CHAPITRE 7 - EVAN
20.09.17,
East Side Community High School | MANHATTAN – 10:06 AM.
Après mon rêve érotique qui me mettait en scène aux côtés de Diego Flores, j'ai été soulagé de ne pas le croiser de la journée, hier. J'aurais eu l'impression de me sentir sali et vulnérable même si bien sûr il n'y était pour rien. Malgré tout, je me suis senti étrange toute la journée, comme s'il me manquait quelque chose pour avoir l'impression d'être en pleine forme. Ce sentiment lourd et angoissant que je ne saurais expliquer a pesé sur mes épaules toute la journée d'hier.
Assis à côté de Léa à la terrasse de la cafétéria, je grignote une pomme verte très juteuse et légèrement acide. Je la regarde s'empiffrer de kit-kat et de bonbons acidulés. La pause du matin est agréable dans ce lycée : les arbres environnants nous font un peu d'ombre et j'adore écouter le chant des oiseaux. Un petit brouhaha s'élève de la cour et du parking, tous les élèves se retrouvant dehors pour discuter, mais ce n'est pas assourdissant. Tout ce lycée est simplement vivant et dynamique, et ça me plaît.
Alors que Léa gribouille dans son cahier de dessins, je regarde autour de moi. Presque par automatisme, mes yeux se posent sur lui. Comme à son habitude, il est seul. Je le regarde peler une banane avant de croquer dedans sans le moindre engouement. Ses yeux que je sais gris et bruns sont perdus quelque part au milieu de la foule, et j'ai l'impression qu'il cherche quelqu'un. Je fais la moue lorsqu'Elena Hill vient s'installer sur la table, juste devant lui.
Je les regarde discuter et, même si je n'entends rien, cela semble être une discussion plutôt houleuse. Diego lève les bras et, d'ici, je jurerais pouvoir distinguer cette veine hyper sexy le long de son cou, sous l'effet de la colère. Il s'agite sur son banc, et j'ai l'impression qu'il lui crie de dégager : plusieurs personnes à proximité les regardent d'un air surpris et curieux. J'adorerais pouvoir entendre ce qu'ils se disent. Puis, finalement, Elena finit par s'en aller en roulant des fesses au beau milieu de la cour.
Par je ne sais quel hasard, alors que je l'observe encore, ses yeux se posent sur moi. Il est loin, à une trentaine de mètres, mais j'ai l'impression de me décomposer. Je suis incapable de bouger et tous mes muscles se tendent. Une nausée terrible me prend à la gorge, et je cache honteusement mon visage derrière ma pomme. Je n'arrive pas à détourner les yeux, et il ne le fait pas non plus.
Ma nuit mouvementée de la veille me revient alors en mémoire : je me sens coupable d'avoir fantasmé sur son visage au creux de mes fesses et de ses mains sur mon corps. Là, alors qu'on se toise de loin, j'ai l'impression qu'il sait tout de ce que j'ai ressenti cette nuit-là, et c'est complètement déstabilisant.
- Evan ? Ouhou, Evan !
Une main sur l'épaule me secoue et me fait sortir de mes pensées. Quand je cligne des yeux, je remarque à peine que Lily s'est laissée tomber sur le banc à mes côtés. Je me sens ridicule.
- Désolé. Ça va ?
- À quoi tu pensais ? , elle demande avec curiosité.
- À rien.
Je la regarde faire, alors qu'elle tourne la tête dans la direction que je fixais. Bien évidemment, ses yeux se posent aussi sur Diego. Contre mon oreille, pour ne pas que Léa entende, elle me dit :
- Ne tombes pas dans ce piège là, Evan. Fais attention.
- Je sais.
Oui je sais. Malgré tout, je ne peux pas m'empêcher de lui lancer un nouveau regard en biais.
La cloche sonne. Nous nous dispersons pour retourner en classe.
X X X
La sonnerie a annoncé la fin des cours il y a de cela dix minutes déjà. Léa s'est enfuie en quatrième vitesse pour prendre son bus, comme la plupart des autres élèves, tandis que je suis resté en classe de sciences à finir de feuilleter ce livre sur la chirurgie thoracique. Désormais, je me retrouve à errer seul dans les couloirs en direction de la sortie.
Arpenter les couloirs du lycée ainsi déserts est un peu flippant, en réalité. J'ai l'impression qu'à tout moment, quelqu'un va surgir d'un couloir perpendiculaire pour me flanquer la trouille du siècle, un peu comme dans un film d'horreur. Je croise quelques professeurs qui rejoignent la salle des professeurs ou la sortie, mais personne d'autre. Mon portable à la main, j'envoie un message à Lily qui m'attend déjà à l'hôpital.
- Je vais te tuer Campbell !
Je me fige en plein milieu du couloir, avant de me cacher à l'angle de deux couloirs derrière une rangée de casiers. Discrètement, alors que j'entends un grand bruit sourd, je passe la tête pour regarder : Diego Flores vient d'envoyer Dylan Campbell s'écraser contre les casiers et le tient désormais par le col de sa veste.
- J'ai rien fait !
- Càllate ! Tu m'avais promis de rien dire !
- De quoi tu parles, putain ?!
Je sais que je ne devrais pas être là et que je ne suis pas censé assister à cette conversation. Malgré tout, c'est trop tentant et je ne peux m'empêcher de les écouter. J'ai toujours été un garçon curieux et je sais que, parfois, il aurait mieux valu que je ne le sois pas.
- J'ai entendu des gens dire qu'ils m'avaient vu au Monster ! C'est toi qui a balancé, je vais te tuer !
- Arrête, Diego ! C'est pas moi, je te le jure. Je te le promets, j'ai rien dit à personne.
- Je te crois pas...
Je suis surpris de voir avec quelle facilité Dylan arrive à le calmer. Les poings de Diego sont serrés, sa mâchoire aussi, mais ses muscles semblent se détendre peu à peu. Je remarque la main de Dylan posée sur le torse de Diego. Je hausse un sourcil perplexe.
- Hé. Il y avait des centaines de gars ce soir là. Il y en avait peut-être un autre du lycée, ou même de l'extérieur. Ces rumeurs vont vite, tu le sais. Si tu ne veux pas prendre de risques, alors ne remets jamais les pieds dans une boîte gay, Diego.
Si elle n'était pas bien accrochée, je crois que ma mâchoire en tomberait par terre sous l'effet du choc. Je penche la tête pour les regarder, très rapidement, avant de me cacher à nouveau.
- J'espère pour toi que tu me dis la vérité, Campbell.
- Tu as ma parole.
- Bien.
J'entends le bruit d'un casier qu'on cogne, puis le bruit de pas qui s'éloignent vers la sortie. Peu de temps après Diego, Dylan quitte aussi les lieux et je me retrouve à nouveau seul dans un couloir désert. Je n'aurais jamais du assister à ça, mais je suis content d'avoir été là pour entendre une telle chose.
Diego Flores ? Gay ? Je n'arrive pas à le croire.
X X X
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 9:30 PM.
J'ai passé la fin d'après-midi en compagnie d'Abby, Lily étant déjà rentrée chez elle lorsque je suis arrivé à l'hôpital. Comme toujours, cela s'est déroulé dans la bonne humeur : Abby a dessiné, coiffé sa poupée et, même si elle sait lire, je lui ai relue cette histoire qu'elle aime tant, l'un des Contes de Beedle le Barde, écrits par J.K.Rowling. Suite à cette lecture, le docteur Clemmings est passé m'informer de l'avancée du traitement : d'après ce que j'ai compris, l'état d'Abby se stabilise. Je n'arrive pas à décider si c'est une bonne ou une mauvaise chose.
Tandis que son infirmière préférée l'aidait dans ses soins journaliers, j'ai quitté la chambre d'Abby pour prendre un cappuccino au distributeur de la cafétéria. Ayant vingt minutes devant moi, j'en ai profité pour téléphoner à Lily : j'avais besoin de partager avec elle l'incroyable discussion que j'avais surprise entre Diego et Dylan. Dans un premier temps elle ne m'a pas cru puis, en lui faisant remarquer que je ne gagnais rien à mentir, elle a finalement posé plus de questions. Ses recommandations ont été les suivantes « Ne craques pas pour lui, Evan ». Bien évidemment, cela n'arrivera jamais. C'est simplement un fantasme, un bad-boy super sexy qui me donne envie de me rebeller contre le système. J'ai honte.
Papa, maman et moi sommes assis dans le canapé devant Taken, ce super film avec Liam Neeson. Mon père n'arrête pas de dire que c'est trop... trop tout, ma mère ne cesse de dire « s'il vous arrivait la même chose... mon dieu » et, moi, je regarde simplement en silence. Mon portable entre mes mains, je lance une recherche google.
- Evan, le téléphone , râle ma mère.
- Désolé, maman.
Je sais qu'elle déteste qu'on utilise nos portables devant la télé, tout comme elle déteste le fait que nous les utilisions parfois à table. Je le pose sur l'accoudoir avant de couler un peu plus dans le canapé. Je sursaute quand le jingle de la publicité nous assourdit. Mon père choisit ce moment pour demander :
- Comment ça se passe au lycée ? Tu ne nous en parles pas beaucoup.
- Ça se passe bien. J'adore les cours de sciences humaines, c'est hyper intéressant. En ce moment on étudie beaucoup ce qui touche aux organes, leur fonctionnement, tout ça... ça me donne envie de faire de la chirurgie thoracique.
- Oh ! , s'exclame ma mère. C'est super, ça !
- C'est génial, Evan , confirme mon père. Tu n'as pas eu d'ennuis avec ce garçon, Diego Flores ?
Un court instant je panique, oubliant presque l'accrochage que j'ai pu avoir la semaine dernière. Mon père n'a aucun problème avec mon homosexualité. Malgré tout, je pense qu'il me ferait la peau s'il savait que je fantasme sur un garçon comme Diego Flores.
- Franchement ? Non, et même moi ça m'étonne. Il ne me calcule pas, je ne le calcule pas non plus. C'était rien, sa moto n'avait même pas une égratignure.
- Bien. En tout cas, si un jour tu as un problème, n'hésite pas à m'en parler.
- T'inquiète, papa.
Je lui souris, tandis que ma mère quitte le canapé pour se servir un verre d'eau fraîche dans le frigo. Je reporte mon attention sur l'écran plat, baillant la bouche grande ouverte sans la moindre gêne, alors que mon père s'agite dans son coin du canapé.
- Chérie ? , chantonne-t-il.
- Oui ? , répond-elle sur le même ton.
- Crème glacée ? , chantonne-t-il encore.
- OH OUAIS !
Et là, c'est moi qui m'exclame. Ma mère ricane, amusée par notre comportement enfantin à tous les deux, avant de capituler en ouvrant le congélateur. Elle en sort deux gros pots de Ben&Jerry's, brownie-chocolat pour mon père et beurre de cacahuète pour moi. Elle, elle opte plutôt pour une pomme.
Assis là tous les trois devant la télé, je me dis que nous formons la famille parfaite. Malheureusement, Abby n'est pas là et je ne suis pas capable d'accepter le bonheur d'un si simple moment.
X X X
Allongé sur le dos dans mon lit, au chaud sous ma couette, je regarde l'écran de mon portable que je tiens à quelques centimètres de mon visage. Après avoir vérifié quelques notifications sur facebook, je reviens ouvrir le navigateur. Un instant j'hésite.
J'essaie de me souvenir de la conversation échangée par Diego et Dylan : ils parlaient de boîte gay, et il me semble avoir entendu le mot « monster », évoqué par Diego. Je meurs d'envie d'en savoir plus et, bien décidé à mener ma petite enquête, je tape quelques mots dans la barre de recherche. Simple et efficace : the monster NYC gay club. Aussitôt, plusieurs liens et quelques images s'affichent, et je clique sur le lien de leur site internet.
Je fais défiler la page d'accueil, curieux. C'est une boîte assez étrange : soirées travestis, soirées shirtless, soirées strip-tease. Tout est bien trop cliché à mon goût mais je ne peux que remarquer que c'est terriblement tentant. Du moins, pour un garçon comme moi légèrement en manque de contact humain ces temps-ci. Je donnerais n'importe quoi pour poser mes mains sur un beau garçon et danser collé-serré contre un corps musclé. Contre le corps de Diego Flores.
Un frisson d'excitation me parcourt l'échine. L'idée qu'il puisse se rendre dans ce genre de club me laisse perplexe mais m'attire aussi beaucoup. C'est un très beau garçon, rebelle et violent. Et il est gay. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il ne veut pas que cela se sache, en partie à cause de sa réputation. J'imagine qu'être membre d'un gang et être gay, ça ne fait pas bon ménage.
Je verrouille mon portable avant de le laisser reposer sur mon torse. Les yeux rivés au plafond, plongé dans la semi-obscurité, je réfléchis. Ces histoires de gang ne sont d'ailleurs que des rumeurs : je me demande si elles sont fondées. J'aimerais en savoir plus. Et je réalise, là, que malgré le danger de la situation je meurs d'envie de me rapprocher de lui. Diego Flores m'attire, inexorablement. Et, alors que je m'endors peu à peu, je prends une décision : je tenterai d'en savoir plus vendredi soir.
Monsieur Flores, rendez-vous au Monster.
X X X
23.09.17,
Quelque part dans les rues... | MANHATTAN – 0:58 AM.
La journée du vendredi est arrivée bien plus vite que je ne l'avais imaginé. Jeudi est passé à la vitesse de l'éclair, bien trop plongé dans ces cours de sciences et de physique qui m'intéressent tant. Cependant, le décompte des heures jusqu'à cet instant précis m'a semblé interminable aujourd'hui.
Assis seul à l'arrière d'un taxi, je regarde les buildings défiler sous mes yeux. À cette heure de la nuit la circulation est fluide dans Manhattan, même sur Times Square. Je suis toujours autant impressionné par les écrans géants, les billboards et autres panneaux publicitaires. C'est trop lumineux, trop coloré, trop immense et j'adore ça. On se sent minuscule ici et, à chaque fois que j'y passe, je me sens comme un enfant qu'on aurait déposé au beau milieu de Disneyland : émerveillé, voilà ce que je suis.
Je craque nerveusement mes doigts sur mes genoux lorsque nous nous éloignons un peu du cœur de Times Square. En réfléchissant à ma soirée à venir, je me rends compte que j'appréhende un peu. Même si je suis déjà sorti dans des boîtes et bars gays, quelques fois, je ne suis jamais sorti à New-York : c'est beaucoup plus grand, plus festif, et aussi bien plus fréquenté. J'ai peur de faire tâche dans le décor, d'autant plus que je n'ai même pas l'âge légal pour entrer dans ce genre d'endroits. Je prie tous les Dieux possibles pour qu'on ne me demande pas ma carte d'identité.
- Voilà, jeune homme.
Je paie sa course au chauffeur avant de quitter le véhicule. Planté sur le trottoir, je regarde les néons de couleurs différentes accrochés au dessus de l'entrée de la boîte. Un panneau lumineux éclairé en bleu fait clignoter les lettres M-O-N-S-T-E-R, et je remarque une petite file d'attente sur le trottoir.
À l'aise dans mes vêtements – un jean skinny bleu et une chemise blanche – je me dirige vers la file d'attente. J'entends déjà la musique tambouriner derrière les murs épais de cet ancien bâtiment. Mon portable dans ma main, je décline encore une fois un appel de Lily. Je continue de penser que je n'aurais pas dû lui faire part de mes intentions : elle flippe pour moi, terrorisée à l'idée que Diego Flores me tombe dessus. Un sourire débile étire le coin de mes lèvres : j'aimerais bien, moi, qu'il me tombe dessus.
Je ne suis pas un garçon stupide et je sais qu'après sa discussion avec Dylan, il y a peu de chances qu'il remette les pieds ici. Il doit y avoir des centaines de personnes là dedans et le club est ouvert 7/7j. À quel moment serais-je assez chanceux pour tomber sur lui, là, ce soir, alors que c'est ce que j'espère ? Je sais déjà que je ne le croiserai pas, mais au moins j'aurais tenté le coup. Et, dans tous les cas, je compte bien m'amuser.
- Hey.
Je déglutis, ridicule. Il me faut un temps avant de réaliser que le beau blond qui me parle est en fait Dylan Campbell.
- Heu... S-salut.
- Tu es au lycée East Side, non ?
Je hoche la tête, envoûté par sa beauté : une peau parfaite, des cils long et des yeux magnifiques. Son corps est parfait, ni trop musclé ni pas assez, et je n'ai jamais vu une bouche aussi pulpeuse chez un garçon. Je le soupçonne même de s'être maquillé, un peu, tant sa peau est brillante et uniforme. De plus, il sent très bon.
- Oui, exact.
- Tu es seul ? , me demande-t-il.
- Oui. Et toi ?
- Pareil.
Alors que la file d'attente avance peu à peu vers l'entrée, je vois qu'il se rapproche de moi. Je me sens gêné à l'idée qu'il soit là, ce garçon si populaire au lycée et si assumé. À côté de lui, je ne suis qu'un trouillard qui n'ose pas encore sortir du placard. J'ai le sentiment qu'il connaît tous mes secrets, désormais.
- Tu es déjà venu, ici ? , me demande-t-il.
- Non. C'est la première fois.
Je suis surpris lorsqu'il me prend par la taille, alors que nous passons devant le videur auquel il lance un sourire radieux. Je me laisse embarquer à l'intérieur de la boîte et jusqu'au bar ensuite. Il commande deux verres, dont un qu'il me tend. Appletini. J'apprécie. Il se penche vers moi pour crier à mon oreille :
- Comment tu t'appelles ?
Il se recule pour me regarder, dans l'attente d'une réponse. Je suis surpris, mais je ne sais pas trop quoi en penser. Il me paie un verre, reste collé contre moi. Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce qu'il cherche, ni même ce qu'il veut. Il est très beau, charismatique, mais je n'apprécie pas ce genre de gars bien trop entretenu. J'ai l'impression d'être poupée Barbie devant son Ken, et c'est carrément gênant.
- Evan. Toi c'est Dylan, c'est ça ?
J'essaie d'être poli. Il hoche la tête en souriant, visiblement ravi. Je bouge mon corps doucement, près du bar, au rythme de la musique tandis que nous sirotons notre boisson. Je ne lui parle pas, bien trop gêné, mais je vois du coin de l'oeil qu'il me regarde avec un doux sourire placardé sur le visage. N'y tenant plus, je demande :
- Pourquoi tu me regardes comme ça ?
- Tu me plais.
- Ah.
Je sens mes joues s'empourprer lorsqu'il se mordille la lèvre inférieure. J'ai l'impression qu'il serait capable de me sauter dessus là, tout de suite, et ça m'effraie un peu à vrai dire. J'ai envie de m'amuser ce soir, bien sûr, et pourquoi pas avec lui. Mais ça va trop vite. De plus, comme Diego, je n'ai pas envie que tout le lycée soit au courant pour moi. Je me met à paniquer en prenant conscience des risques à ce que Dylan m'ait vu ici ce soir. Il semble voir que quelque chose m'inquiète :
- Tout va bien, Evan ?
- Je... je veux bien passer la soirée avec toi. Mais... ne dis à personne que j'étais là, s'il te plaît.
- Pourquoi pas ? , s'intéresse-t-il en fronçant les sourcils.
- Je... dans mon ancien lycée, quand ils ont su que j'étais gay... je suis devenu la tête de turc. J'ai pas envie que ça recommence, vraiment pas je...
- OK. Hé... , il relève mon visage vers le sien. Pas de problème. Je dirai rien. À une seule condition.
Un petit sourire taquin étire ses lèvres alors qu'il pose son verre vide sur le bar. Je flippe. J'attends.
- Laquelle ?
- Embrasse-moi.
Je pouffe de rire, amusé, croyant un instant qu'il plaisante. Il ricane aussi, amusé par ma réaction. Sauf que je vois qu'il ne plaisante pas et qu'il est on ne peut plus sérieux. Je lance un regard autour de moi, gêné de le regarder dans les yeux, avant de finalement capituler.
Doucement, je viens prendre son visage entre mes mains et je pose mes lèvres contre les siennes. Du haut de mon mètre quatre-vingt, je suis à sa taille et je n'apprécie pas : je ne me sens pas en sécurité contre son corps fin. Malgré tout, son baiser est à tomber par terre : une langue chaude et experte qui sait comment me faire perdre la tête, et des lèvres si tendres que j'aimerais que ça ne s'arrête jamais. Je perds pieds quand il m'entraîne au milieu de la foule, collé-serré l'un contre l'autre, et qu'il dévore mon cou alors que nos corps balancent au rythme de la musique. La tête penchée en arrière pour lui laisser l'accès, je ferme les yeux. Le visage de Diego apparaît dans mon esprit et, là, ce sont ses lèvres et ses mains que je sens sur moi. Et je perds d'autant plus la raison.
- Tu veux descendre ?, me demande-t-il au creux de l'oreille.
- Hein ?
- Au sous-sol... il y a des box privés... on pourrait s'amuser, toi et moi...
J'ouvre les yeux, soudain. Je repousse Dylan doucement en ricanant, gêné. Je le regarde dans les yeux, me sentant stupide.
- Je suis désolé je... j'ai pas envie de ça. Je suis juste venu pour...
Pour quelle raison suis-je venu, déjà ? Dans l'espoir de trouver Diego, oui, mais ensuite ? J'étais parti dans l'optique de m'amuser, de danser et de toucher quelques corps. Je ne m'étais pas préparé à l'idée qu'un garçon puisse vouloir plus, le temps de quelques minutes, avec moi. L'idée m'attire – je suis en manque – mais je me sais incapable de coucher avec quelqu'un comme ça.
- D'accord. Je comprends.
- Désolé.
Il m'embrasse à nouveau sur le nez, la joue, puis il vient reprendre ma bouche. Des mains sur mes fesses, mes reins, sous ma chemise. Des baisers et des morsures dans mon cou. Une odeur masculine dans les narines. Je fonds. Toute cette chaleur humaine m'avait manqué.
X X X
Il est trois heures passées, depuis un bon moment déjà. Je n'ai aucune idée d'où est passé Dylan et l'alcool commence à me monter au crâne. J'ai mal à la tête. La boîte est noire de monde et, bien évidemment, aucune trace de Diego Flores. L'envie de m'en aller est forte mais je m'amuse aussi beaucoup, à danser comme un fou entre les hommes sans pour autant vouloir plus. Même si je suis seul désormais, je passe un putain de bon moment.
Deux mains posées sur ma taille me font sursauter. Je me retourne.
- Bonsoir.
- Heu... bonsoir.
Les yeux vitreux, à l'écart dans un coin sombre, je regarde l'homme qui me parle. Légèrement plus grand que moi, très bien musclé, barbu et l'air assez âgé. Certainement la quarantaine. Il est charmant.
- Tu es tout seul ?
- Oui.
Je réponds au tac-au-tac, rapidement, plus guidé par l'alcool que par la raison. Il tient fermement ma taille entre ses mains et, son bassin contre le mien, je sens son érection. Il est très attirant, mais son âge m'effraie.
- Tu veux descendre ?
Je tourne la tête de gauche à droite, rapidement, pour refuser son invitation. Mon dos légèrement en sueur vient s'écraser contre le mur lorsqu'il m'y pousse délicatement. Son souffle s'écrase sur mon visage. Alors que j'essaie de le repousser, il bloque mes poignets au dessus de ma tête. Sa bouche dépose un baiser sur mon cou : je me crispe.
- Tu es très beau, mon ange...
L'une de ses mains glisse sur ma cuisse, puis sur mon entrejambe ensuite. Contrairement à lui je ne bande pas, et j'en suis ravi. Je me sens ridicule et, là, j'ai l'impression que ses intentions ne sont pas délicates.
- Ne me touchez-pas.
Pris d'un élan d'adrénaline et de courage, je lui envoie mon genou dans les parties. Lorsqu'il me lâche, j'en profite pour prendre la fuite. Je déguerpis à toute vitesse au milieu de la foule, bousculant les gens autour de moi. Lorsque je tourne la tête un instant, à proximité du bar, je vois qu'il tente de me rattraper. C'est la panique et, sans réfléchir, je me jette sur une issue de secours.
La première chose qui me choque le plus, c'est l'obscurité de la ruelle. C'est silencieux, calme et sombre. Puis, ensuite, je remarque que je bouscule quelqu'un avant de manquer de tomber au sol. Paniqué, je reprends mes appuis tout en me confondant en excuses.
- Désolé... désolé, je m'excuse, je...
Je me tais lorsque je vois son visage, dans l'obscurité. Une moto brille à la lumière faible d'un lampadaire défoncé et je reconnais ce blouson de cuir abîmé. De plus, je ne peux que reconnaître ce regard, même dans la nuit.
- Tout va bien ?
Diego Flores est-il vraiment en train de s'inquiéter pour moi ? Je m'apprête à répondre, mais la porte s'ouvre à nouveau et je me retrouve face à face avec le type.
- Ah, tu es là toi. Viens par là.
Cet adulte bien trop musclé pour moi me prend par le bras et me plaque sans délicatesse contre un mur. J'essaie de me débattre, en vain. Ses mains dégueulasses se posent sur mes fesses et il presse son érection contre ma cuisse. Je lance un regard paniqué à Diego qui, planqué dans l'ombre de la porte, nous observe.
- Me touchez-pas !
Je ne peux que m'exclamer ainsi lorsqu'il tente de défaire le bouton de mon jean. À cet instant, je maudis cet idiot de Flores de ne pas intervenir.
- Tu vas fermer ta petite gueule et te laisser faire, sinon je...
- Sinon quoi ?
Silence et plus un geste. Mon cœur cesse de battre un instant alors que tous mes muscles se détendent de soulagement : je ne suis plus seul. La voix de Diego, forte et colère, a fait sursauter mon assaillant. Ce dernier se retourne pour le regarder, bien trop confiant :
- Dégage de là petit, cela ne te concerne pas.
La droite part toute seule. J'entends le bruit du choc sur le visage du type avant qu'il ne perde légèrement l'équilibre. Sous la puissance du coup il me lâche, et je me retrouve seul contre une poubelle alors que Diego vient l'empoigner par le col de sa chemise. Quelques secondes plus tard, il lui envoie son genou droit dans le ventre. Le type tombe au sol, au ralenti, le visage en sang et plié en deux.
- Bastardo, relève-toi !
Le type s'exécute, par fierté. Il décroche une belle droite à Diego que ce dernier lui rend, presque par automatisme, avant de le rouer de coups au sol. J'ai envie d'intervenir, parce qu'il le frappe trop, mais je suis terrorisé. Je ne sais pas quoi faire ni même comment le faire.
- Mirame ! Je veux plus voir ta gueule ici. Entiendes ?!
- Oui.
- Vete de aquì !
Difficilement, le type se relève et quitte la ruelle en claudiquant. Diego le fixe, droit comme un i et poings serrés. Même s'il me tourne le dos, je sais voir la tension dans sa mâchoire. Il serre les dents. Me forçant à être courageux, jambes tremblantes, je m'approche doucement de lui.
- M-merci.
Je n'arrive pas à croire que, s'il n'avait pas été là, ce type là aurait abusé de moi. Il m'a clairement sauvé le coup, là, et je ne sais pas quoi dire d'autre. Je me sens stupide avec mon pauvre « merci ».
- Tu n'es pas blessé, ça va ?
Je sursaute quand il lève sa main à mon visage. Je tente un instant de l'esquiver, surpris, puis je me laisse faire quand je comprends qu'il veut la poser simplement sur ma joue. Sa peau, rugueuse, est chaude sur la mienne.
- Oui... oui ça-ça va.
- Tu es sûr ? Il ne t'a pas touché, t'as rien ?
- Je vais bien. Merci, Diego.
Il sourit un peu, à peine, mais je le vois. Il retire sa main tout doucement avant de s'excuser. Il tire un morceau de tissus de sa poche – un bandana, je crois – pour s'essuyer les mains. Quelques instants plus tard, alors que je suis encore tétanisé par sa présence, il vient m'essuyer la joue. Je fronce les sourcils.
- Du sang... , il s'explique. Je suis désolé, c'est un peu dégueulasse.
Sa douceur m'étonne. Il s'applique, il fait ça bien sans le moindre geste brusque. Je fixe sa bouche, son visage près du mien, et son odeur de sueur et de parfum pour homme titille mes narines. Il est beau.
- C'est pas grave.
Ma voix monte dans les aigus malgré moi, à cause de la gêne. Je reprends :
- Merci vraiment, je... d'être intervenu. J'ai cru que tu allais me laisser dans la merde, je ricane.
- Je ne l'aurais pas laissé te toucher.
J'ouvre la bouche pour parler, mais rien ne sort. Il me lance un regard étrange que je n'arrive pas à cerner, avant d'enfermer son bandana dans la poche de son perfecto en cuir. Faisant quelques pas en arrière, il crache un instant au sol avant de me regarder.
- Tu vas faire quoi, maintenant ? , me demande-t-il.
- Heu... rentrer chez moi. J'ai assez donné pour ce soir.
- Tu rentres en Audi ?
J'entends l'agacement dans sa voix. Je crois qu'il déteste ma voiture. Ou qu'il me déteste moi. Certainement un peu des deux. Il doit haïr cette idée du luxe, mes vêtements et ma voiture, lui qui vient de Brooklyn.
- Non. Je suis venu en taxi.
- Je te ramène.
Je hausse un sourcil. Est-il vraiment en train de me proposer de me ramener ? Je n'arrive pas à le croire. Mon cœur s'emballe mais, conscient du danger, je refuse :
- Heu... non, t'en fais pas ça va et...
- C'était pas une question. Grimpe.
J'ouvre la bouche pour répondre, avant de me raviser. Sa voix est autoritaire, grave et nonchalante. Je me sens en sécurité mais aussi en danger. C'est un paradoxe étrange, comme si je flirtais avec la limite. En silence, je m'installe derrière lui sur la selle de sa moto noire et brillante. Il démarre le moteur et, serrant l'engin entre mes jambes, je n'ose pas me tenir à lui.
- Passe tes bras, là.
Il lève ses coudes pour me laisser l'accès à sa taille. Je déglutis :
-C'est bon comme ça, je me tiens à la carrosserie.
-Bien. Ton adresse ?
-East Village. C'est pas loin de...
-Je sais où c'est. Càllate.
Je me tais. Il quitte la ruelle tandis que je m'agrippe aux minuscules poignées de fortune que forme la carrosserie de son bolide. Sur les boulevards du centre de Manhattan, tout se déroule pour le mieux. La vitesse est relativement posée, et je ne me sens pas en danger. Mais lorsqu'il descend un peu plus vers East Village, empruntant des rues et longs boulevards quasi-déserts, la vitesse grimpe en flèche et je ne me sens plus à l'aise. Résistant jusqu'au dernier effort, capitulant finalement, je viens glisser mes bras autour de sa taille : il lève ses coudes pour que je m'installe au mieux.
- Ça va ? , me demande-t-il.
- Sì.
Je le vois sourire en coin, un peu, avant qu'il ne reporte son attention sur la route. J'ai l'impression de planer, d'être dans un autre monde. Le paysage défile sous mes yeux à toute vitesse, le vent se glisse dans mes cheveux et je sens son dos contre mon torse. Je suis sur une moto avec Diego Flores et je n'ai absolument pas envie que ça s'arrête. Et finalement, capitulant encore plus, je réduis la distance entre nos hanches. Je me fonds un peu plus contre lui, plus au centre de la selle, et mes mains se nouent avec facilité contre ses abdominaux. Je sens ses flancs contre l'intérieur de mes cuisses, et j'ai l'impression d'être au bord du précipice.
- Quelle rue ?
- À gauche... , je le guide. Encore à gauche... , il avance quelques secondes. À droite maintenant...
Je le guide ainsi pendant quelques minutes supplémentaires, enivré par son odeur et son corps musclé contre le mien. Puis, arrive l'instant que je redoutais :
- Arrête-toi, juste là.
Il se gare le long du trottoir, pied à terre. Il n'éteint pas le moteur et je le devine pressé de rentrer chez lui. Je le comprends, il est tard et j'ai certainement gâché sa soirée. Les jambes tremblotantes, je descends de la moto et je me tiens près de lui sur le trottoir. Gêné, perturbé par son regard profond, je dis simplement :
- Merci de m'avoir ramené. Merci... pour le type. Et, juste... gracias ?
- De nada.
Il me sourit : je crois que je l'amuse, à essayer de parler espagnol. J'ai envie de le faire rire, peut-être oubliera-t-il que je ne suis qu'un fresa à ses yeux et que je peux être cool, parfois. Je fronce les sourcils quand je vois son arcade, blessée, qui saigne à grosses gouttes qui se perdent dans ses sourcils fournis.
- Tu me prêtes ton bandana, deux secondes ?
Il s'exécute sans rechigner, à ma grande surprise. Je prends le morceau de tissus entre mes doigts et, méfiant, je l'approche de son visage. Il va pour se reculer mais, finalement, se laisse faire. Il ferme même les yeux, patientant simplement le temps que je termine. La fin de ce moment étrange arrive bien trop vite à mon goût.
- Tiens.
Il récupère son bandana. Je ne peux m'empêcher de penser à Abby, à cet instant là. Je le regarde alors qu'il l'enferme dans sa poche. Sa grande main calleuse, à ma grande surprise, se pose sur ma joue à nouveau. Je lève le regard vers lui.
- Quoi ? , je murmure.
On se rapproche bien trop vite. Je sais qu'il n'a pas bougé, lui, simplement assis sur sa moto. C'est juste moi, comme un aimant, qui suis venu me planter devant lui. Nos nez se frôlent, nos fronts se touchent, et nos lèvres s'effleurent. Son souffle est chaud et je sens une odeur de tabac. Je le regarde, louchant un peu, et je vois qu'il me fixe aussi. Son pouce caresse mes lèvres, mais aucun de nous ne semble vouloir franchir la limite. C'est un instant trop bizarre suspendu dans le temps.
- J'ai envie de t'embrasser... , il murmure.
- Vas-y.
Je couine comme un idiot, mort d'impatience. Diego Flores va m'embrasser. Je ferme les yeux. Tout explose en moi dès l'instant où ses lèvres si pulpeuses et tentantes se posent sur les miennes. Et, alors que je lui rends son baiser si tendre, ça me frappe à nouveau : sa douceur. Sa main libre se glisse tendrement sur ma taille tandis que l'autre enveloppe ma joue. Il me touche légèrement, du bout des doigts, et son baiser est si lent qu'il en devient hypnotique et frustrant. Mes mains à moi viennent se poser sur son cou, mes doigts se perdant sur sa nuque toute en sueur et en tensions diverses. Il est doux, et ça me fait exploser le cœur. Je n'aurais jamais imaginé qu'un baiser avec Diego Flores puisse avoir une telle saveur.
Il brise la magie du moment en tournant la tête, doucement, pour rompre le contact. Nos lèvres se séparent en un petit claquement subtil, au beau milieu de la nuit. Je garde les yeux fermés quelques secondes encore, pour profiter quelque plus, avant de ne les ouvrir. Il me regarde, les yeux écarquillés, lèvres pincées. Nous sommes allés trop loin, et il le sait. Je décide de prendre les devants :
- Je... je dois rentrer chez moi.
- Oui, tu devrais.
Le souffle court, je tourne les talons sans lui lancer un regard de plus. Il me rattrape par le poignet.
- Attends...
Je me retourne pour le regarder. Mon cœur loupe un battement et une chaleur délicieuse explose dans mon bas ventre. Il relâche doucement mon poignet.
- ... ton prénom ?
Je souris, réalisant soudain à quel point toute cette situation est ridicule. Malgré tout, surpris qu'il s'intéresse à ce détail, je réponds d'une petite voix gênée :
- Evan.
Il me sourit, un peu, et passe le bout de sa langue sur ses lèvres. Puis, avant de quitter la rue en un bruit de moteur assourdissant, il me lance :
- Buenas noches, Evan.
Quand je m'enferme dans ma chambre, le cœur battant la chamade, je me fais la promesse de ne parler de cette soirée à personne. Pas même à Lily.
Diego Flores m'a embrassé. Je n'arrive pas à y croire.
. . . #eastriverFIC
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