- La nuit suivante, il était là. Aucune émotion ne semblait traverser son visage et ses yeux noirs ne faisaient qu'accentuer le regard mystérieux qu'il ne cessait d'afficher. Je le rejoignis dans les gradins, mes patins à la main. Il n'a jamais pu s'empêcher de les disséquer avec insistance.

- Vous n'avez rien de mieux à faire que venir ici ? Vous n'avez pas une femme, des enfants, un chien à vous occuper ?

- Je n'ai pas d'enfants, je suis en plein divorce et mon ex-chien vit maintenant avec mon ex-femme... Mais aucune importance, j'ai horreur des chiens et je n'ai plus rien à dire à ma femme !

A défaut de m'intimider, cet homme cynique et inaccessible ne faisait que me fasciner.

- Pourquoi tu fais tout ça ?

Je me suis posée cette question pendant des années sans en trouver la réponse. Alors face à lui, je restai silencieuse.

- Qu'est-ce qui fait que tu te relèves alors ?

Et grâce à lui, cette nuit-là, j'entrevis les choses différemment pour la première fois.

- J'en ai besoin. Admis-je spontanément, sans réfléchir. Je dois rentrer, ma mère m'attend !

- Je m'appelle Kristian.

- Anna.

- Je te trouve très douée !

Ce qu'il m'avait dit ce soir-là aurait dû n'avoir aucune valeur mais entendre ça d'un inconnu me fit prendre conscience que toutes ces nuits blanches avaient peut être un sens. Bien au-delà de la liberté, de la maladie, de l'envie ; un lien s'était établi, un lien étrange, profond et insignifiant à la fois.

Ces rendez-vous nocturnes se poursuivirent pendant des semaines, presque secrètement. Nous nous découvrions sans arrières pensées, sans faux semblants. Dans cette nuit noire, nous jouions la transparence. De ces nuits glacées, je ne retiendrais que la chaleur que nous nous sommes apportés. Mon père était mort et ma mère m'avait condamné à ne jamais en parler. Cet inconnu était une chance pour moi de l'évoquer. »

La voix fluette, à demi-gênée de la journaliste ramena Anna à la réalité.

- Et votre maladie ?

- Je ne lui en ai parlé qu'une seule fois, à l'occasion du concours.

- C'est lui qui vous a inscrit ?

Elle acquiesça, se remémorant l'instant où Kristian lui avait suggéré de s'y présenter.

Février 2019

«Je n'avais pas vu Kristian depuis une semaine. Je commençais à penser qu'il ne viendrait plus, que les conversations nocturnes d'une ado torturée ne l'intéressaient plus. J'étais déçue mais surtout trop orgueilleuse pour admettre ma colère. Alors j'ai imaginé une chorégraphie, apparue comme une évidence sur Meyrin Fields de Broken Bells. Je retrouvais dans cette chanson l'esprit libre et contestataire que nous partagions, la chaleur que m'apportait la glace, l'apparente froideur de Kristian.

Il réapparut la semaine suivante, sans explications, sans excuses. La chanson venait de se terminer. Il avait tout vu, je perçus dans son regard une forme de stupéfaction, presque d'admiration.

- Je t'y ai inscrite. J'ai toujours pensé que tu y avais ta place !

Il me tendit une enveloppe, décorée du sceau du Trophée Henie-Onstad. Le concours rassemblait les plus grands danseurs sur glace du pays, des inconnus aux plus célèbres. Ma mère avait toujours refusé de m'y emmener ; je ne m'attendais pas à ce qu'elle accepte de me voir y participer. Alors par facilité, pour éviter les conflits et en prétextant la maladie, j'ai refusé. »

- Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ? Coupa la journaliste.

- Kristian. Admit Anna avec un sourire trahissant toute l'affection qu'elle avait eu pour cet homme.

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A suivre...

A votre avis, quelle relation ont Kristian et Anna ? Quelle est cette maladie qui l'empêche de vivre ?