3. Zoran

Ce Jahyan là était froid distant. Il était en colère et malheureusement pour elle, Némésis avait attiré ses foudres. On n'attirait pas les foudres de Jahyan Pearson juste sur un coup de tête. On prenait sur soi et on savait qu'on morflait pour pas mal de temps. Shana avait réussi à se le faire comprendre à elle-même durant son apprentissage et au fond, elle était tombée amoureuse de Jahyan. Parce que mon Alpha avait plusieurs facettes et que lorsqu'on en découvrait une, il était difficile de l'oublier. Némésis venait de goûter à celle qui faisait mal.

Très mal.

Même mon loup était quelque peu mal à l'aise face à tout ça. Elle restait la fille d'Eneko... non ? Jahyan grimpa dans son hummer sans un mot. Il ouvrit la fenêtre se pencha, dégoulinant de colère et de rage. Il avait réussi à garder ça secret et il aurait été du devoir de Timothy de préserver cet anonymat. Le Gardien avait bien merdé et il allait s'en mordre les doigts auprès de Jahyan.

_ Garde la ici, grogna-t-il. Je n'arrive pas à contacter Timothy. Il doit être en mouvement.

_ C'est quoi le plan ? Grondai-je, sombre.

Jahyan me regarda un instant et fronça ses sourcils. Je ne détournai pas mon regard. C'était une gamine. Qu'est-ce qu'il en avait à foutre ? Autant la retourner dans les pattes de Timothy et ne plus en parler non ? Si ça s'apprenait dans la meute, ça allait foutre la merde mais nous avions vécu pires. Alors pourquoi la garder cacher ? Eneko n'avait-il pas son mot à dire dans l'histoire ?

_ Yan, soufflai-je, pense à Neko. Il veut peut être...

Son grondement sourd m'arrêta. Je secouai la tête.

_ Si tu commences à ressentir une quelconque émotion, cracha Jahyan, tu n'avais qu'à rester à la maison. Fous la dans la cave. Traite la comme une menace. Cette mission me prouvera que tu ne t'es pas adoucit, Main. N'est-ce pas ?

Je serrai les dents et finis par le regarder. Je hochai la tête, mais mon loup n'était pas content. Pas content du tout. Et même s'il respectait Jahyan et qu'il ne mettait pas en doute ses décisions, celle-ci était bancale et franchement foireuse. Ne le voyait-il pas ?

_ Je reviendrais, grogna Jahyan en démarrant.

Je baissai la tête en signe de respect et il s'en alla, son monteur faisait un bruit affreux. Je le regardai s'en aller avec pour la première fois de ma vie sûrement, une pointe de regret. Jahyan n'était pas du genre à séquestrer une gamine. Mais Némésis n'avait pas su gérer son entrée avec Jahyan. Je poussai un long soupir et retournai à l'intérieur. Elle était encore recroquevillée au sol, de gros sanglots la secouant.

Je m'approchai. Elle frémit quand j'agrippai ses bras. Je l'assis sur le canapé et la secouai doucement par les épaules. Son regard se focalisa sur moi.

_ Reprends-toi, dis-je d'une voix forte.

Elle secoua la tête et ses mains voulurent me repousser, mais elle n'avait aucune force. J'attrapai son menton et la forçai à me regarder en resserrant ma prise. Elle grimaça. Ses yeux étaient rougies et ses joues mouillées.

_ Tu viens de rencontrer Jahyan Pearson, grognai-je. Tu es entrée contre sa volonté sur ce territoire. Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'il allait t'accueillir avec des gâteaux pour te souhaiter la bienvenue ?

Elle fut secouée d'un sanglot.

_ C'est... c'est un monstre, haleta-t-elle en s'accrochant à mes poignets.

_ Oui, soufflai-je. C'est un monstre. Mais c'est un Alpha qui protège les siens. Que croyais-tu, Némésis ? Quel était ton plan ? Débarquer ici, trouver ton père et repartir ?

Elle grimaça, se rappelant sûrement les paroles de Jahyan.

Était-ce vrai ? Neko ne voulait pas la voir ? Je ne pensais pas. Il lui aurait parlé, expliqué la situation. Pourquoi elle ne pouvait pas rester ici. Mais il aurait accepté de la voir. Pour qu'elle sache. Qu'elle puisse continuer sa vie. Neko n'était pas comme Jahyan sur certains points et c'est ce qui faisait la balance dans la meute. Tout comme Shana. Ce qu'avait dit Jahyan était faux. Au moins pour la partie sur Eneko. Mais je ne pouvais pas lui dire ça. Ce serait faire contre-ordre direct par rapport à Jahyan et même si mon loup était mal à l'aise, il ne pouvait aller contre.

_ Je... je ne sais pas, sanglota-t-elle.

Je la relâchai et elle se recroquevilla sur le canapé, ses genoux contre sa poitrine. Je m'assis en face d'elle sur la table basse.

_ Tu as agis sur un coup de tête, remarquai à voix basse. On n'agit pas sur un coup de tête avec Jahyan Pearson.

Je le savais mieux que quiconque. Et Némésis

_ Laisse-moi... murmura-t-elle en détournant son visage. Laisse-moi s'il te plaît...

Je la regardai un instant, regardai ses poignets et ses chevilles blessés par les liens. Pourquoi sa louve ne la guérissait-elle pas ? Je secouai la tête et me levai. Je m'assis à la table de la cuisine, continuant de lire un des livres qu'elle avait amené. Elle s'allongea sur le canapé, pleurant doucement.

Elle faisait le deuil de ce qu'elle avait voulu jusque-là.

Connaître simplement la vérité sur son existence. Comme les gosses à l'orphelinat avec Aubrie, à L'Ethérée. Comment gérait-elle les gosses abandonnés ? Était-ce encore la même chose entre un enfant et une jeune ? Cette gamine avait trois cents ans à peine. Elle découvrait à peine les possibilités de notre peuple. Jahyan n'était pas la bonne personne à confronter.

Malgré l'heure tardive, je lui proposai de manger, mais elle refusa. Alors qu'elle s'endormait, je la pris dans mes bras et la montai à l'étage. Je la déposai sur son lit. La fenêtre était fermée par un cadenas en argent. Par ailleurs, elle ne pourrait pas se défaire de ses liens. J'allais dans la salle de bain cherche ma trousse de secours et revins dans la chambre. Elle ouvrit ses yeux sur moi alors que je coupais les liens de ses chevilles. La peau était entaillée. Je n'aimais pas ça.

_ Pourquoi ta louve ne te soigne-t-elle pas ?

Elle me regarda et ferma de nouveau ses yeux, des larmes perlant sur ses joues. Silencieuses et pourtant douloureuses. Je nettoyai sa première cheville et plaçai un bandage assez épais pour que le lien n'abîme pas plus la peau. Je réitérai la manœuvre sur son autre cheville. Je remis le lien et vérifiai que rien ne touchait. Elle ne pourrait pas enlever les liens, même avec le leste que j'avais mis. Je remontai dans le lit et tendis mes mains vers les siennes. Elle garda les yeux fermés, mais frémit alors que je retirais son lien. Elle ne bougea pas. Je bandai ses poignets et remis le lien par-dessus, laissant un tout petit peu de lest. Encore une fois, pas assez pour qu'elle les fasse glisser.

Je rangeai la trousse de secours et vérifiai les volets et les barreaux de la fenêtre. Solides. Je sortis de la pièce et fermai la porte. Je m'y appuyai et fermai un peu les yeux. Je ne dormais pas, écoutant ses sanglots étouffés.

Cette gamine ne méritait pas ça. J'avais beau me dire qu'elle mettrait un peu tout sans dessus sans dessous, elle n'était qu'une gamine qui cherchait ses parents. Ce n'était pas un crime de venir chercher les clés de son identité. N'est-ce pas ? La violation en soit de l'anonymat recherché par Jahyan était la seule chose qui n'aurait pas dû être réduite en bouillit.

La nuit fut longue et alors que le soleil se levait à peine, j'ouvris la porte de la chambre. Némésis ne dormait plus. Je la pris dans mes bras et elle se laissa faire, légèrement crispée. Elle avait des yeux rouges et gonflés et semblait sur le point de s'évanouir.

_ Tu as faim ? M'enquis-je en la déposant sur le canapé.

Elle secoua la tête, ramenant une fois de plus ses genoux contre elle. Les bandages avaient tenu. Bon pas pour longtemps, mais c'était toujours ça.

_ Ne me force pas à te nourrir, grognai-je.

Mais je n'avais pas faim non plus, alors je n'insistai pas pour l'instant. Némésis s'était assoupie dans le canapé quand une voiture s'arrêta près de la maison. Il devait être un peu plus de 13h. Je fronçai les sourcils et sortis dehors.

J'écarquillai les yeux en voyant Shana sortir de la voiture flambant neuve que Jahyan lui avait offert pour son anniversaire. Elle avait catégoriquement refusé de l'utiliser, mais visiblement, cela l'aidait en ce moment.

_ Zoran, souffla-t-elle.

Son regard était légèrement sombre et elle avait des cernes. Jahyan et elle avaient dû débattre de ça. Jahyan ne pouvait plus cacher grand-chose à Shana et elle avait dû aisément deviner que quelque chose de grave était arrivé. Je lui tendis ma nuque qu'elle embrassa.

_ Que fais-tu là ? Murmurai-je. Si Jahyan sait que tu es venue ici...

_ Quoi ? Rétorqua-t-elle, mauvaise. Que me fera-t-il qu'il ne m'a déjà fait cet idiot ? Laisse-moi la voir, Zoran.

Je m'écartai doucement et la fis entrer dans la maison. Némésis s'était assise et nous regardait avec de grands yeux. Un peu trop grand. Ils mangeaient son visage.

Shana se figea un instant avant de s'approcher lentement.

_ Bonjour, dit-elle d'une voix douce à Némésis.

Cette dernière observa ma femelle Dominante, puis moi. Je ne réagis même pas à ce fait me contentant de hocher la tête. Shana ne releva pas non plus.

_ Je suis Shana Pearson, se présenta-t-elle. Sais-tu qui je suis ?

_ Vous êtes la femme de Jahyan Pearson, souffla Némésis. Sa... sa femelle dominante.

J'observai les deux femmes discutées. Si Jahyan apprenait que Shana était venue ici, nous étions morts tous les trois. Bon sang... Quelle idée d'être venue. Pourquoi ? Pourquoi avait-elle fait ça ? Il ne fallait surtout pas que Jahyan le sache. Némésis répondait sans rechigner aux questions de Shana, ce qui ne me surprenait pas. Elle était parfaite notre femelle Dominante. Shana lui posa plusieurs questions sur sa vie. Parfois, Némésis ne répondait pas et Shana enchaînait. Elle lui demanda aussi pourquoi elle était venue maintenant. Si quelque chose ou quelqu'un l'y avait poussé. Némésis ne répondit pas. Quelqu'un lui avait forcément donné ce papier... Je ne relevai pas cependant. Shana ne lui parlait pas d'Eneko, mais elle demanda à Némésis si elle était réellement prête à rencontrer son père et à toutes les conséquences que ça impliquait. La jeune femme se tortilla sur le canapé, mal à l'aise.

_ J'ai... j'ai besoin de tourner la page, souffla-t-elle enfin. Si je ne peux pas mettre de visage sur mon passé, comment puis-je voir mon futur ? Certains enfants... abandonnés, n'ont plus leurs parents. Je sais que les miens sont quelques parts. Mon père est ici. Et il ne veut pas me voir. C'était sûrement comme ça que ça devait se passer...

Shana pencha doucement la tête et me jeta un coup d'œil. Eneko ne savait pas ce qui se jouait ici. Shana voulait le lui dire, mais elle devait savoir si Némésis était prête à faire face à toutes les conséquences de ce geste. Shana allait encore une fois faire pencher la balance dans le sens inverse de Jahyan. Tout cela présageait une autre crise conjugale qui finirait comme toujours par entamé mes réserves de glace. Shana sourit doucement en entendant ce à quoi je pensais.

_ Timothy devrait venir te chercher bientôt, reprit finalement Shana ne laissant rien paraître. Tu réussiras à supporter celui-ci encore quelques jours ?

Némésis me jeta un coup d'œil, fit la moue et finit par hocher la tête. Sale gamine va ! Je m'occupais d'elle et elle grimaçait ? Eho ! Fallait pas pousser le bouchon trop loin là. Shana lui sourit et déposa un baiser sur son front avant de se lever. Elle me tira vers la sortie.

_ Je ne peux pas rester plus longtemps, dit-elle en grimpant dans sa Mercedes grise. Jahyan ne rentrera pas tard de son travail. Occupe-toi bien d'elle, Zoran.

_ Tu me donnes l'ordre opposé de Jahyan, grognai-je partagé entre mes deux Alphas.

_ Écoute-moi, je suis plus belle, plus intelligente, et plus sympa.

_ Que de chose alléchante, rétorquai-je tentant un peu d'humour.

_ On ne peut pas laisser ça continuer, Zoran, souffla-t-elle. Elle ne mérite pas ça...

_ Va dire ça à ce qui te sert de mari, grondai-je.

Elle me fit un clin d'œil et recula sur la route. Elle me fit signe de la main et s'en alla. Je soupirai et me grattai la nuque. C'était ça que d'avoir deux Alphas aux commandes maintenant. Si avant ma loyauté était parfaitement acquise à Jahyan, aujourd'hui je devais faire la balance pour mon couple dominant qui n'était pratiquement jamais du même avis. Ce qui était problématique, comme maintenant.

Je retournai dans la maison. Némésis me regarda aller m'installer à la table de la cuisine.

_ Elle est très gentille, souffla-t-elle.

Je levai mon regard sur elle un instant et le baissai de nouveau.

Oui. Shana était gentille. Et impulsive aussi. Si Jahyan apprenait ce qu'elle venait de faire, ou l'attrapait à dire à Eneko que sa première fille était ici... Tout était foutu. Moi avec ! Je me frottai un instant le front. Némésis quémanda une douche et le rituel fut de mise. Je lui retirai ces liens, ainsi que ces bandages. Elle se frotta les poignets en grimaçant et me lança un coup d'œil farouche. Je pivotai et lui tournai le dos, réfléchissant à ce que je pourrais bien faire pour les jours suivants. Après tout, le jardin était à faire. Ça m'occuperait un peu l'esprit. Elle la prit rapidement et ce fut à mon tour. Je l'enfermai dans sa chambre par sûreté et allai prendre la mienne. J'enroulai une serviette autour de mes hanches et sortis de la salle de bain. Je partis en quête d'un jean et enfilai une grosse ceinture avec. Je passai une main dans mes cheveux toujours trop longs. Merde. J'allais devoir les faire moi-même.

J'allais libérer Némésis de sa chambre et m'approchai torse nu, un couteau à la main. Elle retint son souffle en regardant l'arme et mes tatouages.

_ Je vais t'enlever ça, dis-je en frôlant les liens de ses chevilles. Tu pourras marcher dans la maison. Tu ne peux pas t'en échapper de toute façon, hormis par la porte d'entrée dont la clé est cachée. Si tu tentes quelque chose, tu atterris dans la cave. Je suis clair ?

Elle hocha vivement la tête, un sourire de soulagement sur les lèvres. Je coupai son lien et elle soupira d'aise. Elle frotta doucement ses chevilles.

_ Viens, ordonnai-je. Je vais te refaire des bandages.

Elle me suivit. J'attrapais la trousse de secours et descendis. Elle s'assit sur le canapé et je pris sa jambe pour poser son talon sur mon genou. Elle fit la moue alors que je manipulai une gaze pour nettoyer ses marques. Mon loup observait attentivement mes gestes, prêt à me faire mal si je faisais ça de la mauvaise façon. Il protégeait presque Némésis comme si elle était une louve de la meute. Quel idiot lui aussi.

_ Tes poignets ? M'enquis-je.

_ Ça ira, souffla-t-elle.

Je hochai la tête et allai jeter mes déchets. Je m'étirai un instant.

_ Tu as faim ?

Elle hocha la tête à son tour. Enfin ! Elle n'allait pas arrêter de vivre juste parce que Jahyan lui avait aboyé dessus. Shana avait pris bien pire et maintenant c'était sa femme donc... Je n'irais pas jusqu'à dire que Némésis avait sa place dans la meute en tant que fille d'Eneko... mais c'était un peu le cas. Et Shana, au-delà du fait de voir cette gamine dans la merde, sentait la même chose que moi en la voyant. Elle pourrait être de notre meute.

Je fis rapidement à manger et fus satisfait en la voyant se nourrir. Mon loup poussa un léger soupir à l'intérieur de ma tête, soulagé à son tour. Némésis lisait dans le canapé alors que je tirais une grosse armoire de la salle. Elle fronça les sourcils et ferma son livre. Je calai l'armoire roulante devant le canapé contre le mur.

_ Il ne va pas m'interdire de regarder un film, grognai-je pour moi-même.

J'ouvris l'armoire. J'entendis un « ouah » s'échapper de la bouche de Némésis alors que je tirai plusieurs fils pour les faire passer dans un trou à l'arrière de l'armoire. Je n'avais pas la télé ici, mais j'avais un putain d'écran plat avec une masse de DVD qui prenait les trois quarts de l'armoire.

_ Ça c'est une collection, fit-elle en s'approchant.

Alors que je branchai le monstre, elle regarda les différents films. J'avais un peu de tout et de toutes les époques. Je mis quelques minutes à tout brancher et à tout relier. J'installai un peu mieux l'armoire et observai. Oui, là c'était bien.

_ Tu as choisi ? Grondai-je en tirant les télécommandes d'une petite pochette sur la porte.

Némésis me regarda avec de grands yeux. Elle fit la moue et haussa ses épaules.

_ Je n'en connais... aucun, admit-elle. Je suis plus livre que film à vrai dire...

_ Historienne, grognai-je. Même Benjamin Kalagan connaît des films.

_ Il est plus vieux que moi, rétorqua-t-elle.

_ Choisi, ordonnai-je. On verra bien...

Elle tomba sur un vieux film de western. Pourquoi pas. Je le mis et m'installai par terre, le dos contre le canapé. Elle était sur ma gauche, ses jambes sous elle. Le film démarra et elle se plongea dedans. J'espérais que ce n'était pas le premier film qu'elle voyait sinon... Au début, elle se retint de rire. Puis, de légers sons lui échappèrent. Je ramenai un genou contre moi et me détendis un peu. Je remerciai Shana intérieurement et me promis que lors de ma prochaine chasse, je ramènerais un trophée à Jahyan pour lui prouver que je ne m'étais pas adouci. La soirée passa tranquillement. Némésis demanda un second film et je le choisis. Un film d'action. Alors qu'elle baillait à s'en décrocher la mâchoire, je l'envoyais au lit.

Cette nuit-là, je ne dormis pas.

Mon loup était sur ses gardes. Son instinct nous prenait aux tripes. Quelque chose allait arriver...

Le lendemain, j'étais un peu grognon. Alors que je sortais de la douche, essuyant mes cheveux pour aller chercher quelque chose dans ma chambre, Némésis sortit de la sienne. Son regard se posa sur moi, sur mon corps et elle rougit si fort que je crus qu'elle allait s'évanouir. Quoi ? Elle n'avait jamais vu d'homme nu ? Bon sang cette gamine...

Elle posa sa main sur ses yeux et remarqua d'une voix à peine tremblante :

_ Tu aimes peut être te balader à poil, mais j'aimerais bien que tu ne le fasses pas juste sous mes yeux.

_ Et moi j'aimerais bien être en chasse au lieu de faire du baby-sitting. Tu vois ? C'est beau de vouloir des choses mais on n'a pas tout ce qu'on veut !

Elle ouvrit la bouche sur une exclamation indignée, mais j'étais plus proche d'elle. Je souris et elle me contourna pour descendre en bas, rouge comme une tomate. Je ricanai et allai enfiler un jogging. Aujourd'hui, le jardin. Je pris un café alors qu'elle mangeait un bout de brioche. Elle me demanda de lui mettre un film avant de sortir et je le fis. Je ne fermai la porte à clé. Même si elle sortait je l'entendrais et réussirais à la retrouver. Elle le savait. Je le savais. C'est pour ça qu'elle ne portait plus ses liens ni aux chevilles, ni aux poignets. Elle obéissait et tout irait bien. J'allais tirer la tondeuse de la petite cabane et la branchai sur une prise extérieure à la maison. Le soleil tapait fort. Je commençai à tondre, coupant ce qui était trop long. Ça m'occupa les mains, mais pas forcément l'esprit. A un moment de la matinée, mon loup se redressa et observa les montagnes au loin.

Il sentait quelque chose.

Depuis des siècles maintenant nous étions devenus forts. Pour tout ce qui était chasse, instinct, traque.

Si mon loup sentait quelque chose de mauvais, alors je devais lui faire confiance. J'allais chercher un fusil dans la cabane et le calai contre la maison. Je vis Némésis rire à une scène du film. Elle devait restée en sécurité. Je repris mon jardinage et tentai de terminer. Alors que je rentrai pour faire à manger, je trouvai Némésis dans la cuisine.

_ J'ai fait des pattes, grimaça-t-elle. Mais je ne suis pas très douée pour la cuisine.

_ T'inquiète, dis-je. Tant que ça se mange.

Elle hocha la tête et termina de faire le repas. Je fis rire mon loup alors que je me demandais si elle n'avait pas empoisonné notre assiette. Elle mit de la crème sur ses pattes et se mit à manger. Non. Elle n'avait pas empoisonné. Si mon loup avait pu me donner une claque il l'aurait fait. Je retournai dans le jardin alors que Némésis gribouillait des choses sur un cahier, la tête plongée dans un de ses vieux traités. Elle m'avait rapidement dit à table qu'elle recopiait tout ça pour que ça ne se perde pas.

Alors que je coupai des haies, Némésis m'appela pour que je lui mette un film. En grognant, je lui expliquai comment ça marchait et elle s'enfila des films tout le reste de l'après-midi. J'étais en train de ranger mes affaires quand quelque chose fit relever la tête à mon loup. Il devait être un peu plus de 17h. Quelque chose dans les montagnes n'allaient pas. Je pris une longue inspiration et ouvris mes sens. Aucune odeur ne me vint avec le vent. Je grognai et rangeai rapidement le reste de mes affaires. Je pris mon fusil et le rentrai dans la maison. Némésis observa l'arme un instant et fronça les sourcils.

_ Si je te donne un ordre, soufflai-je, je veux que tu le suives. Sans poser de question.

_ Il y a un problème ? Murmura-t-elle.

_ C'est clair ? Grognai-je.

Elle hocha la tête. J'allais prendre une douche, écoutant les sons en bas. Elle continuait de regarder son film. J'enfilai un jean et redescendis en bas. Je m'installai à côté de la fenêtre qui donnait sur les montages, mon fusil non loin de ma jambe.

On mangea un petit truc et on enchaîna avec un autre film. Elle allait avaler ma collection si elle ne faisait que ça toute la journée. Je ne fis pas vraiment attention au film et Némésis non plus. Alors qu'il se terminait, elle éteignit la télé.

_ Que se passe-t-il ? S'enquit-elle. Tu me stresses à un point...

Je souris et haussai un sourcil.

_ Ah bon ? Dis-je.

Elle fit la moue. J'aimais bien cette moue-là.

_ Tu es tendu et tu n'arrêtes pas de regarder par la fenêtre. Et tu un as fusil avec toi... ce qui est assez flippant.

_ Les montagnes que tu vois là grouillent de chasseur et...

Je ne pus finir ma phrase. La fenêtre explosa et la flèche se planta non loin de mon genou. Je grognai et armai mon fusil. Némésis cria et se jeta au sol alors que plusieurs flèches traversaient les fenêtres. Je l'agrippai par son pull et la tirai vers moi, à l'abri de la cage d'escalier.

_ Bordel, crachai-je.

Il ne fallait pas qu'on monte. Il fallait qu'on sorte d'ici. Némésis s'accrochait à moi. Je la mis sur ses pieds et me levai à mon tour. Je la fis passer dans mon dos et couru à travers la pièce principale pour atteindre la porte, tirant à travers les fenêtres déjà mortes.

J'aperçus plus d'une dizaine de chasseur. Si ce n'était une quinzaine.

Merde.

Merde.

_ Zoran ! Cria Némésis en me tirant d'un coup sec.

Je me retrouvai contre elle, une flèche à côté de mon visage. Je grognai et armai de nouveau mon fusil.

_ Dehors, grondai-je.

Elle s'exécuta et sortit dehors. Je l'agrippai par le menton.

_ Maintenant, tu cours, ordonnai-je. Toujours tout droit. A travers les champs. Tu trouveras une route.

Zoran ?

La voix de Shana résonna dans mon esprit. Je lui fis par de notre petit problème et c'est là qu'elle m'annonça que Timothy était en chemin.

Quoi ? Sifflai-je en écartant Némésis d'une flèche.

_ Zoran... souffla-t-elle en tirant sur mon t-shirt.

Comment ça se fait que je ne sois pas au courant ?

Il est arrivé tout à l'heure et Jahyan et lui on faillit se foutre sur la tronche. Je lui ai dis où tu étais.

Trop de chasseurs, crachai-je. Envoie quelqu'un...

Je rompais notre connexion et me concentrai.

_ Zoran attention ! Cria Némésis.

Je pivotai et la balle de mon fusil explosa le crâne du chasseur qui s'était mis à courir vers nous.

Némésis blêmit.

_ J'ordonne, tu exécutes, grondai-je. Timothy est en chemin. Suis la route.

_ Et toi ? Souffla-t-elle.

_ Tu poses des questions alors que....

Je pivotai et mon poing s'écrasa sur la joue d'un nouveau chasseur. Deux autres arrivaient. Trois sur ma gauche.

_ Barre toi ! Crachai-je.

Sa louve explosa littéralement et elle se mit à courir sur la route. Un chasseur me percuta et je finis la joue contre le sol. Ma puissance s'enroula autour de mes membres et bientôt, je ne fus plus que poings et pieds. Frappant, tuant et éliminant toute trace de menace.

Mon loup prit possession de mon corps et comme toujours, je frôlai la frénésie pour m'en sortir.

Un chasseur ici.

Une tête en moins.

Un chasseur là.

Un bras en moins.

Mon loup finit par prendre sa vraie forme et le massacre continua.

Aucune notion du temps qui passait.

Juste du sang.

Du sang et des membres déchirés, arrachés.

La frénésie me frôla alors que j'étais blessé une nouvelle fois.

Mais il y avait aussi l'euphorie.

L'euphorie du combat.

De la mort.

De La faucheuse qui se tenait au-dessus de vous.

C'était beau.

C'était magnifique.

Un instant, la mort vous frôlait et l'autre vous égorgiez quelqu'un.

Un des chasseurs avaient une arbalète. Ce qui était autre chose qu'un simple arc. Je me pris un carreau dans l'épaule et grognai. Mon loup me rendit ma forme et je courus sur le chasseur qui ne réussit pas à recharger. Je lui arrachai la tête qui roula au sol.

Je levai mon visage vers le ciel, couvert de sang.

_ Tu es quoi au juste ? Cracha le dernier chasseur debout.

Il rampait au sol, une jambe en moi.

Autour de moi ne régnait que le chaos et j'aimais ça.

C'était libérateur.

Envoûtant.

La frénésie s'accrochait un peu à moi, mais ce n'était rien.

J'avais vécu pire.

C'était ma soupape de sécurité.

Je crachai mon propre sang, sentant ma mâchoire se replacer.

_ La Mort, souriais-je.

Je pris l'arbalète, la rechargeai et le visai.

Notre souffle était court. Son odeur filait droit devant nous. Mon loup hurla, tentant de l'appeler. Elle n'avait pas pu aller bien loin. Alors que je suivais la route parallèlement dans un champ, je sentis son odeur un peu plus prégnante. Mon loup freina et un éclat roux nous rentra dedans. Nous roulâmes au sol un instant et je repris forme humaine, récupérant la louve de Némésis sur le torse. Elle me lécha le visage plusieurs fois avant que je n'arrive à me redresser. J'avais des blessures assez importantes alors il ne fallait pas faire le malin. Je clignai des yeux et caressai le museau de la louve. Pour une femelle, la louve de Némésis n'était pas si petite que ça et elle était d'une couleur de feu. Son brun tirait presque vers le roux ce qui était beau à voir.

_ Ça va ça va, grognai-je. Tu n'es pas blessée toi ?

Je regardai rapidement, la faisant tourner. Elle gronda et prit ma main entre ses crocs, feulant. Je souris et regardai à mon tour mes blessures. Le carreau avait laissé un putain de gros trou dans mon épaule et ça saignait assez pour que je commence à voir des étoiles. Et j'avais plusieurs trous de flèches que mon loup avait enlevées au fur et à mesure. J'avais des bleus qui s'étendaient déjà un peu partout. Et surtout, j'avais encore pas mal de sang sur moi. Je me redressai en grognant et la louve de Némésis me poussa vers la route, son museau contre mes fesses. Je ricanai et grimpai sur le bord de la route, passant par-dessus un léger faussé. Je m'assis, grognon. La louve de Némésis lécha ma joue, voulant me débarrasser du sang sûrement, mais je la repoussai gentiment. Elle s'allongea et posa son museau sur ma cuisse. Être nu au bord de la route avec une louve à mes côtés... Of. J'avais eu pire. Quelques minutes après, une voiture se fit voir. Puis une deuxième. Bon sang... Qui était-ce les renforts ?

Une des voitures s'arrêta en grinçant et Timothy sortit de la voiture. Je levai une main alors qu'il tomba à genoux à côté de Némésis. Cette dernière grogna légèrement.

_ JE crois qu'elle est pudique, remarquai-je en ricanant.

Sa louve fit racler ses dents contre ma cuisse et je sursautai. La sensation était intrigante, mais ce n'était pas ça que j'aurais dû ressentir.

_ Eho ! Grondai-je en frôlant son museau.

_ Tu es gravement blessé, souffla Timothy.

La seconde voiture s'arrêta et mon souffle se coupa en voyant qui descendait.

Bordel... de... Merde...

Nom... de... Dieu...

Qu'avait fait Shana putain ?

Eneko et Oren sortirent en courant et nous rejoignirent. Timothy resta quelque peu interloqué, mais ne fit aucun commentaire. Il ne fallait pas que Némésis sache. Et pourtant s'était tellement flagrant que s'en était risible. Eneko repoussa Timothy agacé et me tira sur mes pieds. Il retira son t-shirt et colmata mes fuites en faisant plusieurs garrots. Oren me lança un short que j'enfilai en grimaçant.

La louve de Némésis était silencieuse à côté de moi. Timothy ne disait rien non plus. Eneko n'allait pas reconnaître sa fille si elle restait sous cette forme. Mais elle, elle allait le reconnaître. Forcément.

_ Il faut qu'on te soigne, grogna-t-il.

_ J'ai laissé quelques dégâts là-bas, soupirai-je.

Eneko observa la louve à mes pieds pendant quelques secondes où tous nous retinrent notre souffle. Oren tentait de faire tenir le garrot à mon épaule.

_ Ca va gamin, dis-je en le repoussant gentiment.

_ Qui c'est ? Remarqua Eneko. La louve qui est entrée sur notre territoire ?

_ Elle-même, souriais-je. Mais elle va rentrer avec Timothy. Longue histoire. Je te raconterais à la maison.

La louve ne quitta pas Eneko des yeux. Pourquoi Némésis ne revenait pas sous sa forme d'humaine ?

_ Fais attention à tes loups, Timothy, gronda Eneko.

_ J'y penserais, rétorqua Timothy, froid et distant.

La dispute avec Jahyan avait dû être épique.

_ Nous nous occuperons de ton champ de bataille demain. Tu as besoin de soin, fit Eneko en me poussant vers la voiture.

Je jetai un coup d'œil à la louve. Son regard était triste et brillant. Il restait les affaires de Némésis chez moi. Rien ne bougerait. Je pourrais toujours les lui rendre plus tard. Si je la revoyais...

Timothy ouvrit la porte de sa voiture et tira une grande couverture. Un éclair de magie me fit pivoter avant qu'Eneko ne ferme la porte.

Némésis était humaine et ressemblait étrangement à Oren qui était assis à l'arrière de la voiture.

Eneko suivit mon regard.

Il se figea.

Sa main se crispa sur la portière.

Timothy fit grimper Némésis contre son gré dans la voiture et fila en quelques secondes à peine.

Eneko était presque en état de chose à côté de moi.

_ Neko, murmurai-je.

_ Putain de merde, lâcha-t-il.

Son regard croisa le mien et la douleur que j'y lu me serra le cœur.

_ C'était..., souffla-t-il.

Mon loup grimpa pour réconforter le sien.

Il tituba jusqu'au milieu de la route et regarda la voiture au loin.

Qui s'éloignait encore de lui.

Le destin avait parfois de drôle de façon de nous rappeler que nous n'avions parfois pas le choix.


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