2. Zoran


Alors que je faisais mes tractions dans l'entrée de la cave, là où j'avais moi-même installé une barre, j'entendis mon téléphone sonné. Je grognai et lâchai prise. Shana nageait dans la piscine. Cela devait faire une heure qu'elle faisait du crawl. Je couru jusqu'à la table de la terrasse et attrapai le téléphone. Jahyan et Eneko mangeaient tranquillement. Il devait être un peu plus de 12h30.

_ Zouzouille, ricana Hygy. 

Je ronchonnai un bonjour et il enchaîna. Ce vieux surnom allait me hanter.

_ Ton loup est de retour, grogna-t-il. Il n'a pas bougé hier pour endormir notre présence, mais je suis sûr que c'est lui. Une petite surprise pour toi, Main !

Je voulus lui en demander plus, mais il me nomma simplement un emplacement et raccrocha. Je lançai un regard à mon Alpha.

_ Fouille, ordonna Jahyan. Pas de fuite.

Je hochai la tête, attrapai un t-shirt et me mis à faire mon jogging sur le trottoir. Je réussis à rallier le restaurant que Hygy m'avait indiqué et ralentit le rythme, soufflant d'effort pour jouer la comédie. L'odeur du loup était présente. Celle que j'avais mémorisée imprégnait l'environnement. Une odeur inconnue ressortait toujours plus qu'une connue. Ce loup aurait dû le savoir.

L'heure n'était pas la bonne. Il y avait un monde fou dans les rues. Tout le monde se baladait avec le temps qu'il faisait. La pause de midi était le meilleur moment pour faire un tour en ville, manger un truc rapide. Je regardai chaque personne qui me frôlait, essayant de sentir ce qu'il était. Par ailleurs, je fis en sorte de rien laisser transparaître sur ma personne. Avec mon t-shirt, on ne voyait que peu de tatouages et de toute façon, je n'en avais pas beaucoup. Je bousculai un homme et m'excusai. Il me sourit et reprit son chemin. Je traversai la route et allai m'asseoir sur un des bancs qui longeait le parc de la ville. Je fis semblait de nouer mes lacets, observant et guettant la foule discrètement.

Mon loup se redressa en moi, sentant enfin sa proie. Je fis le tour des personnes, reconnaissant la plupart qui travaillait en ville ou qui travaillait pour Jahyan ou encore Eneko et Kerann. Je fronçai les sourcils en voyant une jeune femme se pencher sur une vitre, observant les ouvrages anciens de la librairie devant laquelle elle se tenait. Hygy s'assit à mes côtés, mangeant une grosse fajitas bien grasse.

_ C'est elle, souffla-t-il en mangeant, comme s'il ne me connaissait pas. Elle est entrée par la frontière Est. Pour moi, c'est la première fois qu'elle vient sous cette forme. Je ne l'ai jamais vu.

Je hochai la tête.

_ Elle cache sa puissance, fit Hygy en s'étirant. Si je n'avais pas retenue sa... booonne odeur, je n'aurais pas pu la reconnaître comme étant une surnaturelle.

Je n'aimais pas quand il faisait son pervers comme ça, mais c'était un trait de caractère et je faisais avec.

_ Combien ? Soufflai-je en me questionnant sur son âge.

_ Je dirais bien trois siècles, soupira Hygy. Elle n'a pas l'air méchant. Juste observatrice.

Je fronçai les sourcils. Justement. Les plus vils étaient ceux qui semblaient le moins méchant à la base. J'avais appris la leçon.

_ Au plaisir, fit Hygy en penchant doucement la tête et en repartant.

Hygy était un grand homme carré, aimant particulièrement la musculation. En le croisant dans la rue, jamais on aurait pu deviner sa vraie nature. Et pourtant... Un rat garou. Sa race était en voix d'extinction, mais ici, il était en sécurité. Je surveillai mon informateur.

Il avait raison quant à la jeune femme. Elle gardait sa louve cachée. Si je fermais les yeux et que je me concentrais, je pourrais peut être sentir une bride de chaleur caractéristique. Autrement, elle se débrouillait très bien. Je penchai la tête alors qu'elle continuait de marcher dans la rue. Alors que je faisais semblant de reprendre mon souffle, elle partit dans une autre rue. Je me mis à la suivre de loin, me forçant à garder une bonne distance pour qu'elle ne me repère pas. Même si c'était une jeune femme à mes yeux, elle semblait chercher quelque chose de précis. Une personne ? Un objet ? Un moyen de faire quelque chose ?

Elle ne me sentit pas une seule fois ce qui me prouva que je n'étais pas si rouillé que ça. Au bout de quelques heures, elle abandonna visiblement sa quête et fit demi-tour. Toujours de loin, je la pistai. Elle retourna à sa voiture et grimpa dedans. Je couru dans la forêt et me changeai rapidement en loup, la suivant à travers les champs. Elle sortit de Boise. Étant Bolverk, j'avais un statut particulier pour les territoires. Je pouvais aller et venir comme je voulais.

Elle roula jusqu'à Caldwell, une petite ville à l'ouest de Boise. Là où Jahyan n'avait plus la juridiction d'Alpha. Je crois qu'il n'y avait pas de meute, ou simplement une petite ici. Je passai dans un jardin et volai des fringues qui séchaient. Je retournai sur la route principale et vis la voiture de la jeune louve. Je me faufilai jusqu'à l'hôtel. Un petit truc un peu miteux. Bon, déjà elle n'était pas riche. Si elle l'avait été, elle ne se serait pas trimballer dans une voiture de location de seconde zone et n'aurait pas dormit dans un hôtel pourri. J'attendis que la nuit tombe avant de m'approcher de sa fenêtre de chambre. En chasse, je pouvais être extrêmement patient et c'est ce qui était parfait. J'étais connu pour ça d'ailleurs. Acculée mes proies d'une certaine façon, les laissant croire qu'elle pourrait s'échapper.

Mais jamais.

La chambre se trouvait au rez-de-chaussée. Vers minuit, elle éteignit et rangea des papiers, laissant d'autres traîner sur la table. Sans aucun bruit, je réussis à pénétrer dans la chambre. Je refermai la fenêtre et me déplaçai tel un fantôme dans la pièce. Alors que j'allais m'approcher du lit, un souffle siffla dans mes oreilles. J'évitai de justesse la lampe. Un cri de rage retentit. Je la plaquai au sol avant qu'elle ne puisse me blesser. Mon coup de coude à sa tempe l'acheva. Son corps retomba inerte, évanouie.

Je n'eus pas besoin de lumière pour voir son visage. Mon loup observa attentivement. Il pivota son visage. Pourquoi il me disait quelque chose ? Mon loup me ramena un souvenir d'Eneko et de Jahyan un peu plus jeune que maintenant. Une photo qui se trouvait dans le salon grâce à Shana. Je soupesai les cheveux de la jeune femme. Odeur familière. Douceur familière. Elle avait la même peau hâlée qu'Eneko et Jahyan. J'étais très physionomiste. En tant que Bolverk, ça aidait souvent. Je tirai sur sa paupière, cherchant la couleur de ses yeux. Marron clair. Je fronçai les sourcils. Je tirai sur ses vêtements, à la recherche d'un signe particulier.

Pourquoi cette femme me disait-elle quelque chose ? Je regardai avec un léger soupçon la tache de naissance qui s'étendait sur sa hanche droite. Eneko avait la même sur le bras. Tout comme Oren avait la sienne sur la cuisse droite. Et Arthur sur la joue. Non. Je devais me faire des idées. Je secouai la tête et attrapai les draps. On triturait souvent les faits pour que les détails collent à la réalité. Je n'étais pas comme ça. Il me fallait des preuves concrètes.

Je lui nouai les poignets et les chevilles. Les nœuds étaient pratiquement indénouables. Hormis si on utilisait un couteau. Je la remis sur le lit et observai ses affaires. Je me dirigeai vers son sac de voyage et virai tout. Je trouvai plusieurs vieux manuscrits, et des livres et des fringues. Pas d'armes. Pas de bombes. Je passai dans la salle de bain de la chambre. Il y avait sa brosse à dent et son parfum. Je retournai dans la chambre et avançai vers le bureau.

Je m'arrêtai au-dessus, observant avant de toucher. Je tirai une feuille de papier froissé. Je fronçai les sourcils en voyant un compte, fourni régulièrement avec des grosses sommes. Je regardai les initiales en bas et me figeai, la feuille dans la main.

Je reconnaissais l'écriture.

Je reconnaissais les initiales pour les avoir vues un nombre incalculable de fois.

Jahyan ne signait jamais de ses vraies initiales : J.P. Il signait toujours de son second prénom pour éviter qu'on le reprenne sur des contrats. Il signait donc G.P. Pour Gordon, son second prénom.

Je pris une longue inspiration et observai la jeune femme.

Non.

Mon loup était contrarié. Il fouilla dans les affaires de la louve. Il y avait plusieurs notes et je découvris plusieurs prénoms que je connaissais de réputation. Celui du Gardien, mais aussi celui de Heaven qui était une ancienne figure de notre peuple. Il y avait aussi le prénom de Benjamin. Benjamin Kalagan ? Il n'y avait pas trente six milles Benjamin qui connaissait les secrets du monde sur le bout des doigts !

Je retournai vers la jeune femme et repoussai une mèche de ses cheveux.

Mon loup n'aimait pas la tournure de cette chasse.

Je devais appeler Jahyan. C'était la première fois que je ne savais pas comment gérer ma chasse.

Je n'aurais pas dû me poser tant de questions sur elle, mais je voulais savoir ce qu'elle faisait ici. Et Jahyan devait venir la voir. Il était concerné après tout.

_ Crétin, murmurai-je.

Je piquai le téléphone de la chambre et appelai Jahyan. Il répondit à la première sonnerie.

_ Zoran, dit-il.

_ Problème, grondai-je.

_ Où ?

Je lui donnai l'adresse de l'hôtel. Une demi-heure plus tard, le hummer de Jahyan se gara devant la chambre. Il sauta de sa voiture, seul. Je ne lui avais pas précisé de venir seul, mais il devait se douter que c'était la merde si je lui demandais de venir. Je lui ouvris la porte. La jeune femme dormait toujours. Jahyan alluma la lumière. Il s'avança et tout son être se figea.

Je m'approchai de lui et observai son visage.

Crispé.

Tendu.

Coupable.

Je savais reconnaître les émotions de mon Alpha et celle qui monta directement après la culpabilité, fut la colère. Une colère noire.

_ Tu la reconnais, remarquai-je.

_ Oui, soupira-t-il.

Je sentis mon instinct se réveiller.

Que se passait-il bon sang ?

_ Je n'aime pas cette tête.

_ J'ai besoin de trouver une solution, murmura-t-il soudainement.

_ Qui est cette fille, patron ? Soufflai-je.

_ Quel connard, cracha Jahyan en frappant le mur à ses côtés.

Le plâtre craqua sous sa force.

_ Je crois avoir besoin d'une mise à niveau, murmurai-je.

Jahyan pivota vers moi, les mâchoires crispées.

Sa bouche s'ouvrit.

Une heure plus tard, je roulai vers Garden Valley. Cela me prit un peu plus de une heure trente pour atteindre le petit village. Je me dirigeai vers ma vieille maison. C'était le seul endroit qui m'était venu à l'esprit quand mon Alpha m'avait demandé d'emmener cette jeune femme quelque part.

Pour la cacher.

Pour faire en sorte qu'elle ne parle pas.

Pour faire en sorte que personne ne la voit.

Les révélations de Jahyan m'avaient quelque peu surpris, mais je n'étais que la Main. Je n'avais pas à juger mon Alpha. Ce qu'il avait fait avec cette fille était sûrement la chose la moins brutale qu'il est fait. A sa façon d'en parler, je savais qu'il aurait pu la tuer. Que si Eneko ne lui avait pas demandé, il aurait emmené la fille de notre Second dans la forêt et l'aurait simplement exécuté. Ou il me l'aurait donné pour que je la tue moi-même. J'étais après tout celui qui exécutait les sentences.

Mais c'était Eneko.

C'était notre Second.

C'était un peu le frère de notre Alpha.

Différents souvenirs remontaient. Je connaissais Milie. Elle avait été dans la meute. Avant qu'elle ne soit renvoyée dans sa famille. A la demande d'Eneko. C'est ce que Jahyan avait dit. Mais à l'époque, j'avais su que cela ne lui avait pas plus que Millie et Eneko soient ensemble. Avec Anya, nous étions sûrement les plus vieux qui pourraient se souvenir de cette louve soumise qui s'était amourachée d'Eneko. Et que ce dernier avait laissé faire, malgré les règles de notre Alpha. Ça avait été sa seule erreur.

Mais on en avait tous une en ce qui concernait les règles de notre Alpha.

Si je n'avais rien à dire sur cet... événement, j'étais avant tout la Main.

Si Jahyan me disait qu'il fallait que j'exécute la jeune femme, alors je devrais le faire. Et sans poser de questions. Mais putain... ça me démangeait.

Elle s'était réveillée juste avant que je ne parte. Heureusement, elle n'avait pas vu le visage de Jahyan. Je l'avais assommée. Jahyan était dans une colère noire contre Timothy qui était censé garder tout ça secret. Si la jeune femme était là, ce n'était pas pour flâner dans les librairies. Jahyan était persuadé que Timothy avait merdé et il allait gueuler.

Et Timothy était fautif.

L'accord pour entraîner Shana était partit de ça.

Le courrier qu'il avait reçu à l'époque à L'Ethérée concernant cette fille.

Il avait vu une photo d'elle et l'avait donc reconnue.

Cette fille qui était apparemment... la première enfant d'Eneko.

Notre Second.

Qui était marié.

Qui était lié.

Qui avait des enfants.

Qui avait une femme.

Mon dieu... Si Louna entendait parler de ça, nous étions tous foutus !

Eneko en premier !

Je secouai la tête et pris la direction du cimetière. Ma vieille baraque hérité de je ne sais quel oncle se trouvait là. Un peu décrépite de dehors, mais j'avais fait exprès. J'avais refait l'intérieur et l'isolation. Mais rien qui puisse se voir d'ici. Je soupirai en me gardant et regardai la jeune femme. Elle était encore évanouie. J'éteignis le moteur et sortis de la voiture. Je tirai mes deux trois sacs du coffre et lançai le tout dans le salon. J'attrapai celui de la fille d'Eneko et le posai non loin des miens.

D'après Jahyan, elle s'appelait Némésis Lane.

Je tirai son corps et le fis basculer sur mon épaule. Je fermai la porte de mon pied et montai à l'étage. J'ouvris une des chambres. Je crois qu'une vieille dame du village venait faire le ménage régulièrement. Il n'y avait pas de poussières sur les meubles. Je déposai la jeune femme sur le matelas et allais tirer différents draps. J'installai tout ça dans la chambre d'à côté et allai la déposer dessus. Elle était toujours pieds et poings liés. Je retournai dans ma chambre et fis le lit. Je ne savais pas combien de temps nous allions rester ici, mais il fallait bien qu'on aménage un peu ça. Et puis, j'allais la surveiller et la séquestrer. Je pouvais faire ça bien quand même.

Jahyan m'avait donné un seul ordre.

Qu'elle n'arrive pas à Eneko.

Alors j'exécutai. J'aurais pu l'enfermer dans la cave... à vrai dire j'allais devoir le faire quand je voudrais sortir de la maison. Il nous faudrait de la nourriture et hormis des conserves je ne devais pas avoir grand chose. Je regardai autour de moi. Il n'y avait pas de décoration particulière. Seulement des vieux souvenirs à moi dans les armoires. Comme des vieilles fringues, ou même des livres.

Je soupirai et repassai dans la chambre où j'avais déposé le corps de la jeune femme.

Je m'assis sur le lit et l'observai un instant.

D'après Jahyan, il avait confié le bébé à Maël qui l'avait lui même placé dans une meute. Sans jamais rien dire à Jahyan. Mon Alpha n'avait demandé que des chiffres. Des chiffres pour le compte. Pour que la petite ne manque de rien. Et d'après les virements assez importants, elle ne manquait de rien.

Hormis peut être de sa vraie famille.

De son vrai Alpha.

De son père.

Je ne savais pas ce qu'était devenue Milie. Mais... qui aurait survécu à ça ? On lui avait enlevé son compagnon. On lui avait enlevé son enfant. Je ne jugeai pas Jahyan. Loin de là. Il avait fait bien pire que ça à une époque... mais toujours dans l'intérêt de la meute. Si Eneko s'était lié à Milie, jamais il n'aurait attend la puissance qu'il avait maintenant, ni celle que Louna elle-même lui avait donné en se liant à lui. Louna n'avait rien à voir avec Milie. Ce n'était ni les mêmes caractères. Ni la même puissance. D'où ce choix de Jahyan. Milie avait cru que son bébé la protégerait de Jahyan. Qu'Eneko la suivrait elle.

Mais nous étions tous biens trop loyaux à notre Alpha.

Rien n'ébranlait ça.

Et surtout pas une femme.

Ni même un bébé.

Eneko savait qu'il avait un enfant quelque part, mais il avait préféré l'oublier. Préféré s'occuper de sa vie maintenant et personne ne pouvait l'en blâmer. J'aurais aimé savoir s'il y pensait parfois en regardant ses autres enfants.

En regardant Oren grandir comme si c'était l'héritier de Jahyan.

En regardant Arthur comme s'il pouvait devenir le Second d'Oren plus tard...

Je repoussai une mèche de cheveux de la jeune femme.

C'était elle, la vraie héritière de Jahyan.

Mon Alpha ne voulait pas en entendre parler, mais avec l'arrivée de Shana, tout changeait. Je savais qu'Oren suivait l'entraînement de son Alpha seulement parce qu'il y était obligé et qu'il était puissant. Certes il en avait besoin, mais il n'était pas forcément fait pour devenir Alpha.

_ Tu n'arrives pas au bon moment, soupirai-je.

Jahyan et Shana auraient des enfants. Peut-être pas maintenant, mais bientôt. Oren n'était déjà plus en liste d'héritier. Alors elle ? Eneko ne l'avait même pas reconnue. Et c'était une fille... comment expliqué ça ? Déjà que Shana avait dû mal à s'épanouir en tant que femelle dominante, alors que Jahyan ait une héritière... Je savais que Shana éprouvait de l'appréhension à cause de ça. Si elle donnait une fille à Jahyan en premier... Je n'étais pas sure que notre Alpha accepte qu'elle devienne une Alpha. Bien que Shana avait le don de lui faire changer d'avis. Mais cette petite fille hypothétique n'aurait pas un père facile.

Et cette jeune femme... Elle avait vécu dans une autre famille toute sa vie. Elle avait vécu dans une autre meute que celle qui lui était destiné. Au delà de ma mission, mon loup ne pouvait s'empêcher de la voir comme une louve de notre meute. Elle aurait dû grandir avec nous. Elle aurait dû faire partie de notre groupe. Est-ce que Jahyan avait pensé à ça ? Que sûrement, cette jeune femme avait trouvé en lui son Alpha et ... qu'il l'avait abandonnée ?

Que ressentait-on quand on était abandonné ?

Je n'avais pas vécu mon envoie en Maison comme un abandon. Mon père avait vu que mon loup devait être mis en cage par des principes. Qu'il devait suivre une route différente de mes sœurs. Il avait eu besoin de cet entraînement, de ce conditionnement.

Dès que mon loup avait vu Jahyan arrivé à la Maison, il avait su.

Il avait su qui serait son Alpha.

Même en connaissant son passé.

Même en sachant ce qu'il avait fait.

Je me redressai et me frottai les cheveux. Ce n'était pas le moment de se sentir ébranlé par une telle histoire. J'étais la Main de Jahyan Pearson, Alpha de Boise, Alpha d'État de l'Idaho. Je me devais de garder la tête froide. Je pris le corps de la jeune femme dans mes bras et la descendis en bas. Je la déposai sur le canapé et tirai sur les draps qui se déchirèrent sous ma prise. Je me relevai, à la recherche des liens de serrages en plastique que j'avais d'habitude. Un bruit. J'esquivai le poing de la jeune femme. Déséquilibrée par ses pieds attachés, elle tomba au sol.

_ Qui êtes-vous ? Cria-t-elle alors que je choppai ses poignets.

Je la tirai derrière moi par les chevilles et elle se contorsionna au sol. J'ouvris un tiroir et découvris les liens. Je m'installai sur son ventre et elle tenta de s'échapper. J'approchai mon nez du sien et lui fis sentir ma puissance.

_ On n'entre pas sur un territoire sans une invitation, grondai-je contre son visage.

Elle frémit. J'attachai ses poignets avec le lien et serrai fort. Elle tenta de s'en défaire, mais j'ajoutai un clip d'argent qui l'empêcha de défaire le lien. Elle regarda l'astuce et fronça les sourcils.

_ Vous êtes la main de Jahyan Pearson, souffla-t-elle.

Je fronçai les sourcils et tirai sur les draps de ses chevilles, appuyant mon poids sur ses jambes pour qu'elle ne bouge pas.

_ C'est ça n'est-ce pas ? Dit-elle.

Je serrai le lien sur ses chevilles, et un autre au-dessus de ses genoux. Elle grimaça alors que cela lui faisait mal. Elle tira sur ma manche dévoilant un tatouage. Elle me relâcha immédiatement, mais déjà je la soulevais par les aisselles. Je la laissai tomber sur le canapé et allai fermer la porte à clé, ainsi que tous les volets qui avaient tous des cadenas en argent. Je mis mes gants pour le faire.

_ Vous allez me garder ici longtemps ? Grogna-t-elle. Vous n'en avez pas le droit.

Je me positionnai devant elle et penchai doucement ma tête.

_ Qui es-tu pour me dire ce que je dois faire ou non ? Soufflai-je contre son visage.

Elle voulut se reculer mais était déjà pressé contre le canapé. Elle n'aimait pas que j'envahisse son espace personnel. C'était amusant.

Maintenant que je savais qu'elle était la fille d'Eneko, je ne faisais plus trop le malin.

Mais mon loup savait comment tout ça pouvait terminer.

Shana ne suffisait pas à retenir Jahyan.

Shana n'était pas la personne qui contrôlait Jahyan.

Et elle ne se tenterait plus jamais à le faire. Elle lui énoncerait des faits et des preuves, et si ça ne marchait pas, elle le laisserait faire.

Elle savait. Elle savait qu'elle pouvait le contrôler, mais cela tuait à petit feu notre Alpha. Alors elle ne le faisait que très rarement.

Si Jahyan voulait que j'exécute cette jeune louve, il m'en donnerait l'ordre avant de l'avoir dit à Shana.

Cela n'irait pas.

Ça casserait encore quelque chose entre eux.

Alors j'allais devoir gérer la crise à ma façon.

_ Que fais-tu ici ? M'enquis-je toujours penché sur elle.

Elle sentait bon, mais sa louve n'était pas à la surface. Ce qui était étonnant vu qu'elle était puissante. Sa louve n'aurait pas dû laisser mon loup s'approcher autant. Pas sans claquer des dents au moins une fois. Pourtant, elle dégageait une chaleur caractéristique de louve puissante. Un comportement de soumise pour une puissante ? Ça sonnait trop Jahyan Pearson.

_ Que fais-tu ici ? Répétai-je alors qu'elle ne disait rien.

Elle pinçait les lèvres et me regarda avec une légère peur.

Je m'écartai et elle reprit son souffle. Je levai les yeux au ciel.

_ Tu es quoi ? Grognai-je. Antropophobique ? Quelque chose comme ça ? Tu as peur des gens ?

_ De jolis mots pour quelqu'un qui ne sait pas s'en servir, grogna-t-elle en retour.

Je souris. Elle avait de la réplique au moins.

_ Dans quelle meute as-tu vécu ? M'enquis-je. Qui est ton Alpha ?

_ On est passé de « Que fais-tu ici ? » à « Quelle meute » ? A quelle question dois-je répondre ?

_ A celle-ci, dis-je en grondant, est-ce que tu veux aller dans la cave parce que tu fais la maligne ?

Elle blêmit légèrement mais reprit vite son assurance.

_ Je serais déjà morte si je n'avais pas une quelconque utilité, remarqua-t-elle, le souffle court. Je sais comment on punit les loups qui se promènent sur un territoire sans invitation.

Un léger silence, puis :

_ Est-ce que vous me connaissez ?

Son souffle résonna dans la pièce.

Comme un espoir.

Comme une supplique.

Je gardai un air froid et distant que je ne prenais que lorsque j'étais en chasse.

Comment pouvais-je me comporter avec elle ?

Devais-je simplement la voir comme une bâtarde qui n'aurait jamais dû faire surface ?

Ou simplement comme une jeune femme qui cherchait sûrement ses origines ? Qui cherchait son père ?

Je devais la considérer comme n'importe quelle cible... Sinon... la sentence que j'infligerais n'en serait que plus dure.

_ Que fais-tu ici ? Soufflai-je une dernière fois, épuisé par cette situation.

J'aurais juste aimé une bonne chasse.

Avec une bonne traque.

Un bon vieux loup puissant à tuer.

Un peu de combat.

Un peu de sang.

Quelque chose qui me change les idées.

Pas cette... gamine au porte de la vérité sur sa vie.

Jamais elle ne pourrait avoir Eneko.

Jamais.

Et qu'elle soit ici, prouvait qu'elle ne l'avait pas du tout compris comme ça...

_ Je cherche quelqu'un, murmura-t-elle. Vous devez me laisser partir. Je ne ferais aucun mal à votre meute.

Je m'approchai d'elle et me penchai de nouveau sur elle, mon regard devait luire d'une sombre énergie à présent. Elle déglutit. Sa peur était présente et l'odeur de cette peur grimpa dans mes narines. Réveillant un peu plus mon loup.

_ Justement, Némésis, soufflai-je. Tu vas en faire. Alors je ne peux pas te laisser partir.

Son visage blêmit un peu plus et elle fut prise d'un grand frisson. Son cœur battait si vite ! Elle allait suffoquer si elle s'acharnait à ne pas respirer. Je me redressai et son souffle sortit en cascade de sa gorge. Je crus même voir ses yeux briller.

Némésis Lane.

Némésis Hubbard.

Qui était cette fille ?

Que voulait-elle en venant ici ?

Récupérer un père ?

Récupérer une vie ?

Elle n'aurait rien.

Si Jahyan avait fait ça, c'était qu'il avait une bonne raison.

Une très bonne raison.

Et il ne laisserait pour rien au monde cette raison devenir caduc à présent.

Est-ce qu'Eneko sentait quelque chose de son côté ?

Je m'écartai de Némésis qui tentait sûrement de reprendre le cours de ses idées.

Je me plongeai un instant sur la toile. Je n'étais pas assez loin d'eux pour être en sommeil. Je sentis Eneko. Il était avec Louna et Anya à la maison. Il ne sentit pas mon intrusion et je repartis doucement vers l'énergie de mon Alpha. Il bouillait littéralement. Shana tentait de comprendre. Il ne pouvait pas lui dire. Et en même temps, il devait le lui dire. Elle l'aiderait.

Elle gérerait cette situation mieux que lui.

Je rouvris mes yeux et pivotai vers la jeune femme sur le canapé. Elle avait enfouit son visage dans ses mains liés et pleurait silencieusement.

Mon loup l'observa encore une fois. Il aurait aimé la consoler. Il aurait aimé lui dire que tout allait bien se passer et qu'elle rencontrerait son père. Qu'elle aurait une place dans la meute. Évidemment. Elle était une enfant d'Eneko.

Et Eneko... avait tellement de chose pour nous.

C'était aussi sa décision à lui.

Il devait nous dire s'il se sentait capable de faire ça ou non. S'il se sentait capable de la voir.

Mon loup n'aimait pas du tout cette situation.

Je la laissai se calmer sans dire un mot. Le jour allait se lever bientôt.

Je m'approchai d'elle. Elle leva son regard rougit sur moi.

Et merde.

Je la pris dans mes bras. Elle se laissa faire, puis se figea quand je descendis les escaliers vers la cave.

_ Tu... souffla-t-elle. Attends... Je...

J'ouvris la cave du pied. C'était plus un gros garage avec une réserve de vin. Rien de bien effrayant. Le sol était fait de pierre ancienne. Je la déposai au sol et elle tenta de s'accrocher à moi. Je détachai ses mains de mon t-shirt.

_ Je reviens, dis-je simplement en la regardant dans les yeux.

Elle ne me lâcha que quelques secondes après, ramenant comme elle pouvait ses genoux contre elle. Je refermai la porte à clé, le cœur dans la gorge.

Bon sang... cette situation était foutrement bancale.

J'attrapai un sac et fermai la maison à clé. Je pris le humer et allai à quelques minutes d'ici dans une mini supérette. Tenue par la grand-mère du coin. C'était plus une petite épicerie qu'autre chose, mais je trouvais le nécessaire et retournai le plus vite possible à la maison. Je posai les sacs de courses sur la table et descendis à la cave.

J'ouvris la porte et Némésis se retint de tomber. Elle s'était pressée contre la porte. Je ne dis pas un mot et la repris dans mes bras pour la monter à l'étage. Elle poussa un gros soupir de soulagement, ses mains crispées sur mon t-shirt. Elle n'avait pas dû bouger de son coin. Je détestai lui faire subir ça. Mais, tout comme Jahyan avait fait des choix, moi aussi j'en avais fait. Et pas des très beaux. Je le savais bien.

Je déposai Némésis sur le canapé. Sa peau s'était égratignée sur les liens au niveau des poignets et des chevilles. Je fis la moue, mais ne les retirais pas pour l'instant. C'était soit les liens, soit la cave alors... Je la laissai se recroqueviller sur le canapé et rangeai rapidement les courses.

Je retournai dans le petit salon même si le bas de la maison était une grande pièce toute ouverte. Je repoussai la table basse et tirai le sac de la jeune femme devant moi.

_ Que fais-tu ? Souffla-t-elle, la voix légèrement tremblante.

_ Je fouille, remarquai-je d'une voix neutre.

Elle pinça ses lèvres.

_ Tu connais Timothy, repris-je.

Elle se dandina sur le canapé, mais ne dit rien. Oh, elle la jouait silencieuse maintenant.

_ Tu connais aussi... Heaven, visiblement, remarquai-je en lisant un manuscrit.

_ Fais... attention, soupira-t-elle alors que je déposai le manuscrit sur la table.

Je tirai plusieurs livres. Tous des vieux traités. Je regardai le reste du contenu. Hormis la feuille de compte. Rien de particulier.

_ Tu es quoi ? Remarquai-je. Une historienne ?

Elle grimaça.

_ Un truc comme ça quoi, grognai-je. Y a que les historiens pour avoir de si vieux trucs dans leur sac.

Elle secoua la tête en levant les yeux au ciel.

_ Je pourrais te mettre du scotch sur la bouche que ça reviendrait au même, remarquai-je en haussant un sourcil.

Elle fronça ses sourcils bruns et montra doucement les dents. Je retins un sourire et continuai de parcourir le vieux manuscrit. Ça parlait de notre peuple. Des Origines. Beaucoup de meute était jeune à présent et se fichait de toutes ces histoires. Ce n'était pas étonnant, mais qu'elle... une si jeune louve à mes yeux, fasse dans l'histoire. Ça me surprenait. Je l'avoue.

_ Et Némésis ? Repris-je. C'est quoi ? Une déesse ? Quelque chose comme ça non ?

Je me souvenais d'une phrase d'Hermès qui parlait de ça. Une déesse de la colère ou quelque chose comme ça.

_ Elle est la déesse de la vengeance chez les grecques, murmura-t-elle. Elle distribue ce qui est dû.

Son ton se voulait théâtrale, sûrement pour me dire qu'elle me rendrait ce que je lui avais fait, mais je ne pus m'empêcher de pouffer.

_ Comme moi, ricanai-je.

Elle fronça les sourcils.

_ Alors vous êtes bien la Main de Jahyan Pearson, souffla-t-elle.

_ Je ne suis qu'un loup parmi tant d'autres, sauf que je distribue réellement ce qui est dû, grondai-je. Moi.

Elle leva les yeux au ciel et mon loup grogna. Elle fit la moue.

_ Tes parents ont choisi ce prénom ? M'enquis-je en tournant les pages délicatement du vieux traité.

Elle me regarda avec suspicion et finit par hocher la tête.

Ca allait faire rire Jahyan. Après tout, il allait se prendre son karma en pleine gueule.

_ Qui sont-ils ? Ajoutai-je.

Elle garda sa bouche close.

_ Tu sais, remarquai-je, ce n'est pas en te taisant que tu seras épargnée.

_ Même si je parle, rétorqua-t-elle, je ne saurais pas si je suis épargnée. Alors a quoi bon ?

Je hochai la tête.

_ Bon point, admis-je.

Elle haussa ses épaules, l'air de dire que j'étais un peu fou sur les bords. Ça devait être le cas.

_ Combien de temps vas-tu me garder ici ? Fit-elle en tirant sur ses liens.

_ Aussi longtemps qu'il le faudra.

Elle soupira un gros coup.

_ Je pourrais parler à Jahyan, fit-elle. Je pourrais lui expliquer.

_ Pour qu'il me demande de t'exécuter sur le champ ? Grognai-je. Non merci.

_ Il ferait vraiment ça ? Souffla-t-elle, un peu plus inquiète.

Je relevai mon regard sur elle.

_ Oui, répondis-je le plus sérieusement du monde.

Elle pinça ses lèvres, mais à présent, elle comprenait dans quel pétrin elle s'était mise.

Un ange passa et alors que je lisais le traité avec un peu plus d'attention, elle se tortilla sur le canapé. Je levai un regard sur elle.

_ Quoi ? Grondai-je.

_ J'ai besoin d'aller aux toilettes, lâcha-t-elle, mauvaise. Vous comptez m'accompagner ?

_ Évidemment, rétorquai-je en la faisant basculer sur mon épaule.

J'ouvris la porte des toilettes et tira le rouleau que je lui fourrais dans les mains. Elle tangua un peu. Alors qu'elle attendait je ne sais quoi, elle haussa un sourcil. Je grognai sourdement, la faisant frémir mais claquai la porte.

_ C'est humiliant, remarqua-t-elle de l'autre côté de la porte.

_ C'est toi qui parle en pissant, rétorquai-je.

Elle grogna à son tour.

Bon sang... quand je pense que nous allions passer quelque temps dans cette maison.

Si Jahyan ne venait pas vite, cette nana allait m'avoir à l'usure.

Qui aurait cru que la fille d'Eneko serait plus irritante que son père ?


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top