Chapitre 18 : Dernières paroles
L'organisation de la société tredanienne n'était simpliste que d'apparence. En réalité, la vie de ses membres était régie par des étapes strictes qui les guidaient du berceau jusqu'à leur tombe. Pour autant, il n'y avait nul besoin de loi ou de règle, seule la religion et les traditions étaient reines. La seule loi possible provenait de l'assemblée des sages, des hommes et des femmes dont la sagesse était reconnue par chaque tribu par le biais d'un vote et qui décidaient des relations avec les autres pays ou encore des rencontres extraordinaires. Mis à part cette assemblée qui vivait à la capitale, creusée dans la pierre et immuable à l'image des dieux, le reste des habitants vivaient sous la forme de tribus. Ces tribus n'avaient pas d'attaches territoriales au sein de Tredan. Elles voyageaient au gré de la qualité des terres leur laissant le temps de se régénérer et de se remettre de leur présence qu'ils savaient destructrice. C'était la raison pour laquelle leurs récoltes étaient aussi abondantes et de si bonne qualités.
Les tredaniens vivaient dans de modestes conditions profitant du climat plus qu'agréable du pays. Il n'avait en leur possession qu'une tente et des vêtements confectionnés par la collectivité. Mais leur plus grand trésor était de loin ce qu'il nommait leur robe.
Cette robe était d'apparence assez pauvre. Un simple tissu vert tissé à l'aide de l'Amanthys, une plante curative qui avait également l'avantage de teindre d'un vert profond tout tissu. C'est d'ailleurs cette même plante qui permettait à Tredan de commercer avec Aldane étant donné que ce pays utilisait cette même teinture pour décorer leurs draperies.
Enfin, de la tête ou pied, une ligne droite d'un rouge sang séparait la robe en deux. Sur cette dernière devait être cousus une suite de symboles partant du haut jusqu'en bas.
Chaque symbole avait sa propre signification, son propre lien avec une divinité et surtout son importance dans l'existence de l'individu et dans la vision qu'on lui devait dans la tribu.
Ainsi, l'apparence d'un campement tredannien était déjà d'ordinaire peu ostentatoire. Malgré tout, l'attaque de la Capital par les Gaadrimas et la récupération des rescapés avait tout de même laissé son empreinte sur les lieux. Les tentes n'étaient pas suffisamment nombreuses et beaucoup de paillasses avaient été improvisées afin d'accueillir les nombreux blessés. Le sol était jonché de femmes, d'hommes, et même d'enfants couverts de blessures et de brûlures qui ne cessaient de crier de douleur.
Des soigneurs tentaient vainement d'apaiser les souffrances de ces pauvres âmes à l'aide de paume, de prières ou de rituels. Face à cette scène, Lyze eut un haut de cœur. Cette odeur, ces blessures, ces gens qui criaient, tout ça lui donnait la nausée. Bien qu'en classe, elle y avait été préparée, ce qu'elle découvrait peu à peu la terrifiait. Son regard fut alors attiré par les cris d'une mère, qui tenait dans ses bras, le corps inerte de sa petite fille qu'elle refusait de lâcher.
Lyze stoppa alors immédiatement sa monture, sous l'étonnement de ses camarades et descendit voir la mère. Elle s'agenouilla à sa hauteur et voulue poser une main réconfortante sur l'épaule de la femme endeuillée.
— Madame, mes plus sincères condo...
— Pourquoi ?! hurla soudainement la mère. Pourquoi les dieux m'ont pris mon enfant ? Elle n'a jamais rien fait ! Pourquoi si tôt ?
Des yeux la regardaient écarquillés et nimbé de larmes n'attendant pourtant aucune réponse. Car il n'y en avait pas, et cela, Lyze comme cette pauvre mère endeuillée le savaient. Lyze se releva et recula doucement. Elle se sentait totalement impuissante face à la détresse de cette mère qui venait de perdre son enfant.
— Vous ne devriez pas l'approcher, conseilla un soigneur à la jeune paladin. Cette femme est encore sous le choc et refuse de nous confier le corps de son enfant. Elle l'a même gardé durant la fuite de la capitale. Pour être sincère, nous avons mis du temps à nous rendre compte que l'enfant avait quitté ce monde.
Lyze avait de plus en plus de mal à respirer et restait là, immobile, à regarder le corps inanimé d'un être innocent, d'un enfant massacré pour une raison inconnue.
— Pourquoi ..., souffla-t-elle les larmes aux yeux.
— Lyze.
L'interpellée tourna ses yeux embués vers Maï qui avait doucement prononcé son nom.
— Je sais que ce n'est pas facile, mais il faut que tu le fasses.
— Je... je ne peux pas.
— Et avec moi ?
— Toi ?
— Bien sûr ! Allez vient.
Maï saisit doucement la main de Lyze et s'agenouilla face à la femme en larme.
— Nous souhaitons vous répéter nos condoléances pour votre enfant.
— Mais ce n'est pas juste ! Mon enfant n'a rien fait !
— Les dieux ont rappelé votre fille et elle est désormais de l'Autre Côté au sein de leur lumière.
— Mais...
— Et je suis sûr qu'elle serait triste de vous voir ainsi...
— Comment osez-vous parler en son nom ?
— Parce que je le peux... Vous permettez ?
Maï effleura l'un des traits dessiné à la peinture rouge sous ses yeux et y récupéra une trace de pigment rouge qu'elle mit sur le front du corps inanimé de la petite fille en y dessinant un symbole.
Elle apposa sa main droite sur le front du cadavre à même le symbole fraîchement dessiné et sa main gauche devant ses propres yeux.
Elle resta immobile quelques secondes et fut soudainement prise d'un violent spasme retirant sa main devant ses yeux et y dévoilant un regard n'arborant plus un bleu profond, mais un blanc nacré.
— Qu'est-ce qu'elle fait ? Arrêtez-là ! Elle est en train de maudire mon enfant ! implora la femme dans un sanglot adressé à Lyze.
Lyze, pourtant, regardait Maï toujours immobile sans rien dire.
— Maman... Maman...
Maï avait prononcé un simple mot, mais d'une voix qui n'était pas la sienne, plus proche d'une voix enfantine, plus aiguë.
Le sanglot de la femme se transforma en un gémissement.
— Naia...
— Maman, tu ne dois pas pleurer, chantonna l'enfant au travers de la bouche de Maï qui sourit et posa une main sur la joue de la femme. Je n'ai pas eu le temps de souffrir. Tout s'est passé très vite. Maman, je sais que tu as fait ce que tu as pu alors je t'en prie, ne pleure pas. Je n'ai pas encore traversé la Porte, mais... je ne suis pas seule. Je reconnais beaucoup de monde, alors je n'ai pas peur. Je sais que tu finiras par me rejoindre, mais pas tout de suite.
— J'aurais voulu, pleura de plus belle la mère en se saisissant de la main de Maï espérant y retrouver la chaleur de sa propre fille.
— Je sais maman, mais promet moi de cueillir des Amanthys chaque année aussi longtemps que te le permettront les dieux. Maman, promet-le moi.
— Je te le promets.
— Je t'aime maman. Merci d'avoir pris soin de moi. Je serai toujours là derrière toi. Au revoir maman.
Maï fut prise d'une nouvelle compulsion et retrouva ses yeux bleutés. Elle retira lentement sa main du front de la jeune fille de nouveau muette, mais ayant délivré ses dernières paroles, en y laissant deux doigts effleurant lentement son front pour finalement fermer les yeux de la défunte.
— Votre fille est en paix.
— Merci, souffla la mère.
— Maï !
La voix forte d'Ethan interrompu violemment la conversation. Il avait lui aussi quitté son destrier et arborait à présent un air sévère, tranchant avec l'air jovial qu'il tenait d'habitude.
— Et c'est reparti, soupira la jeune sorcière en se relevant.
Elle attendit que Lyze fasse de même afin qu'elles puissent saluer ensemble la mère et rejoindre Ethan, qui gardait un œil sévère sur Maï.
— Je t'en prie, épargne-moi ton sermon, finit-elle par souffler à l'adresse du jeune homme.
— Tu ne dois pas jouer avec les morts, dit sévèrement Ethan, qui semblait prendre très au sérieux ce qu'il venait de se passer.
— M'accuserais-tu de nécromancie ? Je ne jouais pas, je communiquais.
— Les vivants ne doivent en aucun cas entrer en contact avec les défunts, répéta son frère d'armes. C'est l'un des premiers ordres d'Arkay.
— Tandis qu'Izanami nous y autorise pour que ces derniers puissent trouver la paix, rispota Maï, sans avoir l'air préoccupée du sermon de son frère d'arme. Quel dommage que nous ne prions pas les mêmes dieux, Ethan.
— Je ... je pense qu'Ethan a raison, Maï, annonça alors Lyze de sa voix timide. Même si tu as apporté du confort à sa mère, il vaut mieux éviter ce genre de contact.
— Je pense surtout que vous priez les mauvaises divinités, leur reprocha soudainement l'apprentie sorcière. Comme tous ces gens d'ailleurs. Leurs divinités ne sont nullement intervenues durant ce massacre. Izanami, la déesse primaire, aurait certainement empêché que tout cela n'arrive.
— Je t'en prie alors ! s'énerva Ethan. Va donc dire ça à toutes ces personnes endeuillées ! Je suis sûr que cela va résoudre leurs problèmes de partager soudainement tes croyances !
— Moi, je trouve ça bien ce que tu as fait Maï.
Eirin s'approchait du groupe et venait de prononcer ces mots d'un ton calme.
Ethan se tourna vers elle :
— Tu es sérieuse ? Tu trouves ça bien de faire parler les morts ?
— Si Kevin mourrait, je ne pense pas que tu tiendrais le même discours. C'est facile de tenir des discours moralisateurs quand tu n'es pas concerné. Cette femme avait besoin de parler à sa petite fille et Maï a mis en place le lien. Elle n'a pas convoqué la totalité de l'Autre Coté sur terre.
— De toute manière, je ne pourrais pas, souffla Maï. Bien, je vais faire le tour des blessés et soigner ceux que je peux.
Maï s'éloigna et disparue rapidement dans la foule.
— Bravo, vous lui avez fait de la peine, s'exaspéra Eirin.
— Mais ce qu'elle vient de faire est interdit, Eirin ! haussa du ton Ethan.
— Mais ça c'est votre religion qui l'interdit pas la sienne ! Vous ne pouvez pas dicter ses actes selon des principes qu'elle ne partage pas.
— Elle invoque des morts ! Ce n'est pas comme si elle volait une orange au marchand !
— Il a raison Eirin. Ce n'est pas un simple service..., ajouta Lyze.
— Elle prête son corps pour faire passer le message d'un défunt, c'est tout. Elle a la capacité de soulager la douleur d'autrui et vous, vous la condamnez pour cela.
Le débat allait s'envenimer quand une voix interrompit leur conversation :
— Je suppose que vous êtes les Paladins.
Deux jeunes femmes faisaient face au groupe. Une se tenait droite un arc et une peau de biche sur son dos tandis que l'autre jouait avec un corbeau juché sur son épaule et arborait une grosse arbalète. La jeune femme à l'arc qui venait de prononcer ces mots, remarquant l'absence de réaction du groupe de paladin, reprit :
— Le campement a besoin de nourriture et la moitié de nos champs sont détruits. De toute manière, cela faisait quelque temps que les cultures n'étaient pas suffisantes, alors on nous envoie chasser.
— Et vous êtes ? demanda Eirin d'un ton froid n'appréciant pas le fait d'être interrompue.
— Les chasseresses. Nous sommes les prêtresses d'Arlis, déesse de la chasse, les seules à même de parcourir les plaines comme les forêts pour ramener du gibier. Nous avons besoin d'aide du fait de notre nombre réduit.
Elle fit un pas en direction d'Eirin et la jugea du regard.
— Sachez que c'est un honneur de chasser en notre compagnie.
— C'est donc avec honneur que nous acceptons de vous rendre ce gracieux service, répondit Eirin sans prendre la peine de cacher son profond mépris.
Ethan s'avança sentant qu'Eirin était loin de faire une ambassadrice de qualité.
— De combien de personnes avez-vous besoin ?
— Deux personnes devraient suffire. Nous partirons à quatre.
— Bien, Eirin et moi partons avec vous.
— Je suis Denatra, prêtresse d'Arlis et voici Nissa.
— Skroa ! fit cette dernière en se grattant frénétiquement la tête.
Les deux paladins eurent l'air surpris et Denatra le remarqua facilement.
— Nissa est une méthamorphe. Elle peut se transformer en corbeau. Malheureusement, certains métamorphoses s'oublient sur le « chemin » du retour et garde un comportement animal. Mais ne vous inquiétez pas, c'est une très bonne tireuse et son ami emplumé est très utile pour débusquer le gibier.
— Il n'est pas emplumé ! Il est skroa !
— Oui oui Nissa, il est skroa... Bon, on y va ?
Ethan se tourna alors vers Lyze.
— Ca va aller Lyze ? Toi et Maï allez pouvoir vous débrouiller ?
— Ou... oui, je crois. J'espère juste que Maï ne va pas nous en vouloir de...
La main chaleureuse d'Ethan se posa sur son épaule la coupant dans sa plainte.
— Il n'y a aucun souci Lyze. Personne ne peut t'en vouloir à toi. Va la chercher et ensemble, commençaient à donner le remède. On ne va pas tarder.
Lyze acquiesça, et s'en alla en direction de là d'où venait partir Maï. Denatra reprit alors la parole :
— Avez-vous l'arc et les flèches nécessaires ?
— J'ai ma lance ça me suffira, grogna Eirin.
— Une lance ? Tu sais au moins ce qu'est la chasse ?
— Oui, mon oncle m'a déjà appris et c'est comme ça que les freyens chassent.
— Une freyenne ! Je comprends mieux cette atmosphère glaciale autour de toi !
Eirin allait faire un pas pour répondre à cette tredienne impertinente quand une lourde main se posa sur son épaule, accompagnée d'un soufflement.
— Eirin reste calme. On est censé les aider, pas se chamailler avec eux.
— Tu vas voir, je vais les aider moi, maugréa la jeune fille.
— Si tu pouvais éviter de menacer toutes les personnes qu'on croise... souffla Ethan sentant que la journée allait être longue.
— Et toi ? Tu as une lance aussi ?
Denatra s'était tournée vers Ethan et venait de poser la question.
— Non, il me faudrait un arc. Je ne suis pas spécialiste, mais je peux me débrouiller.
Denatra se dirigea vers une table proche d'une tente et se saisit de deux arcs et de deux carquois qu'elle donna à Ethan.
— Tient, ça devrait te suffire et prend ça pour la freyenne. Ici, c'est avec un arc qu'on chasse. Je n'ai pas envie qu'Arlis ait honte en son propre domaine.
— Bien entendu, sourit Eirin en faisant un geste en direction du bosquet. Aux chasseresses d'abord !
Nissa regarda son corbeau et lui souffla :
— Skroa, ouvre-nous la voie !
— Ça veut dire quoi « Skroa » ? demanda Ethan
Nissa lui jeta un regard d'incompréhension.
— C'est son nom, c'est évident, skroa !
Semblant ignorer la conversation des humains, le charognard s'envola, laissant quelques plumes noires s'échapper de son plumage.
***
Hey ! Nouveau chapitre comme promis ! J'ai une petite question donc je remercierai les lecteurs (même ceux que j'entends jamais) d'y répondre. Il y a beaucoup de dieux présentés ici et je ne peux pas, au sein de la narration faire des pavés explicatifs. Est-ce que des fiches explicatives en annexe (qui pourraient prendre diverses formes comme des schéma, des visuels, des présentations, des arbres généalogiques) vous intéresseraient ? Ou est-ce que ce serait un effort inutile de ma part, car cela ne vous intéresse pas du tout (ce qui est tout à fait louable ^^').
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