29. Alice

Dès que Basile était parti, je n'avais pu m'empêcher d'attendre le soir avec une certaine fébrilité ; mélange d'impatience et de désir. Il était étrange de voir à quel point parfois, on pouvait s'attacher à une personne. Ce n'était pas forcément quelque chose qu'on contrôlait, c'était plutôt quelque chose d'instinctif.

Oui. C'était ça. Même si je ne voulais pas y penser, c'était là. Il était là, dans ma tête, dans mes pensées et je ne pouvais pas faire grand-chose contre.

L'aurais-je voulu si j'avais pu de toute façon ?

J'avais Basile dans la peau. Il était ancré en moi. D'une façon différente de Nohlan certes, mais maintenant, je ne pouvais plus dire qu'il n'y avait qu'un seul homme dans ma vie. Cela aurait été mentir. Basile représentait quelqu'un à mes yeux.

Plus qu'un amant. L'avait-il seulement été une seule seconde ?

Je m'étais voilé la face un moment, je ne pouvais le nier. Peut-être avais-je cru qu'Ulysse serait le seul. Peut-être avais-je cru que je ne tomberais plus jamais amoureuse.

J'étais vieille. Plus que beaucoup ne pouvait l'imaginer, plus que certains vieux loups foulant cette terre. Certains loups m'avaient fait la cour. D'autres s'étaient contentés d'observer sans jamais rien tenté.

Mais il est vrai que même si j'aurais pu trouver chaussure à mon pied, j'avais préféré laisser tout cela de côté. Le souvenir de mon amour pour Ulysse ne m'avait jamais hantée, mais il était resté vivace et bien présent.

Il y avait eu Nathaniel aussi. Et ça avait marché entre nous. Un temps. Nous nous étions toujours très bien entendu et encore aujourd'hui, nos rapports étaient plus que bons.

Mais Basile était différent.

Il était différent d'Ulysse.

Il était différent de Nathaniel.

Il y avait quelque chose chez lui...

Les sorciers avaient du mal à se poser avec quelqu'un. Il fallait trouver la bonne personne, le compagnon idéal en quelque sorte.

Nous lier n'était peut-être pas pour la vie et n'entraînait pas la mort de l'autre, mais ça restait un lien puissant et intemporel.

Ça restait de l'amour.

Ça restait un lien incroyable.

Nous étions souvent considérés comme un peuple frivole, après tout beaucoup des nôtres étaient aussi des Succubes et des Incubes. Il était tellement rare pour un sorcier de trouver la personne avec qui il finirait sa vie.

Mes parents n'avaient pas été différents des autres.

La lignée était ce qui comptait, était ce qui importait. Faire le plus d'enfants possible. Et ceux qui mourraient n'étaient en quelque sorte que des dommages collatéraux. Et il y avait ceux qu'ont tuaient ou qu'ont tentaient de tuer juste parce qu'ils ne... convenaient pas en quelque sorte.

Les sorciers étaient pires que les vieux loups.

Les sorciers se fichaient de coucher ou de tuer leurs progénitures. Seule la survie de l'espèce comptait et certains étaient prêts à aller très loin pour ça.

Les Oracles pouvaient parfois être extrêmes dans leur façon de faire. Ceux qui n'étaient pas puissants ne valaient rien. Et ceux qui l'étaient... eh bien leur vie ne leur appartenait pas du tout.

Mais Basile semblait au-dessus de tout ça.

Il s'était affranchi de tout et en m'offrant son collier... ne me revendiquait-il pas comme sienne ?

Il aurait pu voir quelqu'un d'autre bien sûr ; dans n'importe quelle espèce, l'homme pouvait toujours faire ce qui lui plaisait, mais la femme ?

Moi-même je n'avais aucune réelle obligation envers lui, mais... l'amour n'était pas une attache suffisante ? Ce que je ressentais pour lui était suffisamment fort pour que je ne cherche pas ailleurs la personne qui me correspondait le plus.

Basile était... il était réellement celui que je voulais et que j'avais peut-être toujours attendu. C'était peut-être présomptueux de présenter les choses ainsi, mais il n'y avait rien de plus vrai.

Je commençai enfin à penser à quelqu'un d'autre qu'à Nohlan. Et je n'arrivai pas à me dire que c'était mal. Je n'arrivai pas à me dire que je le trahissais en pensant ainsi.

Basile était important pour moi. Suffisamment pour me faire regretter tout ce que j'avais pu faire jusqu'à présent.

Les choix que j'avais faits.

Et ce maudit contrat que j'avais passé.

Il avait réveillé quelque chose en moi. Il m'avait en quelque sorte réveillée. Et je ne pouvais plus faire semblait d'être une personne.

Avec lui, j'étais moi-même.

Je n'avais pas peur de me montrer faible. Je n'avais pas peur de tout lui dire.

Ou presque.

Parce que je lui avais menti.

Je ne lui avais pas dit la vérité sur ce que j'étais. Je ne lui avais pas dit la vérité pour le Vengeur qui était dans mon ombre et qui allait m'attraper.

J'allais le quitter.

Sans pouvoir me retourner. J'allais devoir partir.

Que ferait-il alors ? Basile... il savait ce qu'il voulait et il savait comment l'obtenir. Là-dessus, il n'était pas bien différent de Liam. Et ce psychopathe n'était pas du genre à abandonner. Basile non plus.

Resterait-il sans rien faire ? Bien sûr que non.

Me regarderait-il partir ?

Non.

Basile n'était pas comme ça. Et je devais m'inquiéter de cela. Je devais penser à beaucoup de choses pour la Fête de l'Hiver. Même si Nazir préparait tout avec mes Huit, il fallait que je prépare ma propre sortie.

Couper les liens ne nécessitait rien au préalable, à part garder le contrôle de moi-même et ne pas craquer.

Ne pas craquer.

Ne pas craquer avant la fin. La fin qui était là, juste à portée de main. Et après ? Qu'est-ce qui se trouvait au bout du chemin ?

Qu'est-ce que signifiait qu'être une Maudite ? Réellement ?

C'était la magie noire.

C'était le mauvais côté.

C'était la noirceur et les ténèbres.

Le mal.

Le froid.

L'obscurité.

La peur.

— Tu ne seras jamais quelqu'un de mauvais, mon petit glaçon. Il y a trop de lumière en toi. Il y a trop d'amour et de loyauté. Même mort, je ne te laisserais pas sombrer.

Les paroles de Robin tournoyaient dans ma tête.

Vivaces et belles.

Chaque mot qu'il avait pu dire était gravé en moi. Il m'avait offert mes Huit en quelque sorte. Sans lui, tout cela n'aurait pu voir le jour. Il avait certainement Vu que ce jour arriverait sans pouvoir y faire quoi que ce soit, puisqu'il était mort.

Robin.

Avait-il Vu Basile ? Avait-il Vu à quel point tout cela me changerait au plus profond de moi-même ?

Sûrement. Les Oracles n'étaient pas du genre à dévoiler si facilement ce qu'ils avaient Vu. Et Robin n'avait pas été différent des autres.

Il m'avait sauvée.

Il était resté avec moi et il m'avait appris beaucoup de choses.

Il avait presque tissé l'Éthérée avec moi. Et je n'étais pas prête de l'oublier.

Comme je n'oublierais jamais Enora, Reygon et Ulysse.

Comme je n'avais pu me résoudre à oublier Nohlan.

Même quand il m'avait abandonnée. Même quand il m'avait reniée presque.

Il y avait des choses qu'un cœur et qu'une âme pouvait supporter.

Par amour.

Par loyauté.

Par envie.

Je n'étais pas prête à oublier Basile et je n'étais même pas sûre d'être prête à le laisser derrière moi.

Parce que je l'aimais.

Et parce que je voulais être quelqu'un de loyal envers lui. Parce que j'avais envie d'être avec lui, tout simplement. Il n'y avait rien de plus simple à comprendre. Il n'y avait rien de plus facile en fait. C'était presque un désir humain. Et n'était-ce pas la base d'une relation ? Avoir envie d'être avec la personne. Avoir envie d'être désirée par cette même personne.

Je voulais Basile. Simplement, je n'étais pas sûre d'avoir le droit de penser ainsi.

L'après-midi sembla s'écouler au ralenti et le début de soirée me parut être une éternité. Je tournai en rond, ne sachant pas quoi faire.

J'essayai de sentir quand Basile apparaîtrait. Je ne voulais pas qu'il voie à quel point je l'avais attendu, à quel point je m'étais ennuyée de lui.

Il y avait tellement d'autres choses à penser ! Il y avait tellement d'autres choses à faire. Mais je n'arrivais à me concentrer sur rien.

Nohlan ne m'embêtait pas, encore occupé avec Shay, Timothy et Elias. Et Nazir n'avait pas tardé à disparaître après Basile.

Depuis, il n'était pas revenu, même si je savais qu'il reviendrait ; comme toujours. Lui non plus n'était pas vraiment du genre à lâcher l'affaire. Je l'avais longtemps admiré pour cela, mais en ce moment, ça avait juste le don de m'agacer au plus haut point. Et comme il savait être énervant, ce cher Nazir ! Mais même ainsi, j'avais toujours apprécié sa présence, même la première fois que nous nous étions rencontrés, Robin présent lui aussi.

Je me souvenais sans aucun mal de ma première rencontre avec chacun de mes Huit. C'était quelque chose qui ne s'oubliait pas. C'était quelque chose qui resterait à jamais dans ma mémoire. Tout comme le fait qu'aucun n'avait hésité.

Tous, ils avaient acceptés.

Tous, ils avaient voulu en être.

Et ils avaient prouvé plus d'une fois leur loyauté infaillible.

Nous étions uniques, tous. Aucun autre sorcier ne s'entourait de Huit autres. Aucun sorcier n'aurait fait un tel serment juste pour protéger un loup.

Mais je commençais à me rendre compte qu'aucun ne l'avait réellement fait pour Nohlan. Seulement, même si je le comprenais, je ne pouvais comprendre ce qui les poussait à m'être aussi loyaux.

J'avais une histoire avec chacun d'entre eux.

Nazir.

Jézabel.

Balthazar.

Cirdan.

Kassandra.

Aaël.

Eliezer.

Brianna.

Nos premiers contacts n'avaient pas toujours été faciles, mais au final, voilà où nous en étions. Et les menaces de Nazir n'avaient pas été lancées en l'air.

Mes Huit ne resteraient pas là sans bouger. Ils feraient quelque chose, ou du moins tenteraient. Mais ils devaient comprendre que rien ne me sauverait de ce contrat.

Je ne voyais pas vraiment cela comme une condamnation ; j'avais choisi cette voie. N'avais-je pas accepté les termes du contrat sans même y réfléchir à deux fois ?

Tout était fait.

Qui étions-nous pour vouloir défaire ce qui avait été fait ?

Personne.

J'attendis Basile toute la soirée. Assise sur le canapé, la télé en fond, je patientai. Je n'avais jamais été... comme ça. Je ne savais pas si c'était bien ou mal. Je ne savais pas ce qu'il fallait que j'en pense en fait.

Basile était le sorcier de Nathaniel maintenant et il avait beaucoup de choses à gérer, plus que Nathaniel lui-même ne devait penser. Mais après tout, Nath semblait un peu ailleurs quand ça concernait sa meute, ses loups et son territoire. Il avait une vision bien à lui, mais sa meute fonctionnait très bien ainsi depuis des siècles alors après tout, pourquoi pas ?

Basile avait dit qu'il reviendrait. Ce n'était pas une promesse, mais il n'était pas du genre à dire des choses dans le vide.

Alors, il allait venir.

Une nuit pouvait être longue après tout, non ?

Je soupirai et ramenai mes jambes contre moi, posant mon menton sur mes genoux. J'observai ce qui passait à la télé sans grand intérêt, écoutant le léger tic-tac de l'horloge se trouvant dans la cuisine.

Le son en était régulier et se répercutait légèrement dans l'appartement.

Tic.

Tac.

Tic.

Tac.

Je fermai les yeux en inspirant légèrement.

Tic.

Tac...


Je savais que le temps avait continué d'avancer. Qu'il avait continué d'égrener ses heures, ses minutes, ses secondes.

Je savais que derrière cette immense étendue de sable, que derrière cet immense désert, la vie continuait. Mais être ici, c'était comme faire du sur place. Comme ne pas avoir la possibilité d'avancer, d'évoluer.

Être ici, c'était oublier.

Oublier la vie.

Oublier le monde.

Et surtout, s'oublier soi-même.

Il ne restait rien d'autre que le sable.

À perte de vue.

Et le soleil avec ses rayons qui brûlaient tout et qui asséchaient ne serait-ce que la plus petite forme de vie.

Il n'y avait rien. Rien d'autre que des grains de sable.

Il était tellement facile de se laisser aller. Il était tellement facile de se perdre. Et il n'y avait alors personne pour vous indiquer le bon chemin.

Vous étiez seul.

Seul au monde. Ou du moins, l'impression était là.

Et les minutes n'étaient même plus des heures ou des jours, mais des mois.

La soif.

Encore et toujours cette soif.

Et le soleil.

Qui brûlait tout.

Le sol. Votre peau. Votre âme même.

La chaleur qui vous volait tout. Votre esprit, votre conscience.

Qui vous étiez.

Au début, j'avais cru mourir. Et pas qu'à cause de ce désert.

Au début, j'avais juste cru que la mort était la solution. Mais je m'étais alors souvenue que la mort n'avait pas voulue de moi une fois, alors qu'en serait-il de la deuxième ? Et voulais-je vraiment mourir ? Voulais-je vraiment quitter ce monde sans plus jamais revoir Enora et Reygon ? Sans plus jamais revoir Nohlan ?

Mais quand je pensais à eux, la douleur était affreuse et le manque, un trou béant dans ma poitrine. Et je ne pouvais pas penser à autre chose. J'en étais juste incapable.

Je pensais à ce loup qui m'avait sauvée.

Je pensais à cet homme qui m'avait donné une famille.

Je pensais aussi à mama, qui avait essayé de me noyer. Je pensais à mon pouvoir qui s'était retourné contre elle, contre tous les autres. Et la glace qui les avait tous tués.

Du bleu et du sang.

Beaucoup de sang. Et le silence.

Un silence de mort.

Dans le désert, c'était différent. Il n'y avait pas de sang, mais il n'y avait pas vraiment de bruit.

Toute seule.

Toute seule.

Toute seule.

J'avais peur de la solitude.

J'avais peur de me retrouver seule. Mais je l'étais déjà.

N'est-ce pas ?


Je clignai des yeux, ma vue floue. J'essayai de voir l'heure alors que mon esprit était prêt à replonger dans le sommeil.

Mon corps n'était que douce torpeur et j'avais du mal à garder les yeux ouverts.

Où est-ce que j'étais ?

Pourquoi étais-je là d'ailleurs ?

Je savais qu'il y avait quelque chose, mais j'étais trop fatiguée pour m'en souvenir soudain.

Dormir.

Je voulais juste dormir. Pourtant... n'y avait-il pas quelque chose ? Quelqu'un peut-être ?

Mes yeux se fermèrent de nouveau et je me sentis glisser tout doucement.

Bientôt, les tics-tacs disparurent.

Je crus entendre le grincement de mon plancher.

— Basile ?

Mais je fus emportée par Morphée.


Je crois que huit mois étaient passés.

Je crois bien que ça faisait huit mois que j'avais été chassée de la meute d'Aaron. Que j'avais été chassée par Nohlan.

Je ne savais plus trop.

Parfois, j'avais l'impression de perdre la tête. Le désert m'avait rendue plus folle. Plus faible. Encore moins moi-même.

Mais cela avait presque été un mal pour un bien. J'avais appris à utiliser mon pouvoir de Changeuse. J'avais appris à devenir celle que j'étais vraiment.

Une Changeuse.

Celle qui porte les peaux.

Je ne savais pas si j'aimais être ainsi. Je ne savais pas si j'aimais ce que j'étais parce que quand j'y pensais, mama avait voulu me tuer à cause de ça. À cause de quelque chose dans mon pouvoir qui ne lui avait pas plu.

Huit mois.

Je m'étais échappée du désert, ne pouvant plus supporter cette chaleur, ne pouvant plus supporter tant de lumière et d'aridité.

J'avais l'impression que ma peau était brûlée partout. Chaque rayon faisait mal maintenant et je voulais rester le plus loin possible de cet immense astre qui couvait la Terre entière.

Huit mois.

Et j'avais l'impression qu'un siècle entier était passé. Que cent années étaient passées.

Et j'étais seule. Même quand il y avait du monde autour de moi. J'étais totalement seule. Et je pensais à Nohlan.

Et je pensais à Enora. Et à Reygon. Il n'était pas toujours facile d'être avec lui, mais il était mon frère maintenant. Ou il l'avait été. Je ne savais plus trop. Je ne me souvenais plus.

Parfois, je me demandais ce qu'ils faisaient tous. S'ils m'avaient oubliée. Enora n'était pas très loin d'accoucher. Un petit louveteau. Un petit frère pour Reygon. Un autre fils pour Nohlan.

Ils étaient liés par le sang. Moi... moi je n'étais rien.

L'avais-je seulement été ?

Seule. Seule. Seule.

Et ça faisait mal. Tellement, tellement mal.

Qui est-ce que j'étais ?

Où était Nohlan ?

Pourquoi est-ce que j'avais si mal à l'intérieur ?


J'ouvris les yeux en sentant de très légers rayons de soleil effleurer ma peau.

Je clignai des yeux et ne bougeai pas pendant plusieurs minutes. J'étais allongée sur le canapé, une couverture sur mon corps, un oreiller sous ma tête. Mon corps était légèrement crispé, sûrement du à la position de cette nuit. La télé était encore allumée, mais le son avait été coupé.

Était-ce Basile qui était venu ? Mais qui n'était pas resté ?

Du bruit me parvint de la cuisine et mon cœur eut un loupé très significatif. Je clignai encore une ou deux fois des yeux pour me faire à la lumière ambiante et me redressai. Je passai une main dans mes cheveux pour les discipliner et tournai la tête.

Une boule dans ma gorge.

— Tu sembles déçu de me voir, Alice, dit Cirdan de sa voix de jeune homme.

Aurais-je pu dire moi-même le contraire ?

Ce n'était pas Basile. Il n'était pas venu.

Avait-il été retenu par Nathaniel ? Par Liam ?

Où était-il en ce moment même et que faisait-il ? Allait-il venir dans la journée ? Allais-je l'attendre encore ?

Je regardai mon Quatrième sans vraiment le voir. Il sourit doucement et vint poser une tasse de thé brûlante devant moi.

Et si c'était plus grave que ça ? Et s'il avait été blessé, encore ? Ne devrais-je pas aller voir ? Qu'est-ce qui me retenait, moi ?

Rien. À part peut-être la présence de Cirdan.

— Pourquoi es-tu ici ? demandai-je.

Il s'arrêta et se tourna légèrement vers moi. Cirdan n'était pas le plus étrange de tous, mais il y avait indéniablement quelque chose de... spécial chez lui.

— Parce que j'avais envie de passer du temps avec notre sorcière Blanche, répondit-il, tout simplement.

Et qu'aurais-je pu répondre à cela ?

Je lui souris et il me rendit ce sourire. Il me faisait penser à un enfant. Il semblait si chétif et si naïf. Mais il ne fallait pas s'y laisser prendre. Surtout pas avec Cirdan. Après tout, il n'était pas mon Quatrième pour rien.

Je pris la tasse entre mes mains et soufflai sur le dessus.

— Où en sont les préparatifs pour la Fête ? m'enquis-je, repoussant un certain Oracle de mes pensées.

— Tout est prêt. Nous avons été rapides cette année. Nazir ne nous a pas vraiment laissé le temps de souffler.

Je ris. Nazir était aussi perfectionniste qu'un vieux loup pouvait l'être. Il ne lâchait rien jusqu'à que ce que ce soit bien fait.

L'âge avait cet effet sur beaucoup de monde.

— Il n'est pas mon Premier pour rien, n'est-ce pas ?

Je bus une gorgée en fermant les yeux.

— Je reviendrai dans la soirée.

Je n'étais pas sûre de tenir toute la journée ainsi. J'avais besoin de le voir. J'avais besoin de voir Basile.

Je me levai et repoussai la couverture de mes épaules.

Il fallait que j'y aille. Maintenant, pas plus tard. Jamais je n'avais ressenti un besoin aussi fort, aussi puissant de voir quelqu'un.

Je voulais voir s'il allait bien. Je voulais voir pourquoi il n'était pas venu, pourquoi... pourquoi il m'avait laissé l'attendre toute la nuit.

Mais Aaël apparut à cet instant précis. Son regard croisa le mien et il baissa légèrement la tête. Je fronçai légèrement les sourcils.

Deux de mes Huit venant me voir dans la même journée ? Pourquoi est-ce que j'avais l'impression que quelque chose n'allait pas ?

— Qu'est-ce que... Nazir.

Je me tournai vers mon Premier qui venait d'apparaître en mangeant une pomme. Son poignet faisait du bruit à cause de toutes les babioles qu'il y avait mises.

— Bien le bonjour, petite Alice. J'espère que tu as réglé tes petites affaires avant la méditation.

Étrangement, il ne semblait plus en colère. Il semblait même plutôt léger, preuve que tout ne tournait pas rond.

Qu'avait-il fait ? Qu'avait-il magouillé encore ? Avec lui, on ne savait jamais. Dire que j'étais inquiète était un euphémisme.

La méditation. Cela m'était complètement sorti de la tête. Comment avais-je pu seulement oublier ?

Basile.

Bien sûr. Qui d'autre ?

Il avait le don de me voler toute raison et toutes pensées cohérentes cet homme. Il était plus dangereux que je ne l'avouerais jamais.

Je soupirai.

La méditation était un processus important de la Fête de l'Hiver. Généralement, je restais un ou deux jours loin de tout et de tout le monde, entièrement coupée du monde et je méditais, vidant mon esprit et me concentrant sur les liens qui me reliaient à la meute, à Nohlan, à mes Huit. Je laissai ma conscience courir sur tout l'Éthérée et me perdis là-dedans.

J'oubliais le monde et les gens qui le peuplaient.

C'était aussi une façon pour moi de concentrer tout mon pouvoir pour le relâcher lors de la cérémonie. La concentration avant l'abaissement total de mes boucliers. C'est comme ça que ça marchait.

Nazir avait raison ; c'était le moment pour la méditation. Mais... je ne voulais pas le faire sans avoir vu Basile. Mon Premier pourrait-il comprendre cela ?

— Nohlan a été prévenu.

Ce dernier savait que pendant deux jours, il ne pourrait pas faire appel à moi. C'était dans ces moments-là que je laissais mes Huit gérer le moindre problème.

— Je...

Nazir s'avança et d'un signe de tête, congédia les deux autres qui se contentèrent de disparaitre dans une autre pièce.

— Tes scellés ne tiendront pas plus, Alice. Te couper du monde sera bénéfique. J'aviserai à la Fête de l'Hiver, dit-il.

— À ce moment là ce sera inutile, Nazir.

Il balaya ma phrase d'un signe de la main :

— Arrête de penser, sorcière. Et va te préparer. Nous t'attendons ici.

Son regard brilla. Il ne me laisserait pas aller voir Basile. Aucun des trois ne me laisserait disparaître.

Je soupirai et grimpai à l'étage pour me changer. Je passai une tenue très simple et m'observai un instant dans le miroir. Mon tatouage sur mon aine était visible et bien plus développé que quelques mois plus tôt.

Tout avait été très vite au final.

Et les siècles étaient passés comme de simples années.

Et aujourd'hui, tout prenait fin. J'étais arrivée à la fin de mon voyage. De mon voyage en tant que l'Alice de Nohlan ; en tant que sorcière Blanche.

Aucun regard en arrière possible.

J'avais atteint ce fameux point de non-retour.

Je me détournai de ma propre image et descendis en bas.

Nazir, Cirdan et Aaël étaient dans le salon, m'attendant patiemment.

— On peut y aller ?

Je hochai la tête et Aaël m'offrit son bras. Je lui souris doucement et il nous transporta tous les deux.

Nous réapparûmes dans une immense salle où l'obscurité était maîtresse de tout.

Il y avait un cercle de magie au centre, entouré de nombreuses bougies. Et rien d'autre. Il régnait un froid à vous glacer les os ; mais à moi, il ne me faisait rien. Après tout, le froid était mon élément.

J'étais la sorcière de Glace.

J'étais la sorcière de l'hiver.

Aaël s'écarta de moi et laissa Nazir s'approcher.

Ce dernier déposa un baiser sur mon front et sa magie m'enveloppa. Elle était douce et chaude. Elle était puissante et belle.

— On se revoit à la Fête de l'Hiver, Alice.

Un sourire.

Une sorte d'éclat de malice.

Je hochai doucement la tête et il se recula. Cirdan me fit un petit geste de la main et disparut le premier, suivi d'Aaël. Nazir me fit un clin d'œil et je me retrouvai alors toute seule.

Le silence.

Le froid.

L'obscurité.

Les ténèbres.

J'inspirai légèrement et m'avançai dans le cercle de magie. Je m'installai en tailleur et fermai les yeux. Ma magie monta et j'entendis le craquement de la glace.

Elle recouvrit tout. Elle m'enveloppa.

Et me coupa de tout.

Je laissai ma conscience dériver.

Et il ne resta rien d'autre que des flux de magie.

Il ne resta rien d'autre qu'une immense toile et des fils, des liens.

Mon esprit se vida.

Et je ne fus plus que magie. 



Doucement, on approche de la fin... 


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