2. Shana
Corrigé
Le silence se fit, incroyablement lourd alors que les deux Alphas avaient quitté la table depuis quelques minutes. On aurait pu entendre une mouche voler, s'il n'y avait pas eu les soupirs lourds de sens de Timothy.
— Ça aurait pu être pire, lâcha Alice Hansen, la sorcière de l'Éthérée.
Sa voix était douce et fluette, mais en cet instant, elle semblait puissante et emplir toute la pièce.
Je posai mes yeux sur Timothy qui était livide de colère.
Il faisait très jeune comparé aux deux vieux loups qui étaient partis. Et aux premiers abords, il ne faisait pas très puissant. Mais cette image qu'il renvoyait était savamment travaillée.
Tout était dans l'illusion, tout était dans l'apparence.
Surtout chez le Gardien.
— Ce ne sont que deux enfants. Les réunir tous les deux aura été une erreur, Timothy, dit Elena Campbell.
Elle était la plus vieille louve Alpha de tous les États-Unis. Et elle était la sœur de Jahyan Pearson. Tout cela ne semblait pas l'avoir amusée du tout.
Mais qui est-ce que ça avait amusé de toute façon ?
Elena semblait réellement contrariée. Elle pinçait les lèvres et il était dur de la regarder, tant sa puissance transparaissait sur son visage, dans ses traits.
— C'était la seule façon pour qu'ils viennent, répondit Alice.
Et ça avait donné quoi de toute manière ?
Je n'avais jamais vu des hommes se comporter ainsi. Je n'avais jamais vu quelqu'un être aussi méchant dans ses paroles. Aussi violent.
Se fichant de faire mal.
Se fichant de mettre plus bas que terre.
J'avais le cœur aux bords des lèvres. Et j'avais l'impression que j'allais vomir.
Qui... qui pouvait être aussi méchant que cela ? Et pourquoi ? Je n'arrivais pas à comprendre. Peut-être parce que j'étais trop gentille.
Mais ma louve ne l'était pas forcément. Et en cet instant, je la détestai pour avoir attiré l'attention de Pearson sur nous. Si elle n'avait rien dit, peut-être qu'il ne m'aurait pas lancé de telles horreurs en pleine face.
Non. Même sans ça, il m'aurait eue dans le collimateur. Surtout avec ce qui s'était passé avec Rafael. Quel Alpha appréciait des violations de territoire ? Aucun. Et Jahyan Pearson n'était pas du genre très patient.
Il y avait quelque de chose de terrifiant chez lui bon sang.
— Cette réunion est un fiasco total. Réunissez Hermès Chavez et Jahyan Pearson dans la même pièce et voilà ce que ça donne.
Elena soupira et se leva, sa Lieutenant derrière elle. Cette dernière n'avait pas bougé depuis tout à l'heure et ce qui venait de se passer semblait ne pas l'avoir intéressée plus que ça.
Tout comme le Second d'Elzear, Alpha du Nevada.
Il avait croisé ses bras sur son torse et avait les yeux fermés, comme si tout ça l'avait profondément ennuyé. Peut-être était-ce le cas.
Les deux Alphas s'étaient donnés en spectacle, voilà à quoi ça se résumait.
Des enfants dans une cour d'école. Des adolescents sans cervelles. Certainement pas deux Alphas.
Jake, à côté de moi, était penché sur son loup, murmurant quelque chose. Lui aussi avait été la victime des attaques gratuites des idiots. Tout cela parce qu'il était jeune. Tout cela parce qu'il n'était pas aussi âgé qu'eux. Encore une fois, ils jugeaient.
Il était le plus jeune d'entre nous tous, mais il était puissant. Fils de deux Alphas, ça se sentait à plein nez. Avec l'âge, il deviendrait plus fort encore et bien plus respecté par ses paires, par ces deux autres abrutis.
Elena avait raison ; tout cela n'avait rien à voir avec l'âge comme Chavez et Pearson semblaient le penser. L'âge ne faisait pas tout.
Jake en grandissant, le prouverait. Il deviendrait très fort. Moi, je n'en doutais pas.
Timothy inspira doucement et se redressa complètement.
Son loup n'était pas très loin de la surface et pendant un instant, je me dis que les deux Alphas idiots n'avaient pas très bien fait de mettre en colère notre Gardien.
Ce n'était pas un loup de pacotille.
Il représentait une figure importante pour notre peuple et mieux valait l'avoir avec soi que contre soi.
Après tout, il était là pour nous aider, pas pour nous enfoncer, alors je ne comprenais pas pourquoi les autres se fichaient presque de ce qu'il pouvait dire.
Timothy Vasler avait autorité sur n'importe quel Alpha, qu'il soit vieux comme le monde ou non. Que cet Alpha se prenne pour un Dieu ou non.
Ce qu'il disait faisait office de règle, de loi. Et personne n'était censé pouvoir remettre cela en question.
Personne.
Mais eux, ces deux idiots... pour qui se prenaient-ils ? Qui croyaient-ils être pour se comporter de cette façon ? Il n'était rien d'autre que deux Alphas. Pas de quoi grimper aux rideaux. Pas de quoi se prendre pour un putain de Dieu vivant.
Alice dit quelque chose et Nohlan, Alpha de l'Éthérée, rétorqua.
Mais je n'écoutais pas.
Il y avait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi mal, aussi... ébranlée.
Cet homme... il avait su atteindre les points les plus sensibles chez moi.
Il avait su me fracasser avec ses paroles sans la moindre difficulté.
— Une petite paysanne comme toi probablement responsable de la mort de ton frère ne devrait pas parler d'adaptation. Tu ne t'adaptes à rien ! Ta meute implosera dans quelques mois. Qui es-tu toi aussi pour me dire de m'adapter ? J'ai gagné ce que j'aie. Pourquoi foutrais-je tout ça en l'air ?
Je savais que Timothy n'avait rien laissé filtré de ce qui était arrivé à Yago. Personne à l'extérieur de la meute n'était censé être au courant. Mais ça ne voulait pas forcément dire que les gens ne pouvaient pas essayer de deviner et de trouver juste. J'ignorai ce qu'avait imaginé Pearson et ne voulais pas vraiment le savoir.
Cet homme me dégoutait. En cet instant, je n'éprouvai qu'une immense répulsion pour lui. Ce qu'il avait dit... comment... comment pouvait-on être aussi méchant bon sang ?
J'allais vomir.
Je ne me sentais vraiment pas bien.
Toutes mes barrières venaient de voler en éclat comme si elle n'avait jamais été là. Ma paume sur la table, je me relevai, ma chaise raclant doucement au sol.
Je sentis le regard de Jalil.
J'avais senti sa colère pendant la discussion. J'avais senti son envie d'agir, mais j'avais réussi à le retenir, à le contenir sans m'imposer à lui.
Timothy croisa mon regard et sourit tristement. J'aurais aimé lui rendre cette politesse. Mais j'en étais incapable en cet instant.
Il fallait que je sorte un instant d'ici.
Je cherchai Nohlan des yeux, sachant qu'ici, nous étions chez lui :
— Pourrais-je emprunter tes toilettes ? demandai-je à mi-voix.
— Bien sûr. Utilise celle d'en haut.
Jalil ne me suivit pas. Nohlan me tint le rideau et me montra les escaliers qui grimpaient à l'étage, là où il vivait avec Peython.
Cette dernière était d'ailleurs dans le salon, dans le canapé, une main sur son ventre. Elle me vit passer et me fit un petit signe de la main alors que je trouvais la porte de la salle de bain.
Je m'y enfermai et m'avançai devant les toilettes. Je me laissai tomber devant et relevai la cuvette.
Un haut-le-cœur me saisit, mais rien ne sortit, à part une légère bile peut-être.
Je repoussai ma natte dans mon dos et inspirai autant que je pus.
Mes mains tremblaient et je n'arrivai pas à faire que ça cesse. Je n'avais jamais été très bonne pour reprendre le contrôle quand ce dernier volait en éclat. C'était un des nombreux domaines où je ne valais pas un clou en fait.
— Maîtrise-toi avant de vouloir maîtriser des loups.
Des horreurs. Mais des horreurs qui sonnaient tellement juste. Et c'était ça le pire. Parce que Pearson était peut-être un con fini, mais ce qu'il disait était vrai.
Comment maîtriser des loups quand j'étais incapable de maîtriser mes propres sentiments ? Tout cela était risible, n'est-ce pas ?
Tout cela était tellement drôle.
C'était bien moi qui ne valais pas un clou.
Qui étais-je donc, moi, pauvre fille de la campagne pour me targuer d'être Alpha ?
Personne.
Je n'étais personne.
Et il n'avait pas fallu longtemps à Pearson pour s'en rendre compte.
Comme j'avais cet Alpha en horreur. Juste parce qu'il avait su. Juste parce qu'il avait vu.
Si faible. Si inutile que je fusse.
Il avait réussi à m'atteindre en plein cœur.
Ses paroles comme du poison.
Une larme coula le long de ma joue et je fermai les yeux.
— Tes paroles sont vides de sens. À mes oreilles, tu n'es que du vent. Tu n'as pas ta place parmi les Alphas de cette table. Avant de vouloir devenir ce que tu n'es pas, essaye de comprendre qui tu es. Quand tu auras fait ce travail et que tu rendras compte que tu n'es pas faite pour ce poste, alors peut-être, je dis bien peut être que je pourrais t'écouter. Un peu. En attendant, retourne dans ta campagne, et médite sur ça. Peut-être qu'après ça, ton frère ne sera pas mort en vain.
Mon Dieu que ça faisait mal.
Depuis que j'étais devenue Alpha, j'avais eu droit à des murmures dans mon dos, à des coups bas parfois même, et à du mépris, mais jamais je n'avais eu droit à ça. Jamais de toute ma vie je n'aurais cru qu'on pouvait être aussi méchant, aussi blessant.
Je n'étais rien aux yeux de Jahyan Pearson.
Je ne représentais rien du tout. Mais qu'il parle de Yago ainsi... qui... qui était-il pour se donner ce droit ?
Il ne savait rien de mon frère.
Il ne savait rien de moi.
Alors pourquoi... pourquoi tout ce qu'il avait dit était-il à ce point vrai ?
Je me fichai bien qu'il me méprise. Il pouvait bien me haïr si ça lui chantait, mais il n'avait pas le droit de parler de mon frère. Il n'avait pas le droit de parler de la sorte de Yago.
Non.
Personne n'avait le droit de ternir son image.
Il n'avait peut-être jamais été un bon Alpha, mais il était resté mon frère. Envers et contre tout, je l'avais aimé de tout mon cœur.
Que pouvait comprendre Jahyan Pearson de cela ? J'avais vu son comportement face à sa sœur. C'était comme s'il la méprisait, comme si elle non plus n'était rien à ses yeux, qu'elle ne représentait à ses yeux.
C'était un monstre. Un macho et un putain d'enfoiré.
Je le détestai. Bon sang. Il n'aurait pas dû être capable de me mettre dans un tel état. Il n'aurait pas dû être capable de faire jaillir ma louve de cette façon.
Il n'était rien lui non plus.
Rien du tout à part un vieux connard qui vivait en imposant sa volonté à tout le monde, même à ses loups.
Il était vicieux.
Il était mauvais.
Mais n'était-ce pas là les défauts qui faisaient de lui un très bon Alpha ? Sa meute était aussi vieille que lui. Et elle était saine. Comme la nôtre ne le serait jamais.
J'agrippai mes cheveux, mon visage toujours au-dessus des WC.
Inspire.
Expire.
Il fallait que je pense à autre chose. Il fallait que je pense à tout, sauf à ce malade. J'étais sûre qu'il éprouvait un certain plaisir à détruire les autres. Qu'il aimait la terreur et le dégout qu'il inspirait.
Tout cela faisait partie de son image.
De l'image de Jahyan Pearson.
J'inspirai. Doucement, me vidant la tête.
J'étais venue ici parce que Timothy avait demandé à tous les Alpha d'État de reprendre leur véritable rôle dans cette ère de changement. Il avait besoin de nous et j'avais répondu à cet appel, parce que je savais ce que c'était que de vivre en parfaite harmonie avec des humains.
Je n'avais pas pour autant oublié ce que les Hommes nous avaient fait. Moi aussi, j'avais été victime de leur méchanceté et de leur perfidie, mais dire qu'ils étaient tous pareils n'était pas vrai. Cela aurait été mentir. Et cela serait revenu à dire que nous étions tous des psychopathes, à l'instar de ces deux tarés d'Alphas.
Si Pearson et Chavez ne voulaient pas comprendre ça, c'était leur problème au final, non ? Pourquoi aurions-nous besoin d'eux ? Que représentaient-ils sur cinquante Alpha d'États ?
Quarante-huit ou cinquante... au final, c'était pareil.
S'ils persistaient à vouloir vivre comme ils l'entendaient, Timothy devrait cesser de s'acharner sur eux. C'était plus sage et moins suicidaire.
Une autre inspiration.
Je sentis la tension disparaître et mes barrières se remettre en place. Je n'étais pas faible. Mais je n'étais pas forte non plus.
Je ne devais juste pas donner des armes à mes adversaires pour m'atteindre.
Maîtrise de soi.
Rigueur.
Je pouvais faire bonne figure.
Je souris doucement, pensant à Kerann. C'était le seul moyen que j'avais pour m'apaiser. Il n'avait pas aimé me laisser venir ici sans lui, même s'il avait parfaitement confiance en Jalil.
Mais il ne pouvait partir avec moi. Il était le Second et la meute était terriblement instable. Moi-même j'avais été inquiète et plutôt stressée, mais je n'avais rien montré. J'étais devenue bonne pour cacher ce genre de chose à Kerann. Des années d'expérience.
Des Alphas pouvaient se permettre de partir avec leur Second, laissant la gestion de la meute au Lieutenant, mais laisser les rênes à Zadig ? Autant se tirer une balle entre les deux yeux. Je n'étais pas suicidaire.
Kerann était le Second. C'était son rôle que de gérer les autres quand je n'étais pas là. J'avais toute confiance en lui et ce depuis que j'étais une toute petite fille.
Nous avions toujours été ensemble.
Kerann, Yago et moi.
Tous les trois ensembles.
Inséparables, mais avec des liens différents.
C'est ensemble que nous avions trouvé les autres.
C'est ensemble que nous avions avancé.
Et tout avait pris fin une nuit d'hiver.
— Peut-être qu'après ça, ton frère ne sera pas mort en vain.
Yago n'était pas mort en vain.
Si la mort ne l'avait pas emporté, la folie l'aurait fait. Et j'avais voulu que sa mort soit plus douce que sa vie.
Parce qu'il l'avait mérité. On avait mis trop de poids sur ses épaules. On avait attendu trop de choses de lui.
Et ça l'avait bouffé.
Et je n'avais pas réussi à le protéger. Je n'avais rien su faire. Jusqu'à la fin, je m'étais sentie inutile.
Pourquoi... pourquoi ce sale loup avait fait rejaillir tout ça ? Je n'étais pas sûre de pouvoir lui faire face encore une fois. Je n'étais pas sure d'être assez forte pour ça.
Je ne l'avais jamais vraiment été. Et je m'étais détestée pour ça. Je m'étais détestée pour ma faiblesse.
Parce qu'à cause de ça, Kerann avait reçu des coups.
Parce qu'à cause de ça, Yago n'avait pas survécu.
On frappa alors à la porte et je sursautai, rouvrant les yeux et regardant la porte.
— Con suerte, Shana ? demanda Jalil, sa voix rendue plus sourde à cause de la cloison.
Je sentais son inquiétude comme si c'était la mienne. Elle avait pris le pas sur sa colère. Tout comme je sentais sa puissance. Elle m'effleurait doucement, m'enveloppant.
Pour me rassurer.
J'inspirai doucement et me relevais. Je tirai la chasse et remis de l'ordre dans ma coiffure, même si ça ne servait pas à grand-chose. Les battements de mon cœur s'étaient calmés et j'étais sûre que tout paraissait presque normal maintenant.
J'essayai de faire bonne figure et de ne rien laisser passer.
Je fis sauter le verrou et ouvris.
Je croisai les yeux du sous-lieutenant qui étincelait légèrement. Il me fixait, son inquiétude bien présente.
Il n'avait pas aimé les propos de Jahyan Pearson. Mais quel loup aurait aimé voir son Alpha se faire traiter de la sorte ?
Aucun.
— Sí, Ja. No te preocupes por mi.
Il fronça légèrement les sourcils, mais n'insista pas. Jalil savait quand il le fallait ou non.
Et surtout, il savait qu'il n'était pas aussi bon que Kerann pour me faire parler, ou plutôt pour me faire cracher les vers du nez. Le Second était plutôt fort à ce jeu-là, mais c'était plutôt dû au fait que nous étions ensemble depuis que j'étais gamine.
Depuis que j'étais née même.
Il se frotta le crâne, un peu mal à l'aise soudain.
Il n'avait jamais été très doué avec les femmes et encore moins quand il s'agissait de son Alpha. Mais au moins, il semblait plutôt bien s'en sortir avec Rayane, ce qui était déjà ça, non ? Et puis, il avait quand quelques conquêtes à son actif, alors ma foi...
Je souris et tapotai sa joue de mes doigts :
— Estoy bien, Jalil. Okay ?
Il grogna doucement, mais finit par hocher la tête. Il se recula pour me laisser passer et nous redescendîmes tranquillement en bas, lui dans mon dos.
Les vieux loups avaient tendance à porter beaucoup d'importance à la façon de se positionner face à son Alpha.
Ce dernier était toujours en avant quand ses loups se tenaient légèrement en retrait. Mais la tendance s'inversait quand il y avait un danger. À ce moment-là, c'était l'Alpha qui était en retrait et ses loups en première ligne. J'ignorai si toutes les meutes prêtaient attention à cela, mais dans la nôtre, c'était encore d'actualité. Après tout, la meute Ortega existait depuis bien des siècles.
Elena et sa Lieutenant n'étaient plus là. Étaient-elles allées trouver un hôtel où Alice les avait elle transportées à Bear Creek Village, là où se trouvait le fils d'Elena ? Je ne la vis nulle part, alors je devais avoir vu juste.
La sorcière de l'Éthérée était demandée par de nombreuses personnes pour de très nombreux services. Je savais qu'aujourd'hui, elle était mère d'un petit garçon âgé à peine de quelques mois. Et quelque chose me disait qu'elle en aurait d'autres. Alice Hansen avait été élevée par des loups et elle avait à ne pas douter, l'instinct maternel d'une louve.
— Elena est partie chez son fils ? demandai-je dans un murmure à Jalil, qui me suivait.
Il hocha la tête.
Dean Campbell était un Alpha puissant et réputé. Il était juste, et même si sa meute n'était pas très grande, elle était une des plus saines des États-Unis. Sa réputation le précédait. Et il n'y avait aucun point négatif, à l'inverse de celle de Jahyan Pearson.
Nohlan était derrière le comptoir, discutant avec Elijah, son Lieutenant. Elijah était un loup Chasseur, pas vraiment unique dans son genre puisque sa compagne et femme, Amalia, était du même genre. J'avais assisté à leur mariage, au mois d'août dernier. Elijah était une vieille connaissance de Yago et moi. Un vieil ami à bien des égards, tout comme Liam, une légende parmi son peuple. Lui, c'était un monstre à bien des égards, mais il y avait de la gentillesse en lui. Bien enfouie certes, mais elle était là.
Elijah était aveugle et portait toujours un bandeau sur ses yeux. Il était mutilé. À vie. Et n'aimait pas le montrer, ce que je comprenais parfaitement. Amalia était la Main de Nohlan et une femme vraiment intéressante.
Belle et forte. Elle ne semblait avoir aucune faiblesse, à part peut-être Elijah. Mais ça, n'était-ce pas une autre histoire ?
Nohlan semblait épuisé, sûrement à cause de la grossesse de Peython. Il était étonnant de voir comment les loups perdaient toute raison quand il était question de bébé. Mais il n'y avait pas que les loups bien sûr et je savais pour l'avoir entendu que Basile, le mari d'Alice était devenu gaga et complètement papa poule depuis la naissance du petit Jamy.
Audrenne, le Second d'Elzear et Enio, son sous-lieutenant étaient assis dans un coin de la pièce, dans un silence quasi parfait. Cette meute et l'Alpha surtout était des plus étranges, même si je n'avais croisé Elzear Montgomery qu'une seule fois dans ma vie.
Timothy n'était plus là. Où était-il donc parti ? Et qu'est-ce qui allait arriver maintenant ? Allions-nous nous rassembler encore une fois ou bien allions devoir repartir chez nous sans que rien n'ait été dit ? Chavez et Pearson allaient revenir. Et si ce n'était pas le cas, le Gardien irait lui-même les chercher.
Elijah leva son visage en me sentant approcher et passa de notre côté.
— Shana, dit-il avec un léger sourire.
Il m'offrit sa nuque et je l'effleurai de mes lèvres. J'aimais beaucoup Elijah. Il avait une personnalité unique et était d'une empathie sans limites. Il avait été attristé d'apprendre la mort de Yago et Liam l'avait amené pour qu'il me transmette en personne ses condoléances.
— Comment vas-tu ? me demanda-t-il alors que Jalil s'installait au bar.
Il savait que je ne risquais rien avec les loups présents dans cette pièce, ou du moins ceux qui m'entouraient en ce moment. Alors, il pouvait un peu baisser la garde.
— Ça va. L'air du Michigan est plus frais que chez nous.
Il sourit et hocha doucement la tête, ne pouvant qu'être d'accord avec moi.
— Comment va Amalia ?
— Elle va bien. Elle est partie en Chasse depuis un peu plus d'une semaine, mais devrait très vite rentrer.
— Elle ne te manque pas trop ? le taquinai-je.
— Peut-être, admit-il, énigmatique.
Ah ce loup ! Il retourna de l'autre côté et disparut derrière le rideau. Je me hissai sur un des tabourets, juste en face de Nohlan qui avait une main dans les cheveux et qui avait surtout besoin de dormir.
— Tu es sûr de tenir jusqu'à la naissance, dis-moi ?
— Va savoir. Je suis épuisé, mais impossible de fermer l'œil.
— Ta petite louve va sentir l'état de son père et va vouloir sortir plus vite, tu ne crois pas ?
— Ma foi... j'ai hâte qu'elle arrive, tu sais ?
Quel loup n'avait pas hâte d'être père ?
— Timothy va-t-il revenir ? A-t-il dit quelque chose ?
Nohlan se redressa et s'étira quelques secondes.
— La réunion a été repoussée à demain. J'espère que les deux autres idiots sauront se tenir.
Jalil grommela quelque chose en mexicain et je lui mis un coup de coude dans les côtes. Il grogna, mais sourit.
— Je suis sûr que notre Gardien saura les dompter, dit Nohlan alors que la porte s'ouvrait pour laisser entrer quelques loups de sa meute.
En quelques minutes, il y eut beaucoup de bruit, beaucoup de monde. La musique fut lancée et des éclats de rire résonnèrent tout autour de moi.
C'était étrange de voir une telle ambiance, de voir une telle... symbiose entre Nohlan qui était l'Alpha et ses loups.
Tous le chambraient sur la proche naissance de sa fille. Même ceux tout en bas de l'échelle donnait l'accolade à leur Alpha.
Voilà à quoi ressemblaient les meutes modernes.
Mais ça ne voulait pas dire qu'il n'y avait pas de respect ou que la hiérarchie n'était pas respectée. Bien au contraire.
J'aurais aimé être ainsi avec mes loups. Mais je pensais à Zadig et cette pensée disparut. Trop de « mes » loups me haïssaient. Mais pouvais-je les blâmer ?
— Maîtrise-toi avant de vouloir maîtriser des loups.
Je soupirai et baissai la tête. Il fallait que je me sorte ce monstre de Pearson de la tête et le plus vite serait le mieux.
La soirée arriva vite.
Nohlan nous proposa des chambres à Jalil et moi quand les autres logeraient dans un hôtel et les deux autres abrutis, où ça leur chanterait. J'acceptai l'offre et le repas fut servi tard dans la soirée. Beaucoup de hauts gradés de Nohlan se joignirent à nous et Jalil rit beaucoup avec Tomas et Silas, deux des Dominants de l'Éthérée.
Timothy ne revint pas, mais l'ancien Gardien, Maël, fit son apparition, accompagné d'un loup qui ne m'était pas étranger, qui l'était à très peu de monde en fait.
Maxence Ambrose.
C'était une ancienne Main et il en entraînait encore aujourd'hui. Il était aussi le Protecteur d'Heaven, même si beaucoup s'accordait à dire qu'il y avait quelque chose de plus... fort entre eux. Personne n'en parlait vraiment. Et surtout pas depuis qu'Heaven avait gentiment été éconduit par son propre peuple. Aujourd'hui elle n'avait plus la place qu'elle avait eue par la passée. Mais le respect teinté de peur était toujours là. Si elle n'apparaissait plus vraiment, Maxence continuait de courir le monde à sa façon. Lui aussi était fou, à sa manière et il n'y avait rien de tendre en lui. Je le connaissais depuis des siècles ; il avait été proche, même si cela était un bien grand mot, de mes parents, surtout de mon père. Il connaissait bien la famille Ortega. Il me connaissait bien. Même si j'avais voulu que ce ne soit pas le cas.
Il salua les loups autour de lui sans aucun signe de respect. Il était puissant. Et très vieux surtout. Son loup n'était pas facile, mais l'homme non plus. Ils étaient cons tous les deux, ça, personne n'aurait pu dire le contraire.
Maxence n'avait pas changé depuis la dernière fois qui remontait à presque cinquante ans. C'était un bel homme, un très bel homme même et son corps était recouvert de tatouages.
Tout le monde était censé le savoir, mais pas les avoir vus, comme c'était mon cas. J'avais craqué une fois avec lui. C'était un homme qui ne voulait essuyer aucun refus et que dire, à l'époque, j'avais été faible.
Mais je ne regrettai pas vraiment.
Nous étions voués à vivre une très longue vie, nous autre loup, et parfois, il nous arrivait de faire des choses qu'on aurait peut-être pas faites en y repensant. Mais ma foi, c'était fait et j'étais sûre de ne pas avoir été la seule louve à me laisser avoir par cet homme.
Maël fut le premier à s'avancer vers moi. Il était l'ancien Gardien, le père de Timothy. Même s'il n'officiait plus depuis longtemps, le respect était toujours là. Je lui offris ma nuque et il n'y avait pas vraiment là un geste de soumission, simplement de profond respect. Il l'effleura avec ses doigts avant d'embrasser mon front comme un père l'aurait fait avec sa fille.
— Shana Ortega, me salua-t-il. Il y avait longtemps.
Maël était doux et bon. Je l'avais rarement vu se mettre en colère, tout comme Timothy quand j'y pensais.
— Plus d'un siècle, je crois. Nous ne nous sommes pas croisés lors des mariages, dis-je.
J'avais assisté à celui de Basile et Alice, puis à celui d'Elijah et d'Amalia.
— J'espère que Timothy t'aura transmis comme il se doit mes condoléances pour Yago, dit-il, gravement.
— Ne t'inquiète pas, il a été un bon porte-parole.
Une légère tristesse dans son regard. Lui aussi savait faire preuve d'une empathie sans limites.
— C'était un bon garçon, malgré tout ce qu'il aura pu faire.
Oui. Yago avait été quelqu'un de bien avant que tout cela n'arrive. Avant que père ne décide pour lui. Pour nous.
Maël m'embrassa une seconde fois avant de rejoindre Nohlan et de lui donner une grande tape dans le dos. Jalil avait disparu, mais je sentais sa présence, pas très loin de moi.
— Une petite louve perdue parmi les grands méchants loups.
Je me tournai vers Maxence qui s'était arrêté devant moi. Sa puissance était écrasante, étouffante et il ne faisait rien pour la retenir.
— Maxence, dis-je en guise de salut.
À lui, il était hors de question que je lui offre ma nuque, ni par soumission, ni par respect. Il sourit, mais ne fit rien non plus. Maxence n'était pas du genre à saluer qui que ce soit. Ça faisait partie du personnage.
— Je suis surpris de te voir ici, tout comme le morveux. Je croyais que Timothy n'avait réuni que les grands.
Je ne me vexai pas. J'avais l'habitude de ce genre de commentaire. Maxence n'était pas un homme gentil. Il ne cherchait pas à préserver. Et pour Jake, lui aussi devait avoir plus que l'habitude d'être appelé le morveux.
— Je n'ai vu aucun grand Alpha à cette table aujourd'hui, à part Elena Campbell, répliquai-je.
Il sourit de plus belle et pencha légèrement la tête en faisant un pas vers moi. Il leva le bras et attrapa ma natte. Il tira légèrement dessus et ses yeux brillèrent de la présence de son loup.
— Fais attention à ne pas te faire dévorer, petite louve. Ce serait tellement dommage.
Il tira plus fort et je me retrouvai légèrement contre lui. Ses lèvres effleurèrent les miennes avant qu'il ne rie doucement et qu'il ne se détourne totalement de moi, appelant une jeune femme. La compagne d'Eryn ; Nayah.
J'observai son dos disparaître dans la foule et m'appuyai contre le comptoir du bar. J'étais épuisée alors qu'au final, nous n'avions rien fait de la journée.
Et penser au lendemain me faisait mal au ventre. Je ne voulais plus me retrouver dans la même pièce que Jahyan Pearson. Je ne voulais plus jamais avoir affaire à lui. C'était... légitime non ? Mais cet homme... il me faisait peur. Et il me mettait hors de moi.
À travers le lien, je dis à Jalil que je montais me coucher. J'avais besoin d'une longue nuit de sommeil. J'avais besoin de parler à Kerann.
Je vis le sous-lieutenant me suivre du regard avant que je disparaisse derrière le rideau et que je grimpe à l'étage.
Je m'enfermai dans la chambre indiquée par Nohlan et sortis mon téléphone de ma poche. Je composai le numéro de Kerann.
Il décrocha dès la première sonnerie, comme s'il avait attendu à côté. Et c'était plus que probablement le cas :
— Qué hay nuevo ?
Son ton se voulait décontracter, mais il ne m'avait pas. Pas moi.
— C'était horrible, dis-je, en me laissant tomber sur le grand lit.
Il rit doucement et ce son me rassura plus qu'autre chose. Je fermai les yeux. J'avais l'impression de redevenir une petite fille. La petite fille qui s'accrochait à Kerann comme d'autres s'accrochait à la vie.
— Raconte, chica.
J'inspirai et lui racontai cette horrible journée. Sans omettre que demain serait pire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top