11. Basile

Elle fit exprès d'éviter mon regard. Mais je savais qu'elle sentait le mien. Marina lui dit quelque chose, mais j'étais trop occupé à l'observer elle pour seulement y prêter attention. Louis me poussa à l'intérieur. Je regardai Alice lever son visage vers les premiers flocons. Sa beauté me frappa un peu plus.

Oui. Cette femme était belle, à l'extérieur comme à l'intérieur. Sa lumière attirait mes Ombres inévitablement. Je perdis le contact visuel avec elle alors que la porte se referma. Je fis la moue avant de tourner mon regard vers plusieurs enfants. Ils étaient installés dans le salon, certains assis par terre à jouer -plutôt jeune, et d'autres sur le canapé, regardant la télé.

Marina, Louis et Quinn avaient disparu dans une autre pièce. La cuisine sûrement. Alors que mon regard s'attardait sur les jeunes : ils étaient tous loups. Même jusqu'au bébé qui rampait à quatre pattes. Une jeune femme s'agenouilla avec lui et joua un instant avec ces petites mains.

Tous des loups.

Tous des orphelins.

Je pouvais sentir leur moitié à tous, comme une petite lumière au creux de leur cœur.

Leurs loups étaient leur seule famille.

J'allais pivoter vers les voix que j'entendais.

_ Salut Aubrie, s'exclama la voix de Louis.

Seulement, la porte s'ouvrit. Un jeune loup d'une trentaine d'années entra. Il avait des courses plein les bras et avait ouvert la porte de son dos. Il allait se retourner, mais il me heurta.

Tout se passa s'y vite, que j'eus à peine le temps de reculer. Son dos heurta ma main.

La vision grimpa en moi alors que nos regards se croisaient.

La vision me mit directement à la place du loup.

La douleur me transperça. Vive. Terrible.

Mais comme tous les jours.

Elle était constante.

Réelle. Elle me prenait aux tripes.

Le couteau se planta de nouveau dans ma chair. Sur mon bras. Transperçant mon biceps.

Mon cri résonna dans le caveau. Certains rires montèrent.

_ Alors petit loup, toujours pas envie de crever comme un chien ?

De nouveau, un coup de couteau.

Il ne visait jamais quelque chose de mortel.

Seulement les coups qui restaient.

Qui faisait saigner.

Qui vous brûlaient de l'intérieur, comme de l'extérieur.

Le couteau trancha pratiquement ma joue jusqu'à l'os.

Blesser.

Tuer.

Détruire.

Voilà, tout ce qu'ils savaient faire. Tous.

Depuis tellement longtemps je subissais ça. Mon loup était sauvage, plein de colère et de rage.

Il m'aidait. Il nous protégeait. Sans lui, je ne serais rien !

Le couteau frappa mes côtes, raclant contre mes os.

Nouveau cri.

Nouveau seuil de douleur atteint.

Je voulus retenir les soubresauts de mon corps, mais c'est comme si la douleur avait pris possession de lui.

Un cri guttural sortit de ma bouche alors qu'il prenait le dessus. Il bougea. Mon loup était plus rapide que moi. Il pourrait bouger même dans cet état.

Un pied.

Un coup.

Mon dos.

J'atterris par terre, essayant de reprendre mon souffle. Le sang coula devant mes yeux. Cela m'empêchait de bien voir.

La douleur était partout.

Dans tous mes membres.

Qu'est-ce que cela faisait de sentir le vent effleurer son visage ?

Ou l'eau, laver vos blessures ?

Ou la chaleur d'un autre être humain ?

Je ne savais pas ça. Je n'avais jamais eu ça.

Je ne l'aurais sûrement jamais.

Des bruits me parvinrent. Je clignai des yeux, voyant les chasseurs tombés les uns après les autres. Il fallait que je parte ! Qu'est-ce qu'il se passait ? Qui était là ?

Allongé au sol, une nouvelle odeur de sang attaqua mes narines. La mienne ? Celle des chasseurs ? Je sentis quelqu'un s'approcher. Quelque chose de froid et de sombre me frôla. Je frémis.

Je voulais me battre, me défendre, mais mon corps était presque mort. Il ne fonctionnerait plus sans un minimum d'énergie. Ne pas avoir de meute n'était pas une aide. C'était même quelque chose de handicapant.

_ Tu sembles vouloir vivre, petit loup, souffla la voix.

Je clignai des yeux. Le visage était penché sur moi.

Non ! Je secouai la tête, essayant de me défaire de la vision, mais le souvenir continua, me clouant sur place. J'entendis vaguement les cris et les exclamations autour de moi.

Je frémis une nouvelle fois. Des mains me saisirent. J'étais sur mes pieds.

Non. Je ne tiendrais pas.

_ Aller gamin, on y va ! grogna l'homme.

Avant qu'il ne me passe sur ses épaules, je vis son visage.

Un visage que je n'oublierais jamais.

Avec un cri de frustration, je repris le dessus. Bon sang ! Il y avait du mouvement autour de nous. J'étais allongé par terre, sur le côté, recroquevillé sur moi-même. Le garçon était dans la même position, juste en face de moi. En tendant la main, je pouvais le toucher. Il rouvrit ses yeux. Croisa mon regard. Je frémis alors que sa peur étincelait à travers sa légère incompréhension.

_ Arthur ? souffla une voix féminine.

Une main se posa sur la joue du jeune homme. Il ne cessait de m'observer. Il croyait voir Liam.

Car c'était ce que j'avais vu.

Son sauvetage par Liam.

Mon père avait sauvé ce jeune loup des chasseurs.

_ Arthur parle, s'il te plaît...

La voix de la femme sembla le ramener sur terre. Il se redressa sur ses fesses et s'appuya contre elle. Elle semblait l'ancrer dans le réel. Lui offrir le pont qu'Alice aurait pu m'offrir si je la laissais faire... si je continuais à m'approcher d'elle... si je continuais à ressentir tous...

Je secouai la tête.

Mon regard se posa sur l'homme derrière Aubrie. Son compagnon. C'était sûr. Le regard. La main sur l'épaule de sa compagne. Il me regarda. Fronça les sourcils, méfiant.

_ Je... je vais bien Aubrie, souffla le jeune homme en s'écartant légèrement de moi.

_ Mes excuses, murmurai-je, confus que mon pouvoir ne soit pas stable.

Je me revis embrasser Alice. Sa glace me recouvrant. Il n'y avait pas qu'elle à être sur le fil du rasoir. Bon sang... ça ne m'était pas arrivé depuis... Je grognai. Depuis que j'étais ici, et que j'avais rencontré Alice, mon pouvoir faisait des siennes comme quand j'étais plus jeune.

Que je n'avais aucun contrôle.

Louis voulut me toucher, mais Quinn l'en empêcha. Le loup me regarda en me souriant, me tendit sa main.

Oui. Lui je pouvais le toucher. Je savais déjà tout ce qu'il y avait à savoir.

_ Tout le monde va bien ? souffla la femme en relevant Arthur.

_ C'est ma faute, dis-je, légèrement gêné. Je ne m'attendais pas...

_ C'est moi, s'excusa Arthur. Je ne l'avais pas vu... j'aurais dû...

Je levai une main, accentuant mon geste d'un sourire bienveillant.

_ S'il te plaît, souriais-je, accepte mes excuses...

_ Vous êtes un sorcier ? souffla-t-il, curieux à présent.

Je souris et hochai la tête. La dénommée Aubrie observa mon bras. Mince. Ma manche était remontée. Je la baissai rapidement. Elle cligna des yeux. Son regard était apeuré. Elle savait ce que j'étais. Son compagnon posa sa main sur son épaule, frôlant sa nuque. Il déposa un baiser sur sa tempe.

_ Tout va bien, lui chuchota-t-il.

Les enfants étaient silencieux dans le salon.

_ Basile ? souffla la voix de Louis.

Je pivotai vers lui, secouant mes cheveux. Quinn me relâcha et m'interrogea du regard. Je hochai la tête à son attention. Oui, ça allait.

_ Vous... vous avez vu..., commença Arthur.

Aubrie posa une main sur son épaule, le stoppant dans sa demande.

_ On ne demande pas ce genre de chose à un Oracle, Arthur, souffla-t-elle.

_ Un Oracle ? répéta-t-il.

_ Je suis sincèrement désolé, soufflai-je. Je n'ai pas ce genre de problème généralement.

Quinn me lança un regard qui voulait tout dire. Généralement, je ne flirtais pas avec une sorcière puissante et extrêmement attirante sur tous les plans. Je ne relevai pas son regard et m'inclinai légèrement vers Aubrie, Arthur et le compagnon de la louve.

_ J'espère que cela ne vous empêchera pas de venir manger en notre compagnie, repris-je. Arthur, tu es seras mon invité.

Il haussa un sourcil.

_ Je dois garder les gosses, remarqua-t-il. Mais merci, je retiens l'invitation.

_ Je... on devrait rester avec toi, souffla Aubrie.

_ Pas question, rétorqua Arthur. Vous attendez d'avoir une soirée depuis trop longtemps. Sortez !

Aubrie échangea un regard avec son compagnon. Léger échange silencieux puis hochement de tête. Elle n'allait pas m'apprécier à mon avis. Mince... comment rattraper ma bavure ? Je pris une longue inspiration et me tournai vers Arthur. Je devais leur montrer que je me contrôlais.

_ Je t'en prie, dis-je en tendant ma main. La surprise était la seule chose qui m'a perturbé.

Aubrie fit un pas en avant alors qu'Arthur, farouche, me serrait la main. Rien ne se passa. Je souris et la lui serrai un peu plus. Il sourit et hocha la tête, comprenant mon message.

_ Ça va Auby, soupira Arthur.

_ Il a le droit de t'appeler comme ça, mais pas moi, soupira son compagnon en secouant doucement la tête.

Le sourire d'Aurbie m'apprit qu'il y avait une blague personnelle derrière ce surnom. Aubrie prit Arthur dans ses bras, déposa un baiser sur sa joue et le laissa partir dans la cuisine. Je me tournai vers elle et eus le même geste. Ma main resta en suspens. Sans retour.

_ Je ne suis pas dangereux, murmurai-je.

_ Pourquoi ressembles-tu à Louis, alors ? souffla l'homme.

_ Longue histoire, soupira Louis de son côté.

_ Allons au bar, fit Marina.

Aubrie se détourna de ma main. Elle avait déjà touché un Oracle à n'en pas douter. Elle ne voulait pas que je sache son futur. Ni son passé à en croire la peur qui se dégageait d'elle.

_ Allons-y, souffla Louis.

Nous ressortîmes et retournâmes tranquillement chez Nohlan. La soirée fut sympathique même si Marina m'observant était quelque chose de particulier et de récurrent à présent. Mais j'avais choisi de m'asseoir à côté d'elle pour cette raison. Louis était sur ma gauche. Quinn à ses côtés. Aubrie et Aaron, son compagnon dont j'appris le séjour à l'Ethérée pendant plusieurs années, étaient en face de nous, accompagnés de Peython et de Eryn.

Eryn était la seconde de Nohlan. Je ne pouvais m'empêcher de la trouver extrêmement jeune pour son grade. Mais sa puissance ne faisait aucun doute, ni sa loyauté pour Nohlan. Aliyah pointa son nez deux heures après le début de notre repas. Elle était accompagnée d'un loup, Sylvain, qu'elle connaissait depuis longtemps apparemment. Il était sympathique et avenant et Nohlan n'avait pas cessé de le charrier de ne pas avoir rejoint sa meute. Tout comme Evan, qui s'était joint à nous au cours de la soirée, avec sa femme. Isabella ? Une vampire.

Alors que je comptais les personnes présentes et leurs spécificités, je me rendis compte que j'étais le seul sorcier. Il n'y avait que des loups et deux ou trois vampires. Notre petite tablée se transforma en repas de colonie. Les tables furent collées et les enchiladas du chef défilèrent.

La bouche en feu, je terminai ma dernière enchiladas. Marina me servit un verre d'eau, puis elle fit la même chose pour elle. Elle l'avala en soufflant bruyamment après. Je souris et l'imitais.

Elle rit doucement. Joli son.

Louis en profita pour lancer des blagues à tout va. Marina se fit pensive alors que je lui racontais mon mode de vie. Elle posait des questions extrêmement précises. C'était une scientifique après tout. J'aimais discuter avec elle. C'était intrigant. Elle cherchait le détail, que je ne lui donnais jamais. Elle me posa la question pour mes tatouages. Alors que je lui expliquais en détail, je me rendis compte qu'un silence s'était étendu. Tout le monde nous écoutait. Tout le monde me regardait.

Marina se redressa elle aussi et vit notre auditoire.

_ Continue, souffla Eryn.

_ Je veux la suite, grogna Nohlan.

Peython était sur ses genoux. Il se pencha et me fit un clin d'œil.

_ Le troisième est une représentation du contrôle que l'on exerce sur notre pouvoir. Si on peut le manier à notre façon, ou si nous restons sur des... cérémonies pour prédire.

_ Tu n'as pas besoin de ça, déclara Marina.

Je hochai la tête.

_ Tu vois le passé ? me demande Peython.

_ Je ne suis pas normal pour ma... race, remarquai-je en me raclant la gorge, impressionné par cet auditoire. Oui, je vois le passé, mais il ne nous est pas très utile.

_ Vos investissements se trouvent vers le futur n'est-ce pas ? releva Nohlan.

Je fronçai les sourcils. Son ton était-il naturellement directeur ou était-ce mon imagination ? Je me rappelais la position d'Alice face à lui, et sa position à lui pour elle.

Il l'avait protégée. Avait été inquiet. C'était sa sorcière après tout... mais pourquoi mon instinct me disait qu'il y avait plus ? Je secouai doucement la tête, perdant mon sourire.

_ C'est ce qui rapporte le plus en tout cas, remarquai-je, légèrement distant.

_ Tu as vu le passé d'Arthur ? souffla Aubrie, appuyé contre Aaron.

Ce dernier caressa doucement les cheveux de sa compagne.

_ Tu peux voir le mien ? reprit Eryn, toujours aussi intriguée.

_ Et le quatrième bracelet ? fit Marina.

Je penchai la tête doucement. Je sentis Alice apparaître non loin de nous. Sa magie frôla mes sens. Je souris à Marina et secouai la tête.

_ Secret d'État.

Elle tendit la main vers mon médaillon et le fit pivoter entre ses doigts.

_ Et ça ?

_ Ma famille, soufflai-je.

Elle cligna des yeux et me regarda. Je voyais la douleur dans ces yeux. Elle avait deviné que je n'avais pas eu l'enfance que sa fille aurait. C'était évident. Je relevai mon regard.

Alice repoussa le rideau de la cuisine et observa les personnes agglutinées autour de la table. Alors que les questions fusaient de tous les côtés, je la suivis de mon regard. Elle s'arrêta dans le dos de Nohlan, frôlant son épaule. Il lui tendit sa joue qu'elle embrassa. Peython quémanda un baiser aussi, qu'elle lui donna en souriant doucement.

_ Tout va bien? souffla Nohlan.

Je croisai le regard d'Alice.

Quelque chose brilla entre nous.

Je souris. C'était toujours là.

La vision me traversa doucement. Comme un éclair de chaleur.

Sa main glissa dans mes cheveux, frôlant mon oreille. Sa bouche était là, juste devant la mienne. Un simple geste et je l'embrasserais. Nos corps restaient légèrement éloignés l'un de l'autre. Je pris son menton entre mon pouce et mon index. Elle sourit doucement. Ses yeux brillaient. Encore et toujours.

Cette étincelle qui circulait entre nous brûla presque mes doigts.

Sa peau était chaude.

Je penchai la tête sur le côté alors qu'elle restait immobile, fermant les yeux.

Attendant.

Attendant que je m'approche d'elle.

Que je l'emprisonne encore une fois.

Mes lèvres frôlèrent les siennes.

Sensation exquise.

Chaude.

Douce.

Je rouvris mes paupières. Cela n'avait duré qu'une ou deux secondes.

J'humectai mes lèvres, gardant la sensation de ses lèvres sur ma bouche.

Elle écarquilla légèrement les yeux face à mon geste.

Je sentis mon corps se crisper. Je fermai les yeux un instant, prenant une longue inspiration.

Je voulais encore l'embrasser.

Mais plus encore...

J'avais goûté à ses lèvres.

Maintenant, je voulais goûter à son corps.

Et j'allais y goûter.

Peu importe les risques. 

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