Chapitre 15 : Apprentie sorcière

Eirin se dirigeait vers le dortoir. Elle n'était pas passée à l'infirmerie par crainte d'y croiser Maître Garth qui lui reprocherait sûrement la totalité des événements du tournoi à l'image du reste de ses camarades.

Au détour des longs couloirs se remplissant peu à peu d'apprentis, elle souffla. Est-ce qu'au final, elle était vraiment maudite ? Elle devait avouer qu'elle ne le savait pas vraiment elle-même. Il est vrai que depuis quelques cycles à présent, les événements semblaient prendre une tournure étrange et s'accélérer.

Pourtant, maintenant qu'une opportunité de liberté s'offrait à elle, elle devait faire face à la difficulté ... et à la responsabilité.

Le Grand Maître de l'Académie n'était pas le seul qu'elle souhaitait éviter. Non, elle ne voulait pas tomber sur Joshua. En effet, pour la première fois de sa vie, elle devait avouer qu'elle avait du mal à lui faire face.

Elle gravit rapidement les marches et se dirigea vers les appartements des Paladins. Ces derniers se situaient dans une aile interdite aux apprentis permettant aux Paladins de bénéficier d'un minimum de tranquillité. Chaque Paladin à l'obtention de son titre se voyait la possibilité, s'il le désirait, de s'offrir une chambre dans cette aile. Les dortoirs ne manquaient nullement à Eirin. La proximité dans son sommeil avec ses camarades ne lui avait jamais vraiment plu.

Elle arriva finalement dans un long couloir où était disposée une suite de différentes portes, chacune donnant sur la chambre d'un de ses camarades. Elle passa devant quelques portes fermées en quête de la sienne qui se trouvait légèrement plus loin.

— Une feuille d'arbre de vie ... Ah non, quatre ...

Eirin se tourna vers la voix et vit Maï assise en tailleur à même le sol dans sa chambre. Elle était littéralement entourée de divers livres et manuscrits et faisait face à un petit chaudron qu'elle mélangeait continuellement avec une lourde louche sans la toucher, ses doigts mimant lentement le mouvement de son instrument.

— Maï.

La jeune fille à la longue chevelure blanche leva distraitement les yeux vers l'intruse. Ses yeux d'un bleu profond ornés en dessous de deux traits de peinture rouge, scrutèrent.

— Ah Eirin, vous êtes rentrés finalement ?

Eirin suivit l'invitation indirecte de la jeune fille et fit quelques pas dans la chambre de Maï. Immédiatement, elle fut assaillie par une odeur très forte et désagréable.

— Ah ! Mais qu'est-ce que ?

Maï leva des yeux innocents.

— Quoi ? L'odeur ? C'est un rat mort. L'odeur ne devrait pas tarder à s'estomper. Je suis désolée, mais j'avais besoin de sa queue.

— Et qu'est-ce que tu vas faire avec tout ça ?

Maï souffla en tournant une dizaine de pages de son manuscrit.

— Je fais quelques expériences.

— Tu n'étais pas censée être avec Lyze d'après les garçons ?

— Si, si, mais tout comme toi elle n'a pas vraiment appréciée l'odeur donc quand le Seigneur Rey et arrivé, elle en a profité pour s'échapper.

— Tu n'es pas descendue saluer le membre du Conseil ?

— Je ne pouvais pas, se justifia-t-elle. Sinon, j'aurais probablement fait sauter l'Académie en laissant ma malédiction en cours sans surveillance.

— Ta malédiction ?

— Attends, chut !

Maï enleva la louche de la marmite. Elle se leva et fouilla dans ses placards d'où elle retira une sorte de poupée grossièrement taillée dans le bois et présentant une forme humaine à l'exception d'une tête particulièrement grosse.

Elle fit un rapide mouvement de la main et la mixture de la marmite s'éleva lentement dans les airs et se dirigea progressivement vers Maï et sa poupée.

L'apprentie sorcière se saisit de la tête de la poupée et d'un geste rapide, la sépara en deux laissant Eirin entre apercevoir une sorte de récipient à l'intérieur. Sans se préoccuper de sa spectatrice, Maï y versa sans toucher le liquide et referma la tête.

Le jouet ne bougea pas et les deux filles attendirent patiemment dans le silence. Soudainement, le pantin ouvrit les deux yeux et pencha légèrement sa tête de manière interrogative.

— Qu'est-ce que tu dois faire ? lui demanda Maï.

— Moi ... devoir ... servir Maï ! Moi .. devoir faire plaisir à Maï !

— Fantastique.

Le pantin se saisit des ouvrages au sol et commença à les ranger dans les immenses bibliothèques qui habillaient totalement la chambre de la Paladin.

— Ah ... soupira Eirin. Finalement, c'est comme un banal sort de mouvement ta malédiction.

— Pas du tout.

Maï montra du doigt sa docile poupée qui faisait des allers et retour entre les rangées de la bibliothèque.

— Je ne contrôle rien. Cette poupée pense, prend des décisions et bouge seule. Je ne fais que lui insuffler la vie ainsi qu'un amour et une servitude inconditionnelle pour moi.

Eirin croisa les bras, pensive quant à la démonstration des talents de sa camarade.

— D'où le terme de malédiction, conclut-elle finalement.

— Donner la vie et maudire une personne ne sont parfois pas si différents.

— Tu peux le faire sur des pantins plus grands ?

Maï se leva et fit face à Eirin en souriant. Ses yeux bleus lui lancèrent un air narquois, lisant en elle comme dans un livre ouvert.

— Ah ! Je reconnais bien là la meilleure élève en cours de stratégie ! En effet, quelle fantastique arme ce serait ! Mais non, je ne peux qu'animer ce pantin et ce que pour quelques minutes. Peut-être un jour ...

Elle se tue et sembla s'enfouir profondément dans ses pensées, sa main brossant une barbe imaginaire sur son visage.

— Peut-être qu'en ajoutant ... non pas possible ... ou alors ... non plus, c'est l'explosion assurée ...

— C'est chez toi que tu as appris à faire tout ça ?

— Chez moi ?

Elle se mit à rire vivement face à cette idée qui visiblement pour elle se révélait plus proche de la plus drôle des plaisanteries que d'une question.

— Non, pas du tout. La vie est une chose sacrée dans mon pays d'origine et jouer ainsi avec l'existence n'est pas très apprécié. Mais bon, ce n'est pas vraiment la première entorse aux règles que je fais. Je suis de ceux qui pensent que certaines règles nous enchaînent plus qu'elles nous protègent, pas toi ?

— Je ne sais pas vraiment ...

— Bien sûr que si. Tu refuses simplement de l'admettre. Par contre ...

Maï écarquilla les yeux et fixa intensément le dos d'Eirin.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda cette dernière craignant de plus en plus les réactions imprévisibles de sa camarade.

Maï pointa du doigt l'étui d'Eirin.

— C'est une belle arme que tu as là dis donc.

Eirin se saisit de son arme et la mit face à Maï qui put ainsi l'examiner sous toutes ses coutures.

— Oui c'est un pro ..., elle se corrigea immédiatement, un parent du Grand Maître qui me l'a offerte.

— Celui qui, apparemment, ne vieillit pas ? Fascinant !

— Oui, ça doit être un mage aux pouvoirs assez exceptionnels pour pouvoir faire une telle chose, non ? Je ne pensais même pas que c'était possible.

— Tu sais Eirin, la magie est quelque chose d'instable et de fondamentalement dynamique. Je suis persuadée qu'encore aujourd'hui, de nouvelles formes de magie naissent alors que d'autres s'éteignent dans la méconnaissance la plus totale. Et pourtant, l'Homme tente par tous les moyens de contenir cette force au sein de catégories : magie littéraire, magie héréditaire, magie gestuelle, magie terraformae .... pyromancie ....

Elle accompagna la prononciation de cette dernière catégorie d'un regard plus qu'éloquent vers Eirin. Cette dernière ne perdit pas pour autant la face.

— En parlant de catégorie, je trouve que ce type de magie dont tu viens de faire la démonstration se rapproche trop de la magie du sang à mon goût.

— La magie du sang !

Maï fit mine de cracher par terre quand cette idée traversa on esprit.

— Tu n'y penses pas ! Cette magie est une abomination ! Moi, je fais de l'art à l'aide de mes malédictions ! Dans tous les cas, ton arme bénéficie d'un enchantement très intéressant ! Si tu permets, j'aimerais beaucoup l'étudier.

— Mon arme n'est pas enchantée.

— Ah ah ! Et c'est à une experte de la malédiction et de l'enchantement que tu dis ça ?

— C'est vrai qu'elle est vraiment très légère ... sans doute l'enchantement impact son poids ou ma capacité physique ?

— Sûrement.

Un bruit sourd attira les deux jeunes filles qui virent la poupée au sol de nouveau totalement inanimée.

— Ah ..., se désola Maï, seulement cinq minutes ... Bon désoleé Eirin, mais il semble nécessaire que je revois les doses pour augmenter le temps.

Eirin se dirigea vers la porte et fit mine de la fermer afin de protéger le couloir d'une nouvelle attaque massive odorante, mais Maï leva la tête et demanda rapidement.

— Tu pourras demander à Isaak quelques langues de Salamandre rouge ? Je suis sûr qu'il en a dans sa réserve personnelle. S'il ne veut pas m'en passer, dis-lui que je raconterais à toute l'Académie que ça lui sert à guérir ses champignons de pied !

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