4. Alice
Je les observai tous les deux. Il y avait indéniablement un air de famille.
Le même petit nez, les mêmes cheveux et je-ne-sais-quoi de commun se dégageait d'eux.
Frère et sœur à n'en pas douter.
Alors que la petite fille était prostrée dans un coin, ne regardant rien de particulier, le petit garçon continuait de me fixer.
Il y avait une lueur de défi dans ses yeux, comme s'il voulait voir si j'étais capable de détourner le regard.
Il y avait une certaine maturité en lui, cette maturité que les enfants avaient après avoir vu beaucoup d'horreurs.
Trop même.
Les louveteaux de l'orphelinat d'Aubrie étaient tous comme ça.
Liam les avaient tous sauvés et Aubrie s'occupait d'eux comme s'ils étaient ses propres enfants. Mais même avec beaucoup d'amour, leur âme ne serait jamais vraiment purifiée. Cela ne voulait pas pour autant dire qu'ils ne seraient jamais heureux, bien au contraire.
L'amour comblait tout disait-on.
C'est souvent ce que Nohlan répétait, mais lui comme moi savions que ce n'était pas toujours vrai. Il y avait des blessures qui ne partaient jamais.
Il y avait des blessures qui faisaient souffrir toute une vie.
Casey resta à côté de moi.
Son loup observait.
Les lupins s'attachaient très vite aux jeunes de leur espèce. Ce n'était en rien une exception. Un loup qui croisait un petit ressentait tout de suite le besoin de le protéger.
C'était en quelque sorte une vérité universelle.
Le peuple des loups était noble. Tout n'avait pas toujours été ainsi, mais avec les époques qui changeaient, les mœurs suivaient.
Je levai le bras et posai ma main sur la vitre. Le petit garçon ne détacha pas son regard de mes yeux.
Ce n'était pas un humain.
Il y avait cette étincelle dans ses yeux qui ne trompait pas. Plus je regardais et moins je pouvais me tromper.
Un loup.
Il n'était pas présent, mais ça se sentait. La magie noire pouvait empêcher sa moitié de monter, ou alors la bête ne voulait juste pas se montrer.
Il y avait tellement de possibilités !
Je penchai la tête ; l'enfant fit de même.
Intéressant.
Son esprit semblait vif et aucun détail ne lui échappait.
Je tapai contre le verre avec l'un de mes ongles et la petite fille sursauta. Elle releva la tête, mais ne se retourna pas.
Je ne pouvais pas voir ses yeux. Elle pouvait être humaine ou même sorcière. Frère et sœur ne voulait pas forcément dire qu'ils étaient loups tous les deux.
Je soupirai et me reculai alors.
Je cru que le petit garçon allait se lever, mais il se retint visiblement. Son visage se ferma encore plus et je lu quelque chose sur son faciès d'enfant.
Il était trop mure pour son âge. Qu'avait-il vu ? Qu'avait-il subit ?
— Il t'aime déjà on dirait, sourit Casey.
— Que sait-on d'eux ? Demandai-je simplement.
Je rompis tout contact visuel et Casey haussa des épaules devant mon comportement. Il passa une main dans ses cheveux et s'éloigna de la vitre à son tour.
Je sentis son loup légèrement nerveux. Ces derniers aimaient rarement la magie noire, trop sombre, trop... pressante et puissante.
La meute de Nathaniel fricotait avec un Oracle et pour entrer en transe, ces derniers étaient obligés de puiser dans de la magie qui n'avait rien de bénéfique. Mais certains loups préféraient rester loin quand ça ne dérangeait pas les autres. Ean était de ce genre-là. Casey, non. Il était méfiant, il n'avait pas peur, mais il préférait rester en retrait, ce que je pouvais parfaitement comprendre.
— Ils ont été retrouvés dans une vieille maison, près de la frontière Sud-est, tout en bas. Nathaniel pense qu'ils sont restés seuls une bonne paire d'années. La petite ne parle pas et le garçon à attaquer Kaia.
Ils étaient restés seuls ? Sur le territoire de Nathaniel ?
Je fronçai les sourcils. Tous les louveteaux qui naissaient devaient être présentés à l'Alpha en charge de l'État, ainsi, aucun ne devait en théorie passé entre les mailles du filet. Quand Alexia avait accouchée, Nathaniel était allé à Toledo. C'était un vieux rite chez les loups, une façon pour que tout le monde garde contact et se connaisse, même si le respect ne suivait pas forcément.
Nathaniel n'avait jamais vu ses deux enfants ? Soit les parents les avaient gardés cachés, soit quelqu'un d'autre.
Je passai à côté de Casey et posai ma main sur la poignée avant qu'il ne m'arrête :
— Je préférerais que tu attendes Nathaniel, Alice, dit-il.
— Pourquoi ? Qu'il soit là ou pas ne changeras rien, répliquai-je en entrant dans la pièce.
Tout de suite, le petit garçon chercha mon regard. Mais je regardai la petite fille. Elle avait la tête baissée et tenait un vieux chiffon entre ses mains. À une époque cela avait dû être une poupée, mais plus aujourd'hui. Son visage était sale et ses vêtements dans un état déplorable. Mais elle avait de très beaux cheveux, bien brossés, avec de jolies petites boucles. Ce détail ne m'échappa pas. Quelqu'un l'avait coiffée. Quelqu'un avait pris soin d'elle, du moins en quelque sorte.
Je refermai la porte, la claquant légèrement à la fin. Aucun mouvement de sa part. Elle chantonnait doucement, triturant son chiffon de ses petits doigts boudinés.
Dans l'air, je pouvais sentir cette noirceur presque palpable. J'inspirai doucement et mes doigts allèrent caresser mon bracelet. Je vis de très légères volutes de fumée noire apparaitre petit à petit.
La magie noire.
Elle était partout dans la pièce et je n'avais qu'à tendre le bras pour toucher ces effluves. La petite fille en était complètement enveloppée. C'était comme si elle était dans un cocon.
Je ne sentais aucune énergie surnaturelle se dégager d'elle.
Aucune louve en elle.
Un mouvement sur ma droite. Le petit garçon s'était redressé, mais n'avait pas fait un seul pas pour se rapprocher de moi.
La magie noire l'enveloppait aussi, mais en moindre quantité. Quelque chose se dégageait de ce garçon. Ce n'était pas nécessairement puissant, mais il y avait quelque chose.
Une lumière.
Une détermination.
Il ouvrit la bouche, mais un petit bruit l'arrêta.
La fillette avait la tête retournée d'une façon qui n'avait rien... d'humaine. Je tendis ma main et une petite boule de lumière apparut au-dessus de ma paume. Elle prit la forme d'un oiseau qui prit son envol et battit des ailes un instant au-dessus de moi.
L'enfant était fasciné, la fillette se contenta de sourire doucement. Ses yeux étaient fermés. Mais je n'avais pas besoin qu'elle les ouvre pour savoir ce que je verrai.
Je fis un pas. Il y eut un craquement et l'ampoule au-dessus de ma tête grilla. L'obscurité s'abattit et mon oiseau me tourna autour.
De l'extérieur, j'entendis la voix de Nathaniel. Il était impossible de ne pas la reconnaitre. L'extrémité de mes doigts bougea et la porte se verrouilla avant qu'il ne puisse rentrer. Je n'avais pas besoin d'avoir un loup dans mes pattes. Je l'entendis grogner, mais il ne tenta pas d'entrer par la force. Il savait comment je fonctionnai, savait que je n'avais pas besoin de lui.
Ce n'était pas d'une purification dont ces enfants avaient besoin, pas la fillette en tout cas. Le mal était déjà trop profondément ancré en elle.
Le sorcier qui s'était amusé avec elle l'avait pourrie jusqu'à l'os. La magie noire suintait de chaque pore de sa peau. Je n'étais pas sure qu'il reste une conscience dans ce corps. La louve et l'enfant n'étaient plus depuis un moment déjà. Ce n'était pas la première fois que je voyais ça.
Les sorciers aimaient bien s'amuser sur les louveteaux, ils aimaient bien faire des expériences qui conduisaient presque inévitablement à des cas comme cet enfant.
L'oiseau de lumière fondit sur le garçon qui sous la surprise tomba sur les fesses. En deux pas, je fus sur la fillette et ma main se retrouva sur ses yeux.
Elle hurla si fort que je cru que le verre allait se briser. Les mots qui sortaient de sa bouche étaient incompréhensibles. Ses ongles s'enfoncèrent dans la peau de mon avant-bras.
Ses yeux s'ouvrirent et je ne vis que du noir. Du noir, du noir et du noir.
Possédée.
Emprisonnée.
Ma magie enfla en moi et une lumière enveloppa le corps de l'enfant. Elle continuait de lacérer mes bras, mais plus un son ne s'échappait de sa bouche.
Je sentis alors quelque chose ramper sur mon corps. C'était glacial, c'était mauvais et effrayant.
La peur.
La magie.
Cette noirceur goudronneuse qui s'enroulait autour de moi. Qui voulait me posséder.
Mais derrière cela, il y avait autre chose. Une petite voix qui appelait. Une petite main qui cherchait la lumière.
Il y avait encore de l'Humanité dans ce petit corps.
Je m'étais trompée. La conscience de l'enfant était encore là, quelque part, perdue, mais toujours là. Je pouvais le sentir. Il fallait juste tirer cette âme des ténèbres qui l'habitaient.
Des petites particules de lumières émergèrent du sol et montèrent. Des milliers de petits points lumineux.
Ils se figèrent dans l'espace qui nous entourait.
— On dirait des lucioles. Regarde comme ta magie est belle, Alice.
Le temps sembla s'arrêter complètement.
Et ce qui essayait de me posséder disparut complètement, ne laissant qu'une impression désagréable, qu'une terrible envie de me purifier.
Avec mon pouce, je traçai une croix sur le front de la petite fille. Ses yeux étaient écarquillés et sa bouche grande ouverte.
Elle était aussi pâle que pouvait l'être un mort. Elle me rappelait Kate.
— Reviens dans la lumière maintenant, dis-je.
Ma voix était douce et posée.
Une masse de noirceur jaillit de sa bouche et son petit corps tomba au sol. Tout de suite, son visage reprit des couleurs. Tout de suite je sentis la vie émaner de son être tout entier.
La masse prit la forme d'une main qui vint caresser ma joue.
Les Ténèbres étaient attirées par la lumière. Et la lumière était attirée par les Ténèbres.
Je m'appuyai contre cette étrange main et savourai cette caresse étonnante.
Quelque chose frotta contre mon ventre. Je baissai les yeux vers le garçon.
C'était sa joue. Le loup en lui recherchait un contact, cherchait à être rassuré. Ses bras entouraient ma taille et il s'y cramponnait fermement. Il n'avait pas besoin d'une purification. Maintenant que sa sœur était dans la lumière, il y reviendrait aussi tout naturellement.
Nathaniel s'occuperait bien d'eux. Il leur trouverait un foyer et les surveilleraient jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de pouvoir se débrouiller seuls.
Je posai une main sur sa tête alors que toute ma magie disparaissait de la pièce. Le verrou cliqueta et la porte s'ouvrit presque immédiatement sur Nathaniel et Casey.
Je regardai l'homme qui abritait un Alpha en lui.
Nathaniel était grand et tout dans son maintien prouvait que l'armée l'avait façonné de la sorte. Il avait servi en tant que médecin avant d'ouvrir cette clinique. Même si ses bras étaient couverts par sa blouse blanche, je savais que des tatouages s'y trouvaient. Les militaires bourrés avaient tendances à se laisser tatouer n'importe quoi sur le corps. Oh, il n'en était pas très fier, ce qui faisait toujours bien rire ses loups.
Ses cheveux étaient rasés de près et il avait une petite barde de trois jours. Sa dernière conquête l'avait-elle envoyé sur les roses ?
Nathaniel les collectionnaient. Ean avait un jour dit que Nathaniel avait autant de conquêtes que de loups, ce qui n'était pas rien et le pire là-dedans, c'est qu'Ean n'était pas très loin de la vérité. Il y avait des loups qui cherchaient toute leur vie une compagne et d'autres des simples coups d'un soir. Qui à dit que tout le monde était parfait ?
Il croisa mon regard un instant avant de le poser sur le corps de la fillette. Il fit un signe de tête à Casey qui la souleva du sol comme si elle ne pesait rien.
Le petit garçon me tenait toujours fermement. Je percevais les battements sourds de son cœur.
Nathaniel s'arrêta à côté de moi et je senti son Alpha grimper en même temps que je percevais un léger effluve de vanille.
Elia était passé par là. Ce parfum, c'était un peu sa marque de fabrique.
Le louveteau, en sentant l'énergie de l'Alpha tout près de lui frissonna et releva la tête vers moi et non vers Nathaniel en premier.
Les enfants me mettaient mal à l'aise. Je ne les détestai pas, mais...
Il finit par regarder dans la direction de Nathaniel. En agissant ainsi, ce dernier montrait qu'il était ici pour protéger le garçon, pour lui montrer qu'il était en sécurité et qu'il n'avait rien à craindre.
Ses bras glissèrent le long de son flan et je me reculai.
— Comment est-ce que tu t'appel, petit ?
La voix de l'Alpha était intense. Un mot, un ordre. C'était la magie de leur timbre, la magie de leur puissance.
L'enfant baissa la tête et attrapa le bas de son t-shirt. Retenait-il le loup en lui ? Ou alors il n'avait jamais été mis devant un loup plus vieux que lui. N'avait-il jamais eu à faire à un seul être de son espèce ?
Ça ne m'aurait pas étonnée plus que cela.
— Mack, souffla sa voix.
L'Alpha sourit et ébouriffa les cheveux de l'enfant dans un geste presque paternel. Nathaniel aimait les enfants. Il était fait pour être père.
— Eh bien Mack tu vas suivre Casey. Il va t'amener te changer et manger quelque chose. S'il parle trop, tu peux lui dire que tu t'en fiche, je t'autorise, d'accord ?
L'enfant me regarda. Je détournai les yeux.
— Aller va, maintenant.
Casey attendit que Mack passe devant lui et la petite fille toujours dans ses bras, il s'éloigna.
— Il faut trouver le sorcier qui a fait ça, dis-je avant que Nathaniel n'ouvre la bouche.
Il me fit un signe de tête et je le suivis dans le couloir :
— Mes Dominants sont sur le coup. Et si ce connard a déjà mis les voiles, Blaze prendra la suite.
Je ne lui dis pas qu'il venait de perdre sa nièce. Ça n'aurait servi à rien. Nathaniel ouvrit une porte et s'effaça pour me laisser passer.
C'était une salle d'examen ordinaire, avec un lit au milieu. Je fronçai les sourcils et ouvris la bouche, mais Nathaniel me poussait déjà :
— Tu ne changes pas, Alice. Tu pourrais être en train de te vider de ton sang que tu ne t'en rendrais même pas compte, je me trompe ?
Je baissai les yeux sur mes bras.
Oh.
Et avec le contact visuel, la douleur grimpa.
Je m'assis sur le bord du lit alors que Nathaniel tirait un petit chariot et s'installai sur son tabouret à roulette.
Il remonta mes manches – qui étaient à moitiés déchirées – et jaugea tout ça de son œil acéré de médecin.
Je l'observai alors qu'il gardait le silence.
C'était toujours fascinant de le voir ainsi. Quand il était concentré sur quelque chose, le reste du monde ne comptait plus.
Il commença par désinfecter les lacérations et la brûlure du produit me picota la peau.
Je pouvais soigner les autres, mais mon pouvoir de guérison n'agissait jamais sur moi-même. Alors quand je me faisais blesser comme maintenant, je n'étais presque qu'humaine.
— Une sorcière qui guérit tout le monde, mais qui ne peut rien faire pour elle, ce n'est pas le comble ça ? grommela Nathaniel.
Aucune autres sorcières qu'il fréquentait n'avait ce problème. Mais toutes n'étaient pas non plus capables de guérir les autres. Voilà pourquoi il faisait si souvent appel à moi.
Alors qu'il finissait le deuxième bras, il releva les yeux vers moi :
— Il faudrait t'enfermer dans une cage, trop mortelle que tu es.
Ses yeux étaient d'un marron profond qui devenait très clair lorsque la lumière était vive. Il ne blaguait qu'à moitié en disant cela.
Sa paume se retrouva contre ma joue, avant de glisser sur ma nuque.
Pour les sorcières ce geste ne représentait rien, mais pour les loups, c'était tout autre. Un signe de possession, de propriété presque.
Un loup n'était pas forcément obligé d'aimer la femme avec qui il couchait, mais elle était sienne le temps que ça durait et il était très possessif, comme si elle était son bien, comme si elle était sa chose. Cela pouvait être étouffant, effrayant même parfois. Mais j'avais passé ma vie dans des meutes, avec des loups, alors je savais.
Nathaniel n'arrivait pas à se détacher de cela. Il pensait encore que je lui appartenais dans une certaine mesure. Son loup était encore plus têtu que lui quand il s'y mettait.
D'ailleurs ce dernier pointa le bout de son nez. Il se pencha et je détournai mon visage à la dernière seconde. Ses lèvres se retrouvèrent aux commissures des miennes. Il grogna doucement, mais souris. C'était un jeu pour lui depuis que nous n'étions plus ensemble.
Notre histoire avait duré longtemps et les non-dits encore plus.
— Ne commence pas, soufflai-je.
— Comme tu voudras.
Il se recula et je remis ce qu'il restait de mes manches plus ou moins en place.
— J'aimerais que tu restes un peu, pour surveiller ces deux gamins, dit-il.
— Je ne peux pas rester trop longtemps. Nohlan ne...
Ses doigts saisirent mon poignet et il me força à redresser la tête :
— Christensen peut très bien se passer de toi quelques jours, Alice, grogna-t-il.
Il ne détestait pas Nohlan, mais les deux ne s'appréciaient pas énormément non plus. Je ne savais pas vraiment pourquoi et m'en fichai bien d'ailleurs.
— Je ne suis pas sorcière de ta meute, loup, répliquai-je en le défiant du regard.
Il sourit et fondit sur ma bouche.
— J'aime cette lueur, Alice. Ça me rappel tellement de chose...
Il donna un coup de langue là où ses dents avaient mordillées. Il me lâcha et se dirigea vers la porte :
— On se voit demain alors ?
Et il partit sans attendre ma réponse.
Les loups d'aujourd'hui n'avaient aucune manière.
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