14. Basile
Le changement d'Alice me laissa vraiment perplexe au début. Je m'étais immobilisé, regardant celle qui était censée m'appartenir se presser contre le torse de Nohlan comme si sa vie en dépendait. Je revoyais l'enfant fait d'Ombres.
_ Oups, fit Liam sur le côté.
Je tournai mon regard vers lui une seconde, puis quand je me tournai de nouveau vers Alice, ses cheveux avaient blanchi, ses yeux étaient laiteux et tout son corps sembla diffuser une légère lumière. Soudain, toute sa peau tomba en une sorte de poussière. Révélant un autre corps. Révélant une autre personne.
Je clignai des yeux et fis un pas. Quinn s'avança vers moi, mais je levais ma main. Nohlan tenait l'épaule de l'homme qui avait pris la place d'Alice. Il était plus grand qu'elle, plus large d'épaules. Rien ne restait de celle qui était à moi.
Pas une seule trace.
Une vieille histoire qu'on racontait aux jeunes Oracles me revint. Je n'y avais jamais cru et pourtant... Elle racontait l'histoire d'un homme. D'un homme, qui en voulant tuer son ennemi, avait pris la peau du fils de ce dernier. Il avait tué le jeune garçon et avait... enfilé sa peau.
Il était allé voir son ennemi, recouvert de la peau de l'enfant de cet homme. Il avait pris la place de l'enfant. On disait aux enfants que c'était une punition pour ne pas avoir été sage et qu'ainsi, le voleur de peau ne viendrait pas voler la leur. Mais... je n'y avais jamais cru. Car la fin était trop affreuse. En prenant la peau du fils, l'homme était devenu le fils.
Ce n'est que des années plus tard qu'il avait retrouvé sa personnalité. Que des années plus tard qu'il avait réussi à retrouver sa propre peau pour recommencer encore et encore. Il n'avait jamais pu s'arrêter après ça. C'était l'autre partie de la punition. L'autre partie à laquelle je n'avais jamais porté attention. Et pourtant...
Bon sang.
Nohlan prit l'homme par les épaules et murmura le prénom d'Alice.
L'homme se tourna, son regard brillait.
_ Loup, murmura-t-il.
_ Alice revient, souffla Nohlan.
_ Nohlan, s'inquiéta Peython, sa femme.
Je m'approchai encore de quelques pas.
Alice... Non.
Ce n'était pas... Ce n'était pas possible.
_ Tu ferais mieux de reculer, rit Liam de son côté.
Sous le coup de la colère, et en comprenant que c'était sa faute si elle était dans cet état, je le fusillai du regard. Quel con ! Je soufflai bruyamment alors qu'il tournait son regard sur moi. Il pencha la tête sur le côté. Mes Ombres rôdaient encore de moi. Je n'arrivais pas à les maîtriser. C'était trop dur.
J'étais inquiet.
Je retournai mon regard sur l'homme.
Non. Alice.
C'était Alice.
_ Alice, c'est moi, c'est Nohlan, continua de souffler l'Alpha en prenant son visage à deux mains.
Le visage de l'homme se tordit un instant, mais resta inchangé.
Il l'aidait.
À quelques pas d'eux, j'appelais doucement le prénom d'Alice.
Nohlan se tourna vivement vers moi. Je vis le visage du Chasseur se tourner vers lui au lieu de moi. Je compris bien avant que cela n'arrive ce que l'homme voulait faire. Mes Ombres se jetèrent d'elle-même entre Nohlan et l'homme. Nohlan cria quelque chose, mais déjà je me déplaçai dans mes Ombres, me retrouvant en face de l'homme. Son visage se contracta de nouveau.
_ Aller ma belle, soufflai-je en retenant Nohlan d'avancer.
Je posai mes mains sur les joues de l'homme qui criait.
_ Alice, reviens avec moi, murmurai-je.
La colère de l'homme était palpable, mais je perçus quelque chose en dessous. Il y avait toujours la magie d'Alice. Ou en tout cas, j'en sentais une partie. Cette partie que j'avais revendiquée comme mienne cette nuit.
Mes Ombres s'épaissirent autour de nous alors que l'homme se débattait contre Elles. Je continuai de le regarder dans les yeux. Soudain, alors que mes Ombres étaient épaisses et nombreuses, de la glace les recouvrit si vite que je suffoquai dans l'air glacé qui m'entourait. Je me retins de tousser alors que les cris de l'homme continuaient.
_ Alice ! criai-je alors que la glace se refermait un peu plus sur nous.
Soudain, son regard s'écarquilla.
Un nouveau cri retentit. La magie d'Alice glissa sur mes bras, m'enveloppant dans de la glace. Je voulus bouger, mais les mains de l'homme ? d'Alice ? s'accrochèrent à mes poignets. Je grinçai des dents, la glace grimpant sur mes épaules.
_ Plus vite, grognai-je.
Le corps de l'homme se réduisit en poussière, laissant de nouveau le corps d'Alice faire surface. Sa magie explosa à l'intérieur du bloc dans lequel nous nous trouvions. Ce fut comme si je me prenais une claque. Une grosse claque.
Les bras toujours tendus vers elle, les mains gelées sur ses joues, son regard croisa le mien.
_ Cachottière, haletai-je, encore sous le coup de sa puissance.
_ Bas... basile ? souffla-t-elle comme surprise.
_ Toujours au poste, murmurai-je.
Elle vit mes bras et cria légèrement. Ses mains glissèrent et soudain, mes bras furent à l'air libre. Enfin... mon souffle forma de la buée, encore coincée dans le bloc de glace qu'Alice avait formé. Mes Ombres semblaient bouger à l'intérieur même de l'épaisseur de ce dernier.
_ Pardon... je ne..., suffoqua-t-elle.
Je souris, voulant la rassurer. Des engelures s'étaient formées sur mes bras. Rien de grave, mais Alice prit le temps de me soigner. Avait-elle remarqué son bloc de glace autour de nous ? Je ne pensais pas. Sa magie s'éleva autour de nous, plus pure à présent. Des petites lumières nous éclairèrent un instant, avant de disparaître. Mes bras étaient de nouveau lisses et sans blessures.
_ Basile... bon sang... je ne...
Je posai un doigt sur sa bouche.
_ Je te préfère comme ça, soufflai-je en caressant sa joue.
Elle fronça un instant les sourcils, mais mon contact la fit lever les yeux vers moi.
_ Tu..., commença-t-elle.
Je frôlai sa bouche de la mienne. Elle ferma les yeux. Soudain, elle chancela. Je la rattrapai et la prit dans mes bras. Ses yeux papillonnèrent.
_ Tu feras de mieux faire plus attention, grognai-je.
_ Liam... Liam savait... souffla-t-elle, légèrement dans le vague.
Liam savait ? Il savait que ce qu'il avait lui ferait... ça ? Peu importe ce que c'était ?
Je serrai les dents. Il pouvait s'attaquer à n'importe qui, mais pas à Alice. Père ou non. Elle n'était pas quelqu'un à toucher, ni à blesser. Je regardai autour de moi. Intéressant encore. Le pouvoir d'Alice lui avait créé un bouclier le temps qu'elle était faible, et sa glace s'était liée à ma magie, comme pour se renforcer.
_ Toujours aussi impressionnant, soufflai-je en embrassant son front.
Elle s'agrippa à mon t-shirt, n'ayant plus la force de passer ses bras autour de mon cou. Je l'avais vu tenter le geste. Je souris alors qu'elle reposait sa tête contre mon épaule, légèrement recroquevillée contre moi.
_ Je n'aime pas te voir si vulnérable, sorcière, murmurai-je.
Elle dut détecter quelque chose dans ma voix, car elle rouvrit difficilement ses yeux. Qui enfin captèrent pourquoi je ne bougeais pas. Elle ouvrit la bouche sur une exclamation silencieuse.
_ Vais-je devoir moi-même me soucier de ton bien-être ? chuchotai-je contre son front.
Elle soupira doucement et pressa le sien contre ma joue.
_ Allez, il faut que tu dormes, repris-je en la serrant contre moi.
Je fis appel au peu de savoir que j'avais avec mes Ombres. La structure autour de nous éclata. Je ralentis les éclats avec ma propre puissance de l'air.
_ Alice ! s'écria Nohlan.
Elle émit un léger bruit alors que l'Alpha se jetait sur nous. Il tâta son visage, ses bras. Soudain, il voulut la prendre, mais rencontra une résistance de ma part.
_ Basile, commença Quinn.
Je soutenais le regard de Nohlan qui devint vibrant de colère.
_ Nohlan, souffla Alice.
_ Qui penses-tu être, petit sorcier ? murmura Nohlan.
_ Tout va bien, reprit Alice. Nohlan... tout va bien...
Le regard de l'Alpha se posa sur Alice. Il fronça les sourcils un instant.
_, Mais oui, Nohlan, ta petite sorcière va bien.
_ Liam, assez, cracha Marina.
Nohlan et Alice échangèrent un long regard. Alice voulut le rattraper, mais Nohlan avançait déjà vers Liam. Peython le retint alors que Liam attendait qu'il s'approche. Marina s'avança vers Nohlan à son tour en le retenant.
_ Il n'en vaut pas la peine, souffla Peython.
Alice s'agrippait à mon t-shirt, son autre main sur mon épaule. Elle s'était légèrement redressée. Je sentais qu'elle voulait marcher, mais dans l'état de fatigue où elle se trouvait, je ne voulais pas la lâcher.
_ Laisse-le, ajouta Marina.
_ Qu'il s'en aille, cracha Nohlan.
_ Je n'obéis pas aux Alphas, grogna Liam.
Je le regardai avec de grands yeux. Voulait-il se battre encore ou quoi ? Il me jeta un coup d'œil, pencha la tête sur le côté. C'était la première fois qu'il me détaillait. Je sentis le corps d'Alice se crisper. Liam n'avait pas encore compris qui j'étais. Il ne devait pas le comprendre tout de suite. C'était ça l'idée, n'est-ce pas ?
Je regardai Alice. Elle observait Nohlan et Liam.
_ Ferme la bon sang ! cracha Marina en se tournant vers Liam.
Il la regarda d'un regard vide.
_ S'il te plaît Marina, souffla Peython.
Marina hocha sèchement la tête. Elle repartit vers Liam et s'arrêta devant lui. Il craqua au bout de quelques secondes et la regarda en baissant simplement les yeux.
_ Rentrons, grogna-t-elle.
Il releva son regard sur moi. Marina lui agrippa le menton et le força à la regarder.
_ Je suis fatiguée et énervée, dépêche-toi de me ramener, ajouta-t-elle.
Il passa son bras autour de sa taille et la pressa contre lui. Je ne vis pas son visage, mais celui de Liam resta légèrement impassible. Marina devait être encore énervée. J'espérais qu'elle le soit. Elle ne pouvait pas le laisser la traiter d'une telle façon.
Liam releva son regard sur Alice et moi. Je me déplaçai légèrement, montrant mon flanc à Liam plutôt qu'Alice.
Il fronça ses sourcils.
_ Maintenant, ajouta Marina en nous jetant un coup d'œil légèrement amusé.
_ Reste dans les parages, gamin, remarqua Liam.
Ils disparurent. Louis resta aux côtés des loups de la meute de Nohlan.
Rester dans les parages ? Je déglutis. Peut-être était-il temps que je disparaisse. La main d'Alice sur ma nuque me ramena à la réalité. Partir maintenant ? J'en serais incapable. Et bon sang... Liam n'était pas la meilleure excuse que j'avais en tête.
Je baissai mon regard sur Alice. Elle m'observait, une légère inquiétude dans les yeux. Pourrais-je sincèrement partir en la laissant derrière moi ? Je souris doucement, repoussant cette pensée.
_ Tout ira bien, murmurai-je contre son front.
Nohlan se tourna vers nous et son regard était sans appel. Il grogna quelque chose et se retira dans le bar. Suivie rapidement par Peython.
_ Il vaut mieux que je le suive, souffla Alice.
Je la pressai contre moi. Non ! Pas tout de suite. J'essayais de cacher mon inquiétude de la laisser et me raclai la gorge.
_ Je vais te ramener chez toi, dis-je.
Elle haussa un sourcil. J'étais un maître de l'Air. J'utilisai la même technique qu'elle pour bouger.
_ Basile, commença-t-elle.
_ S'il te plaît, soufflai-je.
Elle me regarda pendant quelques secondes. Sa main glissa dans ma nuque, jouant légèrement avec mes cheveux. S'en rendait-elle compte ? Je n'en étais pas sûr. Elle finit par hocher doucement la tête.
_ Montre-moi, murmurai-je en tendant mon front vers sa main.
Elle eut un léger sourire et posa son doigt sur mon front. Je hochai la tête, visualisant la destination. Son pouvoir glissa en moi, me faisant légèrement frémir. Je me tournai vers Quinn et Aliyah.
_ Ne m'attendez pas, souriais-je.
Alice émit un petit bruit d'exclamation alors que je disparaissais avec elle, emportée par mon pouvoir. J'atterris dans son appartement. Elle m'avait indiqué l'endroit exact et comme j'étais déjà venue...
_ Dans quelle ville sommes-nous ? demandai-je en la déposant doucement sur son canapé.
_ À Sarnia, répondit-elle en grimaçant légèrement.
_ Tu as mal ? soufflai-je.
Elle secoua doucement la tête et croisa mon regard. Elle baissa immédiatement les yeux en rougissant. J'adorais lui faire cet effet, même quand j'étais en colère.
_ Tu n'aurais pas dû me soigner, remarquai-je en m'asseyant à côté de ses hanches.
Elle haussa ses épaules.
_ C'était le moins que je puisse faire, souffla-t-elle.
Je pris ses poignets entre mes mains et fermai les yeux. Je guéris rapidement son corps avec mes réserves de pouvoirs. Elle frissonna avant de soupirer doucement. La griffure sur sa joue disparut elle aussi. Tant mieux. Je lissai l'endroit et l'embrassai.
_ Beaucoup mieux, remarquai-je.
Elle rougit à nouveau.
_ Tu... tu n'es pas obligée de rester, dit-elle en passant une de ses mains dans ses cheveux.
Je haussai un sourcil et penchai la tête un instant.
_ Tu veux que je m'en aille ? murmurai-je sur un ton neutre.
Elle releva ses yeux sur moi, les écarquillant légèrement. J'entendis son souffle se couper alors que je restais immobile. Je fis taire la partie de moi qui voulait l'embrasser, vérifié qu'elle allait bien après, qui voulait la cacher dans un endroit sûr.
_ Non, je... je ne disais pas ça pour ça... c'est... je ne voulais pas... que... tu sais, bredouilla-t-elle sous mon regard insistant.
C'était adorable, mais je tenais le coup. Je ne rigolais pas une seconde.
_ Non je ne sais pas, dis-je en haussant un sourcil.
Elle leva les yeux au ciel, retenant son sourire.
_ Que tu te sentes obligé de faire ça, remarqua-t-elle.
Je pinçai les lèvres. Elle pensait ça ? Que je me sentais obligé ?
_ Ça quoi ? remarquai-je en repoussant une de ses mèches de cheveux.
Mon doigt glissa sur son oreille.
_ Ce n'est pas... juste, souffla-t-elle alors que mon doigt glissait sur son cou.
_ J'ai eu peur pour toi Alice, murmurai-je. J'ai besoin de voir que tu vas bien.
_ Et j'ai besoin que...
Mes lèvres frôlèrent les siennes. Elle s'arrêta de parler. Je me reculai doucement, laissant mes lèvres glisser sur sa joue, sur ses paupières.
_ Oui, Alice ? chuchotai-je contre son oreille, me penchant doucement.
Ses mains s'accrochèrent à mes épaules.
_ Tu ne me connais pas, reprit-elle dans un souffle. Comment aurais-tu pu avoir peur pour moi ? Pourquoi t'inquiéter autant ?
Elle avait débité sa phrase d'une traite.
Je me redressai, ma main retomba sur mes cuisses.
Un instant, je la regardai, ébahi.
Étonnamment, et pour la première fois dans toute ma longue vie et sans aucune raison particulière, je rougis.
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