2. Alice
Les couloirs de l'hôpital étaient déserts, comme si aucun médecin n'était ici, comme si l'endroit était vide de toute vie. Mais ce n'était pas le cas, loin de là. Je pouvais entendre des bips venant de partout, je pouvais percevoir les bruits rauques de la toux des malades ou le murmure de personnes qui priaient doucement, qui imploraient le Seigneur de faire quelque chose, qui imploraient le Seigneur pour un miracle qui n'arriverait pas.
Nohlan avait toujours été très croyant.
Je n'avais jamais su d'où cela lui était venu et quand surtout. Enora, sa première femme et son premier amour ne l'avait pas été, elle, et je n'étais pas vraiment sûre qu'avant la perte de ses fils, Nohlan ait cru un seul instant en un Dieu au-dessus de nos têtes. Mais les croyances des gens ne se discutaient pas, tout le monde avait le droit de croire en ce qu'il voulait n'est-ce pas ? Humains ou surnaturels, cela ne changeait rien.
Il y avait des humains qui préféraient ne pas croire en Dieu et des loups qui préféraient ne pas croire en Sharan, et pourtant, ces derniers auraient dû, puisqu'elle avait vraiment existé, elle avait réellement foulée notre Terre, les plus vieux loups vivants dans le désert pouvaient le dire, Elijah pouvait le dire.
Les loups et les vampires avaient une histoire pour leur origine, les sorciers n'avaient pas cela. Il n'y avait aucune belle histoire d'amour pour raconter notre naissance ou même nos origines. Si pendant longtemps les vampires s'étaient considérés comme à part, le peuple le plus différent des autres surnaturels n'était autre que celui des sorciers.
Je vis une ombre sur ma droite et regardai le malade sortir de sa chambre, trainant son portant à perfusions avec lui. Il avait le regard fiévreux, le teint de quelqu'un ayant oublié que le soleil existait. Il ne fallait pas être devin, ou Oracle pour savoir qu'il arrivait à la fin de sa vie.
Les humains étaient tellement éphémères, leur vie passait si vite. J'avais vu des gens naître et ces mêmes personnes mourir.
Est-ce que l'éternité était un cadeau ?
Est-ce que vivre siècles après siècles était une bénédiction ?
Voir des guerres faire rage, voir la liberté l'emportée, voir des gens sourire, vivre puis mourir. L'Humanité ne se résumait-elle pas à cela ?
Vivre pour mourir.
Profiter pour trépasser.
Quand on voyait trop d'horreurs, la beauté n'existait plus.
Un beau ciel bleu, une belle rose ouverte, non, plus rien ne comptait. Et la chose qui importait, c'était le temps qui passait, sans jamais s'arrêter, sans jamais rien préserver, surtout pas nos esprits.
Mais croire que tous les surnaturels vivaient longtemps à l'abri de tout était une grossière erreur.
Beaucoup perdait la tête, beaucoup devenait fou du jour au lendemain.
L'éternité nous prenait beaucoup de chose.
Trop peut-être même.
Je m'arrêtai sur le seuil d'une chambre qui ressemblait à toutes les autres. Le moniteur indiquant la fréquence cardiaque bipait doucement, mais pas normalement. Le cœur relié à cette machine était à bout, épuisé de battre jours après jours, épuisé de lutter.
Dans le lit, une femme d'une vingtaine d'années avec de longs cheveux blonds. Quand elle était debout, il lui tombait dans le creux des reins tels une cascade. Chaque mèche était comme une ficelle d'or, étincelant au soleil.
Je savais ses yeux d'un marron clair magnifique, rappelant celui de l'écorce d'un arbre. Elle n'avait que la peau sur les os et avait le teint si blanc que ses veines ressortaient. Je n'étais peut-être pas une louve et je n'avais peut-être pas l'odorat très développé, mais je savais sentir la mort quand je l'avais devant moi.
Et là...
Je regardai l'infirmière s'affairer en silence autour du lit avant de relever les yeux vers moi et de me sourire franchement.
— Alice ! Ça faisait longtemps qu'on ne vous avait pas vu, dit-elle.
Elle se redressa et essuya ses paumes moites sur sa blouse. Elle s'éloigna du lit et marcha jusqu'à moi.
— Ça fait plaisir de vous voir. Blaze est vraiment le seul à venir la voir et avec son métier, ce ne doit pas être facile.
Je souri et observai le visage aux traits paisible de Kate. On aurait presque pu croire qu'elle dormait, tant son visage était inexpressif et doux. Mais ce n'était pas le cas, elle dormait certes, mais pas de ce sommeil paisible que tout le monde connaissait.
Non. Pas elle. Plus maintenant.
Quelqu'un cria dans le couloir et l'infirmière – Annie – soupira :
— Walter aime à ce qu'on ne l'oublie pas à ce que je vois, dis-je doucement.
— Si vous saviez ! Il m'aura à l'usure.
Elle rit doucement et posa une main sur mon épaule en passant, comme si elle voulait me rassurer, me donner un peu de tendresse, mais ce n'était pas moi qui en avait besoin.
Je m'avançai à côté du lit et attrapai la main de Kate.
Glaciale.
Ce n'était plus une question de mois, ni même de semaines, mais bien de jours.
Je n'étais pas venu à Columbus quelques jours avant mon rendez-vous avec Nathaniel pour rien, mais parce que Blaze me l'avait demandé. J'avais compris dans sa voix que cette fois serait certainement la dernière.
Il était la Main de Nathaniel et passait très peu de temps ici, avec les autres membres. Il courrait le monde, se posant parfois, mais repartant toujours presque aussitôt.
La vie des Mains de meute était ainsi, il n'y avait aucune exception à cette règle, aucune exception à ce poste.
Quand on devenait Main, on choisissait son Alpha avant tout le reste. On choisissait presque une vie de nomade.
On devait mettre de côté la famille, on oubliait tout. Alors parfois, il arrivait que les Mains choisissent de n'avoir aucune famille, aucune attache à part son Alpha. Mais il y en avait qui avait une femme et des enfants. Il y en avait qui arrivait à concilier les deux. Mais dire que c'était facile pour ceux qui l'attendaient était faux.
— Pourquoi tu es triste ?
Je posai ma petite main sur son bras. Elle dégageait toujours cette chaleur qui me donnait envie de me blottir dans ses bras. Elle avait la peau rugueuse, mais pour moi, elle était si douce.
Ses yeux se posèrent sur moi. Je n'aimais pas la voir malheureuse, mais dès que Nohlan partait, elle pleurait, surtout la nuit, quand elle pensait qu'on ne l'entendait pas, quand elle pensait que Reygon et moi dormions.
Elle m'avait expliqué qu'il était la Main d'Aaron, que son rôle n'était pas d'être dans la meute, mais à l'extérieur.
— Il va revenir, tu sais ? Soufflai-je en posant ma tête sur ses genoux.
Il faisait encore trop froid pour le début du printemps. Les récoltes allaient être mauvaises et après l'hiver qui venait de passer, ce n'était pas bon.
Sa main se retrouva sur ma tête et je fermai les yeux.
Enora était trop faible pour une louve. Elle était trop faible quand Nohlan n'était pas là. Son cœur saignait beaucoup.
Reygon qui était un garçon faisait mine de ne pas s'en apercevoir, mais moi je le voyais, je le sentais. Mais quand Nohlan revenait, c'était comme si tout était oublié.
— Tu es trop gentille, petite Alice.
Elle se mit à fredonner doucement. Et ses larmes tombèrent sur mes tempes.
Nohlan revenait toujours.
Je balayai son front de mes doigts et laissai ma magie courir doucement dans son corps. J'avais retardé tout cela autant que je l'avais pu, mais la nature finissait toujours par reprendre ce qui lui était dû et la mort encore plus. La faucheuse ne laissait personne lui échapper.
Personne.
Je relevai alors la tête et regardai Blaze entrer.
Il était presque aussi grand qu'Ean, mais son corps était beaucoup plus musclé, son corps était fait pour tenir des jours et des jours sans cesser de courir, de traquer. Il avait les cheveux coupés court et un immense tatouage s'étendait de son cou à tout son torse ; je le savais pour l'avoir déjà vu. Il portait un t-shirt et un jean tout simple.
Il semblait épuisé, comme s'il n'avait pas dormi depuis au bas mot une semaine. Et c'était ça. Je n'avais pas besoin de lui demander. Après toutes ces années passées à circuler très souvent entre l'Éthérée et Columbus, j'en étais venu à connaitre chaque membre, surtout les hauts-gradés.
Blaze me regarda et s'approcha ; il déposa un baiser sur ma joue avant de se baisser sur Kate et de faire pareil, mais sur son front.
Il y avait un air de famille incontestable ; Kate était la nièce de Blaze. Il s'en était occupé comme si ça avait été sa fille quand le propre père de cette dernière l'avait abandonnée quand il avait compris qu'il y avait une sorte de latence en elle. Kate avait une louve en elle, mais cette dernière était incapable de prendre forme. Ce n'était pas le premier cas de ce genre et certainement pas le dernier, mais cela avait suffi à sa famille pour la rejeter. Certains n'acceptaient pas la différence, ainsi était faite les choses. Alors Blaze l'avait pris avec lui, sans vraiment en parler aux autres, sans vraiment en parler à Nathaniel. Même si ce dernier savait, je n'en doutais pas vraiment.
Mais Kate était tombée gravement malade, ce genre de maladie incurable, dont même la science ou la sorcellerie ne pouvait rien.
— Salut, gamine. On dirait que c'est pas la très grande forme, hein, souffla-t-il doucement, comme s'il avait peur de la réveiller.
En général, Blaze était un homme plutôt bourru, mais je l'avais vu des milliers de fois avec Kate et il était d'une douceur extrême, comme s'il ne fallait pas la briser, comme si elle était un petit papillon qu'il fallait préserver coûte que coûte.
Et quand il m'avait demandé de faire quelque chose, même si ce n'était que retarder l'échéance, je n'avais pu refuser.
Je regardai l'homme, voyant le loup affligé derrière. Il n'aurait pas dû être tout seul. Il répétait toujours que cela ne concernait pas la meute, mais bien au contraire. La meute était une immense famille qui se devait de seconder chaque membre sans aucune distinction. Kate aurait même pu n'avoir aucun lien familial avec Blaze que ça n'aurait rien changé.
Il souffrait et cela aurait dû être suffisant. Mais il avait suffi qu'il dise à Nathaniel de ne pas s'en mêler pour que ce dernier ne fasse rien. Chaque Alpha était différent avec ses loups. Nathaniel était l'opposé de Nohlan là-dessus.
Mais sa meute n'en restait pas moins très saine.
Blaze tira le fauteuil à côté du lit et s'assit lourdement dedans. Je restai légèrement en retrait.
Je ne ressentais pas de peine, ni vraiment de compassion. Ce genre de sentiments m'était étranger depuis quelques siècles maintenant. Tout comme beaucoup d'autres, mais j'avais appris à ériger une façade, ce qui m'avait rendu service à bien des occasions.
Les heures passèrent.
Annie revint, puis le médecin. Il murmura quelque chose à Blaze en secouant la tête. Il n'y avait plus rien à faire.
Blaze se frotta le visage et à l'aube, Kate reprit conscience. Sûrement la dernière fois. Elle avait les lèvres sèches, comme si elle n'avait pas bu depuis un certain temps.
Je tendis la main devant moi et un papillon d'une blancheur immaculé apparut. Il n'était que lumière concentrée, un vieux tour de magie blanche. Je soufflai dessus et il s'évapora dans la pièce.
L'oncle et la nièce parlèrent longuement et Kate trouva même la force de rire une ou deux fois. Et puis elle m'appela.
Blaze se leva et me laissa la place. En me voyant, elle sourit. Elle avait le visage doux, les yeux fous.
Elle ouvrit la bouche, mais je hochai déjà la tête. Ma main se retrouva sur ses yeux et mon bracelet cliqueta doucement.
J'inspirai lentement et je lui montrai ce qu'elle voulait voir, ce que son cœur désirait, même si ce n'était que mensonge. C'était un vieux pouvoir que j'utilisais rarement, mais pour Kate, je le faisais. C'était comme un vampire qui contrôlait les pensées des gens, c'était comme une vision qui ne se réaliserait jamais.
Une larme coula le long de sa joue et elle soupira doucement.
Le moniteur ralenti encore.
C'était le moment pour la petite de partir. Blaze approcha et se pencha sur son oreille. Il lui murmura quelque chose avant de l'embrasser. Il ferma les yeux et une unique larme coula.
Elle avait représenté une famille pour lui.
Les bips cessèrent.
Le cœur cessa de battre et Annie et le médecin apparurent sur le seuil de la chambre. Ils ne bougèrent pas. Il n'y avait rien à faire de toute façon.
Je retirai mes mains et posai mon front sur celui de Kate. Ma magie enveloppa son corps et le purifia. Quand je me redressai, un sourire étirait ses lèvres et son expression était apaisée.
Je sentis Quinn – l'Eros de la meute -, Keagan – le premier Dominant -, et Ean arrivés avant de les voir.
Ils avaient reçu mon message.
Je vis Blaze se redresser et me regarder, comprenant ce que j'avais fait. Il secoua doucement la tête, mais je vis du soulagement dans ses yeux.
J'embrassai une dernière fois Kate et reculai. Les trois loups entrèrent dans la chambre et Quinn s'avança droit sur Blaze.
Keagan me salua d'un signe de tête et resta dans un coin de la pièce.
Il était temps pour moi de rentrer. J'avais fait ce que j'avais à faire avant de rencontrer Nathaniel. Je laissai la meute s'occuper de Blaze et m'éclipsai de la chambre.
— Alice !
Je ne m'arrêtai pas alors qu'Ean m'appelait.
Je descendis les marches alors que le vent soufflait fort, cinglant. Les lampadaires illuminaient la route, mais les rues sombres étaient plongées dans la plus totale obscurité.
Je jetai un coup d'œil derrière mon épaule, voyant qu'Ean me collait toujours aux fesses.
Maudit loup. Je secouai doucement la tête et mon épaule heurta quelqu'un. Je m'excusai d'un signe de main, sentant une énergie me coller à la peau.
— Maudite sorcière, cracha Ean en abandonnant.
Un rire.
Doux et léger. Celui d'un petit Oracle.
Je m'enfonçai dans la nuit, les ténèbres m'enveloppant totalement.
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