1. Jahyan


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* * * 

Corrigé.




Chaque loup à sa manière de fonctionner.

Chaque meute à sa manière de fonctionner.

Il est essentiel qu'un groupe soit en symbiose. Peu importe la manière dont il le fait, peu importe les règles qu'il impose.

Être un loup signifie ne pas être seul.

Être un loup signifie être un groupe.

Être un Alpha signifie penser à sa meute avant.

Penser à son groupe.

Penser à son fonctionnement.

Penser à sa symbiose.

Si un Alpha ne pense pas au bien-être de sa meute, alors celle-ci n'est pas saine.

Ma meute l'a toujours été. Même si mes règles ne plaisent pas à tout le monde.

Même si certaines règles sont injustes pour d'autres.

Je sais que certaines toiles sont plus justes que la mienne et qu'elles fonctionnent peut-être mieux sur certains plans, mais pour rien au monde je ne changerais mes règles.

Pour qui que ce soit.

Encore moins pour moi.

_ Tu es encore furieux pour Edan, Alpha ? grogna Zoran en esquivant mon coup.

Je grognai et le mis à terre la seconde suivante. Son dos heurta le sol, mais aucun bruit ne franchit ses lèvres. Il se redressa en bondissant sur ses pieds et frappa mon épaule. J'encaissai le coup de ma Main, Zoran Swanson, et lui rendis coups pour coups.

Il gronda un instant avant de toucher de nouveau le sol. Autour de nous, il y avait de grandes haies ainsi que des palissades qui empêchaient le monde extérieur d'avoir un œil sur nos mouvements. Avec les changements de mentalité, ainsi que les coming-outs de tous les Alphas d'État, j'étais obligé de suivre la marche et disons que ça ne me plaisait pas. J'étais un vieux loup et je n'aimais pas qu'on me force à faire des choses. Mon loup grogna, tout à fait d'accord avec moi. Alors, je cachais ce que je pouvais, et je montrais ce que je devais. Ma maison était celle de la meute et je ne pouvais pas me permettre que cela devienne un endroit où le danger régnait. Si mes hauts gradés habitaient autour, et pour certains ici, j'avais aussi mes soumis que je me devais de protéger.

Le pied de ma Main rencontra mon plexus. Je volai un instant dans les airs avant de rouler au sol et de me rattraper sur mes pieds. Je secouai la tête et toussai.

_ Ne me parle pas de lui, ronchonnai-je.

_ Iris a bien de la chance hein ? ricana Zoran.

Je courus sur lui et il esquiva mon premier coup, ainsi que le deuxième. Le troisième toucha enfin quelque chose. Sa jambe frémit de mon poing contre son genou, mais il tint bon et réussit à me plaquer au sol. Je propulsai mon corps vers le haut et réussis à échanger nos positions.

_ Cette gamine m'a volé un dominant, grognai-je, qu'elle ne ramène pas sa fraise.

Zoran eut un sourire carnassier et son poing rencontra mes côtes. Deux d'entre elles craquèrent bruyamment. J'encaissai sans broncher et bondis hors de portée. J'aperçus du coin de l'œil mon Eranthe qui s'installa sur le bord de la terrasse en hauteur. Ses jambes pendirent dans le vide. Son compagnon ne tarda pas à la rejoindre et s'installa dans son dos, ses jambes contre les siennes. Elle rit doucement alors qu'il lui murmurait quelque chose.

Ces deux-là... Depuis qu'Anya avait appris sa grossesse, ils n'arrivaient plus à se détacher l'un de l'autre. Tous mes hauts gradés étaient avec moi depuis le début, hormis Menzo qui avait été mon premier Dominant pendant de longues années. C'était le père d'Edan.

Et je n'avais pas su le protéger. Des Chasseurs, de l'attaque, de toute cette merde ! À la suite de cet événement, toute la meute avait été recadrée. Les Patrouilleurs et les Veilleurs s'étaient mis au pas. Et j'avais dû changer quelques rangs au sein même de mes hauts gradés. Ce qui ne m'avait pas forcément plus, quant à l'équilibre de ma meute.

Depuis qu'Edan avait trouvé sa place en tant que Second d'Iris Baker, fille de Keenan Baker, un Alpha complètement psychopathe, je m'étais fait à l'idée qu'il ne reviendrait pas. J'avais attendu plus de onze ans avant qu'enfin je n'aie la réponse d'Elena, ma chère sœur, qui avait pris Edan sous son aile pour le canaliser, en quelque sorte. Tout ça pour apprendre qu'il ne reviendrait jamais et que mon loup avait donc choisi le mauvais loup.

À présent, Navid, le mari et compagnon d'Anya, mon Eranthe, était Sous-lieutenant. Il gérait la plupart des Patrouilleurs et des Veilleurs. À la baguette. Il se faisait assez remonter les bretelles par Warrick, mon Lieutenant depuis toujours, pour prendre son rôle à cœur ! Hormis depuis quelques jours et cela me forçaient à surveiller tout le monde. Bien que je le fasse déjà à la base. J'étais encore plus précis depuis le meurtre de mon ancien premier Dominant, ainsi que toute sa famille, hormis son fils, Edan Moreno.

Depuis quelques mois, la meute avait retrouvé un bon équilibre. Ce que je m'efforçais de garder pour les centaines d'années à venir, voire plus. Tant que je serais sur cette terre, personne ne s'amuserait à compromettre encore une fois l'équilibre de ma meute.

Dire que mon loup en voulait à Edan était un peu de trop, mais c'était vrai. Il avait trouvé son Alpha, très bien, mais il avait abandonné sa meute et ce pendant plus de dix ans.

Zoran me ramena sur la terre ferme en me plaquant au sol, bloquant mes bras.

_ Tu te ramollis, Yan ! se moqua Anya d'en haut.

Très peu m'appelait ainsi. C'était souvent Alpha, ou par mon prénom entier. Seul mon cercle intime se permettait ce genre de frivolité. Je filai un coup de boule à Zoran. Il grogna et bascula sur le côté. Je repris le dessus et le plaquai au sol. Son regard étincela, mais il capitula. Je souris et me redressai. Mon torse était recouvert de transpiration. Zoran alla chercher deux serviettes. Il m'en lança une que j'attrapai au vol. J'essuyai mon visage. Il faisait doux, mais bientôt, il ferait chaud à en crever. Je détestai ces périodes de grosses chaleurs. Nous étions à peine début avril et ça allait être insupportable, surtout pour nous les loups, qui avions une température plus élevée que les humains. Je pris une longue inspiration et m'étirai. Je frémis en sentant mes deux côtes brisées protester. Mon loup me guérit naturellement et rapidement. J'étais un Alpha, je me devais de guérir vite et d'être sur mes gardes tout le temps.

_ Et toi qu'est-ce que tu fous ici ? grognai-je. Tu n'es pas censée prendre les jeunes en charge ?

Elle me tira la langue. Anya était la seule à pouvoir se comporter de la sorte sans avoir des retours de la part de mon loup. Elle était une personne que je protégerais de ma vie et elle le savait. J'avais presque tué Edan pour l'avoir frappée, quand elle avait tenté de l'aider. Je me souvenais encore du regard d'Edan, quand il avait compris que j'étais en train de le recadrer. On ne touchait pas mon Eranthe. Encore moins un de mes loups. Navid avait été dans le même état que moi, si ce n'est plus. Je pouvais paraître extrémiste dans de bien nombreux aspects de ma personnalité, mais je savais ce qui devait être fait. Je savais qui devait être protégé. Et qui devait subir ma colère.

_ J'ai encore le temps ! répliqua-t-elle.

_ À ce rythme, je ne pense pas, rétorquai-je.

Zoran s'installa contre le tronc d'un arbre du jardin et tira un petit cigare de sa veste de jogging qu'il avait enlevé un peu plus tôt. Je m'assis à ses côtés. Il l'alluma et prit une longue inspiration. Le bout du cigare rougeoya et bientôt, une odeur assez amère s'éleva autour de nous.

_ Tu devrais être satisfait, remarqua Zoran. Tout est rentré dans l'ordre. Jehan et Stevan s'en sortent très bien.

Il parlait de deux de mes Dominants.

_ J'ai perdu mon Lieutenant il y a douze ans maintenant, Zoran, grondai-je. Rien n'est rentré dans l'ordre.

_ La meute va bien, assena-t-il.

Et il le savait. Il y passait très peu de temps, mais il sentait quand quelque chose n'allait pas. C'était le rôle de mes hauts gradés que de veiller à l'équilibre parfait de la meute. Et ils savaient qu'ils avaient intérêt à filer droit, bien plus que d'habitude.

_ Il te manque juste une femme à présent, fit Anya en descendant les escaliers de la terrasse, Navid derrière elle.

Je l'observai un instant. Je n'avais jamais pris de femme et ce ne serait pas demain la veille. Elle le savait. Tous mes hauts gradés le savaient. Ce n'était pas quelque chose de négociable. J'étais puissant, vicieux et autoritaire.

Je ne pouvais pas me permettre de perdre la face avec une femelle accrochée à mes bottes. J'avais une image à tenir. Une image forte et inébranlable. Il était hors de question qu'une femme lambda débarque ici et impose sa volonté.

_ Ce débat est clos depuis plusieurs années, Anya, remarquai-je.

_ Anya à raison, soupira Navid, ça apporterait une bonne image de la meute et tu passerais moins pour un maniaque du contrôle autoritaire et grognon.

Je souris et haussai mes épaules.

_ Vous savez comment ça marche ici, dis-je en tirant une bouffée du cigare.

Zoran eut un léger sourire et secoua la tête.

_ Prends une femme toi, ricanai-je, on verra celui qui s'en sort le mieux.

Le visage de ma Main se crispa légèrement.

Zoran n'aurait jamais de famille. Et même s'il trouvait une compagne, je lui interdirais d'avoir des enfants. Il le savait. Je n'étais pas du genre à laisser mes loups faire n'importe quoi. J'avais déjà du mal à digérer que certains Alphas laissent leur Main se marier et avoir des enfants, après tout ils n'étaient pas fait pour ça. Mais parfois, quand je voyais la hiérarchie de certaines meutes...

Les femmes n'étaient pas à leur place dans les hauts gradés. Hormis une Eranthe, je ne voyais pas l'intérêt d'avoir des soumises en haut de la pyramide. Ça affaiblirait.

Je connaissais des Alphas qui avaient des Secondes, et qui certes se débrouillaient, cela dépendait du point de vue. Seulement, j'avais des valeurs. On m'avait enseigné des choses que j'appliquais. Le monde évoluait, mais les traditions devaient rester. Eneko, mon Second depuis le premier jour, avait trois enfants. Son premier était un garçon, Oren, et il était pour l'instant l'héritier de la meute. Il était élevé en conséquence et pour l'instant il convenait.

Seulement, je n'étais pas près de laisser ma meute. J'étais borné quand je m'y mettais, et mes loups allaient me supporter pendant encore pas mal d'années. Eneko vivait une vie que j'aurais aimé avoir peut-être à une époque. À présent, j'avais d'autres priorités. Et je ne voulais pas de femme. C'était vu et revu. Qu'Eneko continue de vivre pour deux cette partie-là de notre vie.

Alors en soi, Zoran pourrait se lier, mais il ne pourrait avoir d'enfants. Sa compagne devrait l'accepter. Mais Zoran était aussi vieux que moi et l'éducation qu'il avait eue pour devenir Main suffisait à le retenir de lui-même.

_ Eneko et Louna font un très beau couple dominant, repris-je. La bonne image est déjà présente.

_ Parfois, je ne te comprends vraiment pas, soupira Anya.

Je souris.

_ Tant mieux, dis-je, ça gâcherait mon plaisir de voir vos têtes de six pieds de long quand je vous annonce des mauvaises nouvelles.

Tous grimacèrent. Ils savaient de quoi je parlais. Je me redressai et m'étirai pendant quelques secondes. Si j'avais beaucoup de travail concernant la meute, j'avais aussi un travail en dehors de la meute et qui nous faisait vivre tous. Étant là depuis longtemps, j'avais réussi à placer mes pions correctement. J'étais actionnaire dans la majorité des entreprises imposantes de Boise. Hewlett-Packard, autrement connu sous le nom de HP, était pour 60% à moi ici.

Eneko dirigeait le siège social de l'entreprise. Je m'occupai de la lignée des supermarchés d'Alberstons qui comprenait presque tous les supermarchés de la ville. Par ailleurs, Warrick était le directeur adjoint de l'United Airlines, qui est la compagnie qui dessert Boise, autant pour les transports aériens que les transports terrestres, comme les trois quarts des compagnies de Bus.

D'autres de mes loups travaillaient dans des postes hauts placés. Nous étions dans toutes les grandes infrastructures. Nous étions donc sécurisés en ce qui concernait l'argent.

Je laissai mes loups dans le jardin et me dirigeai vers la douche. Je rentrai dans la maison. Dans la cuisine, trois de mes louves préparaient le repas de ce soir. Nous étions vendredi, il fallait donc préparer la dose nécessaire à pas mal de monde. Si je n'aimais pas que mes loups batifolent, j'aimais en revanche qu'ils se retrouvent entre eux, même si je ne faisais pas partie du groupe en question. Je savais que réunir les troupes aidait à faire avancer tout le monde. J'entrai dans la cuisine.

Les trois louves me laissèrent les saluer comme un vrai Alpha, elles étaient habituées. Elles me frôlèrent en retour alors que je déposai un baiser sur leur bouche à chacune. Ici, les contacts étaient autorisés. À l'extérieur, nous avions tous trouvé des techniques pour ne pas attirer l'œil.

Je repartis de la cuisine et montai les escaliers. J'avais le dernier étage pour moi tout seul. Une grande pièce qui faisait la largeur et la longueur de la maison. Je poussai la porte de mon pied et retirai mon short. Je secouai mes cheveux. Ils étaient longs pour un homme, mais je les avais toujours eus de cette longueur. Ça non plus ce n'était pas près de changer. J'allumai la douche qui était simplement entouré d'une vitre de verre, entourant le bac de douche rond. Je me lavai rapidement et ressortis quelques minutes plus tard. Ma chambre était grande et était composée de trois parties. La première était celle à l'entrée, sur la gauche. Ma salle de bain, ouverte sur le reste de la chambre. Mon lit se trouvait au milieu, rond lui aussi. Immense pour certains je le savais. Nous étions une vieille meute et parfois, cela se voyait dans nos vieilles manières. Au fond à droite, il y avait mon bureau en verre, avec une montagne de papier dessus. Tout était classé correctement cependant. J'étais maniaque après tout. À côté de mon bureau, il y avait une grande bibliothèque qui faisait le reste du mur. Certains la trouvaient grande et exagéré, je savais qu'elle était parfaite.

Les écrits qui se trouvaient dessus concernaient l'histoire de ma famille. J'étais un Pearson. Une grande lignée. Et j'étais l'aînée d'une fratrie de quatre. Il y avait moi, Elena, Yelina et Inelle.

Elena avait été mariée à Mareck Campbell, afin de purifier des futures grandes lignées. Yelina était morte jeune. Elle n'avait pas survécu à sa première alliance avec un Alpha puissant. Sa meute l'avait dévorée. Quand on était faible au sein d'une meute puissante, il ne fallait pas chercher la gloire. Yelina avait cru se débrouiller et un jour, son corps avait été déposé chez Elena. Comme un cadeau non accepté. Elena, qui à l'époque avait pris Inelle sous son aile, m'en avait voulu. M'avait blâmé de ne pas avoir protégé notre petite sœur. Je n'en avais jamais éprouvé de culpabilité particulière. Nos parents, Aris et Mariska Pearson, avaient choisi eux-mêmes les époux de chacune de leur fille.

J'étais le seul à avoir échappé à ça. Après tout, j'étais l'Aîné. Elena était celle qui avait peut-être le sens de la famille le plus développé parmi nous. Yelina était partie sans un regard en arrière, et s'était fait tuer. Inelle avait trouvé bien de tomber amoureuse de mon ancien Lieutenant.

Je m'assis à mon bureau et allumai mon ordinateur portable. L'histoire de notre famille n'était pas toute belle, mais nous étions une vieille famille. Il était important de suivre les traditions et de suivre nos coutumes, tout autant qu'elles sont. Depuis la mort d'Inelle, j'avais l'impression que dans notre famille, nous étions tous voués à perdre quelque chose de très important. Elena avait perdu Marrek. Elle n'avait jamais été la même après ça. Yelina s'était fait tuer. Et Inelle... Inelle était morte, en perdant toute sa famille. Hormis ce vaurien d'Edan.

Ma boite mail m'afficha plus de trente nouveaux messages. Je triai rapidement les plus importants et y répondis. Alors que je regardai les différents rapports de tous mes directeurs de grandes surfaces, j'eus un coup de fil. Je grimaçai en voyant le numéro du Gardien s'afficher. Qu'est-ce qu'il me voulait encore celui-là ? Je ne répondis pas, le laissai dire son message. Il me courrait après pour de futures interventions auprès des humains. Des... conférences de presse ? Sûrement !

Je fis pivoter mon siège et ouvris mon dernier tiroir. Je tirai une vieille photo de mes sœurs. Nous n'avions jamais eu de bons contacts. J'en étais le principal responsable. Et maintenant, il ne me restait qu'Elena. Qu'auraient dit nos parents ?

La chaleur nous assommait tous, mais ce n'est pas pour autant que mon père laisserait passer ça. J'étais devenu Alpha moi-même il y a quelques décennies, et je n'avais pas pris de femme. Je n'en voulais pas. Et mon père ne comprenait pas cela.

Je regardai ma meute autour de moi. Zoran n'était pas là. Il ne reviendrait pas avant quelque temps. J'avais construit quelque chose. Et mon père s'apprêtait à tout détruire simplement parce que je n'avais pas respecté une règle.

Une seule règle.

Avoir des héritiers. Faire grandir la lignée.

Qu'elle devienne puissante.

Et que le nom des Pearson perdure.

J'étais le seul garçon après tout.

_ Tu ne comprends donc pas ! cria Aris. Tout ça ne sert à rien si tu ne...

Il s'arrêta alors que je lui tournai le dos. Eneko me regarda, fronçant lentement ses sourcils. Il ne voulait pas que je fasse ça.

Il ne voulait pas que je me rebelle face à mon père. Cela ne se faisait pas. On écoutait les Aînés.

_ Tu me tournes le dos ? souffla la voix de mon père.

Je restais stoïque. Jamais il ne me prendrait ce que je venais d'avoir. Il me l'avait lui-même appris.

_ Va-t'en de mon territoire, Aris, soufflai-je. Tu n'es pas chez toi ici... Tu ne le seras jamais. Si des gens de ta meute veulent venir ici, ils ont le droit.

Je pivotai de nouveau vers lui. Mon père était vieux. Peut-être trop. Il ne comprenait pas que les choses changeaient.

_ S'ils veulent que je devienne leur Alpha, laisse-les. Qui es-tu pour les juger de ça ?

Son visage se contracta. La main d'Eneko se posa sur mon épaule.

_Jahyan, souffla-t-il.

Je sentis la douce présence d'Anya se joindre à celle d'Eneko. Elle tempéra mon loup alors que je regardai mon père avec dédain.

_ Tu as perdu le respect de tes loups, Aris, murmurai-je. Estime-toi heureux qu'ils ne te dévorent pas dans la nuit.

Il se jeta sur moi en hurlant.

Je clignai des yeux alors que quelqu'un frappa doucement à ma porte. Je me redressai dans mon siège et repoussai mes cheveux. Ils étaient encore sombres de ma douche. Je remis la photo dans le tiroir et le claquai violemment. Une autre époque. Une autre vie. Je me levai souplement et allais ouvrir la porte. Anya se tenait là. À elle aussi, je lui avais interdis d'avoir des enfants à une époque. Navid n'était pas arrivé tout de suite dans la meute. Et je n'avais pas accepté qu'ils se lient avant un certain temps. J'avais un contrôle particulier sur mes loups hauts gradués. Ils le savaient tous. Qu'elle soit enceinte était peut être une faiblesse de ma part... mais Anya était faite pour être mère. Et je suivais sa grossesse avec précision. Elle savait qu'au moindre problème qui la mettrait au danger, ce serait elle avant le bébé qu'elle portait depuis à peine un mois. Navid le savait aussi. Son loup n'avait pas accepté tout ça au début. J'avais dû le soumettre à ma volonté.

_ Timothy a appelé sur le fixe, remarqua-t-elle. Il dit que tu évites ses appels.

Je grognai et la laissai entrer dans ma chambre. Elle savoura le tapis moelleux au sol qui courrait sur toute la longueur de la pièce, passant sous mon lit, pour s'arrêter sous la baie vitrée qui donnait sur une terrasse. Je pouvais voir Boise de toute la hauteur de ma maison.

_ Et il dit qu'il va continuer à t'emmerder, ajouta-t-elle.

_ Surveille ton langage, louve, grogna mon loup en se laissant tomber sur le lit.

Anya vint avec moi sur le matelas et se lova contre moi, posant sa tête sur mon torse. J'avais un lien tout particulier avec mon Eranthe. À une époque, j'aurais pu la forcer à devenir ma femme. Mais Anya était trop douce, trop gentille. Parfois, je n'aimais pas qu'elle soit comme ça, mais cela faisait partie de son rôle. Les gens extérieurs avaient dû mal à comprendre comment nous fonctionnions. Nous n'avions aucun secret les uns pour les autres. Hormis moi. Je savais tout de mes loups. J'avais déterré moi-même des vieux secrets de leur famille. Même si ça n'avait pas plus, tout le monde y avait eu droit.

_ Il dit qu'il viendra lui-même si tu ne réponds pas, reprit-elle après un léger silence.

Nos énergies flottaient autour de nous, nous apaisant l'un et l'autre. Anya était l'une des seules que je laissais autant approcher. Sinon, j'étais dur et froid envers mes loups. Pour leur apprendre et pour leur faire comprendre que la vie était injuste et qu'il fallait se battre pour avoir ce qu'on voulait. Que tout était une question de bataille. Tout n'était pas mérité. Navid et Anya avaient dû mériter leur cérémonie de lien. Ils avaient dû repousser l'échange des chairs pendant beaucoup de temps. L'échange des chairs était l'accouplement des loups aux yeux de la meute lors de la cérémonie d'accouplement. La morsure du loup sur sa compagne était importante. Et permettait au mâle de poser son odeur sur sa louve. J'avais refusé ça à Navid et Anya, jusqu'à ce qu'ils me prouvent qu'ils en valaient la peine. Tous les deux. Et j'étais dur à convaincre.

_ Qu'il vienne, grommelai-je, tu le recevras et le renverra.

Elle se redressa, sa main sur mon torse. Ses sourcils étaient légèrement froncés.

_ Que veut-il, Yan ? souffla-t-elle. Est-ce encore en rapport avec l'image que nous devons présenter aux humains ? Crois-tu que cela nous sera bénéfique ?

Je me redressai, l'emmenant avec moi. Elle posa sa tête sur mon épaule. Je posai une main possessive sur sa tête.

_ Je dois faire attention, admis-je. L'image que nous allons présenter pourrait être décisive pour les loups qui ont des postes importants. Mais... je ne mettrais pas en danger les miens juste parce qu'il faut présenter une bonne image aux humains.

_ Envoie Navid, il est mignon, dit-elle pour tenter de me détendre, je suppose.

Je tapotai sa tête et me levai. Elle me regarda, toujours assise sur le lit.

_ Que se passe-t-il Jahyan ? Est-ce encore cette histoire avec Edan qui te perturbe ? Ton loup est agité.

Je me figeai, non loin d'elle. Anya repérait mes sautes d'humeur comme moi je repérais un problème dans ma meute. Dès l'apparition des symptômes habituels, elle savait que quelque chose n'allait pas. Je devenais grognon, enfin... plus que d'habitude, et surtout je devenais maniaque au point de mettre tout le monde au garde-à-vous. Y compris Zoran alors qu'il n'était là que pour quelques jours.

_ Les Patrouilleurs sont tous à leur poste, reprit-elle. Tout comme les Veilleurs.

_ C'était le cas aussi quand Inelle et Menzo se sont fait exécutés, grondai-je en me penchant sur elle.

Elle baissa immédiatement les yeux. Sa louve recula face à la colère de mon loup pendant une fraction de seconde.

_ Je ne relâcherais pas mon attention pour voir un de mes autres hauts gradés se faire tuer sous mon nez ! ajoutai-je, mauvais.

Ça avait été une faille trop grosse pour que je laisse ça arriver encore une fois. Même si cela faisait onze ans.

_ Alpha, souffla une voix.

Je pivotai vers Zoran. Il se tenait sur le seuil de la porte, le visage tourné vers le bas.

_ Timothy est en bas.

Je le regardai en le fusillant du regard. Ce vaurien était déjà là ? Bon sang, il était rapide cet idiot. J'aurais aimé frapper quelque chose. Je me frottai les cheveux nerveusement et claquai des doigts. Anya se leva et sortit de la chambre, tout comme Zoran. Je claquai ma porte et descendis les escaliers, la mâchoire crispée. Je passai devant le salon et vis les femmes installées là, plusieurs de mes loups avec elles. Je grognai un instant avant de me diriger vers l'entrée. Eneko discutait tranquillement avec Timothy Vasleur, le Gardien.

Celui qui Voyait. Celui qui Veillait.

Je fis signe à Anya et Zoran de disparaître. Ils s'échappèrent dans le salon avec les autres.

_ Ne fais pas des fausses avances à mon Second, Gardien, veux-tu ? grognai-je en m'approchant d'eux.

Timothy sourit malicieusement. Nous nous serrâmes la main, même si je n'aimais pas trop ses saluts humains. Mais Timothy était à part, et je ne voulais pas me soumettre à lui. Il le savait très bien. Il avait d'autres vieux loups en Alpha d'État. Je le respectais pour son travail au sein de notre race, mais nous n'avions pas les mêmes valeurs. Tout comme avec son père avant lui.

_ Jahyan, c'est toujours un plaisir de te voir, sourit Timothy.

Eneko me tendit sa nuque que je frôlai de mes doigts. Eneko me ressemblait au niveau de la carrure. Et nous avions passé tellement de temps ensemble qu'on se ressemblait même dans les expressions et manières de faire et de parler. Ce n'était pas mon second pour rien. En revanche, il avait des cheveux bruns, alors que j'avais des cheveux blond foncé. Ses yeux d'un marron clair croisèrent les miens, d'un marron plus riche et plus sombre. Je hochai doucement la tête. Il aurait dû me prévenir que Timothy était entré sur mon territoire, mais connaissant ce dernier il avait dû utiliser une sorcière. Personne que je n'avais pas dans mon entourage. Eneko haussa légèrement un sourcil face à mes pensées. Il se mit légèrement en retrait, me laissant la place dans la conversation. Le placement était visible et très significatif chez les vieux loups. Ça restait en nous. Des traditions qui ressortaient parfois au mauvais moment.

_ Je suis désolé de ne pas te retourner ce compliment, Gardien, dis-je en croisant mes bras dans mon dos.

Timothy soupira et se frotta le front.

_ Tu sais que je viens vers toi pour une bonne raison, n'est-ce pas ? reprit-il d'un ton plus ferme, moins moqueur.

Il commençait à comprendre que j'étais dur en affaire. Il allait comprendre la douleur de mes loups.

_ Une bonne raison ? soufflai-je. De ton point de vue sûrement. Reste à voir si du mien ça semble aussi bien que tu ne le dis.

Habituellement, je l'aurais invité à entrer. Mais je savais pourquoi il était là et je ne voulais pas qu'il reste ici tout ça pour me vendre les bienfaits d'une bonne pub. Je relevai mon regard sur une femme qui se tenait dans l'entrée de mon jardin. Je rebaissai mon regard sur Timothy.

_ Ne fais pas la tête, vieil Alpha idiot, sourit Alice en s'approchant. Tu vas avoir des rides.

Je souris à la sorcière de l'Ethérée qui était aussi une vieille amie. J'avais assisté à son mariage et j'avais su qu'elle avait donné naissance à un petit garçon, Jamy, qui avait quelques mois maintenant.

_ N'as-tu pas un fils qui t'attend, sorcière ? grognai-je en la serrant contre moi.

Elle me rendit mon étreinte et se recula doucement.

_ Jamy a un père qui s'amuse comme un fou à jouer au papa poule, remarqua-t-elle un sourire débordant d'amour pour les deux hommes de sa vie.

Je caressai lentement sa joue. Alice n'avait jamais eu de louve en elle, et parfois je le regrettai. Elle aurait fait une louve formidable. Nohlan avait bien de la chance de l'avoir à ses côtés, tout comme Basile.

_ Tu es l'appât dis-moi ? remarquai-je en jetant un coup d'œil mauvais à Timothy.

Alice leva les yeux au ciel et fit un geste de la main pour balayer tout ça.

_ Tu sais ce qu'il en est, Jahyan, reprit-elle. Il s'agit de l'avenir des loups. Qui sait, un jour tu auras peut-être envie d'avoir des enfants ? Ne veux-tu pas qu'ils vivent dans un monde serein ?

_ Comme toi ? la taquinai-je.

Alice était aussi vieille que Nohlan, aussi vieille que moi. Elle était extrêmement puissante et je ne doutais pas que ses enfants le seraient aussi, vu la puissance accumulée du père et d'elle-même.

_ Ça se pourrait, souffla-t-elle.

Nous étions très peu de vieux loups à vouloir des enfants après un certain temps. Alice était un peu comme une vieille louve. Elle avait attendu d'avoir le bon partenaire. Même en ne le cherchant pas, Basile l'avait trouvée. Si elle avait pu continuer sa vie avec lui, c'était tant mieux. Mais elle n'avait pas toute une meute à satisfaire derrière. Ces désirs étaient les siens. Les miens étaient ceux de la meute.

_ Je t'apprécie Alice, dis-je en haussant mes épaules, mais qui me dit que cela aura une bonne répercussion sur mes loups à moi ? Cette idée de montrer le visage des Alphas d'États...

_ Nous n'en sommes pas encore là, Jahyan, remarqua Alice.

_ J'ai juste besoin de réunir quelques Alphas d'États, reprit Gabriel.

_ Et pourquoi suis-je dans la liste ?

_ Hermès sera là aussi, tu sais ? sourit Alice.

J'éclatai de rire.

_ Ce vieux fou est encore en vie ? souffla Eneko.

Je tapai dans l'épaule de mon Second en grondant. Hermès était un vieux frère.

_ Évidemment qu'il est en vie, rétorquai-je. Sinon j'aurais gagné mon pari avec lui de qui mourra le premier.

_ Vous avez vraiment fait ça ? soupira Alice en levant les yeux au ciel une nouvelle fois.

_ Tu sais qu'Hermès et moi, ça remonte à longtemps, n'est-ce pas ? dis-je, mélancolique à présent.

_ Oh oui, sourit Alice. Si tu viens, il viendra.

_ Tu lui as dit la même chose à lui aussi ? rétorquai-je, grognon.

Elle hocha vivement la tête.

_ Maudite sorcière, grondai-je.

_ Qui as-tu corrompus d'autres ? demandai-je à Timothy.

Il répondit très sérieusement, conscient que j'allais accepter seulement pour Alice et pas parce que je voulais que mes futurs ex hypothétiques enfants se baladent dans la rue main dans la main avec les humains.

_ Le côté est des États-Unis regroupe de vieux loups comme toi, remarqua Alice. Tu comprends que c'est compliqué de tous vous invités au même endroit pour discuter un petit peu ?

_ Je n'aurais pu dire mieux !

_ Hermès devrait être là, reprit Timothy. Jake, l'Alpha de l'Utah, sera là aussi.

_ Ce morpion ? grondai-je. Trop jeune.

_ Comme Nora ? fit Alice, mine de rien.

Nora était la fille de Dean Campbell, le rejeton de ma sœur Elena. Elle était sûrement une grande Alpha, mais Alice savait comment je fonctionnai concernant le sexe opposé. Je fis la moue et elle me fit un clin d'œil.

_ Il sera là, remarqua Timothy. Ainsi qu'Elena, Shana Ortega et Elzear sera représenté par son Second.

Shana Ortega ? J'avais déjà croisé son frère au mariage d'Alice et Basile. Elle était donc devenue Alpha ? Vu l'état de son frère à l'époque, ce n'était pas étonnant après tout. Mais une femme au pouvoir ? Ça ne donnait jamais rien de bon. Hormis ma sœur peut-être. Et Nora. Mais elles étaient de la lignée des Pearson, même en étant à la mauvaise place, elles se devaient de réussir.

Shana Ortega n'était pas taillée pour être Alpha. Comment Timothy avait pu laisser ça arriver ?

_ Ce vieux Elzear se cache encore sous ses billets ? dis-je, faisant rire Eneko.

_ Et les autres ? ajouta mon Second.

_ Dans une autre réunion, répondit Timothy.

Il hocha la tête. Je croisai mes bras sur ma poitrine. Alice posa une main sur mon avant-bras.

_ C'est important Jahyan. Il faut que les Alphas d'États reprennent leur vrai rôle.

_ Les mots qui sortent de ta bouche sont beaux et honorables, petite Alice, soufflai-je, mais je ne mettrais pas en danger les miens pour de belles paroles. Tu le sais.

_ Nous ne demanderons rien de particulier à cette réunion, Jahyan, remarqua Timothy.

_ C'est pour remettre les choses à niveau, fit Alice. Viens. Et si tu ne veux vraiment pas rester, tu pourras repartir. Je t'offre le voyage. Tu verras Jamy.

Je la regardai par-dessus un instant. Elle souriait doucement. La maternité lui allait bien décidément.

_ Je viens, soufflai-je. Mais en aucun cas je n'accepte quoi que ce soit. Entendu ?

Timothy hocha vivement la tête.

_ La date ? demanda Eneko.

_ Dans deux jours, répondit Timothy. Alice viendra vous chercher.

_ À l'Ethérée ?

Timothy hocha la tête en me regardant avec attention.

_ Très bien, conclus-je.

Je pivotai vers Alice, frôlant sa joue.

_ Je t'attends, sorcière.

Elle hocha la tête à son tour. Eneko entra dans la maison et referma la porte.

_ Tu as craqué vite, remarqua mon Second.

Je haussai mes épaules.

_ Je dois me débarrasser du Gardien, soupirai-je en m'étirant. Autant que j'y aille.

_ Alice sait te convaincre quand même, fit mon Second en passant dans la cuisine.

Je l'y suivis.

_ Elle m'a aidé à de nombreuses reprises et tu es le mieux placé pour le savoir, dis-je en me laissant tomber sur une chaise.

Eneko s'appuya contre le bord du plan de travail et se frotta le menton.

_ Je n'aime pas toutes ces idées de campagne, souffla mon Second.

_ Pas plus que moi, grondai-je en lui jetant un coup d'œil sombre.

_ Qu'en dira Hermès ?

_ Comme moi. Il ne mettra pas les siens en danger pour des convictions que nous avons longtemps laissé de côté. Nous vivons parmi les humains et nous n'avons pas de problème. Si on commence à dire à la terre entière qui nous sommes et où nous vivons, ce sera notre fin. Hermès a chassé plus d'humains que moi. Il ne les aime pas. Je me demande comment il peut seulement venir.

_ Parce que tu y vas, sourit Eneko.

_ Tant qu'il ne ramène pas son loup du moment, soupirai-je. Tout ira bien.

_ Le dernier avait voulu t'attaquer, n'est-ce pas ?

_ Hermès peut être con des fois, remarquai-je.

_ Comme toi.

J'attrapai un torchon qui traînait la et le lui lançai en pleine figure. Il rit. Hermès était peut être le seul Alpha gay sur toute la planète, mais qu'est-ce qu'on avait pu se marrer dans le temps. Il était peut-être le seul loup en qui je pouvais avoir confiance en dehors de ma meute. Elzear était un vieux cupide qui était jaloux de ma lignée et de ma meute. Elena on n'en parlera pas. Et Shana n'était qu'une petite fille en plein milieu d'une arène remplie de lions prêts à la dévorer. Hermès et moi étions les mieux placés pour ne serait-ce que transmettre un vrai message pour les vieux loups. Nous avions nos traditions.

Nous avions nos coutumes.

Qui était Timothy pour nous dire de mettre tout ça de côté ?

_ Jahyan !

La voix de Navid se fit plus forte alors qu'il passait dans la maison.

_ On a une intrusion, souffla-t-il.

Je bondis sur mes pieds.

_ Un peu de sport ! m'exclamai-je.

J'enfilai des chaussures et claquai des doigts.

_ Eneko, Navid, avec moi, ordonnai-je.

Qui avait posé son pied sur mon territoire ?  


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