12. Némésis

— On peut très bien rester ici et attendre qu'Asher nous amène ce pour quoi on est venu, dit Zoran, assis par terre.

Il ne portait qu'un caleçon et était là depuis un bon moment. Quand je lui avais dit qu'il faudrait peut-être se préparer pour retourner chez Keenan, il n'avait pas caché sa surprise. Il avait vraiment cru que nous resterions ici toute la journée ?

L'idée n'était pas pour me déplaire ; la meute de Denver était aussi terrible que tout ce que j'avais pu imaginer, mais même si c'était le cas, mon devoir n'était pas de rester caché, bien au contraire. Il n'était pas simplement question de répertorier les Mains dans tous les États, mais bien d'avoir une vue sur toutes les meutes et de comprendre le fonctionnement des Alphas. Et certains pouvaient me demander des services ou avoir des demandes particulières.

Keenan n'avait pas reçu de lettre, mais il savait qui j'étais. Simplement, je ne voulais pas avoir à revenir ici toute seule.

C'était même hors de question et j'étais sûre que Timothy s'en était déjà douté. Il y avait des territoires où mieux valait que ce soit lui qui y aille.

— Je suis l'envoyée du Gardien, Zoran. Et Timothy ne se terre pas, répondis-je en passant un débardeur par-dessus mon soutien-gorge.

Il se frotta le crâne et grommela quelque chose. Tout ça ne lui plaisait pas et je pouvais le comprendre. Mais il allait devoir se faire à certaines choses et le plus vite serait le mieux. La meute de Keenan était dangereuse, mais ce n'était pas la pire malheureusement. Et en fait, maintenant, ce qui me dérangeait le plus, ce n'était pas les loups, mais bien cette sorcière.

J'étais stupide, je le savais bien, mais... je n'arrivais plus vraiment à penser à autre chose maintenant.

— Et ce n'est pas moi qu'ils ont envie d'embêter, murmurai-je.

J'attrapai ma jupe et l'enfilai avant de soulever mes cheveux et de faire une queue de cheval. Il allait vraiment falloir que je coupe ça où j'allais finir par devenir folle. Je pouvais très bien le faire toute seule ; ça n'aurait pas été la première fois de toute façon.

— Ça ne veut pas dire qu'ils ne vont pas finir par le faire.

Je soupirai légèrement et me tournai légèrement vers Zoran. Il avait vraiment la mine sombre et était loin d'être content par tout ça.

— Je sais me défendre, Zoran, répliquai-je. Ce n'est pas la première meute dangereuse dans laquelle je vais et ce ne sera sûrement pas la dernière. Shana t'as envoyée pour me... protéger, mais ne joue pas les chiens d'attaque, tu veux ?

Zoran leva les yeux sur moi, blasé. Autant parler à un mur. Mais s'il était comme ça à la première difficulté, qu'est-ce que ce serait plus tard ?

C'était flatteur qu'il soit ainsi avec moi et quelque part, ça me plaisait beaucoup, mais ma partie rationnelle savait que ça ne pouvait pas être ainsi. Timothy voulait que je fasse tout ça alors j'allais le faire et Zoran devait le comprendre.

Je m'avançai vers lui, poussée par l'envie de le toucher. Je ne pourrais pas le faire chez Keenan, devant tous ses loups. Même s'il ne leur avait fallu que quelques minutes pour sentir l'odeur de Zoran sur moi.

J'ignorai si sur le moment j'avais plus été gênée que... soulagée. En portant son odeur, ça dissuaderait certains de m'approcher, même si dès que ces mêmes loups se rendraient compte que je ne portais aucune marque de Zoran, ils pourraient agir comme ils l'entendaient.

Parce que ça marchait comme ça chez les loups.

Porter l'odeur d'un mâle marchait au début, mais c'était mieux d'avoir une marque.

Signe d'appartenance.

Ce que Zoran ne pouvait pas vraiment faire puisque nous n'avions rien de compagnons.

— De si beaux sentiments courent en toi. Mais il ne pourra jamais y répondre comme tu le désires. Il est condamné à errer seul... Toute sa vie.

C'était faux. Toutes les Mains ne restaient pas seules. Certaines choisissaient de se lier, de fonder une famille même. Mais de toute façon, Zara avait eu tort en disant cela. Je ne pouvais nier qu'il y avait quelque chose entre nous, mais pas une seule seconde je n'avais pensé à tout ça.

À aucun moment je n'avais envisagé un... avenir.

Il était une Main.

J'étais une louve solitaire.

Et tout se résumait à cela. Ni plus, ni moins.

Je ne disais pas que jamais je ne me lierais, mais pour l'instant, je ne me voyais avec personne d'autre que Zoran. Tant que notre relation durerait alors il en serait ainsi, après par contre... seul le temps nous le dirait.

J'avais toujours tendance à un peu trop réfléchir, je m'en rendais bien compte. Tout comme je me rendais compte que Zoran était un vieux loup et que durant notre traversée des États-Unis nous allions sûrement tomber sur certaines de ses... conquêtes.

Est-ce qu'il me qualifierait ainsi une fois que ce serait finit, lui et moi ?

Avant que je puisse ouvrir la bouche ou le toucher, il attrapa mon poignet et tira dessus pour m'attirer à lui. Je me retrouvai à califourchon sur ses jambes, ma poitrine effleurant son torse nu.

Zoran se pencha et m'embrassa à pleine bouche, m'échauffant, me rendant complètement fébrile.

Le fait de n'avoir rien fait hier soir me donnait l'impression que je ressentais tout... d'une manière bien trop puissante.

C'était comme toujours à la fois effrayant et exaltant.

L'effet Zoran.

— Ça se dit vraiment chien d'attaque ? Rit-il.

Je lui donnai une petite tape dans l'épaule :

— Tu as très bien compris ce que je voulais dire.

— Tu es mignonne.

Zoran frotta son nez contre le mien et je rougis face à son geste. C'était toujours incroyable de voir qu'un homme tel que lui pouvait être aussi tendre, doux même. Les gens avaient tendance à considérer les Mains comme des barbares, des êtres dénués de cœur et de conscience, mais c'était très loin d'être le cas.

Que ce soit pour Zoran, pour Neal, pour Joaquim ou pour Nael, tout cela était faux. Bien sûr j'ignorai comment étaient les autres dans l'intimité, mais Zoran était... adorable, même si le mot n'était certainement pas le bon.

— Ne te moque pas de moi, tu veux ?

L'une de ses mains remonta le long de ma cuisse, passant sous ma jupe. Mon souffle se bloqua presque immédiatement et c'est comme si mon esprit se vida de tout. Il avait dit que nous ne pouvions pas faire l'amour, mais m'exciter, il pouvait hein !

Je voulus retenir sa main, mais il enserra mon poignet de ses doigts et le porta à sa bouche. J'adorais quand il faisait ça. Je ne pouvais pas m'empêcher d'être presque... fascinée. À chaque fois j'ignorais s'il allait simplement humer mon odeur ou s'il allait m'embrasser.

— Jamais, Némésis. Je suis toujours très sérieux avec toi.

Son nez contre ma joue, sa main remontant toujours le long de ma cuisse et ses doigts glissant à l'intérieur.

Cette assertion voulait dire beaucoup de chose, non ?

— A... arrête, soufflai-je, vraiment à bout de souffle.

— Je n'en ai pas très envie...

Zoran enfouit son visage dans mon cou et resta ainsi un bon moment. Je ne bougeai pas, très bien là où j'étais. J'essayai d'oublier le passé commun entre Zoran et Zara. J'essayai de repousser les images d'eux deux que je pouvais avoir dans la tête.

Mais ce n'était pas facile. Et je me faisais affreusement honte à moi-même. Je n'avais aucun droit d'être... jalouse ou de seulement en vouloir à Zoran.

Après tout, ce qu'il avait fait avant moi ne me regardait pas, n'est-ce pas ? Mon dieu, je pouvais toujours essayer de m'en convaincre, hein...

La sonnerie de mon téléphone s'éleva alors dans la pièce. J'allais bouger, mais Zoran me retint, me tenant fermement contre lui.

— Zoran !

Mais il ne semblait pas disposer à me lâcher.

— C'est peut-être Timothy.

— Si c'est important, il peut te joindre d'une autre façon, non ?

Sa voix était légèrement étouffée et son souffle me chatouilla. Il n'avait pas tort. Si c'était Timothy et que c'était vraiment urgent, il pourrait me joindre à travers notre lien. Ce qu'il faisait rarement et moi aussi, du reste.

Mais la question n'était pas vraiment là.

— Allez, lâche-moi ! Et plus vite que ça, éclatai-je de rire.

— C'est un ordre ? Parce que ça n'y ressemble pas vraiment.

Je ris de plus belle et il se mit à me chatouiller, trouvant exactement tous mes points sensibles. Je criai alors que je me retrouvai allongée au sol, totalement à sa merci. Zoran semblait prendre un plaisir tout particulier à me faire rire. Il me laissait le temps de reprendre ma respiration avant d'attaquer de plus belle.

Et à la fin, j'étais en nage, complètement décoiffée et surtout, je n'avais plus de débardeur. Pendant un instant, je me demandais comment il s'y était pris, mais c'était Zoran après tout, alors ma foi...

J'étais complètement à bout de souffle et j'avais l'impression de n'entendre que les battements de mon cœur. Ce n'était pas dérangeant, simplement assez... étrange.

La joue de Zoran reposait sur mon ventre qui se soulevait au rythme erratique de ma respiration.

— On dirait le cœur d'une biche affolée, souffla-t-il alors.

— Parce que tu connais ça toi ; le son du cœur d'une biche affolée peut-être ?

Il redressa le haut de son corps, prenant appui sur ses deux bras et plongea son regard dans le mien :

— Mon loup aimait bien chasser ce genre de proie à une époque.

À mon tour de me redresser. Nos visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre et il était terriblement tentant de l'embrasser.

— Et moi, il a envie de me chasser ? susurrai-je, souriant très légèrement.

Les yeux de Zoran s'assombrirent et je sus que c'est son loup qui allait me parler maintenant.

— Pourquoi aurais-je envie de te chasser alors que tu es juste là, à ma portée ? grogna-t-il, sa voix beaucoup plus rauque.

J'avais rarement affaire au loup de Zoran.

Je le savais plus... direct ; quand il voulait dire quelque chose, il le disait tout simplement. Et quand il voulait quelque chose, il le prenait. Voilà pourquoi Zoran était obligé d'exercer un certain contrôle sur lui. Ça n'avait pas été trop compliqué à comprendre en fait. Peut-être qu'avoir affaire très souvent à des Alphas ou à d'autres Mains m'y avait aidé dans une certaine mesure. C'était dur à dire, mais je pensais que c'était en partie le cas.

Son loup se pencha sur mon ventre et je sentis sa langue. Tout de suite, mon désir explosa. Je m'en fichai d'être face à la bête et non à l'homme. N'était-ce pas les deux mêmes entités au final ?

Je ne pouvais pas dire que je n'avais pas peur d'être face au loup, au prédateur, mais il y avait quelque chose d'incroyable à se dire que lui aussi nous désirait, ma louve et moi.

Cette dernière monta d'ailleurs à la surface :

— Moi je pourrais vouloir te donner la chasse, dit-elle.

Le loup éclata de rire :

— Ce serait intéressant à voir, n'est-ce pas ? Mais il ne sera jamais question de cela, louve. Tout comme le seul ayant le droit de prendre en chasse Némésis sera moi et seulement moi.

— Bien présomptueux, répliqua ma louve.

Elle était bien plus sûre que moi.

Bien plus mauvaise aussi. Mais elle savait se tenir. Et c'était bien la première fois que je la voyais ainsi avec un mâle. Mais celui en face de nous n'était pas n'importe qui...

Je la savais intriguée par le loup de Zoran. Et par Zoran lui-même. Ce n'était pas une histoire de Main, loin de là. C'était Zoran. Sa personne. Son caractère. Ce qu'il était.

Qui il était.

— Tu nous as laissés marquer ton humaine, cela en dit long, louve. Dès l'instant où elle a porté l'une de nos marques, l'affaire était réglée. Pour l'instant, pas d'autre loup. Personne.

Ma louve lui montra les dents et le loup claqua les siennes juste devant notre visage. Il bougea les hanches et la sensation fit vibrer mon corps tout entier.

Bon sang... oui... c'était si bon !

— N'espère pas une totale soumission, loup, gronda ma louve, mauvaise à présent.

J'ignorai ce qu'elle ressentait à l'égard du loup de Zoran à cet instant. C'était très dur à dire... à analyser même.

Il se pencha soudain contre notre oreille :

— Je préfère quand ma proie se débat, louve. Alors... débats-toi.

Et il mordilla le lobe de notre oreille.

Je gémis alors que ma louve me laissait la place. J'agrippai les épaules de Zoran qui soupira dans mon cou, me prouvant que c'était bien lui. Laisser la place à nos moitiés n'avait peut-être pas été la meilleure des idées... mais nous ne pouvions toujours les retenir après tout. Elles aussi avaient besoin d'une marge de manœuvre.

— Aller, il faut bouger, dit Zoran en sautant sur ses pieds.

Il me tendit sa main et m'aida à me relever avant de me tendre mon débardeur. Il disparut un instant dans la salle de bain et revint après avoir enfilé un jean et un t-shirt noir tout simple. Je m'avançai jusque me sac et attrapai mon téléphone.

Un appel manqué et un message sur ma boite vocale. J'en composai le numéro et la voix de Luka fit s'étirer mes lèvres en un grand sourire :

Alors comme ça on sait envoyer des textos, mais pas répondre aux appels ? C'est pas du travail ça, Néné ! En plus je suis sûr d'être le dernier au courant pour ton téléphone ! C'est pas juste ça ! (je l'imaginais en train de faire la moue tout en disant cela. Celui-là !) Papa m'a dit que tu as commencé ton tour des meutes, il t'y a vraiment envoyée toute seule ? Parfois je me demande s'il a quelque chose dans la tête... (son rire résonna), bref, j'espère que tu ne vas pas te faire dévorer par un grand méchant Alpha ! Je viendrais te rejoindre si je pouvais, mais maman me laisse à peine respirer... (Je souris en imaginant la pauvre Katya, bloquée chez eux à cause de la grossesse. Je me demandais comment Timothy avait réussi à la convaincre de remettre ça... ou peut-être qu'après tout, c'était elle. Elle avait beau être une Main, c'était une mère incroyable et Luka n'avait jamais manqué d'amour, même si ses parents avaient souvent été absents) Rappelle-moi quand tu peux, d'accord Néné ? Je m'inquiète un peu pour toi... et ne t'attarde pas trop chez les tarés, d'accord ? Je t'aime.

Je conservai son message, me disant qu'ainsi, je pourrais entendre la voix de Luka quand je le voudrais.

Je fourrai mon téléphone dans la poche arrière de ma jupe et me tournai vers Zoran qui se remit en mouvement à ce moment précis.

Il avait écouté le message de Luka.

— C'est le fils de Timothy, dis-je, éprouvant un soudain besoin de me... justifier ?

J'ignorai d'où cela venait, mais je ne voulais pas que Zoran se fasse des idées, ou quelque chose comme ça.

— J'avais compris, grogna Zoran, avant de se figer et de se frotter le crâne.

S'il avait espéré que sa petite écoute du message passerait inaperçue, il venait de se griller en beauté. Je retins un rire. Ce n'était pas bien de se moquer de lui. Et il se fichait peut-être totalement de savoir ce que représentait Luka pour moi, alors pourquoi en parler ?

— Je suis prête, et toi ? demandai-je.

J'attrapai mon sac et lui les clés :

— Allons-y.

Quand nous arrivâmes devant chez Keenan, il n'y avait aucune voiture, mais cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne.

Il y avait forcément quelqu'un en plus de l'Alpha. Ou alors cette meute était bien plus malade que je ne l'aurais imaginée...

Zoran se gara et en sortant de la voiture, j'avisai l'Alpha qui semblait nous... attendre ? Je jetai un coup d'œil à Zoran, mais ne laissai rien transparaître.

Même si j'avais parlé avec Keenan la veille et qu'il m'avait raconté certaines choses en rapport avec Killian et lui, je n'en étais pas à être à l'aise en sa présence, bien loin de là.

Zoran se plaça légèrement derrière moi, sans me toucher toutefois.

De toute façon, tout le monde était au courant du fait qu'il me protégeait, son geste d'hier n'avait échappé à personne.

Pas même à Keenan. C'était un vieux loup. Il se fichait peut-être d'énormément de choses, mais il était attentif aux petits détails, je l'avais compris hier.

Je m'arrêtai au bas des marches et cette fois-ci, ne tentait pas de le saluer. Keenan était au-dessus de tout ça.

Le respect semblait être le dernier de ses soucis. Grand bien lui fasse après tout. Ce n'était pas à moi de remettre cela en question, n'est-ce pas ?

— Némésis Lane, je t'attendais, dit-il de sa voix qui me paralysait de la tête aux pieds.

Zoran se crispa légèrement à mes côtés, mais ce fut réellement infime. Aurais-je dû m'inquiéter de repérer si facilement ce genre de petite chose chez lui ?

— Ah oui ? souris-je après avoir tout de même incliné légèrement la tête.

Si lui se fichait du respect, pas moi.

C'était important pour moi et je me demandai comment cette meute pouvait fonctionner sans cela. C'était un mystère... Il faudrait que je demande à Timothy.

— Notre conversation d'hier m'a replongé dans de vieux souvenirs et dans de vieux livres aussi.

Cela attisa tout de suite ma curiosité et j'oubliai pendant un instant devant qui j'étais.

— J'aimerais beaucoup entendre et voir ça, dis-je, sans essayer de cacher mon excitation.

Tout le monde ne pouvait pas se targuer d'avoir réussi à faire parler Keenan Baker. Beaucoup le pensait muet, même si au début cela n'avait été que moquerie. Mais il fallait avouer qu'il n'était pas particulièrement loquace. Et qui aurait été assez fou pour vouloir se poser avec lui et l'écouter parler ? À part moi bien sûr...

Keenan pencha légèrement la tête et sourit. J'étais incapable d'analyser son regard ou son expression. C'était indéchiffrable.

— Tu es bien étrange, Némésis Lane.

Il nous tourna alors le dos et disparut à l'intérieur. Je sus que c'était en quelque sorte une invitation à le suivre et quelque chose me disait qu'on ne faisait pas attendre un homme tel que Keenan Baker. Bien loin de là.

Je grimpai les marches et m'engouffrai à l'intérieur, suivant la puissance que Keenan laissait derrière lui. Cela me mena devant une porte donnant sur ce qui ressemblait à une petite bibliothèque. Lui aussi aimait donc la lecture ?

Il était debout devant l'un des rayons et il en tira un livre avant de se tourner vers moi :

— Ferme la porte, je n'aime pas être dérangé, dit-il.

Je compris qu'encore une fois, j'allais me retrouver toute seule avec lui. Est-ce que je le voulais vraiment ?

Je me tournai vers Zoran, une main sur la poignée. Il n'avait pas l'air content, mais ne pouvait pas se dresser face à un Alpha. Sous peine d'y laisser la vie. Je le savais puissant, mais c'était Keenan Baker devant nous, alors...

Il finit par reculer d'un pas, me signifiant qu'il ne ferait rien de stupide. Jusqu'à ce que la porte se referme, nos regards restèrent rivés l'un à l'autre.

J'inspirai légèrement et allai m'installer face à l'Alpha devant moi. Il feuilleta un instant son livre sans un mot avant de relever son regard sur moi.

Il y avait quelque chose chez Keenan de captivant. Je pouvais comprendre comment Sophie était tombée amoureuse d'un tel homme, mais de là à le choisir comme compagnon ? Leur couple restait le plus grand mystère des derniers siècles pour tout avouer.

Keenan Baker avait perdu son âme sœur il y avait bien longtemps. Certains disaient que c'était entièrement sa faute, mais Killian m'avait toujours certifié le contraire. Keenan avait lutté pour sa compagne, mais en vain. Ada s'en était donc allée, retournant auprès de Sharan, mais laissant un bout d'elle en Keenan. Très peu de loups survivaient à une telle perte. En fait, quand j'y pensais, il n'y en avait que six.

Shay Collins.

Nohlan Christensen.

Keenan Baker.

Elena Campbell.

William Barnes.

Et Jasper Saddler.

Un autre aurait pu être ajouté, mais son histoire était encore légèrement différente. Son âme sœur n'était pas morte, mais il avait dû la laisser derrière lui et en quelque sorte, il l'avait renié. Son sort n'était pas mieux que les autres, loin de là.

Qu'elle soit morte ou reniée, cela avait un impact considérable.

Sur les six, deux avaient eu le droit à une seconde chance en quelque sorte. Mais Shay et Jasper n'avaient pas encore eu cette chance et peut-être ne l'auraient-ils jamais. C'était triste à dire, mais un loup ayant perdu son âme sœur ne pouvait vivre bien longtemps sans elle. Mais quand ça arrivait, forcément, il y avait d'horribles dégâts.

Est-ce que c'était la perte d'Ada qui avait rendu Keenan ainsi ? D'après Killian, son frère avait toujours été ainsi. Et qui mieux que lui pouvait savoir cela ?

Killian et Keenan... c'était le jour et la nuit. S'il n'y avait pas eu cette ressemblance, il aurait été dur d'imaginer qu'ils étaient frères.

— Où en étions-nous ?

— Le sacrifice de Mareck Campbell, répondis-je avec une certaine tristesse.

— Ah oui, souffla Keenan en fermant les yeux.

Je connaissais cette histoire parce qu'elle m'avait été racontée par Dean, par Killian, mais aussi par Elena.

L'histoire du loup blanc.

L'histoire d'un Alpha ayant sacrifié sa vie. Laissant derrière lui sa compagne et ses deux enfants. Il n'y avait rien de plus triste et de plus beau en même temps.

Mareck avait été un grand Alpha. Peut-être l'un des plus grands. Son fils était à sa hauteur. Oui, Dean était un des Alphas les plus puissants maintenant. Il était le digne fils de son père. Et le fait qu'il ait choisit Killian comme Second malgré ce qui était arrivé prouvait à quel point il avait hérité de la bonté de son père.

Keenan reprit son récit, jusqu'au moment où il avait décidé d'enfin se poser, d'enfin créer sa meute. Après tout, il était l'aîné d'un Alpha. Alors cela avait été son devoir.

Killian était resté avec lui un temps avant de partir, rongé par le remords. Keenan ne l'avait aucunement retenu. Pas par méchanceté ou par manque d'intérêt, mais parce qu'il avait compris que son frère en avait besoin et que de toute façon, ils ne feraient pas leur vie ensemble. Encore une preuve que la notion de famille n'avait pas été la même à l'époque.

Keenan était doué pour raconter les histoires ; moins que Ben, certes, mais il avait un certain savoir-faire quand même.

Tout venait de sa voix, de la façon dont elle envoûtait, dont elle captivait.

Il me parla de comment il avait créé sa meute et comment il avait trouvé ses loups. Il y avait eu des changements, surtout après la mort d'Ada. Cette dernière avait été la compagne de Keenan pendant presque un demi-siècle, mais ils s'étaient connus bien avant cela. Killian m'avait avoué qu'il en avait été amoureux pendant un temps et cela avait fait bouder Allyson, ce qui avait bien fait rire tout le monde. Quelle femme aimait entendre son homme parler d'une autre avec une telle tendresse ? Mais quand il s'agissait d'Ada...

Il me parla du retour de Killian, ou du moins de l'une de ses visites. Un peu avant que le drame ne se produise, un peu avant qu'Ada ne perde la vie.

Il n'y avait aucun registre là-dessus. Ni de la main de Maël, ni de la main de personne d'autre. Et pourtant, Ada n'avait pas été oubliée, loin de là.

Sophie devait se battre contre son fantôme jour après jour. N'était-ce pas... dur ? Keenan aimait-il sa deuxième compagne comme il avait aimé la première ? J'en doutais.

Je l'écoutai, sans jamais l'interrompre. Je pouvais sentir la présence de Zoran derrière la porte. Personne ne semblait vouloir le déranger aujourd'hui. Pas même cette Zara.

Mes poings se serrèrent sur mes cuisses.

Ne pas penser à ça. C'était stupide et inutile.

Le récit de la mort d'Ada me laissa un goût amer dans la bouche. Même si Keenan racontait tout cela sans émotion particulière, il ne fallait pas être idiot pour comprendre à quel point cela avait brisé quelque chose en lui.

Il avait perdu son âme sœur.

Il avait perdu une part de lui-même quand Ada s'en était allée.

Après cela, Killian disparut et les deux frères ne se revirent pas pendant presque un siècle. Le temps pour Killian de devenir Second et pour Dean Campbell de s'installer à Bear Creek Village.

— Vous connaissiez le sorcier qui avait pris Killian sous son aile ? demandai-je, repensant au récit de Killian sur sa décennie avec Aleksander.

Tout de suite, il y eut un changement dans l'air et le regard glacial de Keenan se posa sur moi. Et c'est comme si des mains invisibles enserraient ma gorge.

J'écarquillai les yeux, cherchant mon souffle.

— Némésis Lane... précieuse pour le Gardien, mais tellement, tellement fragile.

Je crus entendre des voix derrière la porte, mais j'étais incapable de faire quoi que ce soit. Keenan avait la tête penchée et il semblait presque rêveur. Avait-il conscience de ce qu'il était en train de me faire ?

La porte s'ouvrit alors et il releva les yeux.

La pression disparut aussi vite qu'elle était apparue.

Je me penchai sur ma chaise, inspirant de grandes goulées d'air. Des larmes me picotèrent les yeux.

— Cyrus, dit simplement Keenan alors que ce dernier entrait dans la pièce.

Je lui tournai le dos, ainsi qu'à Zoran, mais je sentais le regard perçant de ce dernier dans mon dos. Avait-il senti quelque chose ?

— Zara requiert ta présence en bas, Alpha, dit-il.

Et cette fois, je perçus enfin une légère trace de respect. Petite, mais bien là. Keenan se frotta le menton et sans un regard pour moi, quitta la pièce en passant devant son Lieutenant et devant Zoran.

Cyrus s'assit sur le bord de la table juste à côté de moi et se pencha :

— Tu es toute pâle petite louve. Le méchant Alpha t'a effrayé ? Rit-il, mauvais.

Je sentis Zoran, juste derrière moi. Il ne me toucha pas, même si en cet instant, j'aurais réellement souhaité qu'il le fasse.

J'avais l'impression que c'était les mains de Keenan qui avaient enserré ma gorge alors qu'il n'avait même pas bougé.

J'étais terrorisée, encore maintenant. Et incapable de bouger.

J'avais besoin que Zoran me touche. Même si ce n'était qu'un tout petit peu.

Pour qu'il enlève cette impression, cette sensation. Pour qu'il m'ancre dans la réalité. Mais ce n'était pas possible. Même pas faisable. Alors je devais reprendre le contrôle toute seule.

Une inspiration.

Mieux valait que je n'ouvre pas la bouche.

Reprendre le contrôle.

Reprendre le contrôle.

— Némésis Lane... précieuse pour le Gardien, mais tellement, tellement fragile.

Mon cœur eut un loupé au moment où je perçu l'odeur du sang. C'était léger, mais bien présent. Je réussis enfin à bouger pour me tourner vers la porte. Une jeune femme passa dans le couloir et Cyrus siffla, tout sourire. La jeune femme s'arrêta et tourna son visage vers nous.

C'était Marie Adhams, la deuxième de la fratrie Adhams. Leur père, Mason était le premier Dominant de la meute de Dean Campbell.

Clara, l'aînée était l'Omega de la meute de Jake Morgenstern et Eryn, la benjamine était la Seconde de Nohlan.

Elle portait les cheveux courts, pas vraiment à la façon d'un garçon et même si elle ne faisait rien pour être féminine, ses traits ressortaient et il y avait une certaine grâce dans ses mouvements.

Marie avait l'arcade en sang et un joli bleu était en train de s'épanouir au niveau de son œil gauche. Sa lèvre était gonflée et elle avait une vilaine griffure au niveau du menton. C'était comme si elle avait été passée à tabac, mais qu'elle s'en fichait. Il n'y avait rien sur son visage ; aucune expression.

— On a reçu des coups, mon cœur ? s'enquit Cyrus d'une voix d'où dégoulinait... la colère ? Ou quelque chose comme ça.

Il y avait pas mal d'années, Marie avait décidé d'entrer dans la meute de Keenan dans le but de suivre l'entraînement de ses Dominants. Au début, personne n'avait compris pourquoi elle avait fait ça ; elle aurait été mille fois mieux dans la meute de Dean, mais la vérité était apparue quelques années plus tard.

Son âme sœur se trouvait à Denver.

Et ce n'était autre que Cyrus, l'autre taré à côté de moi.

La jeune fille haussa des épaules. Elle avisa Zoran puis moi et pencha légèrement la tête avant de grimacer, sûrement à cause de la douleur.

— Qui ? s'enquit Cyrus avec un sourire mauvais. Tobias ou Wyatt ? Je pencherais plus pour Wyatt. Il adore quand tu saignes.

Marie me fixa avant de s'éloigner, sans un regard pour Cyrus. Celui-ci mit à peine deux secondes à aller la rejoindre.

Son rire résonna dans le couloir et bientôt, il n'y eut plus que le silence.

Les doigts de Zoran se retrouvèrent sur mon menton et il me força à relever mon visage vers lui.

— Il t'a fait quelque chose ? souffla-t-il, en parlant de Keenan.

Oui, il avait bien senti quelque chose. Pourquoi n'était-ce pas surprenant ? Zoran avait l'air froid et en colère. Sa mâchoire était crispée, je pouvais le voir.

Je le regardai avec de grands yeux et savourai sa peau sur la mienne.

M'accrocher à ça.

M'accrocher à lui.

— Ça va ? s'enquit Zoran d'une voix plus douce.

Je n'aurais pas dû parler d'Aleksander à Keenan. Killian m'avait dit une fois à quel point son frère haïssait le sorcier. Et moi, j'avais mis les deux pieds dedans, alors c'était de ma faute, n'est-ce pas ?

J'ouvris la bouche, prête à lui dire que oui, ça allait, mais une larme coula le long de ma joue et je secouai la tête.

Ça ne servait à rien de lui mentir. C'était Zoran.

Sa main glissa dans ma nuque et il attira mon visage contre son torse, m'offrant enfin ce don j'avais vraiment besoin.

De contact.

De son contact.

Et de rien d'autre.

Je fermai les yeux et inspirai son odeur. Tout de suite, les battements de mon cœur se calmèrent et je pus respirer correctement.

Le souvenir de ce qui s'était passé sembla se dissiper et j'en soupirai. Je m'accrochai à son t-shirt, le tenant fermement entre mes poings.

Oui. Juste un peu. Juste le temps pour moi de reprendre mes esprits. Zoran du le comprendre, car il ne bougea pas, se contentant de me tenir contre lui. Ou alors c'était aussi un moyen pour lui de se rassurer, de savoir que j'allais vraiment bien.

Et en réalité, il y avait vraiment eu plus de peur que de mal.

Quand enfin je bougeai, plusieurs minutes étaient passées. Je passai une main sur mon visage pour l'essuyer, mais n'osai plus lever les yeux vers Zoran.

Alors qu'il allait dire quelque chose, Asher arriva avec un dossier.

Il avait été rapide dis donc !

Il sourit en voyant ma surprise :

— Sophie est très consciencieuse dans son travail. Elle avait pris de l'avance en faisant l'inventaire de plus de la moitié des meutes présentes sur l'État. J'ai passé les derniers coups de fil et... voilà.

Il me tendit le dossier que j'ouvris pour le feuilleter.

Tout était là, et bien plus encore en fait !

Sophie était réellement incroyable. En tant que femelle Dominante, elle faisait un sacré travail, il n'y avait à dire !

— Merci, dis-je avec un sourire.

Tout le monde savait que c'était Sophie qui gérait les affaires de la meute. Keenan ne le faisait plus depuis bien longtemps. Cela n'était un secret pour personne.

— Sophie est désolée de ne pas avoir été là. Elle a été voir Iris avec Thomas, reprit Asher. Elle espère que tu repasseras quand elle sera là. Elle a hâte de te rencontrer.

Je devais avouer que moi aussi j'avais plutôt hâte de la rencontrer.

— Merci pour ton travail, Asher.

Il inclina légèrement la tête à mon égard dans un geste de respect qui me fit chaud au cœur. Il y avait de bonnes personnes dans cette meute. Peut-être pas assez, mais il y en avait.

— C'était un plaisir, Némésis Lane. Je ne vais pas vous retenir, vous avez encore beaucoup de meutes à voir et beaucoup de routes.

Et il devait se douter que nous n'avions qu'une envie ; partir d'ici.

— On va récupérer nos affaires à l'hôtel et nous viendrons dire au revoir, le prévins-je.

Il hocha la tête :

— Je préviendrai Keenan alors.

Je hochai la tête et Zoran nous ramena à l'hôtel. Nous fourrâmes nos affaires dans la voiture et avant de retourner chez Keenan, Zoran m'attira dans ses bras. Je me laissai aller contre lui. Savourai, tout simplement. Il n'y avait rien de meilleur à mes yeux. Surtout après tout ça.

Il ne dit rien et moi non plus.

Quand nous arrivâmes de nouveau chez l'Alpha de Denver, ce dernier était sous le porche, avec Asher, deux autres loups et Zara.

Ma gorge s'assécha à la vue de la sorcière. Je n'avais pas envie de la voir. Je n'avais pas envie de la voir approcher Zoran...

Quand je m'avançai pour aller saluer Keenan, je vis qu'il tenait un livre dans sa main. Cette fois, c'est lui qui descendit les marches.

— Némésis Lane, un cadeau pour toi, dit-il en me tendant le livre.

C'était un vieux bouquin. Il devint immédiatement précieux à mes yeux. Je le pris avec attention et m'inclinai devant l'Alpha pour le remercier d'un tel présent.

— Si jamais tu souhaites entendre d'autres histoires, n'hésite pas à revenir.

Mon cœur eut un loupé. Si je devais revenir, je serais sûr que Sophie serait là avant.

— Avec plaisir, dis-je tout de même.

Je sentis alors ses doigts sur ma nuque et un long frisson courut tout le long de mon corps.

— Darell m'a dit que tu l'avais fasciné. Je comprends mieux pourquoi, petite louve. Mais fais attention, quand il se lasse, il aime briser ses jouets.

Je déglutis alors qu'il se reculait et que je me redressai.

— J'en prends note, soufflai-je, le cœur au bord des lèvres.

Asher fut le seul loup présent à venir nous dire au revoir chaleureusement. Zara ne bougea pas, se contentant de fixer Zoran avec un regard qui faisait peur. Ses yeux finirent par se poser sur moi et son sourire se fit plus grand, plus dangereux.

Je tournai le dos à la demeure de l'Alpha de Denver et m'avançai vers la voiture. J'en fis le tour et me figeai en voyant Rohan, qui se tenait devant ma porte. Zoran s'arrêta à quelques mètres derrière moi :

— Fais attention à ce que tu fais, Rohan, cracha-t-il.

Ce dernier sourit et se pencha légèrement sur moi :

— Je venais simplement dire au revoir à ton amie, Zoran. Qui sait peut-être nous reverrons-nous, ou peut-être pas après tout. Tu as beaucoup d'ennemis et certains seront ravis d'apprendre que tu es accompagné maintenant.

— De bien belles menaces, Main, grogna Zoran.

— Simplement une mise en garde.

Rohan se recula et me fit une courbette. Je n'attendis pas une seule seconde pour ouvrir ma portière et grimper dans la voiture.

Zoran fit de même, non sans avoir assassiné Rohan par le regard avant. Il démarra la voiture, fit une marche arrière et nous amena loin de tous ces fous.

Loin de cette meute.

Loin de cet Alpha.

Et quand enfin nous passâmes la frontière pour prendre la direction de l'Utah, je pus enfin respirer. 

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