Chapitre 4

Chapitre Quatrième

Les révisions du deuxième semestre ne duraient que deux semaines à la faculté de médecine ; et ces révisions devaient se marier avec les emplois du temps à l'hôpital. Quand ils le pouvaient, Florentin et ses amis se retrouvaient pour des sessions de révision en commun. Parfois à la bibliothèque, parfois directement chez l'un d'entre eux.

Ce vendredi-là, Florentin avait quitté l'hôpital à dix heures trente. Ce qui n'arrivait jamais. Il avait du coup décidé de réviser à la bibliothèque. Après quelques heures de travail, il avait mangé sur le pousse une boîte de pâtes mal cuites et pas très bonnes à la cafétéria, avec de vagues connaissances de son groupe de TP. Vers quinze heures, Raphaël était arrivé et avait réussi à trouver une place quelques tables plus loin. Il lui avait adressé un petit signe de tête puis s'était plongé dans ses livres. Il était passé à la table de son ami juste avant le dernier rappel de la fermeture de la bibliothèque, vers dix-neuf heures quarante.

« Tu pars quand ? demanda Raphaël à voix basse en approchant de la table de son ami.

— Je vais pas tarder, assura Florentin en regardant avec dépit la pile de livres qu'il n'avait même pas ouvert aujourd'hui.

— Eugénie propose qu'on se retrouve chez elle pour continuer encore un peu.

— Elle va nous faire lire je sais pas quel article encore... »

La remarque fit rire Raphaël, ce qui leur attira le regard réprobateur de l'étudiant de la table d'en face.

« Viens en vrai. On va te booster un peu. ... J'ai bien vu que t'avais ouvert que le livre de rhumato' cet aprèm.

— J'ai faits de la dermato avant de manger. Matthieu a vraiment torché les entretiens avec les patients ce matin et m'a libéré des consultations de cet après-midi. Donc j'ai fini super tôt.

— C'est encore plus louche quand tu te justifies. Vas-y, viens, ordonna Raphaël en fermant le livre de son ami. Viens m'aider à survivre à la lecture d'article. »

Eugénie avait décrété il y a quelques jours que les jours de révision seraient clôturée par la lecture d'un article en anglais. Elle avait dit que c'était très important pour leur concours de sixième année. Et même si les garçons lui avaient fait remarquer qu'atteindre la sixième année nécessitait déjà de valider la quatrième année. Détail, avait-elle rétorqué.

Florentin avait lâché un soupir mais avait finit par consentir à se lever. Il avait rapidement mis ses polycopiés, crayons et bouquins dans son sac pour retrouver Raphaël déjà à l'extérieur. Il avait récupéré son vieux vélo de course qui n'avait pas fait de courses depuis des années - si tant est qu'il en ait déjà fait une - et Ils étaient allés chez Eugénie à pied.

« T'as avancé sur tes recherches ?

— Lesquelles ? demanda Florentin ne voyant pas où son ami voulait en venir.

— La fille de la semaine dernière.

— Ah ! Non.

— Tu veux pas que je demande à Silena ?

— Non.

— C'est bête. Si ça se trouve elle te cherche même pas. »

Florentin sourit en passant sa main dans ses cheveux roux.

« T'y as pensé à ça ?

— Oui.

— Et ça t'inquiète pas ?

— Si elle me cherche pas, ça sert à rien que j'insiste c'est qu'elle ne veut pas me revoir. ... Et pour répondre, non. Non, ça m'inquiète pas.

— Mais imagine ! Si ça se trouve elle s'attend à ce que t'aille la chercher.

— Ou pas. Franchement Raph' depuis quand tu t'intéresses avec qui je couche ?

— Non mais tu rigoles ?! s'exclama-t-il en s'arrêtant au milieu du trottoir.

— T'arrête pas comme ça ! Bouge.

— Non mais Flo ? T'es sérieux ? T'es la plus grosse commère de la promo, et c'est toi qui me fait une remarque sur ça ?

— Bah justement ! Habituellement, c'est moi qui pose ce genre de question. Pas toi.

— Mmmh. C'est pas faux. ... Tu te souviens du code ? demanda Raphaël alors qu'ils arrivaient devant la porte de l'immeuble dans lequel ils se rendaient.

— 2158.

— Comment tu peux te souvenir de ça ?

— Apprendre des choses inutiles, c'est un peu l'histoire de ma vie, répliqua Florentin en poussant la lourde porte bleu marine usée par la pluie. Par exemple, tu crois que j'en ai quelque chose à faire des trois grands types de douleurs ?

— Oui. De ouf. C'est ton chapitre de rhumato' préféré.

— Pas faux. »

X+X+X+X+X

De EUGENIE :
Tu fais quoi ce soir ?

De FLORENTIN :
Aucune idée. Je suis encore à l'hôpital. Un patient veut pas partir.

De EUGENIE :
Si tu veux, avec Aurélien on va faire des dossiers de dermato ce soir. Histoire de boucler le programme.

De FLORENTIN :
Je pensais que t'aillais me proposer une soirée Netflix. Pas une soirée révision... 
Déçu.

De EUGENIE :
À deux jours et quelques heures du premier partiel ???
Tu me connais si mal que ça ?

De FLORENTIN : 
Bonne soirée Eugénie !!
Je suis sûr que je peux trouver mieux que ça comme programme !

La vérité c'était qu'en sortant de l'hôpital, Florentin était rentré directement chez lui. Il avait appelé Philippine, une de ses sœurs, en visio pendant son dîner. Ils avaient principalement discuté des dernières bêtises de leur nièce Cléo qui était en pleine forme ces derniers jours. Après avoir raccroché, il s'était installé pour une fin de révision sur des chapitres d'hépato-gastro-entérologie. Il n'avait pas trouvé de programme plus fun que ce qu'Eugénie avait eu à lui proposer finalement. Cette soirée n'avait pas été des plus productives. À chaque fois qu'il tournait une page, Florentin se retrouvait inlassablement sur un nouveau réseau social.

Depuis quelques jours, il s'était surpris à tenter de retrouver la jeune femme qu'il avait autorisée à fumer à sa fenêtre. Il aurait pu demander à Raphaël de récupérer son numéro mais il ne l'avait pas fait pour deux principales raisons : parce que ça aurait été avouer à son ami qu'il avait raison depuis plus d'une semaine - ce qui était hors de question - mais surtout parce qu'il sentait que ce n'était pas ainsi qu'il fallait la trouver ; c'était un peu comme si c'étaient instaurées entre eux des règles de jeu tacites qu'ils se devaient de respecter. Florentin devait bien admettre qu'il était probablement le seul à connaître ces règles et donc le seul à les respecter. Mais tant pis. Pour l'instant le plan consistait à surestimer les capacités de géolocalisation de son téléphone pour pouvoir voir son visage à un moment ou un autre. Impressionnant à quel point, on pouvait lui proposer des pubs SNCF pour des billets de train parce qu'il avait dû prononcer le mot « Rouen » avec sa sœur, mais qu'aucun algorithme ne pouvait lui trouver le nom de la fille qu'il voulait revoir depuis deux semaines. Saleté de technologie.

Sa séance de révision s'était arrêtée juste avant la prise en charge des tumeurs de l'estomac. De toute façon, il suffit de les enlever avait conclu Florentin en fermant brutalement son livre sur son bureau. Il s'était déshabillé sur le chemin vers son lit et s'était jeté dedans. Il avait remarqué que depuis quelques jours, l'odeur de la jeune femme avait complètement disparu de l'oreiller qu'elle avait utilisé.

X+X+X+X+X

Qui se baladait dans le métro parisien passé minuit un dimanche ? Capucine déjà et... Et pas grand monde d'autre en réalité. Au point que la jeune femme avait bien failli faire demi-tour lors de son changement de ligne à Concorde. Surtout qu'elle avait bien dû attendre cinq minutes son second métro. Et cinq minutes quand on est pas rassuré, c'est long. Mais Capucine n'avait pas fait demi-tour, parce qu'elle tournait en rond depuis des heures dans son appartement à se demander ce qu'elle devait faire, ce qu'elle voulait faire et ce qu'elle allait faire. Elle voulait revoir le garçon roux, ça c'était certain. Et c'était à peu près la seule chose dont elle était certaine. Au bout de son deux cents trentième aller-retour dans l'unique mètre qui sépare sa cuisinière de son lit, elle s'était décidée à aller le retrouver. Tant pis pour la première question, on se fichait de savoir ce qu'elle devait faire ; le plus important était qu'elle voulait et qu'elle allait y aller.

C'est un peu avant une heure du matin qu'elle était arrivée à l'arrêt Saint-Paul. Elle avait reconnu la porte vert canard dès qu'elle était sortie de la bouche de métro. Cette fois-ci, c'est d'un pas assuré - du moins le premier - et presque conquérant qu'elle avait traversé la place. Sur l'interphone, elle avait cherché l'appartement 302, parce que ça, elle s'en souvenait. Inspiration. Expiration. Elle avait sonné. Une fois. Deux fois. Trois fois. Elle devrait peut-être se calmer, non ? Il n'était pas improbable qu'il soit en train de dormir et que cela le réveille. Mais il fallait qu'il réponde parce qu'elle n'avait pas traversé une partie de Paris pour se faire prendre un râteau devant un interphone silencieux. Non, non, non. En plus, elle ne retrouverait pas son courage une seconde fois. Quatrième appel. Une voix grésillante se fit entendre soudainement.

« T'appuie sur l'interphone connard. »

Juste à travers l'interphone, elle avait pu entendre qu'elle l'avait bel et bien réveillé.

« Pardon. Je... Euh... Je peux monter ?

— C'est qui ?

— C'est moi. »

Comme si il allait la reconnaitre avec un « c'est moi ». Ils ne connaissaient même pas leurs prénoms respectifs. Capucine se serait bien frappé la tête contre le mur, sans rire. Elle s'apprêtait à rajouter un truc sans vraiment savoir quoi quand le bruit d'ouverture de la porte l'avait fait sursauter. Elle l'avait poussée avec un tout petit peu d'hésitation qui avait fini par disparaître dans l'escalier qu'elle était montée aussi vite qu'elle avait pu.

Devant la porte, elle avait attendu quelques secondes pour reprendre son souffle avant de frapper. Elle espérait tout de même qu'il ne l'observait pas par le judas parce qu'elle devait avoir une drôle de tête. Elle aurait voulu patienter suffisamment de temps pour calmer son cœur mais il ne semblait pas vouloir prendre cette voie-là, il ne cessait de tambouriner dans sa poitrine. Elle le sentait battre dans chaque cellule de son corps. Alors elle avait toqué parce qu'elle n'allait pas attendre l'éternité sur le palier. La porte s'était quasiment ouverte dans la seconde. Le garçon roux était bien de l'autre côté, encore moins habillé que quand elle l'avait quitté : il ne portait qu'un caleçon - moche d'ailleurs, elle s'était fait la remarque.

« Désolée de te déranger au milieu de la nuit, déjà.

— Salut.

— Salut... »

C'est là que Capucine se rendit compte qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'elle allait lui dire. Elle avait juste imaginé l'embrasser sauf que si elle lui sautait dessus dans cette situation ça pourrait paraître vraiment étrange ou gênant ou les deux. Si ça trouve il ne voulait même plus entendre parler d'elle. Il aurait pu : elle avait fait la morte pendant deux semaines. Mais en même temps il lui avait ouvert. Il ne s'était pas habillé pour lui ouvrir. Et... Qu'est-ce qu'elle devait dire ? C'est là qu'elle avait eu la brillante idée de regarder l'étiquette de la sonnette à côté d'elle. Pourquoi elle n'avait pas sonné d'ailleurs ?

« Okay. Euh... Salut Florentin Bethune. C'est ça ?

— C'est ça.

— Ok. Florentin, répéta-t-elle plus doucement. J'aime bien. Moi, c'est Capucine. Capucine Desjardin. Je te préviens, je ne sais absolument pas ce que je fais là. Je ne sais même pas quoi te dire. Mis-à-part, peut-être que, si tu fais une blague sur mon prénom je m'en vais. »

Ça l'avait fait rire. Il n'avait rien dit et l'avait embrassée. Elle l'avait suivi à l'intérieur de l'appartement en faisant claquer la porte du bout du pied. 

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