Chapitre 12
La journée avait débuté comme toutes les autres. Discussion avec ses deux compagnons, préparations des repas puis début de la tournée. Ce jour-là, Richard avait prévu quelques petits tests sur le couple de fourmilier ainsi que sur la famille de gorille. Rien de bien sorcier, simplement de petites expérimentations l'aidant à mieux comprendre leurs comportements. Il avait par exemple découvert que l'ours brun faisait des galipettes afin de se gratter sans pour autant être vulnérable, un petit peu comme le tigre du Bengal et son habitude de dormir sur le dos. Ce fut justement en allant le nourrir que Richard eut une mauvaise surprise.
Ce pensionnaire était d'accoutumée plutôt calme. Il venait au son de la cloche, mangeait son repas et repartait dormir dans une sorte de trou recouvert de feuilles mortes. Les rares fois où Richard était rentré dans l'enclos afin de l'inspecter plus en détail, l'animal s'était d'abord montré réticent puis avait finalement accepté la présence de ce bipède et par la suite de son oiseau, comprenant qu'il ne représentait aucun danger pour ses deux-cent cinquante kilos. Ce jour-là et pour la première fois, celui sobrement appelé "Stripes" ne s'était pas présenté au son de la cloche.
Toujours à l'affut dès la moindre anomalie, Richard pénétra tout en douceur l'enclos pour vérifier l'état de son résident. Ce fut tout naturellement qu'il se dirigea vers son endroit fétiche qu'il trouva vide. Les images de la veille se bousculèrent dans son esprit. Avait-il bien fermé la porte ? Il se revoyait le faire mais impossible d'être sûr que ces souvenirs dataient bien du jour précédent. Quelques profondes respirations plus tard, le gardien se mit à faire le tour de l'enclos tout en levant les yeux à la recherche de celui qui aimait tant grimper aux arbres.
Une odeur lui fit baisser la tête. Son regard resta pourtant dans les branches, peu concilliant à l'idée d'affronter un nouveau problème. Ils finirent tout de même par descendre lentement pour tomber sur Stripes.
Son magnifique pellage orangé et noir était recouvert d'une teinture écarlate dans laquelle se baignaient plusieurs dizaines de mouches. Ses rayures si caractéristiques avaient été remplacées par des entailles aussi invraisemblables que terrifiantes. Elles ressemblaient bel et bien à des griffures mais leur taille et les dégâts occasionnés contestaient cette théorie. Le coupable avait non seulement tué Stripes mais il ne s'était pas arrêté là. Il l'avait découpé en morceau tel un maki puis complètement démembré, ne faisant fît des organes ou mêmes des os dont les bouts reposaient aux quatre coins de la scène de crime.
Aucun représentant du royaume animal ne pouvait être à l'origine d'une telle boucherie.
Le puzzle mit un certain temps à se résoudre. Richard dût tout d'abord trouver la tête puis comprendre où étaient les pattes, certaines ayant fini le combat plusieurs mètres plus loin. Cela ne faisait aucun doute qu'il s'était vaillamment battu, les traces de sang recouvrant une très large zone. Aussi glorieux fût le combat, Stripes n'avait eu aucune chance face à un tel adversaire. Et lorsque Richard eu enfin remis de l'ordre dans son esprit, il comprit que lui non plus.
Ses jambes partirent à toute allure sans attendre le haut du corps paralysé par l'accolade frigorifique de la mort. N'ayant pas encore le pouvoir de se diviser en plusieurs parties, Richard s'écroula sur le sol. Il se releva rapidement et suivit Louis qui avait pris une longueur d'avance et hurlait son cri si caractéristique : « Ruuuuun ». L'auteur se trouvait-il dans les parages ? L'angoisse de le découvrir le fit redoubler d'énergie. Ses pieds esquivèrent toutes les racines avec une agilité féline, tous ses réflexes se trouvant décuplés par l'adrénaline. Tout se passait à la fois en ralentis et en accéléré, lui permettant de réfléchir à toute vitesse sur la suite des évènements.
Il sortit de l'enclos et le ferma derrière lui par réflexe avant de se précipiter à l'intérieur du 4x4 et de le verrouiller, geste bien futile face à une telle menace. Dans une situation aussi catastrophique, une seule solution s'offrait à lui. Celle-là même qu'il avait passé sa vie à critiquer. Mais aux grands maux, les gros calibres.
C'est en tournant le contact qu'il eut une pensée pour une autre personne. Ses bras braquèrent le volant à toute allure et le pied écrasa l'accélérateur. Louis qui avait eu le temps de s'engouffrer par la fenêtre voulut pointer des mots sur les fiches qui valsèrent dans l'habitacle pendant le demi-tour. La peur que Richard venait de ressentir s'était complètement métamorphosée, passant de celle de mourir à celle de perdre un être qui lui était cher. Ce fut donc à toute vitesse qu'il emprunta le chemin, les suspensions travaillant plus que jamais face à la conduite sportive du gardien de l'île qui devait s'improviser gardien de l'ordre.
Elle l'appelait. Il l'entendait.
Pris dans son élan Richard dépassa l'enclos. C'est au frein à main qu'il fit demi-tour, envoyant valdinguer la nourriture posée à l'arrière ainsi que Louis qui s'écrasa contre la fenêtre conducteur. Il n'y fit guère attention, focalisé sur sa mission : la protéger à tout prix. Le Land Cruiser s'arrêta net devant la porte, projetant plusieurs steaks sur le tableau de bord. Il chercha un objet pour se défendre mais sorti les mains vides, simplement accompagné de son milan. Ce fut sans trembler qu'il ouvrit les deux portes du sas avant de rentrer dans l'enclos en hurlant à plein poumon :
« Charly ! »
Le ton de sa voix l'invoqua en un claquement de doigts. Pas le temps d'être soulagé, il lui ordonna de le suivre tandis que Louis lui expliqua la situation. Elle se retourna plusieurs fois comme pour dire aurevoir à sa maison puis monta sur la banquette arrière recouverte de nourriture. Richard se rassit et intercepta un regard de terreur dans les yeux de sa guéparde. Il prit le temps de se retourner pour la rassurer :
« Tout va bien se passer. On va aller dans mon enclos, j'ai une arme là-bas pour te défendre.
— Et les autres ?
— Aucun ne suivrait mes ordres comme toi. Ils sont sûrement plus en sécurités ensemble dans leur enclos que dispersés dans la nature. »
Charly baissa la tête puis son corps pour s'allonger entre les os et autres fruits tandis que le conducteur repartit tout aussi vite mais bien plus prudemment, essayant autant que faire se peut de ne pas brusquer sa protégée. Ils arrivèrent à la maison en quelques minutes et le trio s'engouffra par la porte avant de la refermer derrière eux. La guéparde n'eut pas le temps d'admirer ce nouvel endroit que Richard la fit monter à l'étage après avoir pris son pistolet, toujours suivi de Louis. Ils se dirigèrent ensuite vers la salle de bain et s'y enfermèrent avant de pousser l'armoire à linge devant la seule entrée.
Il prit une profonde inspiration. Depuis combien de temps retenait-il son souffle ? Ses mains se mirent tout aussi vite à trembler, l'obligeant à retirer le doigt de la gâchette pour éviter un accident.
Une question aussi bête que prévisible émergea dans son esprit : avait-il surréagit ? Voir Charly et Louis enfermés avec lui dans sa salle de bain, un pistolet dans la main et son cœur dans tous ses états lui sembla un court instant absurde. Puis les images du massacre revinrent avec une clarté dont seuls les traumatismes avaient le secret. C'est là qu'une seconde interrogation fit son irruption. Un doute qui le bouffait depuis son arrivée sur l'île. Il se tourna immédiatement vers Louis, les yeux fous :
« Dis-moi que j'ai pas rêvé ! Bordel dis-moi que tu l'as vu ! »
L'oiseau de proie leva et baissa sa tête plusieurs fois pour confirmer l'affreuse vérité. Richard soupira un court instant puis se releva, apercevant son propre reflet dans la glace. Il avait les cheveux en bataille, le corps couvert de marques et un air profondément malade. Une croute au cou le surprit. Il n'avait aucun souvenir de s'être blessé à cet endroit, pourtant la plaie avant déjà commencé à se refermer. Ce fut au tour du rapace et du félidé d'apparaître dans son champ de vision. Pour la première fois il aperçut ce à quoi ressemblait leurs petites réunions : un cadavre qui discutait avec deux animaux.
C'est un rire qui sortit de sa gorge. Un rire franc qui bonda la si petite pièce. La scène qu'il observait était si absurde ! Elle lui fit penser à ces tableaux très connus de chiens jouant au poker. Il les voyait encore avec leurs habits et leurs chapeaux, occupés à imiter ces drôles de bipèdes et leurs habitudes ridicules. Richard se plaçait pour la première fois comme spectateur de sa propre situation et ce qu'il voyait le tordait de rire. C'était à vrai dire si hilarant qu'il eut besoin de s'assoir sur le rebord de la baignoire et finit même par s'y laisser tomber alors que ses jambes se mirent à trembler comme prisent de convulsions.
Son cerveau venait de purger toutes ses pensées dans les canalisations tout en s'occupant du surplus d'émotions. L'angoisse, la peur et le désespoir s'évanouirent pour laisser place au seul moyen de remonter un tant soit peu son niveau de dopamine. Le rire. Ses deux protégés le regardèrent avec inquiétude, incapable de comprendre sa réaction. Son cerveau divagua, passant en revue toutes les fois où sa vie avait été menacée depuis son arrivée ici. Rien n'avait de sens ! Cette conclusion bien que bâclée le libéra d'un poids immense qui lui permit de délirer quelques minutes.
C'est pris d'une crampe qu'il rouvrit les yeux et croisa le regard de Charly rempli non plus d'inquiétude, mais bien de peur. Elle s'était rapprochée de la porte et essayait tant bien que mal de l'ouvrir tout en jetant des coups d'œil au fou qui convulsait hilare dans sa baignoire. C'est en la voyant que Richard eut l'électrochoc qui le ramena à la raison. Ses iris, cette détresse, il les avait déjà croisés. Combien de fois s'était-il promis de ne plus jamais causer le malheur d'un être cher ? Autant de fois qu'il avait échoué. Blessé d'avoir une fois encore failli à ses obligations, Richard reprit pleinement ses esprits avant de se relever puis de s'assoir en tailleur sur le sol, dépeignant un sourire qui se voulait rassurant.
« Je m'excuse, je me suis un petit peu laissé emporter. Tant que vous êtes avec moi, je vous jure qu'il ne vous arrivera rien.
— Tu tiendras ta promesse cette fois-ci ?
— Oui, je la tiendrais. »
La tempête dans laquelle sa conscience s'était perdue s'estompa, redonnant au flot de ses pensées un rythme plus calme. La vérité contre laquelle il luttait depuis son arrivée s'installa dans chaque regard : personne n'était en sécurité sur cette île. La solution lui apparut alors comme une évidence. Ses jambes le relevèrent avec difficulté et pour cause : elles tremblaient toujours. Ses mains agrippèrent ses genoux quelques secondes pour les calmer puis il les posa sur le lavabo afin de juger son état. Toutes les baffes et autres châtiments qu'il s'était infligé marquaient son visage d'autant d'ecchymose que de regrets. Ses doigts tout aussi amochés tournèrent le robinet et firent couler une eau glacée. Richard s'empressa de s'asperger le visage puis ses cheveux qu'il plaqua en arrière, laissant tomber leurs gouttes sur ses épaules. Quelques gorgées le requinquèrent puis il invita ses deux compagnons à boire à leur tour avant de déplacer le meuble et de rouvrir la porte, arme à la main.
Les chances que cette chose soit dans la maison étaient minces. Mais jamais nulles.
Ce fut les bras tendus et l'arme chargée qu'il avança, essayant tant bien que mal d'éloigner cet outil de malheur de son corps. La porte du bureau se retrouva rapidement devant lui et le trio put ainsi rentrer avant de se barricader à nouveau. Le gardien risqua un coup d'œil par la baie vitrées aux joints fatigués. L'île était on ne peut plus calme, simplement dérangée par quelques nuages perdus dans cette peinture sans fin et vouées à disparaître avant d'avoir atteint l'horizon. Il s'assit au poste de communications puis s'hâta de composer le numéro de Thomas. Lorsqu'il porta l'appareil à son oreille, le son qu'il produisit fût constant. Ses doigts pianotèrent les mêmes chiffres une seconde fois, offrant le même résultat. Il essaya ainsi tous les contacts, allant jusqu'à taper celui du grand patron.
La tonalité raisonna une fois de plus dans la pièce, réduisant ses espoirs à néant.
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