11. Shana
La seconde pleine lune fut plus intense et bien plus... chaude que la première. J'aurais cru que dormir avec Jahyan tous les soirs amoindrirait mon appétit de lui, mais c'était tout le contraire. C'était presque pire et quelque part, cela m'inquiéta.
Une routine s'était installée entre nous, une routine qui aurait pu être bien s'il ne devait pas partir dans quelques semaines. Partir pour de bon.
J'essayai de ne pas y penser. Comme j'essayai de ne pas prêter attention aux sentiments qui grandissaient doucement.
Ça me faisait peur et je savais que la distance à mettre avec Jahyan était maintenant, pas plus tard. J'avais déjà peur qu'il soit trop tard...
Lui-même devait le savoir. Il ne me touchait et n'était doux que le soir, lorsque nous n'étions que tous les deux. L'après-midi, il gardait ses distances et même si je ressentais une sorte de manque, je savais que c'était mieux ainsi.
Il fallait savoir prendre du recul. Il fallait surtout que je ne m'accroche pas à Jahyan. Ce n'était pas bon. Et à la fin, ce serait trop douloureux.
Ça l'était déjà en quelque sorte. On pouvait rire autant que l'on voulait de cette histoire de sex-toy, mais ça allait au-delà de cela. Ça allait au-delà de tout. Et s'il n'avait pas été Alpha d'un autre état et moi non plus, peut-être que...
Non.
C'était bien plus compliqué que ça.
Rien n'était aussi facile que je voulais bien le croire ou le penser.
Jahyan Pearson était Jahyan Pearson.
Caractère de merde, macho et j'en passais. Celle qui serait sa compagne aurait du fil à retordre...
Mon cœur se serra et je repoussai les pensées qui montaient. Il ne fallait pas que je pense comme ça. Et puis quoi encore ?
Ce n'était qu'un plan cul. Voilà ce que j'avais qu'à me dire. Et il fallait juste un peu de volonté pour m'en convaincre. Ce n'était pas plus compliqué que ça après tout.
Si ?
Je soupirai et levai la tête pour voir Zoran apparaitre, son sac dans les mains. Même lui allait me manquer bon sang... je m'étais habitué à l'avoir ici, avec nous, avec moi. J'avais rarement rencontré un loup aussi... ouvert et gentil. Aussi loyal envers son Alpha.
Je l'aimais bien. Il avait un humour douteux, mais ça...
Il baissa les yeux vers moi et sourit :
— Il n'est pas content, dit-il alors que je pouvais percevoir d'ici les ondes de colère de Jahyan.
Il se trouvait dans sa chambre, en train de ronchonner ; pour changer. Je fis mine de ne pas comprendre et le sourire de Zoran s'agrandit. Il était plutôt bon pour se moquer de son Alpha et quelque chose me disait qu'il pouvait le faire sans trop de souci ici. Dans leur meute, c'était peut-être autre chose... Ou pas. Les loups de Jahyan étaient surprenants et tous d'une gentillesse qui ne pouvait être feinte.
— Je crois qu'il a du mal avec le fait que quelqu'un puisse lui dire non.
C'était même un gros souci chez lui. Et il avait du mal à se rendre compte que je ne faisais aucunement partie de sa meute et que donc, je n'étais pas forcée de l'écouter, ni même d'obéir. Encor moins obéir.
J'étais autant Alpha que lui après tout, alors...
— Pas sûr qu'il s'en remette, souffla Zoran.
Je rejetai légèrement la tête en arrière et rit. Je n'en étais pas sûr, mais il n'avait pas le choix. Jahyan avait juste du mal avec ça.
Je l'entendis descendre les escaliers et arriver derrière Zoran. Il ne portait qu'un short, comme n'importe qui de censé ici de toute façon.
La chaleur qu'il faisait rendait fou un peu tout le monde. Même avec les années, on ne pouvait pas vraiment dire qu'on s'habituait.
Nos bêtes aussi avaient du mal, mais tout le monde s'occupaient bien d'elles et elles étaient plus que chouchoutées.
— Tu es encore là, Main stupide ?
Zoran sourit et passa à côté de moi avant de se diriger vers le Hummer pour aller y mettre son sac.
Jahyan avait besoin de retourner dans sa meute et de voir ses loups. C'était normal ; il était l'Alpha et resté trop longtemps éloigné lui coûtait, même s'il ne l'avouait qu'à demi. Vous savez ce qu'on dit des hommes et de leur égo hein...
Jahyan en était un peu l'exemple. Il était en colère contre moi.
— De mauvais poil, chaton ? Le taquinai-je, reprenant le surnom qu'il aimait bien utiliser avec moi.
Doucement, il baissa son regard sur moi et mon désir grimpa.
Ça aussi ce n'était pas vraiment super.
Un seul regard, un seul geste et je n'étais plus que désir. Il le voyait et en jouait parfois. Mais il restait toujours mon sex-toy, ça, ce n'était pas négociable.
Je prenais tout ça avec humour, mais intérieurement, je n'en menais pas large.
Je m'attachai trop.
J'étais déjà attachée à lui. Et c'était peut-être même plus fort que ça. Mais il était hors de question que je mette un mot là-dessus, que j'y pense ne serait-ce qu'un instant.
Le... deuil se ferait de lui-même.
Il allait bientôt partir de toute façon, alors je n'aurais pas le choix. Nous n'aurions pas le choix, ni l'un, ni l'autre.
Une cure de désintoxication pure et dure. Pas de place à la douceur.
Un électrochoc. C'est ce qu'il me fallait. Et c'était dans ce but là que je ne voulais pas aller à Boise avec lui. Et c'était pour ça qu'il était d'une humeur de chien. Et j'étais encore bien loin de la vérité.
Il bouillonnait.
Et j'avais presque des remords de laisser Zoran se retrouver seul avec lui. Mais ce dernier avait du déjà du voir son Alpha dans des états bien pires que cela, alors après tout...
— Ne m'énerve pas plus, femelle, grogna-t-il, ses yeux étincelants.
Son loup avait un comportement possessif et ça plaisait énormément à ma louve.
Dès que quelqu'un nous touchait, elle sentait son regard sur nous. Je ne pourrais jamais avouer que ça me plaisait aussi. C'était comme se tirer soi-même une balle dans le pied. Et ça n'aurait pas dû me plaire ou me faire quelque chose.
Nous couchions juste ensemble, ça s'arrêtait là. Il ne pouvait pas y avoir autre chose. C'était impossible et impensable.
Mais notre comportement... je ne voulais même pas savoir ce que des yeux extérieurs auraient pu penser, ou croire. Qu'est-ce qu'aurait pensé ses loups si j'avais été avec lui ? Peut-être qu'il se comportait ainsi avec toutes les louves avec qui il avait eu une relation, mais étrangement, j'en doutais un peu.
— Ne fais pas la tête, Pearson.
Je me relevai et m'avançai jusqu'à lui.
Il ne bougea pas, se contentant de m'observer approcher. Ma main se retrouva sur son torse et sa chaleur grimpa le long de mon bras. Je me rendais compte que je le touchais, quand lui-même me touchais. Ou quand je voyais ma main sur sa peau.
Ça devenait trop normal, trop naturel même.
Mais je ne disais rien et ce n'était pas le genre de chose dont nous parlerions un jour. Parce qu'il n'y aurait pas d' « un jour ».
Nous avions des gestes trop intimes.
Nous avions des gestes que seuls des compagnons avaient entre eux.
Jahyan le voyait-il ?
Son loup en tout cas voulait agir ainsi. Et ma louve était du genre à le laisser faire bien sûr. Même si ça ne devait pas être le cas, parfois, j'en avais assez de lutter. Parce que moi aussi, j'avais envie de... tout ça.
Un autre pas et je me retrouvai collée à lui. Je levai la tête pour que nos regards ne se perdent pas.
— Alors viens avec nous, dit-il.
Je soupirai et voulus me reculer – il pouvait être terriblement agaçant quand il le voulait -, mais sa main dans ma nuque m'en empêcha. Il pencha son visage vers le mien, le regard sombre, le regard dur.
C'était dans un moment comme celui-là que je me rappelais à quel point il était dangereux de dire non à Jahyan. Mais si je commençais à me soumettre à sa volonté, nous n'avions pas finis. Et ma louve était loin d'être une soumise. Mais il le savait, il le sentait. Et ma puissance lui plaisait, sinon il y aurait longtemps qu'il se serait détourné, cherchant une autre louve pour s'amuser. Là aurait peut-être été la solution.
Plus facile.
Moins de douleur.
J'avais peur de voir ce moment arriver. J'avais peur de me rendre compte de la profondeur de mes sentiments pour lui. Parce qu'il n'y aurait alors aucun retour en arrière possible.
Il était de toute façon impossible que je sois tombée amoureuse d'un type comme lui. N'est-ce pas ?
— Je pourrais t'enfermer dans la voiture et t'amener de force, grogna-t-il, contre mes lèvres.
Je levai les yeux au ciel :
— Essaye donc de faire ça, Pearson, qu'on rigole un peu.
J'attrapai sa lèvre avec mes dents et tirai dessus tout en mordant suffisamment fort pour lui faire mal.
Si nous avions pu nous avouer à nous même ce qu'on ressentait, les choses auraient pu être différentes, mais ce n'était pas le cas. Et il n'y avait pas que ça.
Zoran revint et sans nous prêter attention, attrapa le sac de Jahyan et alla le fourrer dans la voiture. Ça me dérangeait presque que tout le monde ce soit fait une raison par rapport à notre comportement.
Même Kerann ne disait rien.
Preuve qu'il y avait un problème quelque part... non ? Est-ce que je ne commençais pas à trop réfléchir pour le coup ?
Mais je ne pouvais pas juste me dire de profiter. Parce que si je restais ici, c'était pour une bonne raison. Et quand Jahyan reviendrait dans à peine deux jours, les choses auraient déjà changées. Parce qu'il fallait qu'elles changent, tout simplement. On ne pouvait pas rester ainsi. Il fallait que je me protège de Jahyan. De mes sentiments pour lui. Avant qu'il parte. Pour ne pas qu'il voit, qu'il comprenne... si ce n'était pas déjà trop tard.
— C'est bon, Patron, on peut y aller, dit Zoran depuis le Hummer.
Jahyan releva légèrement la tête pour regarder sa Main et je réussis à me défaire de sa prise. Je sautai au bas des marches et rejoignis le loup en sortant une enveloppe de ma poche :
— C'est pour Cyriane. Je te la confie parce que j'ai plus confiance en toi qu'en ton balourd d'Alpha.
Jahyan se contenta de grogner quand Zoran éclata de rire.
— N'essaye pas de mettre mes louves dans ta poche, femelle.
— Trop tard, répliquai-je en pensant aux compagnes des hauts-gradés de Jahyan.
J'avais eu un bon feeling avec chacune. Et c'était encore plus fort avec Cyriane.
Joaquim et Jalil surgirent à ce moment-là et vinrent saluer les deux loups avec des accolades et des rires. Quelques blagues furent lancées et Jahyan menaça Jalil de l'étouffer avec de la paille s'il n'arrêtait pas ses bêtises. Ce dernier éclata de rire et vint passer un de ses bras autour de mes épaules :
— Retourne donc t'occuper de tes louves, Jahyan, je m'occuperai de celle-ci.
J'envoyai mon coude dans le ventre de mon sous-lieutenant :
— Je pense pouvoir me débrouiller, messieurs.
Je préférai ne pas lever les yeux vers Jahyan à cet instant.
Les portières claquèrent et le moteur vrombit. Cette voiture faisait un bruit vraiment immonde. Qui à part Jahyan pouvait conduire une telle chose ? Trop d'idiots malheureusement.
— Je crois que ton sex-toy attends un bisou, chica, rit Jalil avant de me pousser vers la portière de Jahyan.
Je le foudroyai du regard et me retrouvai devant Jahyan, qui était accoudé à sa fenêtre, une main sur le volant.
Pourquoi est-ce qu'il était diablement sexy ?
Comment lutter avec un homme pareil devant vous ?
Et merde, j'étais faible.
Je me penchai et déposai un baiser chaste sur les lèvres du mâle devant moi :
— Va faire mumuse avec ta voiture, Pearson. Et pas de bêtises, ajoutai-je en regardant Zoran.
— Jamais, répliqua ce dernier avec un sourire.
Je ris et lui soufflai un baiser avant de m'écarter du monstre. Le regard de Jahyan s'accrocha à moi un instant avant qu'il ne se concentre sur ce qui se trouvait devant lui.
Et bientôt, le hummer disparut à l'horizon, me laissant... seule.
Joaquim disparut, mais Jalil resta là, à me regarder.
— Quoi ? Fis-je en haussant les épaules.
Il avait ce regard sérieux, cette expression presque effrayante qui me ramena dans cette chambre, quelques années plus tôt, juste après la mort de Yago...
La douleur était partout.
Les cris résonnaient. Trop de souffrance. La toile en était saturée. La toile était en train de s'effondrer, emportant même les plus jeunes.
Je tenais Yago dans mes bras. Et Jalil était là, alors que Kerann et les autres s'étaient effondrés dans le couloir.
Incapables d'avancer.
Incapables de faire quoi que ce soit.
Tous figés. Tous affligés.
Jalil fut le premier à bouger. Il se traîna jusqu'à moi et je cru qu'il allait toucher Yago, son Alpha, mais sa main se retrouva sur ma tête. Et son regard emprisonna le mien.
Si dur.
Si douloureux.
Si vrai.
Et c'est comme si son loup appelait ma louve sur la toile. Mais il n'y avait pas que la douleur ou la colère. Il y avait autre chose. De plus fort, de plus puissant.
De la... loyauté ?
Et je compris trop tard. Mes yeux s'écarquillèrent alors que le corps de Yago m'échappait et que Jalil m'attirait contre lui, mon dos heurtant son torse. Il me serra fort contre lui quand soudain, tout convergea vers moi.
Ma bouche s'ouvrit sur un hurlement silencieux et mes mains essayèrent de saisir quelque chose d'invisible.
Je cru que mon cœur allait cesser de battre.
Et une voix me parvint. Comme de très loin. Jalil.
Les hurlements cessèrent. Et la conscience de la meute sembla m'étouffer.
J'étais... l'Alpha... ?
J'étais...
— Ça ira, Shana.
Et Jalil le répéta encore et encore, comme si cela pouvait suffire. Mais ce n'était pas le cas et ne le serait jamais.
Non, ça n'irait pas.
— Je ne suis peut-être pas avec toi depuis le début comme Kerann, mais je reconnais ce visage, Shana. Je reconnais le visage d'une femme am...
— Lâche-moi, Ja. De toute façon, dans quelques semaines, ça n'aura plus aucune importance.
Il soupira et se passa une main dans les cheveux.
J'avais toujours compris la loyauté de Kerann, mais celle de Jalil restait un mystère pour moi. Il avait trouvé quelque chose en moi, mais j'ignorai quoi. Cette raison n'appartenait qu'à lui. Il avait été mon meilleur soutien après Kerann. Depuis le début.
— Peut-être que pour lui ça n'en aura pas, mais pour toi, si. C'est toi qui finiras dans un sale état, Shana. Protège-toi maintenant.
Il me tourna le dos et s'éloigna.
Me protéger ? C'est ce que je venais de faire en restant ici. C'est ce que je venais de faire en faisant un pas en arrière.
Et ce que je devrais continuer à faire quand Jahyan serait de retour.
Il n'était plus question de me laisser aller, de laisser les commandes à ma louve quand il était là.
Il n'était plus question qu'il me touche ou de dormir avec.
Il fallait que je recommence à le détester, ça ne devait pas être si compliqué que ça, quand même ? Bon sang... j'étais fichue.
Et suicidaire à n'en pas douter.
Les deux jours qui passèrent furent une sorte de routine.
Une routine avant Jahyan. Avant tout ça. Mais ce n'était plus pareil, surtout au niveau de la meute.
Beaucoup de jeunes vinrent prendre des cours et Jalil eu énormément de balades de programmer. La saison démarrait très bien, ce qui était toujours le cas l'été. Le ranch allait être remplit et si tout se passait bien, il en serait ainsi pour l'année. Il y avait toujours quelques mois tranquilles, mais généralement, nous avions beaucoup de monde.
Les riches propriétaires qui nous avaient laissés leurs chevaux pour l'hiver revinrent les chercher et d'autres furent amené.
Ce furent deux jours où dès le matin nous étions bien occupés. Il n'y avait aucun moment d'arrêt et en plus des promenades, je dus faire visiter le ranch avec Sayan et Hadrien.
Doucement, tous les loups de la meute avaient repris leurs rôles.
Grâce à Jahyan.
Grâce au fait qu'il m'ait enfin fait avouer la vérité à haute voix.
Oui, doucement la meute redevenait telle qu'elle avait été au début, telle qu'elle avait été quand Yago allait bien.
Zadig, Jamie et Hadrien y mettaient du leur.
Et bon sang, ça changeait les choses ! À ça près et nous étions presque à ce qui avait été avant que je ne tue Yago. Zadig avait repris son rôle de Lieutenant en main et passait beaucoup de temps avec Jalil, les Veilleurs et les Patrouilleurs.
Les rangs se reformaient. Et Zadig revenait vers moi. Ce n'était pas encore ça. Il y avait un malaise évident, mais tout allait s'arranger.
Et la meute n'en sortirait que plus forte ; beaucoup plus puissante même. Mais même ainsi, il y avait une chose que je ne pourrais jamais avouer ; une chose qui aurait pu remettre tout le travail de Jahyan en question.
J'étais peut-être fille d'Alpha, j'étais peut-être destinée à être une Alpha, mais je sentais que ce n'était pas ma place.
J'aimais chaque loup de cette meute. Comme des amis, comme des frères. Mais ça ne suffisait pas. Ça avait toujours été la meute de Yago. Et ce le serait toujours. Mais je savais que si je disais cela à Jahyan, il me frapperait juste lors de notre entraînement pour me faire entrer dans le crâne que j'étais l'Alpha de cette meute et pas autre chose.
N'étais-je pas là par dépit au final ?
Toute cette vie au ranch m'évita de penser à Jahyan. Et au fait qu'il me manquait. Je n'arrivais plus à dormir sur le canapé et je montais toujours dans son lit. Ce n'était pas la bonne chose à faire, parce que quand il serait là, ce serait chacun chez soi en quelque sorte.
Jalil ne disait rien, mais je le surprenais souvent à m'observer. Kerann ne disait rien, mais il sentait forcément les choses.
C'était mes jours de cures en quelque sorte et il fallait que je gère. Mais surtout, il faudrait que je tienne une fois Jahyan revenu, et ça... je n'étais pas sûr d'en être vraiment capable.
Au quatrième jour, le temps s'adoucit légèrement.
Jahyan et Zoran devaient arriver dans la soirée normalement et après, il était question qu'ils restent encore quelques semaines, deux, peut-être trois. Timothy n'allait pas tarder à passer et il devrait rendre un seul verdict ; Jahyan avait fait son travail et pouvait donc partir retrouver sa propre routine.
Le ranch me semblait bien vide maintenant alors qu'en serait-il après ? Quand il ne serait plus question du retour d'un certain Alpha et de sa Main ?
Me sortir Jahyan Pearson de la tête était devenu un combat de tous les jours. Et j'avais mal. Mal au cœur.
— Rayane ! Cria Jamie, cherchant son aînée des yeux.
J'étais sous le porche, observant cette dernière en train de taquiner Jalil, comme d'habitude. Le ranch était calme, mais dans moins d'une heure, il y aurait de nouveau beaucoup de monde. C'était donc un peu le calme avant la tempête et tout le monde en profitait.
Zadig était assis devant moi, sur les marches, une clope au bec. Nous venions de parler d'une nouvelle façon de surveiller les montagnes ; après tout c'était là notre principale soucis. Joaquim et Kerann avaient été présents et venaient de partir avec cinq Patrouilleurs. Ils ne reviendraient pas avant la nuit.
— Je crois que Laila à parler à Jalil concernant Rayane, dit Zadig, observant la même chose que moi.
— Ah oui ?
Je ne me mêlais pas trop de tout ça, même si j'étais l'Alpha. Mais là-dessus, je n'étais pas comme Jahyan. Et je préférai largement ça.
— Il est bien plus vieux qu'elle. Une mère ne peut pas être d'accord avec ça.
— Bandes de vieux cons, ris-je, alors que le téléphone sonnait.
Chose rare. Tellement que je mis du temps à comprendre. Zadig tourna la tête vers moi avec un sourire :
— On est du genre conservateurs, que veux-tu.
Je levai les yeux au ciel et entrai à l'intérieur. J'attrapai le téléphone :
— Ranch Ortega, dis-je.
Un silence. Une respiration et une voix. Douce. Rauque. Qui retira toute chaleur de mon corps.
— Je veux voir mon petit-fils. Amène-le-moi.
Et mon père raccrocha.
Je restai sans bouger, le combiné contre l'oreille, ayant du mal à... assimiler. Et pourtant...
La bouche sèche, je me dirigeai dehors et passai à côté de Zadig sans un mot. J'appelais Jalil qui se tourna presque immédiatement vers moi :
— Les réserves ne vont pas tenir. Va me chercher de l'alcool.
Il fronça les sourcils, ne comprenant sûrement pas.
— Tu...
— Vas-y maintenant ! Crachai-je avant de le planter là et de retourner à l'intérieur.
Zadig voulut me retenir, mais je claquai la porte d'entrée derrière moi. Je me dirigeai dans la cuisine et sortis la bouteille de tequila qui se trouvait là. Je la débouchai et bu au goulot.
— Tu vas te faire tuer par Kerann, grogna Sayan.
Il y avait deux bouteilles vides devant moi et beaucoup trop de monde dans le salon. Tous les hauts-gradés étaient là. Ne manquait que Kerann et Joaquim.
J'avais perdu la notion du temps. J'ignorai quelle heure il était, savais seulement qu'il faisait nuit.
— Notre Alpha veux boire, je l'accompagne, répliqua Jalil.
Il était assis par terre, un verre de whisky à la main.
Je crois que j'étais bourrée. Et je crois qu'il l'était aussi. Un peu. Avec lui, c'était dur à dire.
Zadig était assis à côté de moi et avait arrêté d'essayer de m'empêcher de boire. S'il avait continué, je l'aurais cogné. Très fort.
J'étais dans un tel état bon sang. Il y avait des années que je n'avais pas été aussi minable. Mon père avait le don de m'atteindre. Il avait le don de me pourrir la vie au moment où je m'y attendais le moins.
Il me faisait trop de mal. Même maintenant. Même après tant de temps.
Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il s'accrochait à ce point à la vie ? On ne pouvait même plus le considérer comme un Alpha, vu de quoi il était l'Alpha. Mais ça...
— Shana, tu...
Je levai les yeux vers Jamie.
— Quoi ? Demandai-je, la voix rendue pâteuse par l'alcool.
C'est à ce moment-là que je vis que Rafael était là. Il me regardait tristement, ne comprenant pas ce qui m'avait mis dans un tel état. Tous sentaient quelque chose par rapport à la toile, mais rien de précis.
— On va aller voir papy, Raf', dis-je avec un hoquet. C'est pas génial ?
J'attrapai la bouteille de vodka et bu une grande lampée. Zadig gronda et rattrapa la bouteille que je lâchai avant de poser ma tête sur le dossier du canapé.
— Mierda, le vieux con a appelé, c'est ça ? Lâcha Jalil, me regardant par-dessus son verre.
Je ris alors que dehors, je perçu le bruit d'un moteur.
— Court, net et précis si tu veux tout savoir, mon petit Ja.
Je cherchai ma bouteille sur la table, la trouvai dans les mains de Zadig. Le monde tanguait. Mes pensées n'étaient plus très cohérentes. Mais ça, c'était depuis la fin de la première bouteille. Je savais que si je me levais, s'en était finis de moi. Alors je misais tout sur ma vessie. Fallait pas qu'elle craque maintenant cette garce...
Je chipai la bouteille des mains de mon Lieutenant qui gronda avant de se lever et de disparaitre dehors, entraînant Rafael et Hadrien avec lui.
Ce n'était pas juste. Après tant de siècles, mon père n'aurait pas du avoir ce pouvoir sur moi. Il n'aurait pas du pouvoir me faire autant de mal de là où il était et surtout en sachant que je n'étais rien à ses yeux. Rien du tout.
Je me penchai en avant, ma main autour de la bouteille. Je pointai Jalil d'un doigt :
— Je préférerais brûler vive plutôt que me laisser traiter comme de la merde par ce vieux fou.
— C'est ton père, Shana. Et je ne pense pas qu'on en arrivera là. N'est-ce pas ?
Je le regardai, comprenant que soudain, il ne s'adressait plus à moi. Il regardait derrière moi et trop embrumée pour sentir quoi que ce soit, je dû me tourner.
Jahyan se tenait dans l'embrasure de la porte, Zoran derrière lui. Il me regardait et son expression oscillait entre la colère et la putain de grosse colère.
Oh oh, pas content de me retrouver dans cet état ?
— Coucou vous, dis-je, un sourire débile plaqué aux lèvres.
Même Zoran semblait mécontent... et merde. Je me tournai vers Jalil qui venait d'allumer une cigarette.
— La fiesta est finie, amigo.
Il se contenta d'hausser les épaules alors que je sentais qu'on essayait de m'assassiner par le regard. Je voulu porter la bouteille à ma bouche, mais elle disparut soudain de ma main. Mon bras retomba le long de mon corps :
— Fais pas chier, Pearson.
Je n'étais pas sûr que quiconque me comprenne dans la pièce, pas sur de dire des choses intelligibles non plus pour le coup.
Des mains sur mes genoux. Je baissai la tête qui tangua légèrement.
Légèrement... Mon cul !
Comment est-ce qu'il avait fait pour bouger aussi vite ? Putain de taré...
— Tu as assez bu, dit Jahyan.
— Tu crois ?
Je voulu lui reprendre la bouteille, mais faillit partir en avant. Des bras se posèrent sur mes épaules et me ramenèrent contre le canapé.
Si même Zoran s'y mettait...
Je soupirai et fermai les yeux un instant.
— Je n'irais pas.
Je secouai la tête. Ma louve était tapie au fond de moi, presque aussi affligée que je pouvais l'être.
— Il... peut a... aller se faitre foute.
Jalil rit alors que Jahyan soupirait.
— Tu vas surtout aller au lit et cuver, d'accord ?
Je le senti se lever et ses mains m'attraper. Je secouai la tête. Il était hors de question qu'il me mette dans son lit. Hors de question qu'il me touche comme ça. J'avais... j'avais... de la volonté. Alors...
Il me souleva et un haut-le-cœur me saisit. Je cachai mon visage contre sa chemise et respirai son odeur. Même bourrée, ça me faisait un effet. Trop d'effet même.
— Ça ira, Patron ? S'enquit Zoran.
— Bien sûr, répliqua Jahyan avant de grimper les marches.
Il poussa la porte de sa chambre et n'alluma même pas la lumière. Il se dirigea droit vers le lit et ne fit aucun commentaire en voyant les draps défaits. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que j'avais dormi dedans.
Faible. Je l'étais bien trop. Il posa un genou sur le matelas et se pencha pour m'y déposer.
— Tu... pas le droit... faire ça, croassai-je.
— Faire quoi, chaton ?
Son odeur m'était trop familière. Trop... chère. Ce n'était pas bien. Pourquoi est-ce que c'était comme ça ? Pourquoi est-ce que j'étais amoureuse d'un con pareil ? Mais même bourrée, même dans mon état pitoyable, ça ne franchirait jamais mes lèvres.
Amoureuse... non... mon esprit embrumée. Bien sûr.
— Profiter... de la... situation...
Il sourit et repoussa des mèches de cheveux sur mon front. Il n'était pas bête, il savait très bien pourquoi je n'avais pas été avec lui. Et j'étais sûre qu'il avait deviné comment serait les dernières semaines qu'il passerait ici.
Lui aussi devait vouloir la même chose.
Lui aussi devait vouloir que les choses se fassent... bien.
Il ne pouvait rien y avoir de plus entre nous.
— Je ne suis pas gentil, chaton, chuchota-t-il contre mon oreille, laissant son nez glisser contre ma peau.
Mes mains agrippèrent sa chemise.
Et mon corps s'échauffa.
Même lui était contre moi ! Quelle injustice !
— Alors oui, je vais profiter.
Non. Il n'avait pas le droit de faire ça. Ne voyait-il pas ? Ne comprenait-il pas à quel point cela me ferait du mal à la fin ?
Parce que j'étais accro. Et s'aurait été tellement plus simple que ce n'ait été qu'au sexe. Mais c'était à lui. À lui que j'étais accro.
Je secouai la tête, les larmes s'accumulant aux bords de mes yeux.
— Ton corps m'a manqué...
Il disparut et je le senti me retirer mon jean et mes chaussettes avant de remonter le drap sur mes jambes.
Même s'il disait cela, je savais que Jahyan ne profiterait jamais de moi dans un tel état. Qui aurait eu envie d'une merde comme moi de toute façon ?
Avant qu'il ne revienne, je détournai mon visage, parce que même dans l'obscurité, il verrait mes larmes.
J'étais pitoyable. Je me sentais pitoyable. Et comme je détestai ça. Que Jahyan ait ce pouvoir sur moi...
Je cachai mon visage dans mes mains et ne put me retenir plus. Les sanglots éclatèrent. Jamais je n'aurais dû boire autant. Jamais je n'aurais dû laisser cet homme m'approcher aussi près et me tenir sous son emprise.
— Merde, Shana, souffla-t-il en s'allongeant à côté de moi et en me plaquant contre son corps.
J'aurais dû le repousser. Ou l'envoyer chier, mais je n'étais en état de rien. J'étais comme une loque. Incapable de quoi que ce soit.
Mes mains se retrouvèrent dans ses cheveux. Si je lui disais maintenant ce que je... ressentais, que ferait-il ? Je ne pouvais rien espérer de lui. De nous.
Il n'y avait pas de nous. Il n'y avait rien. Et mes sentiments n'étaient rien. C'était l'alcool. Juste l'alcool.
Et mon père. Juste ça.
Je fermai les yeux et me laissai bercer par la chaleur de Jahyan et par la tendresse de ses caresses. Et la nuit passa, me laissant un terrible goût amer dans la bouche.
Une main descendant le long de ma colonne vertébrale. Ma bouche s'ouvrit et je papillonnais des cils, la lumière trop aveuglante d'un coup. Je... m'étais endormie ? Je crois que j'avais vu le soleil se lever, avant que mon mal de crâne n'ait raison de moi.
Et maintenant, j'avais juste la sensation d'avoir un marteau piqueur dans la tête. Je gémis et cachai mon visage dans l'oreiller. Je sentais le corps de Jahyan contre moi, mais pas de place pour le désir après la cuite monumentale que j'avais prise hier soir.
— Tu veux cuver dans le lit ? Demanda-t-il, trop doux, trop gentil.
Est-ce que je devais encore lutter ?
Est-ce que je devais encore vouloir rester loin de lui ?
Un baiser sur mon épaule.
— Je vais aller me pendre plutôt.
Il rit et repoussa mes cheveux pour embrasser ma joue. J'avais envie de lui dire d'arrêter. Ou de me toucher plus.
J'étais une contradiction sur pattes bon dieu.
— Ce serait dommage d'en arriver là juste parce que tu as trop bu hier.
Je réussis à bouger un peu et mon corps roula contre le sien. Ses bras se refermèrent autour de moi et il enfouit son nez dans mon cou, respirant mon odeur.
Nous restâmes ainsi un moment et j'essayai réellement de ne pas aimer ça. Ou de me dire que ce n'était rien.
— Debout, finis-je par dire, en le repoussant.
Je mis un temps fou à descendre en bas. Il y avait du monde dans la cuisine et des sifflements retentirent quand on vit mon état. Zoran sembla presque être le seul à compatir.
Zadig fut au petit soin et Alessandro me tendit un verre avec un Efferalgan. Histoire de faire passer le mal de crâne.
Kerann se contenta de secouer la tête et Joaquim m'ébouriffa les cheveux dans un geste fraternel presque.
La journée allait être calme. Les hommes décidèrent d'aller s'amuser avec les chevaux sauvages quand Jade, Anaïg et Laila restèrent avec moi.
Les hommes disparurent alors, ne restant plus que Jahyan. Sentant son regard, je levai la tête vers lui. Il se pencha et posa une main sur ma joue. Ma bouche s'entrouvrit alors que quelque chose brillait dans son regard.
Le repousser.
L'empêcher...
Mais il m'embrassa et je le laissai faire. Sa langue dansa avec la mienne et je gémis contre sa bouche.
Je le voulais. Si fort...
Il se recula, me laissant à bout de souffle et accrochée à lui.
— Ne t'habitue pas, grognai-je, presque mauvaise.
Je l'étais. Mais contre moi-même. Jahyan rit et disparut, rejoignant les autres.
L'après-midi défila lentement. L'alcool disparut complètement de mon organisme, mais ma louve resta tranquille. Je savais que si nous n'allions pas aujourd'hui chez mon père, ce serait dans les jours à venir. Je pouvais lutter autant que je voulais, nous irions quand même. Et bon sang...
Rayane nous rejoignit et nous nous amusâmes à préparer des gâteaux, chose que je n'avais pas faite depuis tellement longtemps ! Les filles se moquèrent de moi ; je n'avais pas du tout la fibre culinaire. Surprenant ? Pas tant que ça après tout.
Nous rime avec Rayane et tout devint un bordel horrible, mais tellement drôle.
Anaïg finit par aller s'allonger et Jade l'accompagna. Le bébé bougeait beaucoup ces derniers temps.
J'envoyai Rayane voir ce que faisais Luisa ; il y avait un moment que je n'avais pas vu la bouille de la petite fille et je savais qu'elle n'était pas avec son père.
Rafael et Leandro étaient partis rejoindre les garçons aux enclos des Broncos. Ils devaient tous s'amuser comme des fous.
Je mis le dernier gâteau au four alors que la fin de l'après-midi était bien avancée. Je refis ma queue de cheval et allai dehors, entendant les rires des filles dans le salon.
Je descendis les marches et m'étirai un moment. Je me sentais bizarre. L'effet Jahyan ? Merde, il fallait vraiment que j'arrête avec ça.
Il n'y aurait rien. Jamais. Autant me faire une raison. Ce n'était plus qu'une question de semaines à ce stade-là. Je pouvais tenir. Et me briser en mille morceaux quand il ne serait plus là. C'est ce qui allait arriver, que je lutte ou pas.
La toile vibra alors légèrement et ma louve bougea, se dressant. Il y avait une odeur dans l'air. Et les chevaux hennirent dans l'écurie la plus proche. Je plissai les paupières et... est-ce que c'était de la fumée ça ?
— Une étincelle et ça va s'embraser, Shana.
Un cri à travers les rires des garçons, de l'autre côté de la maison.
Rayane.
J'écarquillai les yeux et ma louve coula dans mes membres alors que les flammes léchaient déjà le toit de l'écurie. Ça allait beaucoup trop vite !
— Shana ! Cria Jade depuis le porche.
Mais j'étais déjà dans l'écurie qui était dévorée par des flammes si grandes !
Je sentais Rayane. Et je ne la voyais pas.
Il y avait trop de fumée. Et les chevaux étaient comme fous. Je n'avais jamais vu un feu prendre si vite. Jay nous avait prévenus. Une étincelle et tout s'embraserait...
J'ouvris les box se trouvant à côté de moi et ni une ni deux, les chevaux galopèrent dehors, hennissants.
— Rayane ! Rayane !
Mes yeux pleuraient et il faisait horriblement chaud ! Les flammes dévoraient tout. Ne laissant rien.
— Rayane !
La fumée s'infiltra dans mes poumons et je tombai en avant. Ma louve me fit me relever et sauter au-dessus de flammes qui s'attaquèrent à mon jean.
Une ombre, là-bas.
— Rayane !
La jeune fille se retourna. Elle était recroquevillée par terre, le visage ruisselant. Une poutre tomba juste à côté de nous alors que j'arrivai à elle. Je la relevai :
— Sors d'ici, criai-je.
Elle secoua la tête et agrippa mon poignet. Il était presque impossible de respirer ici. Soudain, la toile semblait en effervescence.
— Luisa, murmura-t-elle. Luisa...
Luisa était ici ? Elle... Bon dieu, non !
Je déchirai ma chemise et appuyai le tissu contre la bouche de Rayane :
— Sors d'ici. Je m'occupe de Luisa.
Elle secoua la tête, mais mon ordre coula à travers elle et elle courut, disparaissant à travers la fumée et les flammes. Elle réussirait à sortir, je le savais.
Il fallait que je trouve Luisa maintenant. J'ouvris les autres box, me brûlant au passage, mais la toile aspira la douleur presque immédiatement.
Je ne voyais rien avec cette fumée. Et la chaleur était insoutenable. Mes pieds glissèrent et je m'étalai de tout mon long par terre. Quelque chose craqua au-dessus de moi.
Il fallait que je bouge. Que je sorte d'ici. Luisa. Luisa.
Je roulai sur le ventre et me remis difficilement sur mes pieds alors que j'entendais les hauts-gradés qui m'appelaient à travers la toile.
Des pleurs.
Tout près de moi. Luisa. Il fallait que je l'atteigne et qu'on ne sorte avant que tout ne nous tombe sur la tête. Ma louve prit le contrôle et m'amena jusqu'à la fillette, recroquevillée dans un coin.
— Luisa.
Je la soulevai et elle s'agrippa à moi.
Elle n'avait rien. Elle était indemne. J'appuyai sa tête contre mon épaule pour ne pas qu'elle respire plus de fumée et je marchai vers la sortie, comme au ralenti.
Le feu était partout.
Tous les box n'étaient pas pleins et Rayane semblait avoir ouvert aux chevaux restants avant de s'enfuir.
Des flammes ma léchèrent les pieds et je reculai. S'il y avait bien une chose qui pouvait nous faire beaucoup de mal et nous marqué à jamais, c'était le feu. La preuve en était avec Kerann.
Je me senti partir en arrière, n'y voyant plus rien, mais une main m'attrapa et je me retrouvai contre un torse.
Jahyan.
Pourquoi n'étais-je pas surprise qu'il ait bravé les flammes ? Pour... moi ? Il prit mon visage en coupe et me fixa, se fichant de ce qui se passait autour de nous.
Il y avait de la folie dans son regard et de la peur. Une peur sourde.
— Qu'est-ce que... tu... fais ici ?
Je toussai, ne parvenant plus à respirer. Mes jambes tremblèrent. J'avais du mal à tenir debout. Jahyan attrapa Luisa et la petite se laissa faire, complètement immobile ; sûrement dans un état second. Il prit ma main et la serra fort.
Pourquoi étais-je si soulagée qu'il soit là ? Pourquoi étais-je si heureuse qu'il soit venu ? Lui et pas un autre ?
Je le laissai nous conduire, faillis tomber à plusieurs reprises. Je sentais une vive douleur au niveau de mon mollet, une vive brûlure.
Jahyan s'arrêta et recula quand le feu se jeta presque sur lui. Il fallait sauter par-dessus. Si on restait plus longtemps, on ne pourrait plus sortir.
Bloqués par les flammes.
— Vas-y, dis-je dans un souffle rauque. Je te suis.
Luisa avant tout. On protégeait nos enfants. Mais il ne bougea pas, me regarda.
— Aller, Pearson. Je suis pas en sucre, okay ?
Sa main dans mes cheveux, me ramenant à quelques centimètres de son visage :
— Ne me quitte pas des yeux, Shana.
Il y avait longtemps que je ne le pouvais plus. Ne l'avait-il pas vu ?
Je hochai la tête difficilement. Il recula légèrement et sauta avec agilité. Ma vision se troubla. Mes poumons étaient plein de fumées et je sifflai quand j'essayai de respirer.
Ne pas le quitter des yeux. Ne pas le quitter des yeux.
Je reculai et ma louve se prépara. Quelque chose craqua.
Je ne vis plus Jahyan. Il n'y avait que les flammes. Je me préparai à bondir ; la sortie était juste là, à portée de main. Je n'avais qu'à sauter et courir. Je pouvais le faire. Nous pouvions le faire avec ma louve.
Ne pas le quitter des yeux.
J'allais bouger, mais je levai soudain la tête.
Le plafond s'effondra et la douleur explosa dans mes jambes, mon dos heurtant violemment le sol.
Mon os déchira ma peau et je hurlai quand les flammes léchèrent mon bras.
Ma louve se rétracta presque immédiatement, me laissant seule.
J'essayai de bouger, mais la souffrance me coupa le souffle. Je... je... je ne sentais plus mes jambes !
La peur me prit au ventre.
Elle s'insinua dans mes veines alors que les flammes se rapprochaient toujours plus.
Et ça pulsait. Si fort. Si fort !
Bouge. Bouge.
Il fallait que je sorte d'ici ! Et avec la peur, vint la panique. Non. Non. Non !
Ma bouche s'ouvrit, mais mon appel se bloqua dans ma gorge.
Jahyan. Où... Est-ce qu'il avait réussi à sortir Luisa de là ? Oui. Je n'en doutais pas. Je ne doutais pas de lui une seule seconde. Comment aurait-il pu en être autrement ?
Je fermai les yeux, mes bras retombant le long de mon corps. Il n'y avait rien à faire.
Cette fois, il ne pouvait pas venir.
Un bras sur mes yeux ; je pleurais. C'était peut-être mieux ainsi après tout. Je n'étais pas tombée amoureuse de la bonne personne. Je n'aurais même jamais cru ressentir ça pour un homme tel que lui, mais... c'était le cas. Et je ne pouvais me cacher derrière l'alcool.
J'étais amoureuse. J'avais ce mâle dans la peau. Et rien ne me l'enlèverait. Peut-être à part ses flammes.
Jahyan. Jahyan. Jahyan.
Je ne voulais pas mourir comme ça. Je ne voulais pas mourir tout court.
Yan...
Mon appelle se perdit en moi. Et je sombrai dans l'obscurité alors que les flammes venaient pour posséder mon corps.
Yan...
Et il ne resta rien d'autre que l'inconscience.
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