demander si je respire, Dominante, grogna mon loup.

Elle rit doucement et me servit un café. Jalil apparut en grognant. Il avait dû avoir une dure nuit visiblement.

Il me fusilla du regard et me pointa du doigt.

_ Arrêter de rire à des heures pas possibles avec Neyssa. Son rire réveillerait un village entier.

Je souris.

_ Jaloux Ja' ? Ricanai-je.

Il voulut me frapper sur la tête, mais j'esquivais. Il n'y avait que Jahyan, Eneko et Shana qui pouvaient faire ça sans que je les mordre.

_ Il devient grognon avec la pleine lune, remarqua Shana en souriant à son tour.

Jalil s'affaissa sur sa chaise à côté de moi et soupira.

_ Et toi alors ? Rétorqua-t-il. Tu deviens comment ? Irritable ? C'est ça le mot ?

_ Fais attention petit loup, rétorqua Shana. Mon mari n'est pas là pour que je me venge sur lui. Je pourrais te prendre pour bouc-émissaire.

Jalil la fusilla du regard alors qu'elle souriait, sure d'elle.

_ Alors c'est quoi le programme d'aujourd'hui ? M'enquis-je en me tournant vers Eneko et Isis.

_ Je dois aller travailler, soupira Eneko. Donc je ne serais pas très utile...

Je hochai la tête. Isis haussa ses épaules, comme si elle s'en fichait. Oren et Arthur auraient sûrement une idée.

_ Vous pouvez venir au ranch, remarqua Jalil. C'est ouvert au public je crois. Pour des essais. Si ça vous tente.

Je pivotai vers Jalil.

_ Pourquoi pas, dis-je. Némésis ça te tente ?

_ Isis, reprit-elle. Et oui ça me tente. Même si je ne sais pas forcément faire du cheval. Je pourrais toujours regarder...

Shana et Jalil la regardèrent avec de grands yeux. Comme si monter à cheval était comme... faire du vélo. Quelque chose qu'on apprenait jeune et qu'on savait faire toute sa vie.

_ Vous allez la faire complexez, grondai-je.

_ Tu n'as jamais fait de cheval ? Souffla Shana.

_ Il faut régler ce problème immédiatement, murmura Jalil.

_ Tu as quel âge ? Ajouta Shana. Trois cents et des poussières ? Tu... tu as fait quoi ?

Isis rougit et se frotta la nuque.

_ J'ai surtout lu et appris, avoua-t-elle.

_ Bon sang, grogna Jalil. Une historienne. Tu m'étonnes qu'elle ne sache pas faire du cheval.

Je ne relevais pas le fait qu'elle avait aussi regardé son premier film avec moi. On avait l'impression qu'elle était née dans une bibliothèque et n'avait jamais remis le nez dehors. Ce qui était assez impressionnant pour une louve de trois cents ans.

L'après-midi fut donc une petite aventure au ranch où travaillait Jalil. Isis ne semblait pas forcément à son aise, mais Oren et Arthur la suivait à la trace et la rassurait. Mon loup observait toujours, intrigué par sa fuite de hier et le fait qu'elle ne nous parle pas forcément aujourd'hui.

Avais-je fait quelque chose de mal ?

C'était bien la première fois que je me posais une telle question ! Je secouai la tête et observai le ranch de Jalil. Il était prévu pour des jeunes, mais aussi pour des adultes. Il travaillait surtout avec des enfants handicapés, mais cela avait l'air de lui plaire et il y travaillait depuis qu'il était à Boise. C'est que c'était un bon job, sinon il aurait changé depuis. Le ranch était divisé en trois parties. Il y avait deux manèges, un ouvert et un couvert. Il y avait les écuries, qui derrière s'étendaient sur un champ. Et il y avait le petit accueil sur notre droite quand on arrivait. Jalil nous accueillit, venu en avance. Il y avait du monde pour observer un peu tout ça. C'était amusant et convivial. Jalil nous envoya nous changer et bientôt, j'attendis Isis et les garçons. Qu'est-ce qu'ils étaient lents ! Shana ressortit en première, habituée à s'habiller en tenue pour faire du cheval. Elle était excitée d'en refaire. Elle venait en faire de temps en temps ici, mais Jahyan avait dû mal à la laisser partir. Ce qu'elle ne savait pas et qu'il s'efforçait de finir pour son prochain anniversaire c'était la construction d'un petit ranch familial au Nord de Boise, en périphérie de la ville. La construction avançait doucement et l'achat des chevaux était régi par Jalil. Shana n'en savait rien évidemment et cela devait rester confidentiel. Jahyan tuerait le premier qui vendrait son cadeau avant l'heure.

Isis sortit à son tour. Elle portait un caleçon noir, avec des bandes bleu clair sur le côté. Il avait l'air très ajusté et révélait un corps fin et musclé. Avec les formes qu'il fallait. Je retins mon loup de peu quand il voulut se pencher pour observer un peu mieux. Elle tenait son casque dans la main et avait enfilé un t-shirt avec une veste légère, un peu rembourrée pour la protection du dos. Jalil s'approcha d'elle et lui enfila son casque. Je souris doucement en la voyant un peu moins fière. Les deux gosses la suivirent et ricanèrent l'un sur l'autre.

Isis regardait l'immense cheval devant elle avec un drôle d'air. Je m'approchai dans son dos alors que Jalil aida Oren et que Shana aidait Arthur.

_ Tout ira bien, soufflai-je.

Elle sursauta. Je pris sa main et la forçai à toucher la bête. Le cheval secoua sa tête et Isis se crispa. Elle était plus douée avec les livres qu'avec les chevaux, ça s'était sûr. Je posai ma paume sur le dos de sa main et la forçai à toucher le cheval pour établir un lien.

_ Il est impressionnant, murmura-t-elle.

Je me décalai pour voir son visage. Elle n'avait pas forcément à lever la tête. Je n'étais pas très grand pour un homme. Elle me regarda. Sa louve n'était pas présente mais je pouvais sentir l'étrange besoin qui la tiraillait. Avait-elle déjà subit les effets de la pleine lune ? Elle semblait aussi peu à l'aise qu'une jeune louve qui ressentait les premiers effets de la pleine lune. Elle n'osait pas me toucher et n'osait que peu me parler. Pourquoi ? Est-ce que j'étais un déclencheur de symptômes ? Mon loup remua en moi, mais je le maintins calme.

_ Tu n'as pas à avoir peur, remarquai-je. Les chevaux sentent la peur et ne la comprenne pas forcément. Alors, sois sure de toi. Aie confiance.

Elle finit par détourner son visage et hocha la tête.

_ Pose ton pied sur l'étrier, ordonnai-je. Non l'autre jambe.

Elle n'était vraiment pas à l'aise. Elle s'exécuta. Je posai mes mains sur ses hanches. Elle se crispa un peu plus.

_ À trois, dis-je.

Je comptai et elle poussa sur ses jambes alors que je basculai ses hanches vers le haut. Elle atterrit sur sa selle, le souffle court et sa main sur mon épaule. Si bien qu'elle était dangereusement penchée. Je pris sa main et la redressai. Elle s'assit sur sa selle, mais garda ma main dans la sienne.

_ Tu crois pouvoir me lâcher ? Remarquai-je. Ça risque d'être compliqué pour tenir tes rênes.

Elle me tapa sur la tête et me lâcha. Je réglai ses étriers pour qu'il soit à la bonne hauteur et lui mis les rênes dans les mains. Elle me regarda avec un drôle d'air et je souris.

_ Respire, soufflai-je.

Elle prit une longue inspiration et hocha la tête.

_ Tiens plus fermement tes rênes. Le cheval doit sentir que c'est toi qui le contrôle. Et non pas l'inverse.

Elle s'exécuta.

_ Très bien. Maintenant, tu dois serrer tes cuisses pour lui dire d'avancer. Une pression et ça devrait le faire bouger.

Elle ferma les yeux et fit son geste. Le cheval fit quelques pas alors qu'elle restait tendue.

_ Relâche toi, Isis, dis-je, sinon tu vas avoir des courbatures dans dix minutes.

_ Idiot, rétorqua-t-elle. J'aurais bien aimé te voir quand tu as monté pour la première fois.

Je ris, m'en souvenant très bien. Ce n'était pas joli à voir. Clairement.

_ Tu te débrouilles très bien, Isis, fit Shana en grimpant sur son cheval.

Elle le faisait avec tellement de classe que j'en étais presque jaloux parfois. Jalil fit de même, avec la même assurance. Je restai un peu à côté de Némésis, ne voulant pas que le cheval prenne peur et ne la fasse voler.

_ Tire sur les rênes pour le stopper maintenant, dis-je.

Elle le fit et le cheval s'arrêta. Très bien. Je marchai vers le mien alors que Shana s'approchait de Némésis. Je montai sur mon cheval et le fis avancer jusqu'à elles.

_ On va marcher un peu, fit Shana. Tu pourras te familiariser avec les mouvements. Aller, on avance.

_ Doucement, doucement, souffla Némésis.

Je ris avec Jalil. Oren et Arthur faisaient déjà avancer les leurs. Shana leur avait appris très rapidement à monter.

L'après-midi passa et Némésis se débrouilla comme une chef. Elle ne tomba pas une seule fois et Shana la félicita. Elle avait très bien réussit. En même temps, elle apprenait comme elle respirait alors... Ce soir était la dernière soirée à la maison. Demain nous devrions repartir à Emmett. Les rires échangés dans l'après-midi avait fait du bien à mon loup. Nous l'avions embêtée mais elle avait réussi à nous retourner l'ascenseur la plupart du temps. Récupérer l'attention d'Isis avait été le seul but de mon loup et il avait réussi. Alors tout allait bien.

Eneko profita d'Isis jusqu'à la fin et lui demanda lui-même d'aller à Emmett demain, juste le temps de calmer le jeu avec Jahyan. Pour qu'elle puisse revenir. Pour qu'elle puisse rester un peu. Isis accepta évidemment, mais ne fit aucun commentaire sur l'après. Rester un peu d'accord... mais n'avait-elle pas des choses à faire ? N'avait-elle pas des choses à gérer de son côté ? Le fait d'avoir rencontré Eneko ne voulait pas dire qu'elle voulait qu'il devienne le père qu'elle n'avait peut-être jamais eu... Je tenterais de poser la question quand nous serions que tous les deux.

_ Un petit bain ? Proposa Shana alors qu'il devait être 22h.

Je hochai la tête. Isis et Jalil se joignirent à nous. Shana prêta un maillot de bain à Isis. La première chose que je remarquai sur le corps d'Isis fut l'absence de cicatrice. Elle était restée à l'écart du monde extérieur si longtemps... Elle n'avait pas connu de grandes batailles et... mon loup en fut presque heureux et soulagé. Elle n'avait pas eu à subir ça. Mais elle avait souffert d'une autre façon. Bien plus cruelle parfois. Je détournai mon regard de son corps aux belles formes et plongeai sous la surface. Je fis quelques mouvements et me retrouvai de l'autre côté de la piscine. Il faisait chaud dehors et l'eau presque fraîche était une bénédiction.

La nuit était tombée et révélait un ciel dégagé. Je crevai la surface et repris mon souffle. Pivotant, je vis Némésis plongée. Sa silhouette se flouta et bientôt elle remonta à la surface, non loin de moi. Elle ne fit dépasser que le haut de son visage, puis entièrement, souriant doucement. Ses cheveux étaient collés en arrière sur son crâne. Ils étaient longs et fins. Mon loup remua en moi, transporté par cette vision.

Nos regards ne se lâchaient pas. Sa bouche s'entrouvrit légèrement. Je retins mon souffle.

Quelque chose fourmilla au creux de mon ventre.

_ Aller Zoran ! Cria Jalil. Attrape !

Je clignai des yeux et me pris la balle dans la tête. Je fus légèrement sonné.

_ Zoran ! S'écria Isis en s'avançant vers moi.

Je me frottai le crâne en grognant alors qu'Isis regardait si j'avais une bosse.

_ Espèce d'idiot, grondai-je à Jalil.

Je tournai mon regard sur Isis alors que ses doigts glissaient sur ma brûlure.

Son contact était toujours chaud sur ma peau. C'était comme un moyen de la reconnaître.

Elle frôla ma cicatrice. Je retins une grimace, ressentant une légère douleur.

Shana tenta de voler le ballon à Jalil, commençant une bagarre.

Isis ne bougeait plus. Elle se tenait à quelques centimètres à peine de moi. Si je faisais un pas, mon corps frôlerait le sien. Et ... quelque chose au fond de moi me poussait à le faire. J'avais envie de me presser contre elle.

Son doigt descendit sur mon torse et elle frôla mon tatouage sur le centre de ma poitrine.

_ Il est pour ta meute ? Souffla-t-elle.

Je retins mon souffle alors que nos regards étaient au même niveau.

On ne demandait pas ce genre de chose à une Main.

On ne demandait jamais la signification.

Sous peine de se voir arraché la tête.

Ou rabrouer. Mais mon loup ne voulait pas la rabrouer.

Mon loup voulait bien lui expliquer. Voulait bien lui dire que chacune des marques avaient été réfléchit et représentait quelque chose de particulier.

Que même la cicatrice qu'elle m'avait faite était une marque particulière.

Ma main sortit de l'eau et frôla son bras. Elle braqua son regard sur moi.

Sa puissance s'enroula autour de ma main, puis de mon bras.

Sa peau était douce sous mes doigts.

Elle retenait son souffle, ses yeux brillaient doucement.

J'entendis son cœur avoir un loupé alors que je remontai ma caresse sur le haut de son bras.

Je fis un pas. Le pas qui nous séparait encore.

Frôler un bras n'était pas assez.

Était-ce sa louve qui m'appelait ou comme ça ?

Ou simplement moi qui voulais la toucher ?

Mon torse frôla ses seins et à travers le maillot, je les vis durcir et les sentis contre ma poitrine.

Soudain, le ballon atterrit à côté de nous, nous éclaboussant.

Brisant le moment que nous avions eu. Je reculai d'un pas et attrapai le ballon alors qu'Isis reprenait son souffle.

Je croisai rapidement le regard soucieux de Shana et relançai le ballon à Jalil qui le rattrapa en faisant semblant de faire un grand plongeon.

Isis se racla discrètement la gorge et se frotta le bras que j'avais frôlé.

_ Attention à ton épaule, articula-t-elle doucement en pointant la sienne.

Elle tournait le dos aux deux autres qui ne virent rien.

Je soutins son regard, attendant que sa louve me passe un certain message, mais rien ne filtra dans les yeux d'Isis. Se rendait-elle compte que sa louve m'appelait ? Ou était-ce moi qui me faisais des idées ?

Je hochai doucement la tête, tentant de rester détendu.

C'était compliqué alors que mon loup poussait derrière mon crâne pour que je retourne me presser contre elle.

_ Aller les filles ! Cria Jalil. Sur les épaules !

Je le regardai un instant, prêt à protester, mais Shana criait déjà alors qu'il la tirait sur ses épaules. Il plongea et elle grimpa sur lui. Il se releva et Shana éclata de rire, attrapant le ballon.

Isis pivota vers moi, les joues légèrement rouges. Elle fronça les sourcils.

Je souris et m'agenouillai. Elle s'approcha avec cette moue que j'adorais et se positionna dans mon dos.

Bon sang... elle allait grimper sur mes épaules. Mon loup était déjà excité.

Je plongeai et elle grimpa sur mes épaules, s'accrochant à mes cheveux en riant alors que je remontais à la surface. Ses cuisses étaient pressées contre mes joues et je me retins de les embrasser. Je posai mes mains sur ses genoux et elle resserra sa prise sur mes cheveux.

Et la bataille commença. Shana réussit à mettre trois buts dans les petits filets que les gamins avaient mis autour de la piscine. Isis se défendit bien et en mis deux.

Alors qu'on commençait à grogner avec Jalil, Isis marqua le dernier point et égalisa. Elle tapa dans ma main tendue en riant. C'était bon de la voir rire comme ça. Elle n'avait pas souvent du jouer et s'éclatait comme une gamine.

_ Fais-moi descendre, loup stupide, grogna Shana qui n'aimait pas perdre.

Jalil la fit basculer en arrière.

Isis attendait sur mes épaules. Je caressai doucement son genou.

_ Zoran ? Souffla-t-elle.

Alors que les deux idiots en face rigolaient, je fis ce que j'avais envie de faire depuis vingt bonnes minutes.

Je posai mes lèvres sur sa cuisse, savourant la douceur de sa peau.