Chapitre 2 : Je ne suis pas simplement ce que tu vois
Ethan accélérait le pas dans les couloirs ne désirant qu'une chose : atteindre le plus vite possible les dortoirs pour trouver rapidement le sommeil. Cependant, il finit par soupirer d'agacement en entendant des pas rapides se rapprocher de plus en plus et le rattraper.
— Cesse de marcher ou je jure que je m'en assure moi-même en te brisant les jambes !
La voix d'Eirin n'était pas forte et elle ne criait pas. Pourtant, peut-être la construction même de la bâtisse accentuait l'écho, mais Ethan entendit clairement ses menaces et s'immobilisa.
Eirin finit ainsi par le rattraper et souffla à la fois d'agacement et de fatigue.
— Certaines journées ne devraient pas exister, dit-elle sarcastiquement à Ethan.
Ce dernier ne prononça pourtant pas un mot restant immobile et ne montrant que son dos à son interlocutrice.
Eirin s'approcha et lui saisi l'épaule pour le forcer à se retourner.
— Bon ce n'est pas que je m'ennuie de moi-même mais les gens vont finir par se poser des questions si je continue à parler seule.
Ethan rit méchamment, allait-elle vraiment continuer de faire comme si de rien n'était ?
— Et tu veux que je te réponde quoi !
Il regarda la fille prodigue de haut en bas pour terminer en un souffle :
— J'ai rien à te dire.
— Pourtant tu ne t'en prives pas ! Depuis cette foutue mission, tu ne fais que ça ! Et tu te plains de ne pas pouvoir t'exprimer !
Eirin recula et fit un geste d'encouragement vers Ethan.
— Alors vas-y, je t'écoute.
— C'est pas aussi fa...
— Bien sûr que si c'est facile ! Tu as juste à assembler des mots ! C'est juste que là t'es tout seul et tu n'arrives plus à porter le poids de tes propres paroles.
— Qu'est-ce que tu veux ? J'suis un faible ! Je ne suis qu'un bâtard après tout ! Tu l'as dit toi-même !
— Juste après que tu m'as fait pour la millième fois un procès concernant mon rôle d'espion de Frey et juste avant que tu n'aies tenté de m'assassiner par étranglement. C'est super ! Apparemment, on est chacun des abrutis potentiellement tarés.
— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?
— Ça t'arracherait le cœur d'admettre que les torts sont partagés ? Oui ! s'exaspéra-t-elle en levant les bras d'agacement de part son incapacité à trouver les mots. Oui, je n'aurais pas dû te traiter de bâtard !
— Oui, c'est vrai que c'était pas la phrase la plus amicale que tu pouvais trouver, il est vrai...
— Mais c'est comme ça que j'ai été élevée ! Je n'ai pas eu la chance de grandir auprès d'un demi-frère aimant et éloignée du reste de la famille ne me souhaitant que du mal !
— Bien sûr ! T'as raison ! C'est sûr que la vie de bâtard, rejeté de tous excepté de son demi-frère uniquement par pitié ça forge le caractère !
— Je n'ai pas dit ça...
— Si, au contraire, c'est exactement ce que tu viens de dire. Tu nous hais nous, moi, Shauna et même le reste de cette académie, finit-il en riant amèrement. Tout ça uniquement parce que tu te sens supérieure. Mais non désolé, tu ne l'es pas. Dès que t'as appris que j'étais qu'un bâtard, t'as... changé.
— Alors c'est ça ? déglutie difficilement Eirin.
— C'est ça ton problème ? Tu te caches derrière des discours moralisateurs sur l'égalité des chances, mais en fait ce qui te dérange, c'est uniquement ta petite personne. Tu t'en fichais de mon comportement répréhensible contre Shauna durant nos premières années, et même si on n'était pas vraiment proches, tu ne m'as jamais confronté. Mais maintenant que j'ai « découvert ta condition » tu te sens concerné hein ?
— Parce que tu crois que est agréable toi d'être réduit à un simple rang de bâtard ?
— Et toi est-ce que tu crois que c'est agréable d'être réduite à un simple rôle de méchant agent double ? D'héritière de Frey ? Alors qu'on fait son maximum pour prouver le contraire ? rajouta Eirin difficilement.
Eirin leva un court instant les yeux au plafond ne scrutant pourtant rien puis repris doucement.
— Écoute, j'ai... J'ai pas eu le temps ou le courage pour être franche de te le dire. Après le temps a passé et j'ai eu l'impression que c'était trop tard.
Elle prit un profond souffle se préparant mentalement pour la suite.
— Je n'ai... jamais voulu t'humilier le jour du bal.
Ethan fit mine de vouloir répondre, mais Eirin l'arrêta d'un geste.
— Arrête, je sais que c'est à partir de là que j'ai tout gâché. Dire que je n'avais pas le choix face à mes parents et aux règles de la bienséance serait lâche de ma part alors voilà, je suis sincèrement désolée et... je tente de lutter contre ces à priori qui me font dire des choses que je regrette.
Elle se rapprocha d'Ethan :
— Et pour répondre à ta question, c'est pour ça que je ne suis pas partie. Je... ne veux plus fuir et tenter de cesser de me complaire dans mes plaintes cachées derrière des discours sur la dérive pour peu être parvenir à faire mieux...
Elle se frotta les yeux cachant désormais difficilement les larmes qui commençait à occuper ses yeux.
— Pour... essayer d'être meilleur... Et je sais ! Je sais que c'est naïf, mais on m'a contraint à être calculatrice, rationnelle toute ma vie me rendant peut-être incapable de certains sentiments qui m'ont mis dans cette situation. Et j'en viens à me demander si... si c'est vraiment ça là meilleure version d'un être humain... d'une personne... de moi.
Elle recula et baissa la tête fixant le sol :
— À présent, tu peux penser ce que tu veux de moi, mais maintenant tu sais... et ça me suffit.
Sur ces mots, elle dépassa Ethan et commença à s'éloigner. Seuls les pas de la jeune fille résonnèrent dans le couloir, jusqu'à ce qu'enfin Ethan reprenne la parole.
— Eirin, attends.
Il se massa la nuque, gêné et cherchant ses mots.
— Toute ma vie j'ai été rejeté, j'ai été associé au mot honte, au déshonneur. J'ai été sans cesse rejeté. Je n'ai appris qu'à compter sur moi-même et mon frère. Une fois arrivé à l'Académie avec Kevin, on s'est juré de cacher autant que possible mon statut, pour que je n'ai pas à subir le même traitement que j'avais subi jusque-là dans mon pays. Cela a fonctionné, j'ai pu m'intégrer parmi vous et tu as raison. Après avoir été là victime, je suis devenu le bourreau, et j'ai, à mon tour, moqué et rejeté Isaak et Shauna. J'ai cru enfin obtenir la place que je désirais. Et puis... je suis devenu ami avec Isaak, puis Shauna et enfin toi. Je me suis alors dit que je n'avais plus besoin de jouer ce rôle de fils légitime. Oui, j'ai été déçu par ta réaction. Je me suis aperçu que jamais je pourrais m'associer à votre société.
Il fit alors une pause, de l'intérieur, on pouvait entendre qu'il avait commencé à pleuvoir dehors et seule les flambeaux accroché le long du corridor éclairait faiblement les deux paladins.
— Alors, toi et Joshua êtes devenus le symbole de mon exclusion. J'ai commencé à détester la noblesse, et j'ai commencé à vous détester. Mais désormais, nous voilà à avouer chacun nos fautes.
Il jeta un rapide coup à la fenêtre juste à côté de lui, celle ci étant désormais trempée.
— Ne blâme pas mon frère. Même si nous adorons nous envoyer des piques, nous avons toujours été très solidaires l'un envers l'autre. Sans lui, je ne serai pas là et sans moi.
Il marqua un nouveau temps de pause.
— ... lui aussi ne serait pas là ... Il a juste cherché à me protéger, une nouvelle fois.
Cette fois-ci, Ethan s'approcha de sa sœur d'armes et la regarda d'un œil sincère.
— Eirin, je te présente mes excuses...
Eirin baissa les yeux gênée par la soudaine honnêteté de son camarade ainsi que de sa soudaine proximité.
Elle recula d'un pas et riva ses yeux sur les pavés qui jonchaient le sol du couloir et dont l'uniformité semblait à présent la fasciner. Elle prit finalement la parole laissant transparaître bien malgré elle sa perte de sang-froid qu'on lui avait pourtant inculqué avec minutie durant toute sa vie.
— Je ... je ne t'en demandais pas tant...
Elle releva son regard et présenta et souffla d'agacement.
— Je ne t'ai même rien demandé d'ailleurs ! Je n'ai pas besoin de ça !
Ethan se frotta le bas du visage se retenant de rire.
— Alors d'une je ne réponds à aucune demande, je m'excuse parce que je considère que je te dois des excuses.
— Tu n'as jamais été aussi sérieux et mature ça en devient limite effrayant don....
— Et, coupa Ethan avant que Eirin ne puisse parler d'avantage et se rapprocha d'un léger pas vers son amie. Je tiens à préciser que c'est toi qui m'as poursuivi au travers de la moitié de l'Académie pour qu'on discute donc si, c'est précisément ce que tu demandais.
Eirin perdit son regard empli de gêne pour en présenter un dubitatif :
— La moitié de l'Académie ? Tu n'as pas légèrement l'impression d'exagérer ? Le réfectoire se trouve deux couloirs plus loin...
Ethan leva ses deux mains en signes de capitulation :
— Oui oui, d'accord ! Aucune histoire n'est vraiment intéressante s'il n'y a aucune exagération.
Il marqua une pause semblant chercher ses mots puis releva ses yeux pour rencontrer les pupilles grises de la jeune fille.
— Mes excuses sont sincères elles par contre. J'exagère souvent soit pour être au centre de l'attention soit pour me protéger, mais ici, ce n'est pas le cas et ça rend la tâche d'autant plus ardue.
— La tâche ? Mais de quoi tu parles ?
Eirin écarquilla les yeux.
— Attends ! Tu... tu veux dire que...
Ne laissant pas l'occasion à Eirin d'hésiter plus longtemps, Ethan s'élança et fit les quelques pas manquants qui le séparaient de la paladin pour l'enlacer. Eirin écarquilla les yeux ne sachant ni comment réagir ni même quoi penser. Finalement, pour toute réponse, son corps se contenta de rester immobile droit comme un piquet telle une réaction de survie face à un prédateur.
— Je suis désolé... d'habitude j'ai pas à dema...
— Non, c'est bon, oui c'est bon, ...
À ces mots pourtant anodins, le visage d'Eirin se tendit soudain pour finalement s'assombrir.
— Euh ..., je ... je crois que je vais aller me coucher .... oui c'est ça ... la journée a été suffisamment longue.
Sans laisser à Ethan la possibilité de répondre elle se retourna et se mit à marcher d'un pas trop rapide pour qu'il soit naturel pour finir par disparaître dans la pénombre laissant Ethan seul dans ce couloir aux pavés si uniformes.
Ethan regarda Eirin partir silencieusement. Dehors, la pluie s'était enfin arrêtée, le bruit des gouttes dégringolant sur les vitres ne se faisant plus entendre. Finalement, cette journée avec fini beaucoup mieux que prévu pour Ethan, qui fixait en souriant vers la direction où Eirin était parti. Il fut alors interrompu de ses pensées par une petite voix féminine qui venait derrière eux.
— Je ... je n'y crois pas ...
Il se retourna alors, surprenant Lyze, qui visiblement n'avait rien manqué de la scène. Celle-ci sursauta quand le regard de son frère d'arme se posa sur elle.
— Je ... je excuse-moi ! Je ne voulais pas vous observer, c'est juste que les autres s'inquiétaient pour vous, bredouilla-t-elle. Vous semblez l'un comme l'autre en colère, alors je suis venu voir si tout allé bien et... J'ignorai que c'était possible d'autant approcher une Freymïr...
Le jeune homme ria doucement en voyant sa sœur d'arme aussi gênée que paniquée, il s'approcha alors vers elle et posa amicalement sa main sur sa tête.
—Ne t'inquiète pas, on sait très bien que tu n'es pas une voyeuse Lyze, ce n'est pas ton genre. On a eu juste une petite dispute, tout va mieux maintenant.
— Oh, je m'en doute... C'est normal d'avoir des conflits au sein d'un groupe, répondit alors innocemment la jeune fille.
— Et les autres t'ont envoyé seule ? Quelle bande de lâches !
— C'est-à-dire que... ils ont commencé un débat pour savoir quel était le meilleur vin. Je voulais juste m'assurer que tout allait bien et... je suis très heureuse pour vous !
— Je pense que si c'était le cas contraire je m'inquiéterais. Bon... On retourne manger ?
Lyze sembla hésiter durant un court instant.
— Heu...
Elle regarda Ethan droit dans les yeux semblant penser à quelque chose :
— Oui ! Oui ! Surtout si tu as faim !
Ethan fit mine de ne pas comprendre sans en faire la remarque pensant que Lyze avait encore du mal à mesurer complètement la situation.
— Eh bien oui, ria-t-il doucement. Oui, j'ai faim. Je n'ai pas eu le temps de finir mon repas.
Lyze se saisit du bras du jeune homme et commença à prendre la direction du réfectoire.
— Dans ce cas, il faut se dépêcher !
— Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe Lyze ?
— C'est Shauna ... elle a découvert le faisant ... et quand je suis partie, vous rejoindre elle avait déjà entamé sa troisième assiette ! J'ai peur qu'il ne reste plus rien !
Ethan se mit à rire de bon cœur :
— Ah mais bien sûr ! Y a que Shauna pour vider littéralement les réserve de l'Académie sensé nourrir toute une génération de paladin et d'apprentis.
Lyze lui fit un coup de coude, le maximum de violence dont elle était capable.
— Oh c'est bon ! Tu n'es pas sympa !
Elle s'immobilisa et lui sourit.
— Allez allons manger ! rajouta-t-elle.
Les deux jeunes paladins partirent rejoindre leurs compagnons. Ces derniers regardèrent Ethan arriver, un question brûlant leur lèvre. Le jeune homme les rassura immédiatement qu'il avait pu parler avec Eirin et que tout était réglé, que celle-ci était ensuite partie se coucher suite à cette rude journée. Il n'entra pas plus dans les détails ne souhaitant pas, par ce geste affectueux subir les moqueries du reste du groupe heureux que seule la personne la plus gentille et innocente en est été le témoin. La plupart des jeunes restèrent ensemble tard, et ne commencèrent à quitter la table qu'à partir de minuit.
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