5. Basile
Je n'avais pas besoin de chercher bien loin pour savoir qui se trouvait au bout de mon lit. Je pris une longue inspiration et me redressai. Il faisait encore noir, mais le jour filtrait à travers les rideaux. Il devait être un peu plus de 18h. La journée avait été ma nuit.
_ Où étais-tu ? Souffla la voix d'Amandine.
Je me frottai le visage, sentant mon impatience grandir. Nathaniel avait raison, si je ne faisais pas quelque chose, elle ferait exploser mon secret. Elle mettrait en danger ma future meute et ça... c'était inenvisageable. Je tirai un instant sur mes cheveux.
_ J'ai appelé Anne, ajouta Amandine.
Je sentis mes épaules se crisper. Qu'avait-elle fait ? Je retins mon souffle pendant quelques secondes. Non. Elle ne pouvait pas l'avoir appeler.
_ Non, tu ne l'as pas fait, grognai-je en m'étirant.
Je repoussai la couette et d'un geste de la main, j'enclenchai le bouton des rideaux. Le soleil m'agressa un instant. Je fis en sorte que la lumière soit tamisée avec les voilages. Tout ça sans bouger. Je me levai et traînai les pieds jusqu'à mon jean. Je l'enfilai sans sous-vêtement, sans le fermer. Juste pour le principe.
Le visage d'Amandine était en train de me montrer exactement ce que je voulais. Sa peur. Elle tenait à la vie, comme toute bonne sorcière. Elle trouvait donc des bons moyens de survivre. Le premier étant de se débrouiller seul avant tout.
_ Tu ne l'as pas fait pour la simple et bonne raison que si tu l'avais fait, tu te serais vendue à ma mère. Tu ne m'avais plus sous les yeux... qu'aurait-elle dit ? T'aurait-elle assassiné depuis l'autre côté de l'océan ? Allons, Amandine, tu peux faire mieux...
_ A quoi joues-tu ? Tu es ici en mission, pas en vacances. Wright attend sûrement ses premiers résultats... et tu n'auras rien à lui donner.
_ Tu es censée me surveiller, crachai-je, pas me donner des ordres.
_ Où étais-tu Basile ? Je t'ai sous les yeux maintenant, je peux le dire à Anne. Elle relèvera plus le fait que tu te balades une après-midi et une nuit entière dans les rues de Columbus que le fait que j'ai perdu ta trace.
Je la regardai un instant. Elle écarquilla les yeux. Mes Ombres ondulaient autour de moi, me forçant à suivre mes pensées les plus sombres, les plus viles. Les plus directes et expéditives.
Débarrasse-toi d'elle, Basile.
La voix de Nathaniel était comme un aimant puissant pour appeler ma magie. Ma vraie magie.
Ou le secret que tu gardais autour de tout ça finira par exploser.
Il était hors de question que ce soit elle qui brise tout mon avenir. Elle n'était pas assez importante à mes yeux pour le faire.
_ Basile, souffla-t-elle en voyant mes Ombres s'approcher d'elle.
Je levai mon regard sur elle, las de tous ces entre mèdes, de tous ces moyens de discrétions.
_ Que veux-tu Amandine ? Rapide et sans douleur ? Lente et douloureuse ?
Mes Ombres s'enroulaient autour de ses membres. La partie de moi que j'avais jusque-là muselé prenait des proportions gigantesques en moi. Elle avait presque le contrôle de mon corps. Je souris alors qu'Amandine se débattait contre mes Ombres. La puissance qui courut dans mes membres. L'extase du pouvoir avec.
_ Basile ! Cria-t-elle. Basile arrête !
Je levai ma main. Les Ombres entourèrent sa bouche, ses poignets, ses chevilles.
_ Tu... ne peux pas faire remonter ça jusqu'en Haut, soufflai-je en m'approchant d'elle.
Elle me regarda avec de grands yeux effrayés. Je touchai sa joue du bout de mes doigts en souriant.
_ Je t'ai dit de repartir, murmurai-je. Tu ne m'as pas écouté.
Elle secoua la tête. Le son de son cri fut étouffé.
_ Tu vas m'attendre sagement dans un endroit. D'accord ? Peut-être que je te laisserais vivre.
Elle continua de crier alors que je levais mes deux mains devant elle. J'allais la téléporter dans un endroit où personne ne pourrait la trouver pour l'instant. Elle tiendrait plus longtemps que les humains grâce à ces facultés. Ou peut-être que je la renverrais en France. Je n'avais pas encore décidé.
Je terminai mon incantation. Amandine cria une dernière fois avant de disparaître. L'énergie que j'avais utilisée pour ce soir me mit à genoux. Bon sang, je l'avais téléportée loin. Je réussis à me traîner dans le lit. Je regardai un instant le plafond. Une Ombre se pencha sur moi. Elle avait presque la forme d'un humain.
_ Bientôt, souffla-t-elle à mon oreille.
Je fermai les yeux et réussis, non sans grognements, à rétracter toutes les Ombres que j'avais utilisé. Je gémis de douleur alors qu'elles résistaient. Ce n'était pas bon... pas bon du tout d'utiliser ce pouvoir-là. Quel idiot j'étais.
Je me redressai et frottai mes cheveux, légèrement en sueur.
Je pris une douche froide et ressortis de la plus calme. Je dus faire une heure de méditation pour pouvoir retrouver ma sérénité et pour avoir enfermé ce qui devait être enfermé. Je me redressai enfin et regardai autour de moi. Les draps étaient déchirés et des lambeaux avaient volé à travers la pièce. C'était moins pire que la dernière fois.
Je me levai et enfilai des fringues à la va-vite. Il fallait que je voie Nathaniel. Il fallait qu'on bouge le plus vite possible. Sinon... Sinon je risquai de perdre le peu de bon sens qu'il me restait. Je fermai ma chambre à clé et pris un taxi pour aller jusqu'à la clinique.
Alors que mon pied se posait sur le seuil de l'entrée de la clinique, je sentis qu'une sorcière avait utilisé sa magie ici. Il y a peu de temps. Sûrement dans la journée. Je voulus retenir la vision, mais elle m'attaqua presque. Comme si... comme si la magie était toujours présente quelque part.
Alors que je luttai, un cri s'échappa de ma bouche, je tombai à genoux.
Bon sang, elle n'était pas belle à voix à mon avis.
Elle hurla si fort que le verre aurait pu se briser. Les mots qui sortaient de sa bouche étaient incompréhensibles. Ses ongles s'enfoncèrent dans la peau de son avant-bras.
Ses yeux s'ouvrirent et elle ne vit que du noir. Du noir, du noir et du noir.
Possédée.
Emprisonnée.
Je refis surface alors que des mains me secouaient. Je repoussai Nathaniel assez fort pour qu'il tombe sur ses fesses.
_ Ne me touche pas, soufflai-je.
Je réussis à retenir un nouveau cri.
Une masse de noirceur jaillit de sa bouche et son petit corps tomba au sol. Tout de suite, son visage reprit des couleurs. Tout de suite la vie émana de son être tout entier.
La masse prit la forme d'une main qui vint caresser sa joue.
Les Ténèbres étaient attirées par la lumière. Et la lumière était attirée par les Ténèbres.
Elle s'appuya contre cette étrange main et savoura cette caresse étonnante.
_ Parle-moi Basile, crachait Nathaniel.
Je secouai la tête. La magie noire... Elle m'appelait. Elle appelait ce que j'avais enfermé. Ce que je devais garder enfermé. Elle sentait la puissance qui se cachait en moi, qui couvait là juste sous la surface. Elle l'attirait.
_ S'il te plaît, soufflai-je, ne me touche pas.
Il ne manquerait plus que je vois encore sa vie avec Alice, ou avec d'autres femmes. Je crois que ce serait la fin ! Il était hors de question que je vois la vie de tous les loups de cette meute bon sang !
_ Que se passe-t-il ? Fit la voix de Quinn.
_ Est-ce que j'ai l'air de savoir ? Grogna Nathaniel.
Quinn resta légèrement à l'écart. Il savait. Il savait que c'était... dangereux de me toucher quand j'avais une vision. Je pouvais voler bien plus que de simples souvenirs !
_ Je... je crois que c'est bon...
Nathaniel me ficha une claque sur le haut de la tête et me traîna jusqu'aux sièges de l'accueil. Il me fit relever la tête en posant son doigt sous mon menton.
_ Je n'aime pas poser des questions, alors tu as intérêt de t'expliquer, grogna-t-il.
_ Bon sang, Nathaniel, arrête de le toucher, souffla Quinn.
Je secouai la tête. Je sentais déjà la vision montée.
_ Quoi ? Fit Nathaniel.
_ Tu vas le renvoyer dans les vapes !
_ C'est bon, murmurai-je, la gorge sèche. J'ai déjà vu pas mal...
Quinn émit un léger rire avant de s'asseoir à mes côtés.
_ C'était quoi ça gamin ?
Je secouai doucement la tête alors que Nathaniel m'observait, légèrement inquiet à présent.
_ Quand... quelqu'un utilise sa magie, dans... n'importe quel endroit, je suis plus sensible à ressentir... la magie noire...
_ Personne n'a utilisé de magie noire ici, remarqua Nathaniel, sur la défensive.
Je haussai un sourcil.
_ Ne voyais-tu pas Alice aujourd'hui ?
_ C'était il y a quelques heures déjà, souffla Nathaniel, surpris.
Je hochai la tête. Il y a quelques minutes ou quelques heures, cela ne changeait rien. Ça aurait pu être moi qui me serais pressé contre cette main. Je repris mon souffle difficilement.
_ Pourquoi t'a-t-elle autant atteint ? Murmura Quinn. Tu es moins... vulnérable habituellement.
Ah oui. Une des joyeusetés de ma puissance. Avec Quinn, j'avais développé un lien quand il m'avait sauvé. J'avais donc réussi à voir pratiquement toute sa vie. Ce que je n'avais pas prévu c'est que lui aussi pouvait voir des extraits de ma vie dans ses rêves. Je pouvais voir le futur, mais je pouvais aussi implanter des idées dans la tête des gens. Enfin, plus des souvenirs que des vraies idées. Je n'étais pas Manipulateur, comme certains puissants Oracles. C'était un don très secret au sein des nôtres, mais extrêmement venimeux.
_ Ce lien entre vous me rendrait presque jaloux, grogna Nathaniel.
_ Je... j'ai utilisé mes Ombres il y a peu... Mes défenses sont encore faibles.
Le regard de l'Alpha s'assombrit.
_ Tu t'es occupé du problème ?
_ Occupé ? Répéta Quinn, surpris et consterné.
Je soutins le regard de Nathaniel et finis par hocher la tête. Même si Nathaniel était un homme, il savait que certaines choses devaient être faites, réglées. Il était militaire. Quand on lui donnait une mission, les dommages collatéraux en faisaient partie.
_ Vous êtes fous, soupira Quinn.
De par sa nature, Quinn était plus réticent à ce genre... de pratiques.
Je me laissai aller sur la chaise. Ça allait déjà mieux, même si je sentais mes Ombres ramper à l'intérieur de mon corps.
_ J'ai... j'ai besoin de manger, soufflai-je.
Nathaniel et Quinn m'embarquèrent avec eux dans les quartiers de l'Alpha. Je finis devant un plat fait par Nathaniel. Pancakes (à cette heure ?), bacon, œuf. Je m'enfilai l'assiette, ajoutant un bon bol de céréales pour faire descendre le tout. Alors que je me sentais enfin mieux, Nathaniel eut une urgence et s'éclipsa. Je restai donc avec Quinn. Ce dernier s'approcha de moi, m'observant en penchant doucement sa tête sur le côté.
_ J'ai rêvé de toi, souffla-t-il.
Je me frottai la nuque.
_ Tu sais que cette phrase prise hors contexte...
_ Tu n'étais plus toi-même Basile, dit-il très sérieux.
Je pinçai mes lèvres. Il soutint mon regard, légèrement nerveux. Il leva sa main vers moi. Je m'écartai, glissant à bas de ma chaise.
_ Je ne veux pas savoir soufflai-je.
_ Tu ne veux pas savoir... ou voir ? Car tu le sais déjà n'est-ce pas ? Cette Ombre derrière toi... Elle te parlait... et tu l'écoutais bon sang ! Tu achevais quelqu'un de sang-froid Basile. Qu'est-ce que tu nous caches ?
Je me mis à faire les cents pas. Quinn était un Eros. En plus d'avoir créé un lien avec lui, il était sensible à ma magie... il en portait en lui après tout. Il verrait toute sa vie des bouts de la mienne. Ou simplement mon futur. Je n'aurais su le dire.
_ Quinn, commençai-je.
Il leva une main, son visage plus inquiet que colérique à présent...
_ Je m'inquiète Basile, souffla-t-il. CE n'est pas le premier rêve que je fais de toi et surement pas le dernier. Mais cette Ombre... c'est la première fois que je la vois et elle ne me dit rien qui vaille...
Je le regardai un instant.
Devais-je lui dire ?
Devais-je lui dire que l'Ombre n'était autre qu'une partie de moi ?
Et que bientôt, elle me dévorerait.
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