🎩 6_ Visite de courtoisie

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Neela avait hésité de longues minutes, se demandant si elle devait suivre Dariun ou non. Le voir dans cet état l'avait complètement retournée. Elle voulait courir après lui et s'enquérir de son état, lui demander ce qui n'allait pas, les raisons de ce soudain chngement d'humeur. Mais elle avait dû réprimer cette idée au prix d'un très grand effort.

Son cœur bondissait avec violence dans sa poitrine et une migraine avait soudainement envahi sa tête. La jeune fille se tordait de douleur à cause de ses menstrues qui avaient décidé de la faire souffrir encore plus après le départ de Dariun. Neela faillit s'écrouler au seuil de la porte du Belma Sif si le propriétaire du commerce ne l'avait pas rattrapée à temps.

Après lui avoir fait ingurgiter une concoction destinée à baisser la tension artérielle, Belma permit à Neela d'utiliser les toilettes de la boutique afin qu'elle applique la pommade analgésique. Lorsque la rouquine se sentit enfin mieux, la guérisseuse lui demanda :

— Excusez-moi d'aborder cela de manière aussi directe, mais, Neela, ce qui vient de vous arriver est-il fréquent ?

— Pas vraiment... Quand je suis en période de menstruation et que c'est douloureux, il arrive que je perde connaissance... Enfin, quelques secondes seulement.

— Et avez-vous déjà souffert d'un quelconque problème cardiaque dans votre enfance ou à n'importe quel autre moment de votre vie ?

Le visage de Neela blêmit soudainement. Elle considéra Belma avec insistance et posa machinalement la main sur sa
poitrine.

— Je... Ai-je un problème avec mon cœur ?

— Je ne peux me prononcer ! Et puis, cela n'a peut-être aucun rapport avec votre cœur. Il faudrait que je vous examine pour déterminer ce qu'il vous arrive avec exactitude. Pour l'instant, il faut que vous vous reposez.

Belma sortit de sa boutique et Neela se sentit abandonnée. La jeune fille avait mal au cœur. La peur s'était mise à la dévorer lorsqu'elle avait commencé à se tordre de douleur. D'après les propos de Belma, elle était peut-être malade. Un problème relié à son cœur. La jeune fille avait les mains moites ; son corps tout entier tremblait faiblement.

Le guérisseur revint quelques instants plus tard et prit la main de Neela.

— Venez ! J'ai payé un calèche pour vous ramener chez vous.

— Merci beaucoup, Belma, ce n'était pas nécessaire. Je peux très bien rentrer à pieds.

— Pas de ça avec moi. En plus, vous n'allez pas bien. Je ne peux vous laisser rentrer à pieds.

Neela se résolut à monter sur le calèche. Après un merci pour Belma, elle s'en alla et retourna chez elle.

Une fois à la maison, elle se terra immédiatement dans sa chambre et y passa la majeure partie de sa journée. Elle ne fit rien d'autre que se torturer l'esprit avec des pensées malsaines, en commençant par l'état de Dariun.

Il s'était conduit très étrangement aujourd'hui. Neela n'arrivait toujours pas à pointer du doigt ce qui avait mit le jeune Vodleris dans ces états-là.

Elle pensa aussi à sa santé. Sans le vouloir, Belma l'avait plus qu'inquiétée. La rouquine ne parvenait à rester tranquille. Si le diagnostic était juste, alors elle pouvait être certaine de souffrir de problèmes cardiaques.

Neela, allongée dans son lit, contemplait la jolie tache en forme de scorpion dessinée sur son plafond gris. Elle soupira et empoigna le bustier de sa robe. Ses cheveux bouclés partaient dans tous les sens sur son oreiller.

Elle bascula la tête sur la gauche pour admirer le seul et magnifique portrait qu'elle avait eu la chance d'obtenir de sa vie. Ymir avait invité un portraitiste le jour des dix-sept ans de sa fille et avait organisé un anniversaire modeste, certes, mais mémorable.

Sur le cadre de bois blanc, Neela portait une sublime robe bleue qui ressemblait à celles appartenant aux filles riches de l'île. Ce qui lui paraissait étrange était que, habillée de la sorte, elle ressemblait énormement à la défunte fille du Ka'el Emerido. Fangîs.

Neela n'avait pas besoin de maquillage pour être belle. Ses cheveux roux relachés en arrière, avec leurs boucles naturelles et la teinte bonbon de ses lèvres suffisaient à la parfaire. Elle sourit à la vue de ce portrait, qui avait dû coûter toutes ses économies à son père.

La porte de sa chambre s'ouvrit alors à la volée. Un jeune homme entra dans la pièce, le menton levé et le torse bombé. Son visage angulaire exposait un nez si étroit qu'on se demandait s'il pouvait respirer normalement, de grands yeux noisette et une bouche asymétrique parfaitement dessinée.

— Tu dors, la marchande de rêves ?

Neela roula des yeux en voyant le crâne rasé de son frère. Ce dernier avait toujours cette mauvaise habitude d'entrer dans sa chambre sans frapper. Elle détestait ce surnom qu'il lui avait donné depuis l'enfance. La marchande de rêve. Un titre ridicule juste parce qu'elle aimait se perdre dans ses pensées.

— Que veux-tu, Fenfang ?

— Je ne sais pas... répondit le garçon à peine plus jeune que son aînée. Laisse-moi réfléchir... Hum... Je pense que je devrais retourner en bas... Après tout, c'est toi qu'on est venu voir, pas moi.

Neela, surprise, s'assit sur son lit. Quelqu'un était venu la voir ? Qui donc ? Elle n'attendait personne. À dire vrai, elle ne recevait aucune autre visite que celle de Cacao, sa meilleure amie. Peut-être était-ce Dariun...

Le cœur de la jeune fille tressaillit à cette idée. Pourquoi pensait-elle que le fils Vodleris était venu ? Ça n'avait aucun sens. Ce ne pouvait être lui.

— Qui est-ce ? Qui est venu ? demanda Neela, perturbée par la nouvelle.

Fenfang lui tourna rapidement le dos en esquissant un faux sourire et se dirigea vers la porte. Il aimait jouer à ce petit jeu avec sa sœur, celui de lui torturer l'esprit avec des nouvelles parfois infondées et stupides. Mais cette fois quelqu'un était bien venu.

— Si tu veux le savoir, descend tout de suite. Tout le monde t'attend, marchande de rêves.

Fenfang abandonna la petite chambre de sa sœur, tout sourire, et retourna d'où il venait. Neela, restée seule, inspira une grande bouffée d'air et quitta son lit. Elle s'avança vers son bureau et se brossa rapidement les cheveux. Autant être belle si quelqu'un avait réellement fait le déplacement pour la rencontrer.

Quelque peu sereine, elle sortit de sa chambre, marcha dans le couloir et arriva au pied de l'escalier qu'elle descendit avec une grâce qui lui ressemblait en temps et en lieu.

Neela n'était pas une damoiselle raffinée, avec des manières et compagnie, mais elle savait se montrer femme lorsqu'il le fallait. D'ailleurs, elle avait eu raison d'agir ainsi, car dans le salon étaient installés Fenfang, Ymir et Ilya, ainsi qu'un autre vieil homme à la peau foncée.

L'adolescente ne le connaissait pas personnellement, mais elle le voyait beaucoup dans les coupures de journaux. Un noble, sans aucun doute.

La jeune fille fronça des sourcils lorsqu'elle aperçut Kang à côté de l'invité. C'était là qu'elle comprit qu'il s'agissait du père de ce dernier.

Sans rien laisser transparaître, elle marcha jusqu'à ses parents qui arboraient tous deux de larges sourires.

— Sir Numan et son fils sont venus spécialement pour te voir, ma chérie.

Neela se tourna vers le père et le fils et se pencha en avant en guise de révérence :

— Bonjour, Sir Numan, Sir Kang.

Manasse fut ébloui par la beauté de la jeune fille. Il contempla son magnifique visage rond et se laissa envoûter par la soyeuse chevelure écarlate de Neela. Elle était magnifique. Il ne put se retenir de se lever pour baiser la douce main de l'adolescente.

— Je vois que vous connaissez déjà mon fils, jeune damoiselle, s'exclama Manasse en se rasseyant. D'ailleurs, il n'a pas cessé de faire les louanges de votre beauté. Et je dois avouer qu'il n'avait pas tord. Vous êtes très jolie. Comment vous appelez-vous ?

— Neela Farzen, Sir.

— Très charmant ! avoua Manasse, courtois.

Avec la permission de ses parents, Neela s'assit à côté de son frère. Son cœur ne tenait pas en place. Elle ne savait pas pourquoi les Numan étaient venus chez eux. Plus important encore, elle se demandait pourquoi Kang avait ce large sourire satisfait et effronté. Elle détestait le voir comme ça. Il ne la lâchait pas du regard ; c'était comme s'il allait bientôt la dévorer.

— Alors, commença Manasse, nous sommes venus pour vous, Neela. Mon fils, Kang, veut vous honorer en présence de vos parents en demandant votre main. C'est ce qui explique notre présence ici. Nous avons longuement discuté avec monsieur et madame Farzen... Et ils sont d'accord pour vous laisser devenir ma bru. Qu'en pensez-vous? Personnellement, je serais très honoré de vous avoir comme fille. J'ai ouï dire que vous étiez très bien élevée, en plus d'être une excellente cuisinière, termina-t-il en ricanant.

La jeune Neela avait à peine entendu l'annonce du noble. Son esprit avait seulement compris que Kang était là pour demander sa main. Malgré les maintes fois qu'elle l'avait repoussé, il persistait à vouloir jouer avec elle. Et il avait décidé de l'épouser sans même la consulter.

Son cœur battait avec frénésie, de grosses sueurs froides perlaient dans son dos, comme si elle était soudain prise d'une fièvre. L'idée de devenir l'épouse de Kang ne l'enchantait guère. Au contraire, elle la répugnait. Elle ne pouvait se résoudre à cette lubie.

— Je ne suis pas d'accord, maugréa-t-elle.

Des yeux écarquillés se braquèrent sur elle. Le croissant de lune qui illuminait le visage d'Ymir et d'Ilya disparut instantanément.

— Que dis-tu, ma fille ? Tu as de la fièvre ? baragouina le père.

— Je crois savoir ce qu'elle a, intervint Ilya. C'est un truc de femmes. Je m'en vais régler cela avec elle en privé. Un instant, je vous prie.

Madame Farzen se leva de son siège et se dirigea en direction de Neela.

— Je...

L'adolescente ne sut où se placer à cet instant. Elle empoigna le tissu de sa robe au niveau des cuisses, à s'en blanchir les jointures, et inspira une bonne bouffée d'air. Voir le sourire de ses parents dispataître comme ça ne lui plaisait pas. Elle savait qu'ils avaient attendu de longues années pour la voir devenir une femme et l'épouse d'un homme de bon parti.

La famille Numan était riche, elle avait tout pour être convoîtée des autres habitants d'Æsterion. Que demander de plus si leur fille était entre de bonnes mains ? Mais... sans vouloir offenser ses parents, elle n'avait aucune envie de se lier à Kang. Elle ne l'aimait pas. Quelqu'un d'autre que lui préoccupait ses pensées.

— Je... Je suis désolé père, mais je refuse d'épouser ce jeune homme...

Neela se leva en trombe avant qu'Ilya n'arrive à son niveau. Elle partit de la maison en courant, abandonnant derrière elle des parents hébétés et un Kang muet comme une tombe.

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