18. Zoran
« If we go down then we go down together »
Il faut que... ça s'arrête.
Ces mots me hantaient.
Tous.
Pas un seul ne voulait sortir de ma tête.
Pas même avec beaucoup de verres au compteur.
J'avais arrêté de compter. Même compter les verres n'avait pas suffi à faire partir le vide qui s'installait en moi. Le bar était vide depuis longtemps. Je ne savais pas trop quelle heure il était. Le barman me vira quand il fut trois heures du matin je crois.
J'errai dans Springfield.
Je tentai...
Il faut que... ça s'arrête.
Je tentai de savoir pourquoi j'étais là.
Pourquoi j'avais fait ça.
Pourquoi j'avais désobéi à Jahyan.
Pourquoi j'étais parti de la maison.
Pourquoi j'avais suivi Isis.
Une seule réponse montait à la surface, mais elle n'était pas celle que je recherchais.
Elle ne pouvait pas être la seule réponse à tout ça.
Ce n'était pas... ce n'était pas possible.
Il faut que... ça s'arrête.
Je pressai ma tempe, me laissant glisser contre le mur d'une ruelle sans issue.
Voilà dans quoi j'étais.
Voilà à quoi se résumait ma vie en ce moment.
À une putain de rue sans issue.
Il faut que... ça s'arrête.
Elle... Elle m'avait repoussé... Elle m'avait repoussé pour son propre bien.
Je le savais.
Je ne pouvais pas juste la retenir.
Je ne pouvais pas la forcer. Ce n'était pas dans ma nature.
Il faut que... ça s'arrête.
Elle s'était protégée... Elle s'était protégée de moi.
Elle voulait tout arrêter.
Elle voulait tout abandonner.
Pourquoi ? Elle ne voulait même pas un peu de ce que nous avions ?
Elle ne voulait rien du tout ? Être une louve solitaire ne voulait pas dire vivre seule éternellement ?
Être une Main... ne voulait dire vivre seul éternellement ? Si. Pour certains.
Pour des personnes comme moi.
Je fermai les yeux, sentant une douleur peu familière remonter le long de mon sternum. L'air me manqua. Je me levai, titubai un peu et pressai mon front contre le mur froid de briques.
La paume de ma main heurta le mur.
Une fois.
Deux fois.
Puis, ce fut mon poing.
La douleur remonta le long de mes doigts, de mes articulations, de mon poignet, de mon os et tout le long de mon bras.
Un électrochoc me traversa, mais ce n'était rien. Rien comparé à ce que j'avais pu subir.
Rien comparé aux coups de Yahto.
Rien comparé aux ordres d'Ahmet.
Rien comparé à la douleur que j'avais ressenti quand elle m'avait lâché.
J'étouffai un grognement et frappai de nouveau le mur de mon poing nu.
On ne doit plus agir comme ça.
Et si je le voulais ?
Et si je voulais la toucher ? Juste la toucher. Le temps de quelques instants.
Sans qu'elle m'appartienne complètement... mais nous pourrions en avoir un peu.
En avoir juste un peu...
Parce que ce sera trop douloureux. Ça l'est déjà.
Je regardai le sang sur le mur.
Rien ne filtra. La douleur était celle que je sentais à l'intérieur de mon corps.
Pas celle de mon poing. C'était secondaire.
Je t'aime et je sais que je ne... que je ne pourrais jamais t'avoir.
Pourquoi... Pourquoi maintenant ?
Pourquoi me dire ça maintenant ?
Nous avions encore du temps... Nous avions encore du temps avant de...
Avais-je donc depuis le début pris cette excuse ? Évidemment.
Évidemment que je l'avais suivi en pensant m'acheter un peu de temps avec elle.
Savoir comment elle était.
La connaître.
Prétendre ? Non. Jamais. Je n'avais jamais menti.
Je n'avais juste rien avoué sur mes sentiments. Je ne pouvais rien avouer sur mes sentiments.
Ils ne m'appartenaient pas. Ils ne m'avaient jamais appartenu et ne m'appartiendraient jamais... C'était aussi simple que ça. Alors... Alors, je n'avais qu'une seule chose à faire n'est-ce pas ?
Mon loup était trop embrouillé pour réagir vraiment à ce qu'il se passait.
Retourner voir Isis ?
Lui dire qu'on avait encore du temps ?
Non. Elle ne voulait plus de moi.
Elle ne voulait plus que je la touche comme si elle était mienne.
Mon poing percuta une dernière fois le mur.
Je grimaçai légèrement.
La douleur était la seule chose qui pourrait m'ancrer dans la réalité ce soir.
Seulement ça.
Car l'autre solution n'était maintenant plus possible.
Me perdre dans la chaleur d'Isis n'était plus possible.
Je me redressai lentement, laissant ma vraie personnalité reprendre le dessus.
Car elle avait raison après tout ? Elle n'avait connu que l'humain.
Elle n'avait pas connu la Main qui sommeillait en moi.
Je n'avais jamais eu besoin de mon loup pour devenir l'homme que j'étais vraiment.
Je regardai mon poing en sang, détendis lentement mes doigts.
Toutes ces années, avais-je seulement été moi-même ?
Toutes ces années, avais-je joué un rôle ?
Avais-je réellement voulu garder Isis pour moi ?
Je fermai les yeux et pris une longue inspiration par le nez.
Il fallait que je trouve un endroit pour me battre.
Alors que je retournai vers la rue principale, je sentis une odeur.
Je retins un sourire carnassier.
Ryder. Était-il donc stupide pour me prendre à revers ? La Main de Pharell ne tenait donc pas à la vie ?
Je m'arrêtai quand il sauta souplement devant moi. Il avait dû courir sur les toits.
_ De quoi as-tu besoin ? souffla-t-il.
Je rejetai la tête en arrière, sentant mon corps se tendre de douleur.
De quoi avais-je vraiment besoin ?
D'elle. Évidemment.
Mais ce n'était pas possible.
Elle voulait que ça s'arrête.
Si elle ne voulait pas souffrir, j'allais souffrir pour deux.
_ Faire craquer quelques os, dis-je d'une voix sombre. Tu as le moyen de me trouver ça ?
_ Tant que tu promets de ne tuer personne, souffla Ryder en se grattant la nuque. Je peux te trouver ça, oui.
Je hochai la tête.
Et il m'emmena dans un de ces endroits dont les loups solitaires raffolaient.
Pour faire partir la douleur.
Pour la transformer en rage.
En sang. Ce genre d'endroit était connu pour se baser à l'Éthérée, mais visiblement, il y avait un monde derrière le monde.
Et Ryder maîtrisait ce monde. Après tout, il n'avait pas été bête. Tous les loups solitaires de la région se regroupaient dans ce hameau pour se battre.
Pour éloigner la douleur d'être seul.
Et en ce moment, je l'étais seul.
C'était drôle de voir qu'on pouvait mettre du temps à trouver la personne qui vous complétait.
Et la perdre aussi vite...
Et se sentir seul à nouveau.
La nuit passa vite.
Au rythme des coups bien placés et des coups pris exprès.
Au rythme des combats.
Au rythme des paris.
Le matin arriva et tout le monde se dispersa.
Je grognai de douleur à chaque pas. Ça faisait un putain de mal de chien.
Mais c'était toujours mieux que de penser à elle.
C'était toujours mieux que de penser au fait qu'elle ne voulait plus de moi.
Je ne sais pas comment on y arriva, mais je me retrouvai sur le canapé de Lou-Anne Weaver, la Lieutenante de Pharell. Elle était aussi la cousine, ou... la sœur de Joaquim. Leur relation m'avait toujours paru étrange. Mais à considérer leur passé commun, il ne pouvait être qu'étrange. J'avais aidé Joaquim pour deux trois trucs en relation directe avec Lou-Anne Weaver et Orphée Weaver. Orphée n'était autre que la petite sœur de Joaquim. Et si à l'époque, nous n'avions pas vu nos familles pendant des siècles. Elles nous avaient attendus... en quelque sorte.
Lou-Anne m'observait, assise sur sa table basse, en face de moi.
_ Tu... tu comptes me regarder encore longtemps ? grognai-je.
Lou-Anne eut un petit sourire.
_ Parfois, je me demande comment Joaquim, toi ou même Nael, vous avez fait pour survivre en tant que Main de première génération. Tu sais que ça ressemble étrangement à de la déprime post-rupture ce que tu fais en ce moment ?
_ T'a-t-on demandé un avis particulier ? fit Ryder en entrant dans l'appartement.
Il tenait des sacs de courses. Pour moi. Je ne rentrerais pas chez Pharell. Isis avait ces trucs à faire et je n'étais pas prêt à lui faire face. Je devais remettre la façade en place. Je devais tout faire pour respecter son choix, même si en ce moment j'avais juste envie de vomir.
_ Je dis ça pour que Zoran prenne conscience de l'effet que ça donne, reprit Lou en s'asseyant en tailleur sur sa table.
Je la regardai, l'œil vide. Heureusement qu'elle était importante pour Joaquim, sinon je lui aurais déjà rabaissé le caquet. Et j'étais sûr qu'elle utilisait cette faille chez moi pour se permettre de dire des choses personnelles et intimes sur ma réaction.
Ryder posa les courses à côté de Lou-Anne. Je pris la bouteille de whisky qu'il me tendit et l'ouvrit. Je bus une longue gorgée qui réchauffa mon estomac avant de peser dessus.
_ Tu as pris..., commençai-je.
Ryder me tendit le pot de glace.
_ C'est encore pire que ce que je pensais, soupira Lou-Anne.
Je la fusillai du regard, ouvrant le pot de glace. Ryder me tendit une petite cuillère et je lui arrachai des mains. Je la fourrai dans la glace et la mangeai.
_ Tu veux un film romantique ? ricana Lou-Anne.
Ryder leva les yeux au ciel et s'ouvrit une bière.
_ Les mecs, je vous adore, mais boire de l'alcool à cette heure-ci dans mon canapé. Pas possible.
_ Va au travail, grognai-je. Tout sera propre quand tu rentreras.
_ Il est sept heures du matin, me rétorqua Lou.
Je lâchai un rire nerveux. Ryder me lança un coup d'œil.
_ On a pas d'heures, nous les Mains, ricana-t-il.
Sûrement pour faire genre... Mais cela ne marchait pas comme ça. Ryder le savait. On buvait que lorsque nous étions dans nos meutes et jamais trop pour défendre notre Alpha même contre les nôtres. Ryder était jeune, mais il le savait. Il n'avait pas eu n'importe qui en Régent. Si je me souvenais bien, Ryder faisait partie de la génération de Mackenzie, la jeune Main d'Adriel.
_ Vous me désespérez, soupira Lou-Anne en se levant. Vous avez de la chance que j'ai une séance photo. Sinon, je vous virais.
Elle descendit de sa table basse et alla enfiler ses vieilles rangers affreuses. Elle attrapa son sac, ses clés et nous fis un signe de la main. Elle referma sa porte. Je pivotai vers Ryder, une cuillère de glace dans la bouche.
_ Tu as écouté ma conversation avec Isis pour être venu me chercher ? grognai-je.
Il me regarda avec de grands yeux et finit par secouer la tête.
_ Pharell m'a dit de te suivre.
Maudit Pharell... Je fis la moue et enfournai une autre cuillère de glace.
Que devait penser Ryder en me voyant dans cet état ? Que j'étais une pauvre Main au bord de la rupture ? J'étais une des premières Mains...et parfois, me l'entendre répéter me donnait juste des envies de suicide. À quoi cela servait-il d'être une des premières Mains si je ne savais pas gérer la réaction d'une femme ?
De parfaits tueurs, mais de vrais handicapés de la vie.
Je passai la matinée enfoncé dans le canapé, les fesses sur le bord, mangeant mes pots de glaces à la chaîne. Ryder zappait. Il dut partir quand Pharell l'appela. Je ne demandais même pas si c'était pour Isis. Je ne voulais pas entendre parler d'elle aujourd'hui.
Si je devais souffrir, autant que ce soit moi qui m'inflige cette douleur.
Seul dans le salon de Lou-Anne, je me sentis comme un étranger.
Cela faisait très longtemps que je ne m'étais pas senti comme un étranger.
La meute me manquait...
J'avais besoin de retrouver les miens.
J'avais besoin d'une chasse.
J'avais besoin de...
Je fermai les yeux et pressai mes tempes.
Même la nuit de combat n'avait pas suffi à me permettre de reprendre pied.
Si mon loup se déchaînait maintenant, je n'aurais aucun moyen censé de l'arrêter.
Je me redressai lentement, regardant l'heure. J'étais resté deux heures de plus sans bouger dans le canapé. Perdre la notion du temps n'était pas mon fort. Je me mis à faire les cent pas dans l'appartement. Je tâtai mes poches et me rendis compte que je n'avais pas mon portable.
J'aurais aimé appeler Shana. Lui demander conseil.
Mais lui demander quoi ?
Isis avait fait son choix n'est-ce pas ?
Elle ne voulait plus que je la touche.
Elle voulait que ça s'arrête... cette... relation entre nous.
Mais j'avais reçu des ordres.
Shana m'avait demandé de la protéger.
Et qu'est-ce que je foutais là ? À déprimer comme ça ?
Quelques minutes plus tard, je regrettai déjà d'être revenu chez Pharell. Wayan bandait mes poings avec des pansements alors qu'Isis était plantée dans l'entrée de la cuisine. Son regard était plein de sentiments contradictoires et ses mâchoires étaient serrées.
Je n'avais rien dit. Avais seulement laissé Wayan me tirer dans la cuisine pour panser mes plaies auxquelles je n'avais prêté aucune attention. Ce n'était que peu douloureux.
En ce qui concernait Isis, je crois que si elle avait eu des flingues à la place des yeux, je serais déjà mort au sol. Je ne savais pas si elle était sur le point de pleurer, de me crier dessus, de me taper ou simplement de me maudire pour le reste de sa vie.
Cependant, je ne lui adressai pas la parole, préférant le silence aux excuses.
Je n'avais rien à me faire pardonné.
Nous n'étions pas en couple. Ou ne nous l'étions plus en tout cas.
Et je n'avais jamais rendu aucun compte.
À personne. Alors, j'évitais son regard.
J'évitai de voir ses yeux rougis. Ses cernes. Ses épaules tendues. Son visage creusé.
J'évitai tout de sa personne. Son odeur voulait s'accrocher à moi, mais mon loup ne faisait rien. Donc, j'y échappais encore. Et vu qu'on ne se toucherait plus, je n'aurais plus à la sentir.
_ Ça ira, grognai-je quand Wayan voulut faire l'autre poing.
J'enroulai rapidement le bandage autour de mes articulations douloureuses. Ça serait guéri dans quelques heures.
_ Merci, ajoutai-je en me levant.
Isis voulut dire quelque chose, mais je la contournai et montai à l'étage. Je trouvai la douche et m'y engouffrai, sortant les deux pots de glace restant de mon sac, ainsi que la bouteille de whisky. Je faisais ce que je voulais. Et je n'étais pas si bourré que ça. Donc !
En fin d'après-midi, alors que je terminai mon dernier pot de glace, allongé dans le canapé du salon, Pharell donna enfin la liste entière à Isis. Isis était restée en haut dans la chambre, bidouillant sûrement ses trucs. Elle pouvait faire ce qu'elle voulait.
J'étais là seulement pour la protection après tout.
Mon côté cynique faisait grogner mon loup, mais même lui n'avait plus envie de se battre.
Si elle ne voulait pas de lui à quoi bon ?
À quoi bon se battre ? Elle l'avait elle-même dit. Elle était une louve solitaire.
Elle n'avait pas besoin de moi.
Même pas un peu.
Même pas le temps de quelques mois.
Une petite voix dans ma tête me soufflait qu'elle se protégeait, tout simplement, mais je la fis taire.
Je ne voulais pas réfléchir à tout ça.
Wayan fut celui qui nous déposa à l'aéroport. Je n'avais pas encore adressé la parole à Isis et elle non plus du reste. Alors, le silence était légèrement tendu. On salua Ryder qui était là aussi et on embarqua assez rapidement. Jusqu'à Détroit, il y avait un peu moins de trois heures de vol. Ensuite, nous aurions une petite heure de trajet en voiture. Nohlan avait appelé Isis pour lui demander s'il pouvait venir la chercher. Ça allait être long, mais j'avais prévu le coup. Ryder m'avait passé un mp3 et je gardai les écouteurs vissés sur mes oreilles pendant qu'Isis somnolait à mes côtés. J'aurais aimé la toucher, mais elle avait été claire.
Elle voulait stopper le peu de relation qu'on avait eue.
Je n'avais donc plus le droit de la toucher.
Je n'avais plus le droit de l'approcher comme avant.
Ou de respirer simplement... son odeur.
Qui m'attirait invariablement. Mais je restai immobile dans mon siège, la musique dans les oreilles.
Quand l'avion atterrit, Isis semblait plus épuisée qu'au décollage. Si mon loup remua légèrement, je le muselais avec la force qui me restait. Il ne devait pas tenté de retourner vers elle. Ce n'était pas comme ça que ça marchait. Elle avait été claire pourtant ?
J'étais à présent là pour sa protection. Seulement pour sa protection.
Si elle voulait connaître le vrai Zoran, très bien.
Elle l'aurait.
Je savais très bien que la mauvaise foi n'aidait pas dans la vie, mais je n'avais que ça pour l'instant...
Je rattrapai nos bagages et alors qu'Isis voulut prendre la sienne, je la devançai. Elle fit la moue et agrippa mon bras. Son geste me surprit tellement que je la laissai faire. Elle me tira à l'écart de la foule et croisa ses bras sur son ventre.
Allait-elle vomir ?
_ Alors quoi ? murmura-t-elle. On ne se parle même plus ?
Je pinçai mes lèvres.
_ Zoran bon sang..., souffla-t-elle.
Alors que j'étais prêt à lui répliquer que je n'avais rien à dire, des cris nous interpellèrent. Peython nous faisait de grands signes, tenant sa petite fille sur sa hanche. Annia Christensen était l'une des petites louves les plus chanceuses sur cette terre. Nohlan s'approchait de nous avec un grand sourire. Qu'il perdit en voyant nos têtes et notre attitude. Je me raclai la gorge et le laissai m'enlacer comme un vieux frère. J'appréciais Nohlan. Il était un grand Alpha et un vieil ami. Par ailleurs, j'avais déjà travaillé avec sa Main, Amalia Harendra. Alors que je me dirigeai vers Peython, Nohlan salua Isis et discuta avec elle.
Je m'approchai de la femelle dominante de la meute de l'Ethérée et lui tendis ma nuque. Elle la frôla avant de m'enlacer à son tour. Je déposai un baiser sur le nez d'Annia qui se mit à taper dans ses mains et à rire. Elle ressemblait énormément à Nohlan. Elle avait elle aussi les yeux vairons. Un bleu et un vert impressionnant. Au-delà de cette différence unique qui la faisait ressembler à son père, il y avait son visage. Tout chez elle rappelait Nohlan et à son âge c'était impressionnant. D'après Peython, Annia serait comme leur fille adoptive : Mia. L'Eranthe de Gabriel Kalagan. L'une des plus puissantes depuis des siècles.
La famille de Peython comptait de grands Eranthe et Eros. Emma, la femme de l'ancien Gardien. James, l'Eros de Benjamin Kalagan. Mia, même si elle n'était du sang de Nohlan et Peython, avait été élevée et ses parents lui avaient donné la possibilité de devenir une femme puissante.
_ Vous avez fait... bon voyage ? fit Peython en observant Nohlan frotter l'épaule d'Isis.
Je retins une moue et hochai la tête, les épaules tendues.
_ Comment se porte cette petite ? dis-je en chatouillant le cou d'Annia.
_ Très bien, sourit Peython. Elle est aussi bavarde que son père.
Annia embrassa sa mère sur la joue, un petit rire d'enfant lui échappant. L'énergie qu'elle dégageait, même à cet âge, était impressionnante. Mon loup observait l'enfant avec beaucoup d'intérêt. Elle serait une très grande louve avec un patrimoine incroyable. Son regard croisa le mien et elle me tendit ses petites mains.
Je me penchai doucement et elle posa son front contre le mien, fermant les yeux.
Je me figeai en sentant sa douce et jeune énergie frôler mon loup au creux de moi. Une douceur qui réussit à me faire soupirer d'aise. Je rouvris les yeux, perturbé mais calme.
_ Annia, souffla Peython.
La petite sourit tendrement à sa mère, caressant ma joue comme seul un bébé pouvait le faire. Comme si elle découvrait quelque chose de complètement nouveau et en même temps, en sachant ce qu'elle faisait.
_ Enchanté aussi, Annia, soufflai-je en embrassant son nez de nouveau.
La petite se pressa contre sa mère avant de se redresser en voyant Isis. Annia reproduit son geste avec Isis, qui resta ébahie par la force de la petite.
_ Elle... fait ça souvent ? murmura Isis, émue.
_ Quand l'animal au fond de nous en a besoin, oui, admit Nohlan en caressant les cheveux de sa fille.
La petite ferma les yeux, savourant le contact de son père, puis se pressa de nouveau contre la poitrine de sa mère en émettant des petits sons que je compris comme des mots presque bien formés. Je n'osai pas regarder Isis de peur de craquer et de la presser contre moi. Elle se racla la gorge et se redressa, reprenant contenance.
Nohlan la prit par les épaules et l'entraîna avec lui, lui demandant si tout allait bien depuis l'intervention d'Auxann. Auxann avait donc prévenu Nohlan. Sûrement nous avait-il attendus plus tôt, comme les autres. Elle raconta notre périple, sans trop de détails.
Peython prit des nouvelles de Jahyan. Je parlai peu et elle respecta mon silence, prenant quand même quelques nouvelles de Shana, de Kerann et de Jalil. Elle avait su qu'ils étaient venus dans la meute suite à la reprise de la meute par Shay Collins qui était un de leurs proches amis. Je racontai rapidement quelques anecdotes, mais ne fut pas très précis. Peython vint à l'arrière de la voiture avec moi et laissa Isis Et Nohlan discuter à l'avant. Je posai mon front contre la vitre et fermai les yeux.
Il fallait que je trouve le temps d'appeler Shana. Qu'elle me remette sur les rails. Elle... saurait quoi me dire n'est-ce pas ? Ce que m'avait fait Annia m'avait remis dans un état de calme, mais mes problèmes étaient là et devaient être réglés.
Nous eûmes une petite heure de voiture jusqu'à Ann Arbor. Nohlan expliquait différentes choses à Isis qui semblait très intéressée. Au moins, elle pouvait se changer les idées. Je laissai mon regard tomber sur Annia qui dormait paisiblement dans son siège auto, la main de sa mère posée sur son ventre. Elle respirait calmement. Je calai ma respiration sur la sienne, peut-être trop lente pour un adulte, mais je la suivis et mon loup ne put que retourner dans un léger sommeil.
Nohlan se gara devant le bar pour qu'on puisse descendre nos affaires et Peython emmené Annia dans son cosy. Isis entra et les hauts gradés de Nohlan nous accueillirent avec de grands sourires et des accolades chaleureuses. Isis comme moi fîmes bonne figure et rendîmes les gestes d'affections. Isis était connue ici, à n'en pas douter. Rien que la manière dont elle se comportait avec Nohlan me l'avait montré.
Amalia Harendra croisa mon regard alors que son compagnon la tenait par la hanche. Elle déposa un rapide baiser sur la joue du lieutenant de Nohlan, Elijah Harendra, et vint me rejoindre. Elle me tendit sa nuque où je déposai un rapide baiser. Elle était aussi bavarde que je l'étais en ce moment, c'est à dire pas du tout. Elle retourna auprès d'Elijah et je la suivis, saluant le loup de Nohlan. Ce couple-là était particulièrement... intéressant si on considérait les passés de chacun des deux. Ce couple de loup qui se considérait plus comme un couple de chasseurs. Je discutai un peu avec Elijah, puis fut embarqué par Evan, le premier dominant. Eryn vint m'embêter aussi. Tous les loups de cette meute avaient quelque chose de spécial. Eryn avait trouvé son âme sœur en Nayah, la Main de Benjamin Kalagan. Evan avait trouvé sa femme en Isabella, une vampire descendant du Chef du Nid du Michigan, Gabriel Soderberg.
Elijah, déjà un loup à part, avait trouvé son âme sœur en Amalia, une louve Chasseuse qui était devenue l'une des Mains les plus redoutées des États-Unis.
Tout ce beau petit monde gérait l'Ethérée d'une main de fer. Avec Nohlan Christensen à leur tête.
Je pivotai et trouvai un des dominants de Nohlan enlacée Isis en la soulevant de terre. Mon loup fut tout de suite à l'affût alors qu'Isis se retenait aux épaules de... Tomas ? Je crois bien oui. J'allais lui toucher deux mots à celui-là... Il déposa un baiser bruyant sur sa joue et le reposa à terre. Mon loup recula doucement, perturbé par le fait qu'Isis ne sembla pas en être gênée.
Avant, elle m'aurait regardé avec un petit clin d'œil.
Là, j'avais l'impression de ne plus exister à ses yeux.
C'était peut-être le cas après tout.
Je déglutis et détournai le regard sur Nohlan qui me proposait de boire quelque chose. J'acquiesçai en répondant un whisky. Il me tira vers le bar, prenant des nouvelles de la meute. Cela faisait un peu plus de deux mois et demi que je n'y étais pas. Comment pouvais-je savoir ? Je racontai les dernières anecdotes que j'avais su quand Isis avait eu Eneko et réussis à m'éclipser après deux verres.
Je sortis discrètement du bar, laissant Isis entre les bonnes mains de Tomas, Silva et Evan.
Je m'assis devant le bar et sortis mon portable de ma poche. Je le posai contre mon oreille et les deux sonneries habituelles retentirent.
_ Salut toi ! S'écria Shana. Bon sang, j'ai cru que tu étais mort pendant quelques jours.
_ Et tu n'appelles pas ? ricanai-je.
Un silence.
Mince. Mauvaise idée. Shana allait tout de suite sentir ce qui n'allait pas.
_ Que se passe-t-il ? Vous êtes-vous fait attaquer ? souffla-t-elle.
_ Nope, dis-je. Tout va bien.
_ Pourquoi ça sonne faux dans ta bouche, Main stupide ? grogna-t-elle.
_ Peut être parce que c'est un mensonge, admis-je en grimaçant.
_ Zoran..., soupira-t-elle. Dois-je t'arracher les mots de la bouche ?
_ Comment va tout le monde ? m'enquis-je en me levant.
Elle émit un long soupir et me raconta les dernières nouvelles. Je pivotai vers la vitre du bar et mon regard croisa le sien. Je serrai les dents alors qu'elle détourna ses yeux vers Tomas qui attirait son attention. Ce soir, il y aurait sûrement une fête. Je n'allais pas pouvoir grogner sur tout le monde alors que ce serait drôle et que tout le monde rigolerait. Je fermai les yeux, pressant mes paupières. Isis parlerait sûrement demain avec Nohlan.
_ Il a fait quoi ? grognai-je en fronçant les sourcils.
_ Il a décidé de vider ton frigo l'autre jour, soupira-t-elle. Il a dit que c'était bien fait pour toi. Il n'avait jamais eu l'air aussi gamin qu'à ce moment-là ! Vous vous méritez vraiment tous les deux !
_ Je vais lui faire mal, grognai-je.
_ Tu n'en feras rien, rit Shana.
_ Comment va ma fille ? cria Eneko de derrière.
Ma gorge se serra. Shana comprenant mon silence répondit à Eneko à ma place. Il devait être assez loin pour qu'elle doive faire le téléphone arabe.
_ Elle va bien ! Tout le monde l'adore ta fille, Neko, alors ! sourit Shana.
Elle savait mentir à Eneko parfois. Ça me surprenait la plupart du temps. À présent, j'y étais habitué. Peut-être que lui aussi après tout... mais il ne disait rien. En général.
_ Qu'as-tu fait à ma fille, Zoran ? grogna sa voix alors qu'il y avait lutte avec le téléphone.
Je levai mon regard une nouvelle fois. Elle discutait avec les garçons, jouant de ses mains pour expliquer quelque chose. Elle s'en sortait bien en communauté maintenant. Même avant j'en étais sûr. L'avais-je quand même aidé un peu à y voir plus clair ? Je frottai mes paupières en grognant.
_ Je n'ai rien fait, rétorquai-je, un peu tendu.
Et c'était vrai. Je n'avais rien fait. Elle avait dû me le dire. Elle.
Pas moi. Avais-je été trop lâche d'une certaine façon ? M'étais-je vraiment voilé la face ?
La voix de Shana résonna de nouveau alors qu'elle s'éloignait, je crois.
_ Que t'a-t-elle fait, Zoran ? souffla Shana en comprenant.
_ Elle a simplement été claire, murmurai-je la gorge serrée.
_ Claire à quel point ? soupira ma femelle Dominante.
Je secouai la tête.
_ Aucune importance, soupirai-je.
_ Zoran..., commença Shana.
_ Je te l'ai dit : aucune importance. Je mènerai ma mission à bien, ne t'inquiète pas pour ça.
_ Je ne m'inquiète pas pour la mission, Zoran, rétorqua Shana.
Je fermai les yeux et grognai. Ce n'était pas ce que j'avais cherché.
_ Dis-moi simplement de suivre tes ordres, soufflai-je.
_ Zoran...
_ S'il te plaît, murmurai-je, presque suppliant.
_ Protège Isis. Ramène-la en vie à Eneko.
J'acquiesçai et raccrochai. La puissance de Shana, même à des kilomètres de là me fit du bien et je pus reprendre légèrement pied.
Nohlan sortit du bar avec un léger sourire.
_ Ça te dit de venir avec Elijah, Amalia, Isis et moi faire un tour ? Je vais présenter des loups à Isis.
Je haussai un sourcil, pas sûr de comprendre. Pouvait-il seulement reformuler ?
Il retint un sourire en voyant ma tête de mort-vivant et se racla la gorge.
_ J'ai des loups importants à présenter à Isis. Veux-tu venir ?
Je grommelai un oui et les attendis dehors, fourrant mon portable dans ma poche. Bientôt, Elijah et Amalia sortirent, un léger sourire complice entre eux. Amalia me fit signe de la suivre alors qu'Elijah attendait Nohlan et Isis.
_ Tout se passe bien ici ? m'enquis-je.
Amalia hocha la tête.
_ On est plus sur de la surveillance que de la punition en ce moment, avoua-t-elle. Et puis, Elijah gère un groupe de Chasseurs en herbe. Ils apprennent vois-tu.
_ Avec les meilleurs, c'est ça ? souriais-je.
Amalia haussa ses épaules. Elle se mit à m'expliquer le fonctionnement des patrouilles. Il y avait toujours un Chasseur, un loup ainsi qu'un vampire. Gabriel avait remis tout le monde au pas. Et puisque tout le monde vivait ici, tout le monde se devait de protéger.
Amalia m'expliqua aussi le quadrillage qui avait été fait. Chaque équipe avait un bout de territoire bien défini. Il y avait aussi une équipe supplémentaire qui quadrillait l'État entier. Ainsi en une nuit, l'équipe qui s'occupait de tout le territoire devait réussir à faire son tour grâce à au Chasseur qui se trouvait dedans.
C'était très bien réfléchi et on voyait qu'Amalia gérait tout ça d'une main de chef même si Elijah était le Lieutenant à qui les loups, les vampires et les chasseurs devaient des comptes.
Nohlan reprit sa voiture et nous fit grimper dedans. Je me retrouvai à l'arrière, à côté d'Elijah qui était au milieu. Isis était devant moi, à côté de Nohlan. J'aurais aimé la toucher... ou même lui parler... mais je détournai simplement mon regard de sa nuque.
Nous allâmes à Jackson, une petite ville à une quarantaine de minutes d'Ann Arbor. Nohlan expliquait la manière dont il gérait l'état depuis quelques siècles déjà. Dans une confidentialité qu'il voulait garder, surtout pour les loups concernés. Ils n'avaient pas à prendre trop de responsabilités.
De ce que j'entendis, Nohlan avait lui-même choisi des loups à travers les villes du Michigan. Ces loups-là contrôlaient les bulles de loups de ces villes-là. Comme... un Second sur place, on aurait pu dire. Eryn était celle qui passait de ville en ville pour contrôler si tout allait bien. Eryn était accessoirement le vrai Second de Nohlan. Ce dernier avait laissé un loup de puissance respectable dans chaque point important du Michigan avant d'avoir un contrôle permanent sur les loups de l'Ethérée.
Aucun loup n'était seul là où il vivait dans l'état du Michigan. Au moindre problème, il pouvait se tourner soit vers un des sorcières d'Alice, soit vers les Chasseurs d'Elijah, soit vers les vampires de Gabriel ou encore les loups d'Amalia. Tout était comme une bonne machine bien huilée.
Nohlan voulait absolument qu'Isis rencontre les plus vieux et les plus installés.
Le premier fut donc Jason Tyron. Un vieux loup qui se trouvait sous les ordres de Nohlan depuis la création de l'Ethérée. Il faisait partie des tout premiers à avoir pris part à cette grande aventure dont Nohlan, Elijah et Alice étaient les fondateurs.
À l'instar d'un Alpha, l'entourage de Jason était complet. Il avait un proche avec lui, qui était un peu comme un Second. Il avait aussi un autre ami à lui qui s'occupait de faire un résumé des rapports des différents Veilleurs, Patrouilleurs, Surveillants qui se trouvaient sur leur territoire. Ou encore les vampires et les chasseurs. Jason Tyron était lié et semblait heureux en ménage. Sa femme nous accueillit à bras ouverts alors que... c'était une humaine. J'en fus surpris, puis ce fut moins gênant quand un de ses fils loups vient parler avec nous. Il reprendrait sûrement le poste de son père, si Nohlan l'y autorisait.
Isis semblait fascinée de ces petites bulles que Nohlan avait créées partout, reproduisant des meutes en miniatures. C'était de vraie bulle de secours que l'Ethérée créait.
Et Nohlan gérait visiblement.
Jason et Isis échangèrent beaucoup sur leur manière de fonctionner – qui ressemblait à s'y méprendre avec le fonctionnement d'une petite meute. J'écoutai attentivement, près à raconter ça à Jahyan. À moins que ce ne soit vraiment confidentiel. J'expliquerai juste leur fonctionnement, pas besoin de révéler les identités. Si Jahyan me reparlait un jour d'ailleurs...
Isis ne s'arrêta plus avec ces questions et paraissait émerveillée. Amalia m'entraîna avec elle pour rencontrer le loup proche de Jason qui gérait les patrouilleurs. Il me sortit gentiment une carte de Jackson et de ses environs et m'expliqua comment chaque équipe quadrillait ainsi que les tours de Veilleurs, de Patrouilleurs et de Surveillants. C'était plutôt impressionnant.
Je ne posai que peu de question, analysant plus à ma façon.
Nohlan contrôlait d'une main de fer tout un état. Il était Alpha d'État malgré lui et semblait s'en convenir. Il avait su délégué aux bonnes personnes. Comme Auxann Brock. Ils géraient leur état avec une maîtrise toute particulière.
Nohlan réussit à arracher Isis de Jason au bout de quelques heures. Apparemment, tout le monde nous attendait pour commencer la fête au bar. Je n'étais vraiment pas d'humeur à faire la fête, mais ce fut dur en voyant tous les gens... de refuser un verre. Benjamin Kalagan, l'Alpha de Toledo, était en train de soulever de terre Isis alors que j'entrais à mon tour dans le bar.
Je me dirigeai immédiatement vers le bar et tombai sur Nayah.
_ Zoran Swanson, sourit-elle en me tendant sa nuque.
Je la frôlai respectueusement. Nayah était une Main hors de commun. Je n'avais jamais vraiment dénigré les femmes qui étaient des Mains. Toutes celles que j'avais pu rencontrer étaient aussi exceptionnelles les unes que les autres. Avec des capacités aussi bonnes que les nôtres.
_ Nayah Adams, souriais-je à mon tour. Un plaisir de te revoir.
_ Un plaisir aussi. Ta chasse avait-elle été conclue de la meilleure des façons ? s'enquit-elle.
J'avais dû traverser pas mal d'États lors d'une de mes chasses et Nayah m'avait prêté main-forte concernant son territoire.
_ De la meilleure oui, acquiesçai-je.
_ Laisse-moi t'offrir un verre, dit-elle en me faisant asseoir sur un siège.
Je la laissai faire et la laissai bavarder tranquillement. Alors qu'on faisait tinter nos verres, je sentis un regard sur moi. Je pivotai lentement et tombai nez à nez avec Benjamin Kalagan.
_ Zoran, dit-il.
J'eus un sourire crispé. Je descendis de ma chaise et me grattai la nuque.
_ Tu tiens à dire quelque chose ? ricana Ben. Ne prends pas la défense de ton Alpha. C'est un idiot, c'est un idiot. En espérant que tu ne suives pas son chemin. Alors comme ça, tu as accompagné Isis tout au long de sa route ?
_ Oui, acquiesçai-je.
_ J'ai entendu dire que vous aviez eu quelques problèmes dans l'État de l'Arkansas, remarqua-t-il, légèrement mauvais.
Je fis la moue.
_ Rien qui n'est resté sans punition, soufflai-je.
_ Il paraît que tu es très prompt à venger l'honneur de notre Isis ici présente.
Je serrai les dents. Nayah se racla la gorge, haussant un sourcil.
_ Benjamin, fit Isis en s'approchant. N'embête pas Zoran, d'accord ?
_ J'ai été soulagé de savoir qu'Isis avait pour Protecteur une Main aussi connue et aussi vieille que Zoran Swanson.
Isis pinça ses lèvres et posa une main sur le torse de Benjamin. J'étais prêt à lui sauter dessus s'il continuait à me chauffer sur Isis. Ne le voyait-il donc pas ? Je n'étais pas d'humeur à plaisanter. Pas du tout d'humeur.
_ Qu'est-ce qu'une vielle Main comme toi, Zoran, reprit Ben, trouve chez notre petite Isis ?
_ Ça suffit, souffla Isis.
_ Elle est importante pour notre meute, grognai-je.
Isis se figea et me regarda. Ses yeux brillèrent légèrement.
_ Comme elle est importante pour la mienne, rétorqua Benjamin. Tu sais que si tu lui fais du mal, tu n'aurais pas simplement un Alpha aux fesses, mais bien toute une meute ?
_ Pas qu'une apparemment, grognai-je en secouant la tête.
_ Soyons clair, Zoran, reprit Benjamin en écartant Isis de lui.
Il se rapprocha jusqu'à ce que nos torses se frôlent.
_ Je respecte le personnage que tu es au sein de notre race, souffla-t-il, mais Isis est comme ma fille. Et dieu seul sait ce que je peux faire pour elle.
_ Isis est une grande fille et sait régler ses problèmes je crois non ? rétorquai-je, mauvais.
Je levai mon regard sur elle et y vis la douleur qui filtrait. Je pinçai mes lèvres et me reculai de Benjamin.
_ Passez une bonne soirée, soufflai-je en remontant sur ma chaise, leur tournant le dos.
Isis embarqua Benjamin qui grommelait encore des choses dans sa barbe. Nayah me recommanda un verre que j'avalais cul sec. Le prochain qui me mettait les nerfs, je lui faisais bouffer ses pieds.
Le bar fut bientôt bondé. C'était l'effet Meute Toledo apparemment. Des loups de l'Ethérée, des habitués plus précisément, vinrent et firent la fête avec eux. C'était assez drôle à voir, même si de là où j'étais, je ne m'amusais pas tant que ça. Alors qu'Isis discutait – de façon plutôt sérieuse apparemment, avec Eryn et Nayah, je sortis dehors. Alors que je regardai l'intérieur du bar, ma clope se consumant sur le bord de ma bouche, j'observai Isis. Elle ne faisait rien de particulier, écoutant surtout ce qu'Eryn lui disait. Elle avait un peu dansé avec Tomas, le second dominant de Nohlan, mais je n'avais rien regardé de plus, l'envie de vomir ayant pris le dessus depuis longtemps.
Mon loup tournait en rond et je n'avais rien pour le calmer.
Je n'avais aucun contrôle sur lui en ce moment et s'il décidait que c'était le moment de se défouler, je n'avais pas trente-six mille solutions.
Soit Joaquim apparaissait, ou même Jahyan, et il me frappait jusqu'à ce que je reprenne pied.
Soit Isis me faisait l'amour. La seconde option était la plus alléchante évidemment et aussi la moins possible en ce moment. Je lâchai un petit rire sur moi-même.
Tomas sortit et me demanda une clope. Je la lui donnais.
_ Pas mal de beau monde ce soir, hein, sourit-il.
_ Ouais, grognai-je.
_ Tu n'as pas l'air en forme. Des soucis au paradis ? fit-il en tirant sur sa clope.
Je haussai un sourcil et pivotai vers lui. Mon expression le fit déchanter.
_ J'ai une tête à bavarder ? grognai-je.
_ Eho, mec, détends toi. Je plaisantai.
Il haussa ses épaules. Et avant que j'aie pu ajouter quelque chose, un homme sortit à son tour. Je m'étais détourné si bien qu'il ne fit pas attention à moi. L'homme salua Tomas.
_ Et Tom, ça va ? fit le premier dont j'ignorais l'identité.
_ Super, s'exclama Tomas. Et toi Mac ? Toujours en quête d'une bonne aventure hein ?
_ Tu me connais va, ricana le Mac en question. Je vais tenter un truc ce soir.
_ Ah oui ? fit Tomas. Attention à qui tu touches hein.
_ Rigole pas ! Rétorqua l'autre. Il y a cette louve qui m'attire depuis le début de la soirée... Je vais tenter ma chance. C'est maintenant ou jamais.
_ C'est qui ? ricana Tomas.
_ Elle est bonne. Et je pense que je peux me la faire.
Le dénommé Mac pointa de son doigt Isis, qui se levait pour aller au bar.
Mon loup prit les commandes, s'approchant doucement du loup, sans qu'il ne nous voie. Tomas voulut dire quelque chose, mais déjà je tapai sur l'épaule de l'homme. Il pivota.
_ Hey salut mec ! Bonne soirée ?
_ Alors comme ça tu veux chopper ? sourit mon loup, mauvais.
_ Toutes ses femelles et pas une seule pour nous ? Un rêve ouais ! rit Mac alors que Tomas lui faisait des gros yeux.
_ Laquelle tu trouvais bonne ? ajouta mon loup.
_ Je veux bien te montrer, mais je ne partage pas hein, remarqua Mac.
Alors qu'il allait pointer de nouveau son doigt, je l'attrapai par le col et plaquai sa joue contre la vitre du bar.
_ Elle ? grogna mon loup.
Il avait complètement oublié la retenue.
Il n'était plus question de ça en ce moment.
_ Tu penses que tu peux te la faire, hein ? cracha mon loup.
_ Hey mec ! Calme-toi là !
_ Zoran, relâche le, ordonna Tomas. Il ne t'a rien fait.
Mon loup émit un rire mauvais et repoussa le mec vers la route. Il lui fit signe d'approcher.
_ Aller approche. Un petit combat entre deux loups pour le cul d'une fille. C'est pas mal ça non ?
_ Te sens pas rabaissé, mec, cracha Mac.
Mon loup lui sauta dessus. En un coup brutal et violent, il tomba à terre. Tomas voulut m'attraper, mais déjà mon loup pivota et le faisait décoller du sol en le frappant.
Mon loup fit un léger geste vers Tomas, mais déjà une main me retenait.
_ Qu'est-ce qui te prend bon sang ? s'écria Isis.
Elle repoussa mon loup et il recula de quelques pas.
_ T'es malade ou quoi ?
Il revint vers elle et agrippa son menton.
_ Tu sais quoi ? Il voulait te prendre ! Tu veux le laisser te prendre ? C'est ça ?
La claque partit et nous fit pivoter la joue.
_ Va te faire foutre, Zoran ! s'écria Isis, des sanglots dans la voix. Pour qui est-ce que tu me prends ?
Mon loup frémit. Il resta stoïque alors qu'Isis aidait Tomas à se lever.
_ Tout va bien ici ? souffla Benjamin.
Mon loup pivota vers lui.
Et merde.
_ Mêle-toi de ce qui te regarde, Alpha, cracha mon loup.
_ Ça suffit ! s'écria Isis.
Elle revint vers moi, le visage rouge de colère. Benjamin voulut la retenir, mais elle le repoussa.
_ À est-ce que tu joues ? cracha-t-elle. Qu'est-ce que tu veux ? Te faire expulser de l'Ethérée pour frapper un homme sans raison ?
_ Tout le monde le fait ici, répliqua mon loup. Pourquoi je ne pourrais pas le faire ?
Isis grimaça et secoua la tête.
_ Tu ne peux pas rester ici, souffla-t-elle. Tu ne peux pas rester ici si tu ne te comportes pas de manière civilisée.
Mon loup se pencha vers elle, mauvais à présent.
_ Défendre ton honneur quand un mec veut te prendre... ce n'est pas se comporter de manière civilisée ?
_ C'est bon là, cracha Benjamin. Va faire un tour.
_ Tu ne veux plus que je te défende, c'est ça ? grogna mon loup en observant Isis.
Il lui faisait du mal... Ne le voyait-il pas ?
Ne voyait-il pas quand essayant de se faire du mal à lui, il la blessait elle ?
_ Tu ne veux plus qu'on te touche, ni qu'on te défende. C'est ça ? souffla-t-il.
_ Va-t'en, Zoran, murmura Isis.
Mon loup se figea un instant.
_ Tu as entendu, fit Benjamin.
_ Va-t'en ! S'écria Isis.
_ Dis-le, grogna mon loup.
Il avait été blessé par toute cette histoire et il s'en prenait à la mauvaise personne à présent.
_ Je ne veux plus te voir ! cria Isis. Je ne veux plus que tu m'accompagnes !
Mon loup se renferma un peu plus.
Toujours fixé sur cette douleur.
Cette douleur d'être repoussé par celle qu'il avait choisie.
Qu'il avait choisi et qui pourtant le repoussait.
Encore une fois.
Il l'avait poussé à le faire. Évidemment.
La douleur le faisait vivre.
La douleur lui prouvait qu'il avait encore quelque chose à perdre.
Mais à présent, avait-il vraiment quelque chose à perdre ?
Isis n'était pas quelqu'un qui pardonnait la trahison.
Mais mon loup aurait aimé l'avoir un peu que pas du tout.
Elle avait choisi une vie sans nous.
Elle avait su qu'à partir du moment où elle m'avouerait tout ça, je devrais reculer.
Je la poussai à me faire reculer.
Encore.
Et encore.
C'était ça l'histoire.
J'allais la forcer à me repousser.
Jusqu'à ce qu'elle me déteste.
Mon loup lui tourna le dos. Son souffle rauque était dans nos oreilles.
Il se mit à marcher, sans réel but.
Parce que sans elle, il l'était, sans but.
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