Chapitre 14

L'écran du GPS était catégorique : aucune antenne ne se trouvait sur l'île.

Après sa tournée habituelle ponctuée d'un malaise et d'un vomissement, Richard se mit en tête de comprendre ce qui était relié au téléphone. Sa première idée, qu'une parabole soit attachée à sa maison, se solda par un échec. Par ailleurs aucun câble ne sortait du bâtiment par les airs, ne laissant qu'une seule option. Le sol. Ce fut face au mur qu'il réalisa la tâche qui l'attendait. Autant trouver une aiguille dans une botte de foin pensa-t-il. Donner des coups de pelle ne mènerait à rien ou dans le pire des cas risquait de couper le câble. C'est là que le GPS apparut dans son esprit. Une fausse piste de plus qui le fit tout de même cogiter. Un souvenir aussi vague que lointain émergea. Quelque part se trouvait une carte. Assis dans le siège en cuir il se repassa l'intégralité des bâtiments de fond en comble, projection astrale à base de souvenirs pour enfin retrouver l'emplacement exact.

Le frein à main grinça devant la caserne suivit par le claquement de la porte conducteur. Louis et Charly ne l'accompagnaient pas. « Pour votre sécurité » avait-il donné comme excuse. En réalité il souhaitait simplement remettre de l'ordre dans ses pensées, tâche des plus difficile entouré de potentielles hallucinations. Une fois les marches escaladées la carte en relief s'offrit à lui. Les bâtiments, les enclos, tout y était répertorié avec précision. Un élément au milieu de la partie sauvage lui redonna le sourire. Ce n'était pas une antenne mais simplement une petite tige en bois rouge plantée dans la maquette. Un élément absent de son GPS et non-mentionné dans son guide. Cela ressemblait à une piste.

Ce fut à contre-cœur qu'il alla chercher ses compagnons, peu rassuré à l'idée de les laisser seul trop longtemps. L'aventurier en profita pour balancer quelques outils dans le coffre et partit. L'arrivée des deux animaux mit fin au calme si confortable dans lequel il s'était enveloppé mais lui donna aussi un regain d'énergie. Telle une photo dans un portefeuille, la présence de Charly lui servait de rappel. Richard ne se battait pas seulement pour sa survie mais bien pour celle de tous les animaux. Pour redonner du baume aux cœurs aux deux amis abattus par plusieurs jours d'angoisse, le conducteur rentra un CD dans le tableau de bord et des notes de basses se firent entendre. La guéparde releva aussitôt la tête et se mise à chanter, accompagnant le chanteur avec l'entrain d'un concert. Le milan, amusé par la situation décida de se prêter au jeu. Lorsque Richard ouvrit la bouche pour les accompagner il croisa le regard d'une passagère clandestin dans le rétroviseur. Son pied écrasa la pédale de frein et fit perdre l'équilibre à la guéparde qui tomba de la banquette arrière.

Ce n'était que Charly. Son doigt arrêta la musique aussi sec et la troupe repartit dans un silence de plomb.

La bête aux quatre roues motrices n'eut que faire des racines et autres nids de poules recouvrant le chemin. Il en fut de même lorsqu'il pénétra la partie sauvage, suivant la végétation déjà broyée par son aller-retour quelques jours auparavant. Son GPS indiquait bel et bien le chemin qui amenait à la pointe de l'île mais aucune mention d'une route pouvant l'emmener à ce fameux repère. Richard se contenta de suivre le chemin à la recherche d'une ouverture, faisant vrombir le moteur de temps à autre pour faire fuir les éventuels curieux. De retour à la crique où Louis l'avait réveillé, le gardien fit demi-tour et perdit patience tandis que le soleil entamait la dernière heure de son plongeon. Devant l'absence de signe il décida de forger sa propre route et fit tourner le volant à quatre-vingt-dix degrés avant de s'enfoncer dans la végétation.

Les branches craquèrent et se vengèrent sur la carrosserie dans d'horribles grincements. Richard aurait probablement grimacé quelques jours auparavant devant un tel massacre, or à cd moment-là il ne pensait plus qu'à leur survie. S'y rendre à pied serait bien trop dangereux en plus de prendre trop de temps, surtout avec les outils. Il slaloma entre les arbres dans une direction approximative à la recherche d'une trace humaine pendant un long moment. Sa curiosité ne put s'empêcher d'analyser la flore d'une diversité invraisemblable. Les espèces qui venaient des quatre coins du globe et d'environnements bien différents s'épanouissaient toutes avec la même facilité. Des cactus habitués à l'aridité poussaient à côté de monsteras préférant l'humidité, le tout sur une île tropicale. Cet endroit l'émerveillait autant qu'il l'énervait, le genre d'énigme qu'il aurait pris un malin plaisir à étudier dans d'autres circonstances.

Ses yeux repérèrent quelque chose. Ses mains braquèrent le volant pour l'aligner avec son regard et son pied écrasa l'accélérateur. Quelques instants plus tard, le voilà qui émergeait de la végétation dans une toute petite clairière avec au centre le saint graal : une antenne. La pyramide de métal s'élançait dans le ciel sur une vingtaine de mètres puis terminait sa course par une pointe sous laquelle était installé une batterie de boitier blancs. Ce fut le sourire aux lèvres que Richard posa pied au sol suivi de sa troupe. Il aperçut des câbles accrochés à l'échelle servant à atteindre le sommet en haut du quel s'était déjà installé Louis « pour faire le guet » selon la guéparde. Un détail dont le gardien se serait bien passé. Ce dernier cria plusieurs fois pour indiquer qu'il avait repéré quelque chose d'intéressant. Pas le choix, il fallait monter.

Face au chronomètre que représentait le soleil, Richard n'eut guère le temps de réfléchir. L'antenne était protégée par un grillage sur lequel un panneau le menaçait : "Barrière électrifiée". Bien plus intelligent qu'Alan Grant, l'aventurier se contenta d'approcher son oreille du câble. Le très léger vrombissement ainsi qu'un petit "tic" régulier lui confirma ses craintes : il y avait du courant ici. Il n'eut le temps de pousser sa réflexion plus loin que Charly l'appela. Un escalier recouvert de branches mortes et de feuilles emmenait à une porte sous-terraine. L'électricité venait forcément de là. Cette dernière avait été ensevelie derrière des bouts de bois pourris qui s'étaient effondrés sur eux-mêmes, n'en cachant qu'une partie. Sans grande surprise, la poignée resta de marbre face à la poigne de Richard. Il alla donc chercher un marteau et se mit à la frapper de toutes ses forces, en vain. Une sécurité qui lui sembla démesurée pour une si petite île.

Ses yeux fouillèrent le coffre. Rien d'utile dans une telle situation. Quelques coups de pieds plus tard et voilà qu'une idée émergea. Un outil secret indispensable qui lui avait sauvé la mise tant de fois mais dont il ne s'était encore servi depuis son arrivée. Le treuil. Un rapide coup d'œil des environs et Richard bloqua le 4x4 déjà bien amoché contre deux arbres avant de tirer le câble et de l'accrocher à la poignée de porte. Qu'elle ne fut pas sa surprise de découvrir le summum du luxe. Pas besoin de suer, l'appareil utilisait l'électricité de la batterie pour fonctionner. Une simple pression et la corde d'acier se tendit avant de grincer de part et d'autre. Les palmiers tinrent bon, au même titre que la porte. Ce joujou électronique manquait-il de puissance ? Richard décida de revenir aux bonnes vieilles méthodes avant de prendre le volant et d'écraser l'accélérateur. Les rainures parvinrent à s'agripper aux racines après avoir envoyé valser les mottes de terre et le moteur hurla de toutes ses forces. Charly, ne comprenant guère la situation, s'approcha du câble tendu. Richard n'eut le temps d'arrêter la manœuvre que la porte céda.

Le véhicule partit à toute allure et alla heurter un tilleul, brisant la vitre arrière dans un fracas de verre et de tôle pliée. Un accident de plus ou de moins, Richard n'en eut que faire. Il se précipita à l'extérieur et courut vers la guéparde qui allait pour le mieux. La porte s'était par chance envolé suffisamment haut dans les airs pour l'esquiver.

« Mais enfin Elza tu m'as fais peur ! Faut pas s'approcher comme ça quand je bricole tu le sais bien !

— Pardon ! Je recommencerai plus c'est promis ! »

Ses yeux se plissèrent, éblouis par la lumière du jour. Quelques secondes lui permirent de retrouver les pieds sur terre. L'antenne. Il descendit les marches et s'engouffra dans l'ouverture pour être une fois encore face à un obstacle. Une autre porte d'un tout autre acabit. Les matériaux, la forme et la présence d'un digicode lui fit lever un sourcil. La possibilité que le choc soit à l'origine de ce rêve traversa son esprit mais à bien y réfléchir, son crâne n'avait heurté que l'appuie-tête, pas de quoi causer une commotion à cette vitesse. Cette véritable entrée de coffre-fort était donc bien là, faite d'un alliage renforcé duquel ne sortait aucune poignée. Quand bien même, un si petit treuil n'aurait pu en venir à bout. Sa tête se pencha sur le digicode qui s'alluma, offrant les 10 chiffres ainsi qu'un bouton pour valider et un autre pour revenir en arrière.

« Qu'est-ce que c'est encore que ce bordel... »

Richard pensa que cette pièce ne cachait pas qu'un simple disjoncteur. Jamais il ne s'était retrouvé face à une telle porte. Pouvait-il s'agir de l'entrée d'un bunker ? Après tout sa cave semblait avoir joué ce rôle, peut-être que celui-ci était son remplaçant ? Un constat clair émergea alors. Il ne pouvait pas éteindre le courant. Ce fut les épaules basses qu'il ressortit de la cage d'escalier. D'ici quelques dizaines de minutes le soleil se coucherait et recommencerait alors le même cinéma. L'enfermement dans cette maison aux fenêtres barricadés, une nuit agitée ponctuée de migraines et de cauchemars puis une nouvelle journée avec toujours la même incertitude : Freddy attaquerait-il ?

« Plutôt crever. »

Une fois le treuil remballé, Richard sortit le tout-terrain de l'arbre qu'il avait embrassé et lui trouva une nouvelle conquête : le grillage. Il prit son élan et l'enfonça à toute vitesse, produisant au passage un flash de lumière et des étincelles sur la cage de Faraday. Sa technique se montra payante puisqu'il se trouvait désormais dans l'enceinte. Sans réfléchir un seul instant il se mit à examiner les câbles sortant du sol puis à les suivre tout le long de l'échelle. Tout lui sembla normal jusqu'au sommet.

« Ruuuun.

— C'est un "run" d'avertissement ou tu me dis juste bonjour ?

— Run.

— Bonjour à toi aussi. »

Il n'eut même pas besoin de poser pied sur la plateforme pour comprendre ce qui clochait. Richard se hissa tout de même pour contempler l'étendue des dégâts. Les portes des boitiers avaient été détruites et leurs câbles sectionnés. Non. Massacrés aurait été plus exactes. Tirés, arrachés, tranchés, même les meilleurs techniciens du monde auraient préféré sauter plutôt que de s'atteler à un tel chantier. Un rapide coup d'œil lui donna un indice quant au responsable. Les coupures étaient nettes, presque chirurgicales. Une boucherie au scalpel.

« Ruuun.

— Laisse-moi deviner. Freddy ?

— Run. »

Le soupire qui s'en suivit surprit son ami de plume. Ces bipèdes pouvaient-ils vraiment emmagasiner autant d'air ? Richard s'assit les pieds dans le vide et posa ses bras sur l'un des barreaux du garde-fou. L'horizon s'étendait à perte de vue, ligne infinie brisée par la cime irrégulière des arbres. Le gardien y vu une portée couverte de notes toutes plus graves les unes que les autres. Le ciel fonçait à vu d'œil. Un bataillon de nuages au camouflage de jais approchait par l'Ouest, obstruant les derniers rayons du soleil et cachant ainsi le panache habituel avec lequel il s'embrasait avant de se coucher. Il fallait rentrer. Pourtant il resta là, observant son envie disparaître elle-aussi dans l'indifférence du monde.

Alors il observa l'île, son île, plonger dans les abysses. Quelque part, il le savait, cette chose rôdait. Une nouvelle certitude s'était rajoutée à sa petite liste, un point d'exclamation qu'il aurait préféré mille fois garder à l'interrogatif.

Ce monstre ne le laisserait pas partir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top