"Cause now I'm breaking at the britches and at the end of all our lines

who will love you ? Who will fight ? And who will fall far behind ?

Come one skinny love

my, my, my, my, my, my, my, my, my,"

Skinny love, Birdy

Nos rendez-vous quotidiens sont devenus la seule chose qui me fait sourire. Chaque jour je l'attend et vers l'heure du déjeuner il arrive. Il toque et pour la formalité je continue à demander qui c'est, il ne répond plus et se contente de rentrer. Il me tend chaque jour mon plateau repas, chaque jour quelque chose de différent et au fur et à mesure je sens mon corps reprendre du poids, puis quand j'ai fini de manger nous reprenons nos leçons. Toujours dans le même ordre : pendant 15 minutes on revoit la leçon de la veille, ensuite il me fait découvrir de nouvelles choses et je m'exerce pendant 45 minutes, pour finir, nous passons l'heure suivante à discuter de tout et de rien. Ça fait 2 semaines que nous entretenons notre petite routine, et je ne veux pas qu'elle s'arrête, c'est pour ça que je n'ai rien dit sur son changement de comportement.

Ça a commencé de manière subtile, il y a 5 jours, il me parlait un peu plus de son quotidien à la Guilde mais je pouvais voir que c'était forcé. Il me décrivait la bibliothèque et à quel point il aimerait me la montrer, puis il me parlait du cheval qu'il montait, en somme, tout ce que je pourrai voir si j'appartenais à la guilde. Jour après jour, c'était de plus en plus visible et il était de plus en plus tendu. Il passait les 2 heures à faire les cent pas dans ma chambre, ouvrait la bouche pour me dire quelque chose, puis la refermait sans avoir dit un mot. Hier il a fini par me demander d'accepter la demande du Commandant. Il m'a dit que c'était le meilleur choix, que ça me protégerait, et que la vie n'était pas si mal ici. Que je pourrai enfin sortir de ma chambre, rencontrer d'autres gens, je n'ai rien dit, je l'ai juste regardé. Puis il s'est levé, avec du regret dans ses yeux, il m'a dit d'y réfléchir puis il est parti.

J'ai ressassé ses paroles toute la soirée, sans arriver à me débarrasser de ma boule au ventre. Sans m'en apercevoir, je me suis attachée à James plus qu'à n'importe qui depuis l'accident. Je sais que c'est stupide, que je le connais depuis 3 semaines, mais ça fait 7 ans que je l'attend, cet ami qui me comprend, qui rit avec moi et comprend mes silences. J'ai l'impression que mon cerveau s'est accroché à James comme à une bouée de sauvetage et ça m'effraie, car s'il m'abandonne j'ai peur de couler et de ne pas savoir remonter à la surface. Heureusement, ce n'est pas lui qui m'apporte mon dîner mais une fille qui doit avoir quelques années de plus que moi, on échange quelques mots tous les soirs, sans plus, puis elle repart.

Je n'ai quasiment pas dormi, et les rares moments où j'ai réussi à fermer les yeux, les cauchemars qui s'étaient estompés depuis 2 semaines me réveillaient en sursaut. Cependant, l'un d'eux était différent des autres. Je fais toujours le même cauchemar, mon beau-père est au-dessus de moi et essaie de remonter ma chemise. Je crie pour qu'on m'aide et ma mère est là, accroupie à côté de moi et me murmure que c'est de ma faute, que je le mérite et que je dois l'accepter. Seulement dans cet enfer, il n'y a pas de couteau, pas d'échappatoire autre que de me réveiller en larmes sans pouvoir respirer.

Mais pas ce soir.

Le rêve commence normalement, il ressemble aux beaux rêves, ceux où je m'imagine m'enfuir avec James. Nous sommes en train de discuter, je ne sais même pas de quoi, et d'un coup, il me plaque au mur et appelle le Commandant, il m'accuse d'avoir trahi la Guilde et je le supplie de me lâcher parce que je ne peux pas respirer mais il ne fait rien, il rit et il rit et le Commandant rit avec lui et je sens ma conscience partir loin, toujours plus loin et quand je me sens mourir, je retourne à la réalité.

J'ai passé la matinée à faire les cent pas, à me ronger les ongles, James doit arriver d'une minute à l'autre et je ne sais pas si je vais arriver à lui parler sans que mes cauchemars me rattrapent.

On toque à ma porte. Je sais que c'est lui, mais je pose quand même la question, j'espère que pour je ne sais quelle raison ce n'est pas lui, que c'est l'autre fille ou même Paul mais pas James

– Qui est-ce ?

Il rentre sans répondre, un plateau à la main, comme tous les jours, mais son expression m'alarme encore plus. Je me suis habituée à ses demi-sourires rassurants mais son visage ne présente aucune trace de joie aujourd'hui. Ses yeux sont voilés, il me fait presque peur.

– Qu'est-ce qui se passe ?

Il ne me répond pas tout de suite, il regarde dans le vide, puis ses yeux se posent sur moi.

– Evelyn, il faut que tu acceptes.

– Quoi ?

Je sais de quoi il parle, mais je ne veux pas y croire.

– Il faut que tu acceptes la proposition du Commandant, s'il te plaît.

– Pourquoi ?

– Parce que je n'ai plus de temps ! Parce que sinon..

Sa phrase est interrompue par un bruit dehors. Le visage de James pâlit, il passe sa main dans ses cheveux alors que la porte s'ouvre sur le Commandant.

– James, as-tu réussi à la convaincre ?

– J'ai besoin de plus de temps, donnez moi juste une semaine en plus, elle acceptera, s'il vous plaît.

Je comprends ce qu'il se passe, James a fraternisé avec moi pour que j'accepte l'offre de son Chef, j'aurais dû m'en douter.

– Evelyn s'il te plaît, accepte ! Il va te faire du mal !

Je reste sans réponse, de peur que ma voix faiblisse si je parle. Je regarde James puis le Commandant.

– Commandant s'il vous pllait

– James, sors de mon chemin, maintenant.

Je m'attends à ce que James refuse, qu'il proteste, qu'il lutte pour moi, après tout, nous sommes amis, et pourtant, je le regarde baisser les yeux et laisser les soldats du Commandant me saisir par les bras.

– Evelyn...
– J'aurais dû me méfier, Paul avait raison.

Il garde le silence et baisse la tête mais je vois sa main se serrer, comme s'il se retenait de parler ou de faire quelque chose. Je veux attendre, voir s'il va changer d'avis mais les soldats m'emportent loin de lui.