Chapitre 14 : Entrevue à l'infirmerie
Heureusement pour Shauna, les pommades de l'infirmière de l'Académie avaient un pouvoir apaisant très efficace. La jeune fille ne ressentait désormais plus aucune douleur des différentes blessures qu'elle avait subies. Certes, des bleus, dont la couleur virait en réalité plus vers le violet, continuaient de parcourir sa peau et un coquard décorait à présent son visage au niveau de l'œil, mais son saignement de nez avait stoppé.
Alors que l'infirmière se saisissait avec douceur de son bras et vérifiait attentivement en le pliant et l'étendant successivement qu'aucun os n'était cassé, l'apprentie ne cessait de dévisager Edrick, assit de l'autre côté du lit.
Son regard, fixant le visage de l'ancien paladin, n'était empli que de reproches et de haine et accompagnait secrètement la promesse d'une terrible future vengeance.
Semblant prendre conscience de la malédiction que la jeune fille lui jetait sans prononcer le moindre mot, Edrick finit par lui rendre son regard et arbora un sourire mesquin.
— Tu essaies de me changer en pierre ? lui répondit-il alors, sa voix abritant toujours cet éternel ton de moquerie et de dédain.
— Enfoiré.
— Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même et à ta faiblesse, tu sais ?
— Salaud.
— Allez ! Tu me remercieras plus tard. Curieusement, ce coquard arrange ton visage. Ton aura de puceau si puissante en est presque affaiblis. Après, je préfère rester franc avec toi, il reste, je dois bien l'admettre, de nombreux travaux pour te rendre agréable à regarder. Mais courage ! L'espoir est possible !
— Connard.
— Puceau.
L'infirmière finit par poser sans la moindre délicatesse le bras de Shauna qui grimaça sous la douleur et pointa du doigt les deux compères.
— Ça suffit maintenant ! s'écria-t-elle, agacée par leur confrontation. Vous ! s'insurgea-t-elle en désignant Edrick. Sortez de mon infirmerie, vous n'êtes d'aucune utilité !
— Le personnel est toujours aussi aimable ici à ce que je vois.
À l'entente de ces mots, l'infirmière croisa ses bras sur son torse et lança un regard meurtrier à l'ancien Paladin.
— Que les choses soient claires, prévint-elle sur un ton bien plus froid et terrifiant que d'ordinaire. En ces lieux, je peux soigner les blessures comme les créer. Mes armoires regorgent d'onguents et de potions qui, mal utilisés, peuvent même tuer un ours. Et vous savez comme moi qu'un accident est très vite arrivé.
Edrick s'immobilisa et observa l'infirmière, n'osant pas prononcer le moindre mot. À vrai dire, à la vue de cette femme mature, au teint blême et aux cheveux peu soignés, il ne s'attendait pas à un tel caractère. Il leva ses deux mains en signe de paix, puis se tourna vers Shauna qui observait la scène, le plaisir de le voir se faire gronder perceptible dans son regard.
— Sois prête demain au lever du soleil, morveuse. J'ai horreur d'attendre, finit-il par lui lancer avant de sortir de l'infirmerie sous le regard satisfait de l'infirmière.
Shauna laissa tomber sa mine contrariée. Quand bien même ce type était imbuvable, il avait accepté de l'entraîner. Cependant, elle ne manquera pas le moment venu de se venger de ce qu'elle avait subi, elle s'en faisait la promesse.
— Bon, au moins, le silence est revenu en ces lieux, souffla l'infirmière.
Pourtant, à peine eut-elle l'occasion de prononcer ces mots que la porte s'ouvrit en grand fracas, laissant passer Kevin et Lize.
— Ça n'en finira dont jamais, se plaignit la maîtresse des lieux.
À peine arrivé, Kevin alla s'asseoir à côté du lit de Shauna et, omettant de lui demander comment elle allait, se contenta de lui énumérer la totalité du champ lexical des mots "stupide" et "inconscience". La jeune fille regrettait déjà de ne pas avoir demandé à l'infirmière d'interdire l'entrée à de nouveaux visiteurs. Au vu de la mine plus que contrariée de cette dernière, il était certain qu'elle aurait accepté de tenir le siège. Bien malheureusement, ils avaient déjà investi les lieux et elle ne pouvait que se contenter de faire la sourde oreille et éviter de lui parler de son cheval qu'elle avait "emprunté », et qui devait certainement s'être fait voler à l'heure actuelle.
Elle fut ravie quand l'infirmière décida de chasser hors de l'infirmerie Kevin, celui-ci étant beaucoup trop bruyant. Shauna se retrouva alors seule avec Lyze. Cette dernière, après s'être assurée que sa sœur d'arme allait bien, ne savait pas trop comment continuer la conversation.
— Oh ! Tu as sûrement dû en entendre parler, mais le Seigneur Rey est arrivé récemment !
— Le seigneur qui ? demanda alors Shauna, toujours aussi peu à l'aise avec les noms de la noblesse.
— Le Seigneur Rey ! Il s'agit d'un des nobles qui siègent au Conseil. Il est vraiment très impressionnant... et très bel homme aussi, répondit Lyze avec son éternelle douce voix.
— Hum, hum..., acquiesça simplement l'orpheline, sans vraiment cacher son profond désintérêt.
— Eh ! Dis-le si je t'ennuie ! Déjà que je viens te rendre visite à l'infirmerie..., commença-t-elle à bougonner d'un air faussement ronchon.
Shauna leva les yeux au ciel face aux plaintes de son amie. Elle savait que cette dernière ne lui en voudrait jamais éternellement, étant bien trop gentille. Elle aimait pour ainsi dire tout le monde, alors il n'était pas étonnant qu'elle trouve pour une énième fois un homme beau. Pour elle, qui n'avait été élevé que dans le luxe et l'apparat de la noblesse seigneurial d'Oscia, seuls deux éléments comptaient plus que tout bien qu'elle n'oserait jamais l'avouer : la gentillesse et la beauté.
Shauna était bien loin d'avoir les mêmes centres d'intérêts, ce qui rendait d'ailleurs leur amitié d'autant plus étrange, mais plus véritable.
— Non Lyze, tu le sais bien. Mais admets-le, tu trouves tous les hommes beaux. Et les rares qui ne sont pas à ton goût entre dans la catégorie "gentil".
— Ce n'est pas vrai !
— Maître Panel, Ethan, Kristoff, le maître des écuries, le chef cuisinier,... je continue ? Tout le monde y est passé avec toi. Dans ton esprit, j'entends.
— Et toi ? Tu ne trouves aucun garçon agréable à regarder ? Juste comme ça ?
— Comment ça ?
— Et bien, il n'y a personne qui, commença Lyze semblant hésiter sur ses mots, te plaît ?
— Non, répondit Shauna sans la moindre hésitation, comme s'il s'agissait de la question la plus absurde qu'elle n'ait jamais entendue.
— Même pas Kevin ? rajouta d'un ton innocent Lyze.
— Qu'est-ce que vient faire Kevin dans cette histoire ?
— Vous êtes proche, vous êtes souvent proche. Et, il n'est pas vilain.
— C'est normal, c'est mon ami, comme toi.
— Non, ce n'est pas ça ce que je veux dire. Ce n'est pas la même chose. Ça n'a même rien à voir ! Enfin, ce n'est pas grave. Désolé, je m'égare, tu dois avoir autre chose à penser.
Shauna regarda alors la jeune noble curieusement. Elle ne voyait pas vraiment où elle voulait en venir, et en réalité, elle ne comprenait pas grand chose à son discours. Finalement, Lyze se leva du tabouret pour annoncer son départ.
— Je vais te laisser te reposer, tu dois en avoir besoin. À demain Shauna, dit-elle en souriant à sa camarade et en quittant la pièce.
— À demain Lyze.
Shauna regarda sa sœur d'arme partir, Lyze avait été, avec Kevin, l'une des très rares personnes qui avait été bienveillante avec elle durant son apprentissage. Cette jeune femme au cœur immense ne se plaignait jamais, et pensait uniquement aux autres. Elle détestait les conflits et semblait ignorer la méchanceté. Sa venue à l'infirmerie pour lui rendre visite avait fait plaisir à Shauna et elle espérait un jour ou l'autre lui rendre la pareille.
Plus tard dans la soirée, la jeune orpheline eue, l'autorisation de quitter l'infirmerie, mais avec tout de même comme consigne d'aller dans sa chambre pour se reposer. Ne voulant pas que les autres se moquent de son état, elle alla directement dans la chambre qui lui avait été attribuée. La pièce, bien que petite, contenait le minimum de confort requis : un lit, un coffre, une petite table et la chaise qui l'accompagnait. Épuisée par cette longue journée, elle ne tarda pas à s'endormir. Elle fut éveillée par les premiers rayons du soleil, et se hâta de se préparer pour l'entraînement qu'elle allait avoir avec Edrick. Après avoir enfilé un pantalon serré sous une tunique ample, elle se dirigea comme prévu dans la salle d'entraînement sans trouver cependant la moindre trace de son nouvel entraîneur.
Shauna se mit alors à l'attendre pendant une dizaine de minutes, puis une demi-heure qui se transforma en trois heures. Elle commença même à s'entraîner à essayer de lancer des sorts sur les mannequins pour faire passer le temps. C'est seulement à l'approche de midi, quand son ventre se mit à grogner que le bretteur débarqua.
— Tu es en retard ! explosa l'orpheline, agacée d'avoir tant attendu.
— Ca y est ? Je suis ton ennemi au point où tu ne me vouvoies plus ? répondit Edrick, tout en baillant.
— Ça fait plus de trois heures que je t'attends ! Je suis là comme prévu contrairement à toi !
— Normal que tu sois là. Je t'avais dit que l'entraînement commençait au lever du jour.
— Alors pourquoi tu n'étais pas là ?!
— L'entraînement commence au lever du jour... pour toi. Je te rappelle que je suis là pour t'apprendre et non pour jouer à la nourrice. Ne me dis pas que tu es restée là sans rien faire en m'attendant ?
— Quoi ? Et qu'est-ce que j'étais censée faire ?
— Donc t'as rien foutu... Tu crois qu'avec tes bras de brindilles, tu vas réussir à soulever une véritable épée ? Tu aurais dû faire des exercices, courir, soulever des poids, faire des abdos. Décidément, ils ne vous apprennent vraiment plus rien dans cette école ! Tu crois que c'est en faisant trois coups d'épée que tu vas apprendre ? On a rien sans effort. Moi, je sais déjà me battre, je n'ai pas besoin de me lever. Toi, tu ne sais rien, tu as tout à apprendre. Alors tais-toi, et va nous chercher les épées sur les râteliers.
Shauna sous le coup de la surprise et de la stupéfaction resta silencieuse et écouta le sermon du début à la fin. Elle ne pouvait pas protester, au contraire. Ce que venait de dire Edrick était complètement vrai. Gênée, elle se contenta de se diriger vers l'un des râteliers dans le silence, mais fut immédiatement interrompue.
— Tu vas nous prendre quoi, là ? tonna Edrick, impatient.
— Ça ne se voit pas ? Les épées d'entraînements !
— Les épées d'entraî..., il se pinça l'arête du nez. La sage-femme à oublier de couper le cordon ombilical qui te lie à ta mère, toi.
— Je n'ai pas de mère.
— Pauvre petit poussin. Tu vas nous les prendre les épées, oui ?
Shauna se contenta de râler intérieurement et se dirigea cette fois-ci vers le râtelier des armes en fer tandis qu'Edrick continuait son sermon.
— Déjà que tu as des lacunes grosses comme le monde, tu veux essayer de progresser avec des épées en bois ? Tu n'es pas sorti de l'auberge, ma grande. Plus vite, on pratique avec les vraies armes ; plus vite, on progresse. Hé ! Tu me fais quoi de nouveau là ?
— Quoi encore ?! Je prends mon arme !
— Repose cette épée courte, tu es déjà minuscule, tu espères toucher quoi avec ton cure-dent ? Prends-toi une épée longue !
— J'arriverai jamais à la soulever !
— Tu pourrais si tu avais commencé l'entraînement physique ce matin au lieu de m'attendre planté là comme un sphinx ! Quoi que le sphinx reste intelligent, pas toi.
Cette fois-ci, Shauna ne put s'empêcher de l'insulter en murmurant, elle rapporta donc deux épées longues de fer et en donna une à Edrick. Elle se plaça juste devant lui, tenant la garde avec ses deux mains.
— Tu crois tenir une claymore ? C'est une et unique main, l'épée longue.
L'orpheline s'exécuta tout en râlant. La lame était lourde, et elle arrivait difficilement à la garder haute. Son poignée tremblait tellement que l'épée semblait jouer à l'équilibriste sur un long fil.
Jamais, elle n'arriverait pas à toucher le moindre ennemi et encore moins à le blesser, pensa-t-elle amèrement se rendant compte de sa propre faiblesse.
— C'est parti, comme hier, tâche de ne pas t'évanouir.
L'entraînement commença alors. Shauna essaya encore et encore de le toucher, mais elle arrivait à peine à garder l'épée au-dessus du sol. Bien trop souvent et rapidement, se prenant plus de coups qu'elle ne pouvait tenter d'en donner, elle finissait à terre rejoindre le bout de son arme. C'était le début d'un long et éreintant entraînement. Pour Shauna, seule une chose était sûre : le plus dur serait de supporter le caractère imbuvable de son cher mentor.
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