Chapitre 6
« Si tu le permets, j'aimerai qu'on discute un peu.
— Miaouw !
— Bien. Euhm. Alors, est-ce que tu pourrais me parler de ta journée ? »
Elle se mit alors à marcher en déblatérant un monologue composé de miaulements, couinements et autres crachats. La manière d'opérer n'avait rien d'animale –si ce n'était l'absence de mots–. Richard était sûr d'avoir compris ce que venait de raconter l'animal. Pas dans les moindres détails, loin de là. Mais cela ne faisait aucun doute pour lui qu'elle venait de lui raconter à quel point elle s'ennuyait, qu'elle passait son temps à dormir ou à courir en cercle et surtout qu'il y avait un profond manque dans sa vie –qu'il devina être cette fameuse autre guéparde décédée–. Malgré ces sujets des plus dramatiques, l'animal les racontait avec une certaine désinvolture, comme si rien de tout cela ne l'affectait réellement.
Le spécialiste resta sans voix face à cette prouesse. Est-ce que tout cela n'était qu'un rêve ? Cela n'en avait pas l'air en tout cas. Puis après tout cette réponse était des plus évidente, il aurait très bien pu la deviner lui-même. Lorsque la guéparde approcha son visage pour vérifier si son nouveau gardien faisait un AVC, son souffle et l'odeur de viande de sa gueule furent plus que réels. La prochaine question se voulait donc évidente :
« Dis-moi, comment ça se fait que je puisse te comprendre ?
— Miaou. »
"Parce que je suis géniale." lui avait-elle répondu.
***
C'est à contre-cœur que Richard dû abandonner la guéparde à son sort pour continuer sa tournée. Il lui promit tout de même de revenir la voir avant la tombée de la nuit, ce qui sembla faire grand plaisir à l'animal qui lui bondit dessus une fois encore.
Il reprit la route, s'arrêtant à chaque enclos avant de recommencer la même méthodologie que la veille à la lettre. Il eut tout de même un petit problème en arrivant vers l'enclos des bonobos. Ce dernier était composé d'un très grand grillage vert recouvert de végétation dans lequel se trouvait de nombreux arbres typiques du Congo, arbres auxquels étaient attachés cordes, ponts suspendus et autres jouets. Lorsque Richard rentra dans l'enclos pour y déposer la nourriture, aucun de ses habitant n'apparurent à sa grande surprise. Le jour précédent, les 4 spécimens avaient accouru comme des diables affamés dès qu'ils avaient entendu le tout terrain, leur comportement habituel à en juger par le livre.
Habitué aux ruses des primates, Richard resta sur ses gardes. Bonobo, macaques, ouistitis, tous ces cousins éloignés de l'Homme avaient en commun ce goût si particulier pour les farces. Il hésita même à faire demi-tour mais son syndrome du sauveur prit le dessus. Et s'ils avaient réussi à sortir ? Et s'ils étaient malades ? Ou pire, et s'ils étaient morts ? Richard commença alors à faire le tour de l'enclos à la recherche d'éventuels indices. Il ne lui fallut pas plus de trente seconde pour entendre un bruit familier. Celui de son trousseau de clé.
L'expert se mit à rire en sentant quelque chose le tirer par la taille. Il se retourna pour trouver les quatre petits monstres tapis dans une cachette en train de tirer de toute leur force sur les clés reliées à son trousseau par un enrôleur renforcé.
« Les gars, c'est la première chose qu'on enseigne aux étudiants. Vous allez pas apprendre au vieux singe à faire la grimace. »
Habitué à ce genre de singerie, Richard avait bien évidemment prévu le coup. Mais il ne s'attendit pas vraiment à leur réaction. Les primates se regardèrent simultanément puis l'un d'eux sorti un caillou particulièrement aiguisé de sa cachette. Par réflexe, leur gardien parvint à tirer sur la corde pour leur arracher le précieux objet qui retourna à sa place en un claquement de doigt.
Oui, il était marqué dans le carnet que ces quatre bonobos présentaient des signes d'intelligence bien supérieure à leurs semblables. Mais de là à avoir prévu le coup de l'enrouleur ? Est-ce que leur précédent soigneur en possédait un lui aussi ? La petite famille sembla bien déçue et décida de sauter sur la nourriture pour passer leur frustration. Richard les observa avec attention. Leurs déplacements, leurs manières de se nourrir, leur absence complète de bruits. Ces chimpanzés dégageaient une sorte de tranquillité et d'organisation jusqu'à lors inconnue pour cet expert. Cette île lui réservait décidément un grand nombre de surprise, il allait devoir se montrer particulièrement prudent et pas seulement avec le calamar.
Il termina le plus gros de sa tournée aux alentours de 17 heures, bien plus tard que prévu. Richard avait pris le temps d'apprendre à connaître la plupart des résidents, ce qui vu leur grand nombre lui avait demandé énormément de temps. Il ne lui restait plus qu'un seul endroit à visiter et pas des moindres : la crique derrière sa maison. C'est en s'approchant que des sueurs froides imbibèrent sa chemise. Son bras lui faisait toujours un mal de chien alors qu'il voyait cet affreux tentacule enroulé à la place de son bandage. Le 4x4 ralentit de plus en plus, son conducteur cherchant désespérément à reculer cette rencontre. Quand vint le moment d'en sortir, il lui fallut de longues secondes pour trouver le courage de se lever, puis encore plus pour charger la nourriture dans le monte-charge avant de descendre les nombreuses marches.
Il finit de rapprocher les caisses du ponton avant de réaliser un détail. Le bateau n'était plus là. La trace qu'il avait laissé dans le sable la veille avait elle aussi disparue. Une vague de doute le submergea, allant jusqu'à remettre en cause l'intégralité de ce traumatisme. Cette déferlante fut coupée court lorsqu'il aperçut l'embarcation aux couleurs vives au milieu de l'océan : la marée l'avait emporté.
« Merde merde merde ! »
Ce fut au tour de la panique d'être amplifié par son mal-être incessant. Comment allait-il faire ? Nager ? Il le pouvait bien sûr, l'embarcation n'était qu'à quelques centaines de mètres et la mer était calme. Mais le simple fait d'imaginer les milles et uns démons qui rôdaient sous la surface suffit à l'en dissuader. Pouvait-il nourrir les animaux sans se rendre au milieu de l'eau ? S'il balançait les caisses depuis le haut de la falaise à marrée haute, les dauphins pourraient peut-être venir les récupérer mais pas les baleines. Sans même parler du fait qu'ils n'étaient pas habitués à venir si proche de la côte.
Richard repassa en revu ses quelques 24 heures sur l'île à la recherche d'une éventuelle barque lui permettant de faire le trajet. Rien ne lui vint à l'esprit. Comment avait-il pu être aussi stupide ?! Des images surgirent alors dans cette tempête de remords : celles des baleines et des dauphins. Ils étaient bien trop dépendants de l'Homme pour survivre sans lui ! Leur instinct de chasseur finirait peut-être par réapparaître, mais il s'agissait là d'un pari bien trop risqué. Sans même parler de ces deux cétacés vieux d'un siècle, probablement maintenues en vie grâce à ces mélanges de médicaments qu'ils ingéraient quotidiennement. S'il arrêtait de les nourrir, le peu d'égo qui lui restait rejoindrait leurs carcasses au fond de l'océan.
Quelle option lui restait-il ? Appeler Thomas pour quémander de l'aide ? C'était hors de question. Prier pour que le bateau revienne ? Il ne pouvait pas se permettre d'attendre les doigts croisés. Chercher un autre bateau sur l'île ? Il feuilleta son carnet à la recherche d'une quelconque mention de barque. A défaut de trouver ce qu'il cherchait, une idée surgit lorsqu'il tomba sur le page concernant la villa du grand patron. Il se trouvait au bord de mer sur la propriété d'un homme richissime. Il pouvait mettre sa main à couper qu'il y avait...
***
... des jets-ski ! C'est dans l'immense villa d'architecture moderne que le gardien trouva son bonheur. Après s'être perdu entre les murs gris inhospitaliers et affreusement vides –à croire que personne n'y avait jamais vécu–, Richard trouva un ascenseur hors-service puis un escalier. Ce dernier le fit tourner en rond avant d'enfin arriver au niveau de la mer. Une vingtaine de mètres sous la maison se trouvait une grotte artificielle servant de garage nautique. Là reposait une dizaine de jet-ski au sommet d'une descente de ciment s'enfonçant dans l'écume balancée par les vagues, éclairée par le reflet du soleil dans l'eau turquoise.
Les appareils étaient entreposés sur des armatures à roulette attachés au mur par une corde rétractable. Richard tenta d'en faire descendre un le plus doucement possible, mais surpris par le poids de l'engin et le dénivelé de la pente, il perdit rapidement l'équilibre et atterrit dans l'eau de mer en même temps que le véhicule. Lui qui avait tout fait pour éviter la baignade, le sort en avait décidé autrement. Après avoir réalisé que le réservoir était vide, il partit en quête d'essence dans la première salle qui s'offrit à lui. A l'intérieur se trouvait plusieurs dizaines de tenues de plongées avec tout le matériel adéquat. Richard soupira en observant sa chemise et son jean détrempés. Foutu pour foutu, il n'allait pas s'amuser à se changer.
Après avoir trouvé la clé de démarrage puis fait le plein, le quarantenaire passa cinq bonnes minutes à trouver comment le démarrer. Lorsqu'enfin il tomba sur la corde de sécurité à enfoncer dans le guidon pour couper le moteur en cas de chute, il put faire vrombir la bête. Quelques minutes supplémentaires lui furent nécessaire pour comprendre les commandes et enfin sortir de la grotte.
Le soleil et son reflet l'aveuglèrent complètement. Ce ne fut qu'après de longues secondes qu'il commença sa course les yeux plissés vers ce point multicolore voguant sur la ligne d'horizon. Lorsqu'enfin il se sentit à l'aise dans sa conduite, une crise de panique le frappa de plein fouet après avoir senti quelque chose toucher sa cheville.
Il n'avait jamais eu de thalassophobie avant sa péripétie. Les fonds marins, il les avait explorés et pensait plutôt bien les connaître. Cet amour pour ce monde caché avait été charcuté, au même titre que son bras. Plus jamais il ne pourrait observer cette surface abritant milles et unes merveilles sans imaginer la créature démoniaque qui vivant dans ces ténèbres que nul n'avait encore visité.
Et si ce calamar géant vivait à la surface ? Après tout aucun de ces animaux n'avaient de comportement ordinaire, tout était donc possible, voire probable. Richard s'accrocha au guidon comme à sa propre vie, persuadé que ce monstre allait enrouler ces affreux tentacules autour de sa cheville pour l'emmener avec lui dans les abysses. Il devait faire vite.
L'adrénaline lui permit de reprendre ses esprits et de mettre les gaz. La puissance manqua de le projeter mais il tint bon jusqu'à son objectif. S'en suivit une manœuvre des plus périlleuse pour grimper à bord du bateau. Richard la réussit haut la main avant de s'écrouler, le souffle coupé par cette peur lancinante pour cette créature légendaire. Le voici confronté à un nouveau problème : comment ramener le jet-boat et le jet-ski en même temps ? Vu le poids du second, impossible de le rentrer dans le premier. Il n'avait d'autre choix que de l'abandonner le temps de ramener une corde pour le remorquer en bonne et due forme.
Il sentit alors une secousse. Légère, mais suffisante pour lui faire rater un battement. Il cessa de bouger et même de respirer, ayant soudainement acquéri l'instinct de survie des opossums. Une seconde secousse, non, plutôt un choc vint renforcer ses craintes. Ses yeux, exténués par toutes ces péripéties et éblouis par le soleil restaient pourtant grand ouvert à la recherche d'un éventuel tentacule cherchant à couper le bateau en deux pour l'emporter avec lui dans les fonds marins. Cette attente dura de longues secondes où son cœur battit la chamade malgré une respiration quasi-inexistante. Ce ne fût qu'après un nouveau choc qu'un son des plus rassurant lui autorisa à respirer : des cliquetis de dauphins.
Pour la première fois de sa vie, Richard pouvait sentir ses poumons se remplir d'air. Il les visualisait avec une précision chirurgicale. Chaque lobe, chaque bronchiole et chaque alvéole, aspirant cet oxygène iodé pour en remplir son sang qui repartit au quart de tour, lui redonnant ainsi un second souffle. C'est en passant sa tête par-dessus bord qu'il reconnut immédiatement ces deux dauphins aux nombreuses cicatrices : Karine et Daniel.
« Si vous saviez comment vous m'avez fait peur. »
A ces mots, ils donnèrent un nouveau coup dans la coque qui manqua d'éjecter leur soigneur.
Ils le savaient très bien.
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