Chapitre 10 : Premier combat

Lorsque la capuche de ce qu'elle pensait être un jeune homme s'enleva au gré d'un vent légèrement trop puissant, Eirin fut persuadée d'avoir reconnu Shauna. Le fait même que l'homme qui l'accompagnait soit Dhanu ne faisait que souligner sa certitude. Mais que faisait Shauna avec Dhanu ? Et que faisait-elle au tournoi ? Pourtant, le directeur lui en avait clairement interdit l'accès.

Eirin mit ses mains devant son visage jurant contre elle-même : bien-sûr ! Le directeur lui a interdit quelque chose donc elle le fait. C'était tellement évident que ça en devenait risible.

— Eirin ? interrogea Kristoff.

— Quoi ? dit-elle d'un air distrait encore perdue dans ses pensées.

— Qu'est-ce que tu as ? Tu es beaucoup trop silencieuse.

— J'ai vu... j'ai vu une personne que je pensais connaître, mais je ne crois pas en fait.

Il valait peut-être mieux que personne ne soit au courant de sa petite escapade, songea Eirin.

Alors qu'elle continuait de réfléchir en silence, l'organisateur du tournoi se rapprocha du centre de l'arène s'apprêtât à lancer les combats :

— Le premier combat va dès à présent commencer ! Je vous demande d'applaudir Tyyyyyyydon !

— Tydon ! Tydon ! Tydon ! scanda la foule.

Le dénommé Tydon s'avança sous les applaudissements et les encouragements de la foule au centre de l'arène, le regard haineux et un sourire au coin des lèvres. D'après le présentateur, il venait d'Ethias. Pourtant, il n'en avait aucunement l'air. Les Ethioniens n'étaient pas connus pour apprécier l'art du combat, préférant la domination par le savoir et ce qu'il nommait la mécanique.

Elle avait souvent entendu parler de cet artifice quand elle vivait encore à la cour freyenne. De nombreux marchands se présentaient, vantant les mérites de cet art nouveau censé pouvoir dépasser la magie du plus puissant des mages et ainsi rendre accessible à tous tout. Selon elle, il s'agissait rien de plus que d'une vaste arnaque et pourtant, c'était grâce à cette nouveauté que le pays d'Ethias était devenu aussi puissant devenant même un voisin à considérer comme potentiellement dangereux pour Frey. La dirigeante de ce pays si on pouvait la considérer comme telle avait même remporté une place au Conseil à condition qu'elle soit représenter par un homme afin de s'assurer de ses attentions pacifiques quant au reste du Continent.

Non, pensa Eirin. L'homme qui se présentait actuellement face à eux n'avait rien d'un Ethionien. Il était bourru, d'une carrure moyenne et très musclé et balançait sa massue assortie de piques tentant de provoquer au possible son adversaire.

— Et maintenannnnnt, je vous prie d'accueillir notre inconnu, Ombre ! hurla le présentateur.

L'inconnu ayant été surnommé ainsi s'approcha à pas léger n'offrant ni bruit ni parole à un public devenu muet. Il se mit face à son ennemi et sortie de son dos une sorte de bouclier en bois, dont la solidité pouvait être facilement remise en cause, et étant couvert d'une peau sans doute provenant d'une chèvre.

Le public ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait et le combat semblait plus que déséquilibré.

— Il n'a aucune chance. Son bouclier ne supporterait pas la moindre charge, alors la lourdeur d'une massue..., s'indigna Ethan. Comment cette personne a-t-elle pu passer les qualifications ?

— Attention, vous êtes prêt ? demanda le présentateur sans attendre la moindre réponse. Je rappelle que tous les coups sont permis ! Le combat ne s'arrêtera que sous trois conditions ! L'abandon, la perte de connaissance ou la mort ! Bien, messieurs... Combattez !

Sur ces mots, il se jeta en arrière et couru se mettre à l'abri derrière une épaisse barrière donnant sur la zone réservée aux candidats.

Les deux combattants ne s'inquiétèrent pourtant pas de la sécurité de ce dernier et se jetèrent rapidement l'un sur l'autre criant de vive voix.

Tydon jeta sa massue sur son adversaire qui sauta sur sa gauche pour l'esquiver et lui enfoncer la pointe de son bouclier dans son flanc gauche.

— Argh ! Tu vas me le payer !

L'homme à présent fou de rage souleva légèrement sa lourde massue et commença à tourner sur lui-même envoyant de multiples attaques circulaires contre son adversaire qui, face à cette soudaine offensive, tenta de l'esquiver en faisant un salto arrière afin de se mettre en lieu sûr.

Avec ce geste, la capuche de l'inconnu s'affaissa dévoilant une longue chevelure brune tombant sur de fines épaules et un regard gris brillant, semblant presque inhumain. Sans attendre que la foule ou que son adversaire se reprennent, l'inconnu profita de son élan et se projeta dans la direction opposé droit vers son ennemi, lui envoya un coup de bouclier dans la mâchoire, la fracassant au passage puis l'abaissa pour le relever droit en direction de son entrejambe.

Dans un cri qu'il laissa malgré lui s'échapper, Tydon tomba à genoux et son adversaire le regarda souffrir le martyre. Il avait à présent lâché sa masse et utilisait ses mains pour protéger la partie de son anatomie acculée.

— Tri.... Tri, tenta-t-il d'articuler vainement, la mâchoire cassée l'empêchant de prononcer correctement les mots.

Pourtant, cela était purement inutile.

La foule, le présentateur et sûrement la moitié de la population d'Eblington étaient à présent figés de stupeur. L'inconnu esquivant si adroitement les multiples attaques d'un combattant aussi impressionnant que Tydon et l'ayant humilié aussi facilement n'était autre qu'une femme !

Des cris de rage s'élevèrent soudainement dans la foule. On pouvait vaguement percevoir des demandes de remboursement concernant les paris et certains tentaient même de traverser les barrières pour mettre fin eux-mêmes au combat.

Le présentateur accourut au-devant de la scène et tenta de calmer la foule :

— Dois-je rappeler les règles ? Le combat ne prendra fin que sous trois conditions ! L'abandon, la perte de connaissance ou la mort ! Aucune interruption n'est autorisée !

— Malheureusement, le pauvre ne peut plus avouer sa volonté d'abandonner.

La combattante avait fait le tour et se tenait à présent derrière Tydon, posant ses mains sur ses épaules et présentant un large sourire.

— Si je puis être de bons conseils, mon ami, la force n'est rien si elle est dirigée aveuglement, souffla-t-elle à l'intention de son ancien adversaire.

Sur ces mots, elle envoya un coup de son bouclier contre la nuque de ce dernier le mettant hors d'état de poursuivre tout combat.

— Et bien Mesdames et Messieurs, notre vainqueur n'est autre qu'Ombre, expliqua d'une petite voix le présentateur. Malheureusement, cette personne à outrepasser la règle interdisant les femmes de participer, elle est donc éliminée !

La prénommée Ombre sourit à cette déclaration et se dirigea tranquillement vers le centre de la scène.

— Mon nom n'est pas ombre, mais Sophis, et maintenant, vous savez que seules vos lois rendent les femmes faibles à vos yeux.

N'ajoutant rien d'autre, elle se dirigea vers la sortie et disparue de l'assemblée, qui de son côté ne parvenait pas encore à comprendre l'entièreté de la situation qui venait de se dérouler sous ses yeux.

Shauna était quant à elle juste époustouflée. Elle n'avait pas manqué une miette du combat. À aucun moment, cette femme n'avait fait d'erreur. Elle avait su dès le début maîtriser son adversaire tout en gardant un calme imperturbable.

— Avec de l'entraînement, des efforts et de la persévérance, on arrive à tout tu sais, lui souligna Dhanu comme s'il avait entendu les pensées de la jeune paladin.

— Vous écoutez mes pensées ou quoi ?

— Pas du tout. Il est juste évident de savoir à quoi tu penses à ce moment, lui répondit-il en se servant du vin disposé dans le pichet. En tout cas, ça ne m'étonne pas de voire la petite Sophis ici !

— Quoi ? Vous la connaissez ?

— C'est la fille d'un vieil ami à moi, je l'ai vu grandir. Elle a sûrement dû combattre sous l'aval de son père d'ailleurs. Il cède à toutes ses demandes. Un vrai papa poule ! Enfin... ce n'est pas comme si elle attendait la moindre autorisation de sa part.

Shauna dévisagea pendant quelques instants Dhanu. Décidément, le père de maître Garth était plus qu'un mystérieux personnage ! Il semblait connaître beaucoup de personnes importantes. L'orpheline se dit que cela venait certainement de son âge avancé.

— Vous avez quel âge ? finit-elle par lâcher, ne sachant contenir sa curiosité.

Dhanu fut tout d'abord surpris par sa question avant d'en rire.

— Quel âge me donnes-tu ?

— Là tout de suite, je dirais la vingtaine, mais vu que le vieux... est... vieux, vous devez avoir plutôt dans les soixante-dix ans ?

— Soixante-dix ans, répéta Dhanu semblant apprécier la réponse. Ça fait longtemps qu'on ne m'avait pas dit quelque chose d'aussi gentil ! Si seulement, je pouvais revenir à mes soixante-dix ans... J'étais encore jeune à cette époque-là !

Les yeux de Shauna s'écarquillèrent. Plus de soixante-dix ans ? Et vu sa réflexion, il devait avoir beaucoup plus. Cent ? Cent-cinquante ? C'était tout simplement impossible !

Ses réflexions loufoques furent interrompues quand elle le présentateur interpella les deux prochains combattants. La foule s'était enfin calmée de l'affront subi par la présence d'une femme dans l'arène et le tournoi pouvait donc reprendre.

Chacun de leur côté s'avancèrent Ser Moran et le fameux Edrick. Ce dernier appréciait les acclamations de la foule, et s'appliqua à les saluer, tandis que Moran resta impassible, droit, les bras croisés et attendant le début du combat.

— Mesdames et Messires, malgré le récent ... déconvenue nous arrivons à notre prochain combat. Il opposera le paladin Moran, champion du tournoi depuis trois cycles désormais, et Edrick, le Paladin prodigue ! Arrivera-t-il à terrasser le puissant Ser Moran ? C'est ce que nous allons voir !

Les cris et les encouragements se firent encore plus importants, puis cessèrent d'un coup quand Edrick dégaina son épée longue.

— Cela faisait longtemps Moran. Tu n'es pas loin des premiers cheveux blancs, dis-moi.

— Revenir ici était une mauvaise idée pour toi, Edrick. Plus tu es loin, mieux se porte l'Ordre.

— Ne te fais aucun souci, dès que je t'aurai mis à terre, je partirai d'ici avec ton titre et ton honneur pour m'accompagner.

Moran ne rajouta rien de plus, et dégaina à son tours sa claymore pour se précipiter sur Edrick, débutant ainsi le combat.

Claymore en main pour l'un, fine et longue épée pour l'autre tout deux s'élancèrent l'un vers l'autre au même instant, semblant être les deux faces d'un même miroir. Le son que donna naissance la rencontre entre le fer des deux armes retenti dans l'ensemble de l'arène, plongeant la totalité des spectateurs dans un profond mutisme, attendant impatiemment la suite de ce combat.

Les deux combattants se figèrent l'un contre l'autre, fer contre fer et aucun ne semblait perdre de terrain. Les forces paraissaient équilibrées.

Le combat devint alors mental. À force qui semblait égal, aucun subterfuge ou pirouette ne pouvait venir à bout d'un des deux combattants. Ces derniers se regardaient et la haine qu'ils se portaient mutuellement l'un pour l'autre devenait palpable.

— Tu es bien présomptueux pour penser pouvoir me battre, siffla Edrick. Tu auras beau tenter, tu es encore un bambin pour essayer de te soustraire à mon talent.

— Ah, sourit Ser Moran. Si je ne peux me mesurer à toi, au moins, je ne ferai pas honte à mon propre Ordre et à ma propre famille.

— Tu es bien sot pour penser que l'ordre des paladins est une famille. Quand bien même elle le serait, je n'en ai cure. La famille n'est rien d'autre qu'un moyen de créer des emmerdes, c'est...

Ne lui laissant pas le temps de finir sa phrase. Moran retira sa lame pour se retourner, profitant de la poussée de son adversaire pour jeter sa lame contre le flanc gauche de son adversaire.

Ce dernier retourna son arme la lança dans son autre main pour tenter de parer cette offensive.

— Alors en difficulté ? se moqua Moran.

Edrik le regarda et fit une moue moqueuse :

— Loin de là mon cher « camarade ».

Il planta sa lame au sol, s'appuya sur sa garde et entreprit une roue au-dessus de la lame adverse. N'attendant pas plus, il retira son épée et attaqua de front, droit en direction du cœur.

Moran se recula et para comme il le pu, mais la lourdeur de son arme l'empêcha de totalement éviter le coup de son adversaire qui se dévia et se planta dans son épaule droite.

— Aaah !

Pestant face à la douleur, Moran se saisie avec sa main libre de la lame et l'enleva lentement montrant progressivement le bout de l'arme d'Edrick, imbibée de son propre sang et de quelques morceaux de chaires.

— Eh bien ! C'est... très impressionnant..., siffla doucement Edrick. Tu fais ça pour l'amour du public ? Pour le sens du spectacle ?

— Je ne fais ça que pour te faire taire et te donner la leçon que tu mérites !

Il tenta de soulever sa claymore, mais la lourdeur de cette dernière associée à sa blessure à l'épaule l'empêcha de la manier correctement. Le peu qu'il puisse la soulever, il la dirigea vers son adversaire qui n'eut qu'à sauter pour éviter que la lame touche le bas de ses jambes.

— Je suis un peu triste pour toi en fait Moran. Quoi que tu fasses, tu ne pourras jamais me battre.

Soudainement, profitant de la baisse d'attention de son adversaire, Moran planta rapidement sa lame légèrement au sol et s'appuya dessus. Il utilisa son élan et les forces contraires pour s'abaisser et lever son fer vers le bas du torse de son adversaire. La lame parvint à son but et Moran sourit.

— Eh bien enfin...

Moran s'immobilisa et écarquilla les yeux. L'armure légère de son adversaire était bien trouée, mais aucune blessure n'apparaissait. Pourtant, l'arme avait bel et bien pénétrée, il en était certain.

Immédiatement après avoir eu cette pensée, il senti un coup-de-poing sur le côté droit de sa mâchoire puis un coup visant son estomac et enfin une lame perforant sa jambe gauche.

Sur ces coups, Moran tomba au sol à genoux devant Edrick qui le regarda de haut.

— Je dois bien admettre que tu t'es amélioré. Mais sache-le, une éternité d'entraînement ne te suffira pas à me battre, souffla le jeune homme son regard devenant soudainement froid et inquiétant.

— Ser Moran !

Kristoff n'avait pu s'empêcher de se lever brusquement et de crier le nom de son aîné, craignant que son adversaire ne lui porte un coup fatal.

— Je déclare forfait, admit Moran.

Le présentateur s'avança dans l'arène, déclarant ainsi la fin du duel.

— Messires et mesdames, nous avons un nouveau champion ! Saluez tous Edrick !

La foule était au bord de l'explosion. Tous criaient le nom du nouveau champion. Ce dernier rangea son arme dans son fourreau, et alla saluer son public, savourant ce moment. Des hommes entrèrent par la suite dans l'arène, afin de vérifier l'état de Moran, dont la jambe saignait abondamment. Ils l'aidèrent ensuite à se relever et à le faire sortir du terrain, sous le regard fier et moqueur de l'ancien Paladin.

Kristoff ne se rassit pas, bien au contraire, il commença à enjamber l'estrade afin de se faufiler et sortir des tribunes dans le but de retrouver Ser Moran.

Shauna non plus n'était plus assise, elle s'était levée au milieu du combat pour pouvoir mieux le suivre. Ser Moran était réputé comme étant l'un des meilleurs combattants de l'Ordre des Paladins. Ses nombreuses missions effectuées avec succès, en étaient la preuve. Pourtant, il venait d'être battu par ce fameux Edrick, qui même s'il avait un physique avantageux, était loin d'être une montage de muscles comme Moran. C'était désormais avec des étoiles plein les yeux que Shauna regardait Edrick. C'était sûr, c'était lui. Oui, avec lui, elle allait faire de grands progrès.

Le présentateur attendit que le nouveau champion fasse quelques tours de l'arène avant de reprendre son annonce.

— Oui ! Bravo à notre nouveau champion ! Toutefois, comme le veut la coutume du tournoi du cycle, des courageux combattants vont pouvoir essayer de remettre en cause son titre ! À tous ceux qui le désirent, vous avez une heure pour défier Edrick afin de tenter de prendre sa place, au risque de perdre votre vie, bien sûr.

De nouvelles exclamations retentirent dans l'arène, puis Edrick sorti à son tour des lieux. Dhanu regardait désormais d'un air amusé Shauna, qui s'était penchée sur la rempare de la tribune.

— À force, tu risques de tomber ! Il doit être parti se reposer dans sa tente, en attendant que quelqu'un vienne le défier. Tu vas pouvoir lui parler.

Voyant que la jeune fille était plus qu'impatiente, il ne la fit pas plus attendre et lui fit signe de le suivre.

De l'autre coté de l'arène, avec les autres spectateurs, les jeunes paladins étaient estomaqués n'esquissant pas le moindre mouvement tant la stupeur avait figé le moindre de leurs muscles. Kristoff s'était jeté vers l'arène, l'inquiétude ayant pris le pas sur la stupeur.

— Kristoff !

Ethan s'était levé est jeté à la poursuite de son ami. Personne ne s'attendait à cette défaite. Moran était considéré comme un combattant hors pair. Un mur infranchissable que cet Edrick venait pourtant de percer sans aucune difficulté.

Eirin resta immobile à regarder le vainqueur se pavaner et prendre lentement la direction de sa tente. Alors que rien dans son comportement ou son physique ne présageait sa victoire, il semblait en réalité afficher une grande force et une agilité presque inhumaine.

Alors qu'elle s'apprêtait à se lever pour rejoindre les deux garçons qui étaient partis à la rencontre de Ser Moran et d'Isaak, elle vit Dhanu accompagnée de Shauna rejoindre la tente.

Une chose était sûre : quelle que soit la raison de sa présence ou de son comportement, cela n'augurait rien de bon.

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