5. Alice
J'entrai pied nu dans le cercle de magie.
Je l'avais tracé en arrivant, sachant très bien que Nathaniel m'avait fait venir sur son territoire pour purifier des gens de la magie noire. Et après cela, je ne pouvais attendre très longtemps sans me purifier moi-même.
La magie noire était comme la gangrène, comme le plus insidieux des poisons.
C'était quelque chose qu'il fallait traiter à la racine. Mais c'était dur à faire quand vous aviez vous –même une racine en vous.
Je portai ma vieille robe de cérémonie, celle qui me quittait rarement. Je ne l'avais pas utilisé très souvent, parce que je n'avais pas pratiqué de bénédiction depuis des siècles.
Les flammes des bougies tout autour du cercle prirent de l'ampleur et une odeur de camomille emplit l'air tout autour de moi.
J'inspirai doucement et fermai les yeux.
Mes bras me démangeaient. La petite fille avait laissé sa marque et c'était comme si cette noirceur que j'avais enlevé d'elle me collait à la peau.
C'était le cas. Je le sentais.
Une seule brèche dans mes boucliers... Mon bracelet tinta tout doucement et comme toujours, je l'effleurai pour me rassurer.
La purification était un procédé simple, surtout dans ce cas-là. Je n'avais pas été exposé au sorcier lui-même, alors tout irait bien. Et je passais ma vie à faire cela, alors c'était comme allumée une bougie par la simple pensée. Un exercice très simple pour une sorcière, voire même complètement inutile. C'était le genre de chose qu'on apprenait en premier à nos enfants ; allumer une bougie, déplacer un objet léger par la pensée, ce genre de chose.
La guérison tout comme la purification n'était pas des dons innés, loin de là.
Nous avions tous cela en nous, mais nous n'étions pas tous capable de nous en servir. Il y avait des sorcières qui pouvaient guérir certaines de leurs blessures, mais sans savoir comme aller plus loin. Les plus puissantes pouvaient le faire sans souci, les blessures quasi mortelles ne représentaient pas grand-chose pour elles. Mais chaque sorcier était différent.
Tout comme il y avait une différence entre magie et magie blanche. La magie noire ne comptait pas vraiment, tout le monde savait très bien ce que cela signifiait.
La magie blanche, c'était la magie de la nature, celle qui appelait à utiliser les plantes et le flux contenu dans la terre elle-même.
La magie blanche était la plus pure d'entre toute. Mais très peu l'utilisait.
On parlait d'affinité.
Mais au-delà de ça, il fallait percevoir ce que la nature nous disait, il fallait être à l'écoute et savoir interpréter les signes.
Ceux qui pratiquaient cette magie étaient appelés les Sorciers de la Lumière.
J'inspirai et rejetai la tête en arrière alors qu'une brise commençait doucement à monter. Le vent caressa mon visage et dans l'air, je senti chaque détail comme si je pouvais les toucher du bout des doigts.
Ma magie monta et tournoya à l'intérieur de moi.
Il n'y avait pas de mot pour décrire cela.
C'était des sensations qui dépassaient tout.
Mon corps se mit à irradier doucement.
Puissant et doux.
Intense et léger.
C'était un tout étonnant.
Un mélange incroyable.
La sensation d'avoir été touchée par cette noirceur disparut, ne laissant place qu'à la sérénité. Je souris.
Apaisé était le mot.
Mon âme et mon corps étaient lavés de toute souillure extérieure. Je levai les bras et les tendit devant moi. Je baissai la tête et observai le bout de mes doigts.
De la lumière s'en dégageait. Un simple halo, qui prenait doucement de l'ampleur et qui semblait enfler.
Ma peau perdit sa couleur cuivrée et devint beaucoup plus blanche.
J'entrouvris les lèvres, mais alors, les bougies s'éteignirent toutes en même temps et je senti une violente douleur dans mon dos.
Mes jambes se dérobèrent sous mon corps et je glissai au sol. L'une de mes mains effaça une partie du cercle et c'est comme si les ténèbres autour de moi se mouvaient.
Ce n'était pas des Ombres, ou alors elles étaient très différentes de celles de Liam. C'était comme de la noirceur.
Elle prit la forme de dizaines de mains qui essayaient de m'atteindre et je su que mon esprit délirait encore une fois.
Ce n'était pas la première fois.
Et ce ne serait pas la dernière non plus.
La brûlure qui partait du milieu de mon dos s'étendit à mes membres et mon corps se mit en position fœtale.
Je fermai les yeux et essayai de faire abstraction de la douleur.
Et de la peur.
Il me saisit par les hanches et me souleva du sol comme si je ne pesais rien. Il me fit tournoyer dans ses bras en riant.
Tellement insouciant.
Il y avait une humanité en lui tellement incroyable.
Il aimait comme il respirait.
Il aimait comme il vivait.
Pour chaque chose qu'il entreprenait, il donnait de sa personne.
C'était comme si c'était la première fois qu'il le faisait, ou la dernière.
Il était un soleil à lui tout seul.
Son rire transportait les autres. Son éclat irradiait comme un milliard d'étoiles.
Mes pieds touchèrent de nouveau le sol et il m'embrassa à pleine bouche. Ses lèvres étaient chaudes et douces, sa peau, rugueuse.
Sa main était dans ma nuque, l'autre sur ma hanche. Ses doigts la pétrissaient doucement et son corps était pressé contre le mien.
Je respirai mon air à travers sa bouche.
Mon monde ne se résumait qu'à une seule chose.
Lui.
Il attrapa mon visage entre ses grandes mains et me sourit.
Ce sourire si intense, si vrai.
Il n'était qu'amour et joie.
Il n'était que splendeur et vivacité.
— Tu es si belle, souffla-t-il.
Mes mains agrippaient ses poignets. Il était le seul à me rendre belle, à me rendre heureuse. Sa vie était précieuse. Plus qu'il ne pouvait l'imaginer.
Il saisit ma main et me fit danser, m'amenant dans la chaleur de ses bras.
— Je t'aimerais toujours.
Il n'y avait qu'un loup pour dire cela sérieusement. Mais il était encore tellement jeune ! Il avait à peine trente ans. Ce n'était rien pour son espèce. On l'appelait encore le louveteau. Mais tout le monde l'aimait.
— Tu n'en sais rien, répliquai-je en souriant.
Il secoua la tête et me regarda droit dans les yeux. Quand il faisait ça, c'était désarmant. Il pouvait être tellement sérieux soudain.
Et alors il était le portrait craché de son père. Cette dureté dans le regard, mais cet inconditionnel amour que rien n'effacerait jamais.
— Ne remet jamais en doute l'amour d'un homme, Alice. Et encore moins celui d'un loup.
Parfois, il était tellement naïf. Il ne pouvait pas encore comprendre. Mais il avait tout le temps qu'il fallait devant lui pour cela.
— Prouve le moi alors, petit loup, soufflai-je.
Ses yeux étincelèrent de mille feux.
— Tu l'auras voulu, Changeuse.
Un rayon de lumière effleurait ma peau. Je ne bougeai pas.
Je n'étais plus au même endroit que tout à l'heure et j'étais totalement nue, allongée à même le sol.
Il n'y avait que le silence.
Que le silence et moi.
Je tournai la tête vers la baie vitrée et regardai le ciel complètement noir. La nuit semblait être tombée depuis un moment déjà.
Il y avait quelques étoiles, ici et là. Je n'avais pas vu un ciel étoilé depuis tellement longtemps. Trop peut-être même.
Je redressai le haut de mon corps et posai ma main sur la vitre.
Cela m'ancra dans la réalité et je pu enfin respirer correctement. La douleur avait disparu.
Plus de brûlure.
Plus de mains qui essayaient de me saisir.
Plus d'ombres.
Juste moi. Et cette pesante solitude. Je serrai mes bras autour de ma poitrine et ramenai mes genoux contre moi.
Je frissonnai légèrement.
J'aurais pu rester des heures ainsi. Des jours peut-être même, mais le téléphone que j'avais rallumé en rentrant ce mit à vibrer.
Le son remplit toute la suite et je soupirai. Je me levai et traversai la grande pièce.
Je décrochai :
— Oui ?
J'aurais cru que c'était Nohlan, mais c'était Nathaniel.
— Le gosse à disparut. Il s'est fait la malle quand Casey avait les yeux ailleurs, dit-il, embêté.
Je soupirai doucement.
— Tu as des loups à tes ordres, non ? Pister l'odeur d'un louveteau ne devrait pas être trop compliqué, si ?
Pour qui me prenait-il à la fin ? J'avais réglé le problème concernant les deux enfants, alors il pouvait très bien gérer pour la suite.
— J'ai mis mes patrouilleurs sur le coup, mais ils n'ont encore rien trouvés. Alice, s'il te plait, c'est un gamin. Je sais très bien comme tu fonctionnes. Tu l'as marqué, n'est-ce pas ?
Mon regard se perdit dans la contemplation de ce qu'il restait du cercle de magie.
— Peut-être, concédai-je à mi-voix.
Une vieille habitude.
— Je sais, tu n'es pas ma sorcière, mais encore une fois, ce n'est qu'un gosse. Et je ne sais quelles horreurs il a pu subir avant que mes loups ne le trouve.
Je ne répondis rien. Je percevais sa respiration à l'autre bout du fil.
— S'il te plaît, Alice.
— Très bien ! Je te le ramène et c'est tout. Pour la suite, tu te débrouilles, idiot d'Alpha !
Je raccrochai et allai enfiler quelques vêtements. Je camouflai mes bras avec un fin gilet et passai mon manteau par-dessus. Je nouai un foulard autour de mon cou et rejoignit l'ascenseur.
J'appuyai sur le bouton du rez-de-chaussée et observai à travers les vitres ce qui se passait en dessous. Il ne fallait pas avoir le vertige ici. Mais la hauteur ne m'avait jamais fait peur. Bien au contraire.
Plusieurs autres personnes montèrent et descendirent à différents étages.
La porte s'ouvrit une nouvelle fois, laissèrent entrer quelqu'un et se refermèrent doucement.
Quelque chose me força à relever les yeux.
Peut-être était-ce la paroi en verre qui avait commencé à gelée contre mon épaule, ou alors ce terrible froid qui venait de surgir comme venu de nulle part.
L'homme me sourit.
Quelque chose rampa au sol.
C'était un Vengeur.
Il pencha légèrement la tête sur le côté.
— Petite Alice.
Sa voix n'avait rien de chaleureuse. Il était grand et certaines femmes l'auraient peut-être considéré comme bel homme, si homme il avait été.
Je me redressai, lui faisant face. Il sourit de plus belle.
Les Vengeurs étaient les pires sorciers de magie noire existant au sein de notre peuple.
— J'espère te voir très bientôt.
La lumière au-dessus de ma tête clignota.
Un souffle contre ma joue et un rire.
Les portes s'ouvrirent et un groupe de personnes me regarda. Ils attendaient que je sorte. Nous étions au rez-de-chaussée. Et j'étais plus que seule dans l'ascenseur.
Ce n'avait pas été une hallucination. Loin de là.
La magie noire me collait à la peau.
Mes bras me démangeaient.
Je traversai le hall sans prendre le temps de respirer et me retrouvai à l'air libre.
Mon cœur battait vite et fort.
Ce n'était pas le moment.
Respire.
Respire.
Je serrai les poings un instant.
J'inspirai.
Et expirai.
Pourquoi mes mains tremblaient-elles encore ?
Me reprendre. Il le fallait.
Doucement.
Respire.
Avant tout, retrouver le gamin. Casey n'était pas idiot pourtant. Mais un enfant pouvait être tellement intelligent quand il le voulait.
Je secouai doucement mes épaules et me concentrai sur mon flux de magie. Il était vrai que je marquais toujours les enfants que j'avais purifiés. Je sentis ceux de l'orphelinat, puis des autres. Je me concentrais sur les deux derniers.
La petite fille était à la clinique.
Et Mack...
Eh bien... je fronçai les sourcils.
Ici. Il était ici. Pas très loin de moi. Dans l'hôtel ? Dans... mon hôtel ? Je me retournai.
Il avait suivi mon odeur.
Un petit loup intelligent.
Malgré moi, je souris. Et le vis. Dans le hall, assit sur l'un des nombreux fauteuils rouges. Il s'amusait avec ses jambes, le regard rivé sur ses pieds.
Et soudain il releva la tête. Il avait senti mon regard sur lui. Et ses yeux ne lâchèrent pas les miens.
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